*BHLFrédéric Gerschel : Manuel Valls a t-il raison de vouloir interdire les spectacles de Dieudonné ?
Bernard-Henri Lévy : Bien entendu. Je ne comprends même pas le débat. Ce que vous appelez les spectacles de Dieudonné ne sont pas des spectacles, mais des meetings. Et on prêche, dans ces meetings, le négationnisme, la haine des juifs, l’apologie du crime contre l’humanité – toutes choses que la loi républicaine condamne. Il y a un moment où, face à ça, face à ces bras d’honneur répétés à la République, il est du devoir de la parole publique de dire stop. Valls l’a fait. C’est bien.
Comment réagissez-vous quand tel humoriste dit : « si on interdit Dieudonné aujourd’hui, qui dit qu’un autre gouvernement ne m’interdira pas, moi, demain? »
Je réponds qu’il fait là une étrange et terrible confusion. Car il n’y a rien de commun, rien, entre le travail d’un humoriste dont la liberté d’expression et, donc, de provocation est effectivement sacrée et l’entreprise d’un agitateur néonazi qui fait ouvertement campagne sur des thèmes qui ne sont pas des opinions mais des délits. Ils ne font pas le même métier. Il y a différence de nature entre ce qu’ils nous racontent. Et, sauf à imaginer Madame Le Pen au pouvoir, il n’y a pas un juge sérieux en France qui dira : « j’ai condamné X parce qu’il insultait la mémoire des victimes de la Shoah – je vais donc condamner Y parce qu’il blague sur le ministre Truc ou Machin ».
Certains (Anelka, Tony Parker) ont effectué la fameuse « quenelle » en indiquant qu’il s’agissait à leurs yeux d’un geste antisystème. Faut-il leur accorder le bénéfice du doute ?
Tony Parker, bien sûr : l’histoire date d’il y a cinq ans et il s’en est expliqué. Mais Anelka c’est autre chose. Il sait qu’il exprime ainsi son soutien à un agitateur dont le programme se résume à mettre sa quenelle (sic) « dans le fion du sionisme ». Il sait que « anti-système », chez lui comme chez son complice Alain Soral, veut dire « les juifs maîtres du monde ». Et il sait qu’en soutenant cela, il promeut les clichés antisémites les plus éculés mais, aussi, les plus inflammables. La Fédération anglaise n’a, là non plus, guère le choix. Ou bien elle sanctionne durement le milliardaire « anti-système ». Ou bien on verra, comme dans les années 2000, une épidémie de gestes et de slogans nazis dans les stades de foot anglais.
D’une façon générale, le racisme et l’antisémitisme progressent-ils en France ?
Pour le racisme, c’est évident : regardez comme le corps politique a tardé à réagir aux insultes contre la Garde des Sceaux. Mais pour l’antisémitisme, j’ai peur qu’il n’en aille de même et je suis atterré d’entendre de plus en plus de jeunes juifs se demander s’ils sont toujours les bienvenus dans un pays où l’on tolère des saluts nazis devant le mémorial de la déportation ou en face de l’Ecole juive toulousaine où l’on a tué quatre enfants parce qu’ils étaient juifs. Il faut arrêter cette spirale de la haine. Il faut, au-delà des « spectacles », interpeller les hébergeurs des sites de Dieudonné et de Soral. Et il faut, puisque tout cela est aussi un petit commerce juteux, avec marques déposées, querelles minables entre ayant-droits, taper ces gens au portefeuille.
La France a t-elle eu raison d’intervenir en Centrafrique ? N’a t-elle pas sous-estimé le degré de haine entre les communautés ?
C’est l’inverse. C’est parce qu’elle ne le sous-estimait pas qu’elle est intervenue. C’est parce qu’elle savait que la Centrafrique était dans une situation « pré-génocidaire » qu’elle a répondu, une fois de plus, à cette responsabilité de protéger qui est inscrite dans la loi internationale. Après, que ça ne s’arrête pas du jour au lendemain, quoi d’étonnant ? C’est comme si on était, dès avril 1994, et au lieu de se carapater, intervenu au Rwanda. Il y aurait eu des morts, bien sûr. Il y aurait eu, pendant des mois, des échauffourées, des cochonneries. Mais pas un million de morts. Pas le quatrième génocide du XX° siècle. C’est ça, aussi, lutter contre le racisme. C’est refuser ce fatalisme monstrueux qui fait dire : « un génocide en Afrique, bof, c’est dans l’ordre des choses, c’est pas si grave, etc »
Pourquoi l’Europe est-elle à ce point absente à Bangui ?
