De notre envoyée spéciale à Baalbeck
Ayman ne pourra pas passer l'hiver entre les murs croulants de son abri de fortune - un vieux bâtiment dont le deuxième étage est effondré, avec de minces matelas pour tout confort. Mais il apprécie provisoirement la sécurité relative de Baalbeck, petite ville de l'est du Liban: chez lui, à Idleb, en Syrie, les bombardements ont détruit son quartier.
Depuis son arrivée au Liban il y a quatre mois, le jeune épicier n'a réussi à travailler que huit jours. La baisse du prix de la main-d'œuvre syrienne, à laquelle sont réservés les emplois journaliers dans le bâtiment ou l'agriculture, le condamne à la précarité, les loyers ayant grimpé en flèche à Baalbeck. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) vient tout juste d'y installer un centre d'enregistrement. Dans toutes les zones libanaises frontalières, l'arrivée des Syriens est de plus en plus massive. «Au rythme actuel, on devrait dépasser la barre des 100.000 ou 120.000 réfugiés avant la fin de l'année», dit Jean-Paul Cavalieri du HCR au Liban.
Aujourd'hui, une assistance alimentaire et médicale est fournie à quelque 74.500 personnes. En réalité, les réfugiés sont bien plus nombreux, du fait des facilités de séjour dont bénéficient les Syriens au Liban. Parmi eux, une bonne partie de la bourgeoisie damascène et alépine qui loue des meublés dans les lieux traditionnels de villégiature, ou s'installe à Beyrouth. «Ma fille a retrouvé quatre de ses camarades du lycée français de Damas», témoigne Dunia. Il y a aussi les dizaines, voire centaines de milliers d'ouvriers syriens désormais autorisés à renouveler leur permis de séjour sans retourner en Syrie, dont certains ont fait venir leur famille.
À la différence de la Turquie, de la Jordanie et de l'Irak, les réfugiés syriens sont disséminés parmi les Libanais plutôt que regroupés dans des camps. Ils sont généralement bien accueillis dans le nord, une région politiquement favorable à l'opposition syrienne et où les liens économiques et familiaux sont nombreux avec la Syrie ; 55 % des réfugiés y seraient concentrés. Ils sont aussi nombreux à Baalbeck, une zone pourtant dominée par le Hezbollah, allié du régime d'el-Assad, où est encore vivace le souvenir de l'accueil syrien réservé à quelque 200 000 Libanais fuyant les bombardements israéliens à l'été 2006. «Il y a beaucoup de générosité côté libanais, mais les solutions privées ne sont pas soutenables. La question du logement devient critique», avertit Jean-Paul Cavalieri. Le HCR a réclamé aux autorités libanaises des décisions concrètes pour créer des centres d'accueil collectifs dans des bâtiments publics vacants ou des préfabriqués.
«Notre plan est prêt depuis un mois, j'attends que le Conseil des ministres se décide à l'adopter», affirme Waël Bou Faour, le ministre des Affaires sociales, responsable du dossier des «déplacés» syriens. Le terme reflète l'hypersensibilité de ce sujet au Liban, où la classe politique est très divisée sur la question syrienne. Il reste aussi marqué par la problématique inextricable des réfugiés palestiniens. «Jusqu'à très récemment, l'existence même du problème était contestée, mais ce déni ne peut plus durer. Je compte sur le réalisme du Hezbollah et d'Amal (les partis alliés d'Assad qui dominent la coalition gouvernementale libanaise, NDLR) pour une réponse strictement humanitaire n'entamant en rien la neutralité politique du Liban», ajoute le ministre.
Le traumatisme des enfants
À Baalbeck, Zaki Rifaï, cofondateur de l'association Sawa, partage cet espoir. «Les responsables locaux (du Hezbollah, NDLR) commencent à recevoir les ONG et à envisager de nous aider.» Il se réjouit surtout que l'État autorise cette année la scolarisation des réfugiés syriens dans les écoles publiques. Quelque 15.000 enfants sont en âge d'intégrer le primaire et l'Unicef déploie ses efforts pour parvenir à scolariser une majorité d'entre eux, malgré les obstacles liés aux différences de cursus.
Assise dans un coin sur le sol en béton, la fille aînée d'Ayman révise ses tables de multiplication. Elle est ravie de bénéficier des cours de soutien en langues prodigués par Sawa, l'un des principaux relais de l'Unicef à Baalbeck. Rim, sa petite sœur, est beaucoup moins joyeuse. «Elle a vu son oncle égorgé. Elle recommence tout juste à parler», explique Ezzedine Chimalie, coordinateur des activités des enfants.
Par Sibylle Rizk
Ayman ne pourra pas passer l'hiver entre les murs croulants de son abri de fortune - un vieux bâtiment dont le deuxième étage est effondré, avec de minces matelas pour tout confort. Mais il apprécie provisoirement la sécurité relative de Baalbeck, petite ville de l'est du Liban: chez lui, à Idleb, en Syrie, les bombardements ont détruit son quartier.
Depuis son arrivée au Liban il y a quatre mois, le jeune épicier n'a réussi à travailler que huit jours. La baisse du prix de la main-d'œuvre syrienne, à laquelle sont réservés les emplois journaliers dans le bâtiment ou l'agriculture, le condamne à la précarité, les loyers ayant grimpé en flèche à Baalbeck. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) vient tout juste d'y installer un centre d'enregistrement. Dans toutes les zones libanaises frontalières, l'arrivée des Syriens est de plus en plus massive. «Au rythme actuel, on devrait dépasser la barre des 100.000 ou 120.000 réfugiés avant la fin de l'année», dit Jean-Paul Cavalieri du HCR au Liban.
Aujourd'hui, une assistance alimentaire et médicale est fournie à quelque 74.500 personnes. En réalité, les réfugiés sont bien plus nombreux, du fait des facilités de séjour dont bénéficient les Syriens au Liban. Parmi eux, une bonne partie de la bourgeoisie damascène et alépine qui loue des meublés dans les lieux traditionnels de villégiature, ou s'installe à Beyrouth. «Ma fille a retrouvé quatre de ses camarades du lycée français de Damas», témoigne Dunia. Il y a aussi les dizaines, voire centaines de milliers d'