Parce qu’elle est absente partout. Et parce qu’elle est ce corps sans tête, ce Léviathan décapité, cette machine sans âme et sans identité, qui est incapable du moindre geste politique. Regardez l’Ukraine. Regardez nos réactions minables face à la ferveur du sentiment européen qui s’exprime chez les manifestants de Kiev. Chez eux, l’Europe est le nom d’une espérance immense. Chez nous, le principal souci était de ne pas froisser Mr Poutine, nouveau Big Boss de la planète et maître, par ailleurs, du robinet du gaz qui nous aide à nous chauffer l’hiver.
Deux ans et demi après le début de la guerre en Syrie l’opposition modérée parait laminée. Qui soutenir aujourd’hui ?
Les mêmes. L’opposition modérée. Autrement dit, les musulmans hostiles à al Qaïda et les minorités chrétiennes qui refusent d’être prises en otage par le régime. C’est de plus en plus difficile, évidemment, puisqu’on fait, depuis des mois, très exactement le contraire et qu’on a sauvé la peau du régime et fait monter Al Qaïda. Ce sera là d’ailleurs, au final, la grande faute politique et morale de la présidence Obama. Ce fameux 31 août où il a, de fait, renoncé aux frappes en échange d’une inspection des arsenaux chimiques, il a pris une responsabilité historique énorme. Au fait… Ces arsenaux étaient supposés être vidés le 31 décembre dernier… Où en est-on ? Et pourquoi, l’émotion des premiers jours passés, la presse ne nous en parle-t-elle plus ?
Que retenez-vous des voeux de François Hollande ?
Sa prise de position ferme sur la montée de l’antisémitisme et du racisme.
Peut-il rebondir en 2014 ?
Oui, s’il précise vite ces « initiatives » concernant « l’avenir de l’Europe » qu’il a annoncées. Car la « France seule » de Maurras, c’est fini. L’Europe honteuse, l’Europe au rabais, l’Europe qui s’affirme sans s’afficher et qui a peur de son ombre, c’est la voie assurée du déclin pour toutes les nations qui la composent. L’échéance des prochaines élections est, de ce point de vue, capitale. Ou bien on donne un nouvel élan au rêve européen. Ou bien on cède aux souverainistes de droite et de gauche, et on sort définitivement de l’Histoire en même temps qu’on s’enfonce dans le chômage et, peut-être, la misère.
Bernard-Henri Lévy : Bien entendu. Je ne comprends même pas le débat. Ce que vous appelez les spectacles de Dieudonné ne sont pas des spectacles, mais des meetings. Et on prêche, dans ces meetings, le négationnisme, la haine des juifs, l’apologie du crime contre l’humanité – toutes choses que la loi républicaine condamne. Il y a un moment où, face à ça, face à ces bras d’honneur répétés à la République, il est du devoir de la parole publique de dire stop. Valls l’a fait. C’est bien.
Comment réagissez-vous quand tel humoriste dit : « si on interdit Dieudonné aujourd’hui, qui dit qu’un autre gouvernement ne m’interdira pas, moi, demain? »
Je réponds qu’il fait là une étrange et terrible confusion. Car il n’y a rien de commun, rien, entre le travail d’un humoriste dont la liberté d’expression et, donc, de provocation est effectivement sacrée et l’entreprise d’un agitateur néonazi qui fait ouvertement campagne sur des thèmes qui ne sont pas des opinions mais des délits. Ils ne font pas le même métier. Il y a différence de nature entre ce qu’ils nous racontent. Et, sauf à imaginer Madame Le Pen au pouvoir, il n’y a pas un juge sérieux en France qui dira : « j’ai condamné X parce qu’il insultait la mémoire des victimes de la Shoah – je vais donc condamner Y parce qu’il blague sur le ministre Truc ou Machin ».
Certains (Anelka, Tony Parker) ont effectué la fameuse « quenelle » en indiquant qu’il s’agissait à leurs yeux d’un geste antisystème. Faut-il leur accorder le bénéfice du doute ?
Tony Parker, bien sûr : l’histoire date d’il y a cinq ans et il s’en est expliqué. Mais Anelka c’est autre chose. Il sait qu’il exprime ainsi son soutien à un agitateur dont le programme se résume à mettre sa quenelle (sic) « dans le fion du sionisme ». Il sait que « anti-système », chez lui comme chez son complice Alain Soral, veut dire « les juifs maîtres du monde ». Et il sait qu’en soutenant cela, il promeut les clichés antisémites les plus éculés mais, aussi, les plus inflammables. La Fédération anglaise n’a, là non plus, guère le choix. Ou bien elle sanctionne durement le milliardaire « anti-système ». Ou bien on verra, comme dans les années 2000, une épidémie de gestes et de slogans nazis dans les stades de foot anglais.
D’une façon générale, le racisme et l’antisémitisme progressent-ils en France ?
Pour le racisme, c’est évident : regardez comme le corps politique a tardé à réagir aux insultes contre la Garde des Sceaux. Mais pour l’antisémitisme, j’ai peur qu’il n’en aille de même et je suis atterré d’entendre de plus en plus de jeunes juifs se demander s’ils sont toujours les bienvenus dans un pays où l’on tolère des saluts nazis devant le mémorial de la déportation ou en face de l’Ecole juive toulousaine où l’on a tué quatre enfants parce qu’ils étaient juifs. Il faut arrêter cette spirale de la haine. Il faut, au-delà des « spectacles », interpeller les hébergeurs des sites de Dieudonné et de Soral. Et il faut, puisque tout cela est aussi un petit commerce juteux, avec marques déposées, querelles minables entre ayant-droits, taper ces gens au portefeuille.
La France a t-elle eu raison d’intervenir en Centrafrique ? N’a t-elle pas sous-estimé le degré de haine entre les communautés ?
C’est l’inverse. C’est parce qu’elle ne le sous-estimait pas qu’elle est intervenue. C’est parce qu’elle savait que la Centrafrique était dans une situation « pré-génocidaire » qu’elle a répondu, une fois de plus, à cette responsabilité de protéger qui est inscrite dans la loi internationale. Après, que ça ne s’arrête pas du jour au lendemain, quoi d’étonnant ? C’est comme si on était, dès avril 1994, et au lieu de se carapater, intervenu au Rwanda. Il y aurait eu des morts, bien sûr. Il y aurait eu, pendant des mois, des échauffourées, des cochonneries. Mais pas un million de morts. Pas le quatrième génocide du XX° siècle. C’est ça, aussi, lutter contre le racisme. C’est refuser ce fatalisme monstrueux qui fait dire : « un génocide en Afrique, bof, c’est dans l’ordre des choses, c’est pas si grave, etc »
Pourquoi l’Europe est-elle à ce point absente à Bangui ?
Parce qu’elle est absente partout. Et parce qu’elle est ce corps sans tête, ce Léviathan décapité, cette machine sans âme et sans identité, qui est incapable du moindre geste politique. Regardez l’Ukraine. Regardez nos réactions minables face à la ferveur du sentiment européen qui s’exprime chez les manifestants de Kiev. Chez eux, l’Europe est le nom d’une espérance immense. Chez nous, le principal souci était de ne pas froisser Mr Poutine, nouveau Big Boss de la planète et maître, par ailleurs, du robinet du gaz qui nous aide à nous chauffer l’hiver.
Deux ans et demi après le début de la guerre en Syrie l’opposition modérée parait laminée. Qui soutenir aujourd’hui ?
Les mêmes. L’opposition modérée. Autrement dit, les musulmans hostiles à al Qaïda et les minorités chrétiennes qui refusent d’être prises en otage par le régime. C’est de plus en plus difficile, évidemment, puisqu’on fait, depuis des mois, très exactement le contraire et qu’on a sauvé la peau du régime et fait monter Al Qaïda. Ce sera là d’ailleurs, au final, la grande faute politique et morale de la présidence Obama. Ce fameux 31 août où il a, de fait, renoncé aux frappes en échange d’une inspection des arsenaux chimiques, il a pris une responsabilité historique énorme. Au fait… Ces arsenaux étaient supposés être vidés le 31 décembre dernier… Où en est-on ? Et pourquoi, l’émotion des premiers jours passés, la presse ne nous en parle-t-elle plus ?
Que retenez-vous des voeux de François Hollande ?
Sa prise de position ferme sur la montée de l’antisémitisme et du racisme.
Peut-il rebondir en 2014 ?
Oui, s’il précise vite ces « initiatives » concernant « l’avenir de l’Europe » qu’il a annoncées. Car la « France seule » de Maurras, c’est fini. L’Europe honteuse, l’Europe au rabais, l’Europe qui s’affirme sans s’afficher et qui a peur de son ombre, c’est la voie assurée du déclin pour toutes les nations qui la composent. L’échéance des prochaines élections est, de ce point de vue, capitale. Ou bien on donne un nouvel élan au rêve européen. Ou bien on cède aux souverainistes de droite et de gauche, et on sort définitivement de l’Histoire en même temps qu’on s’enfonce dans le chômage et, peut-être, la misère.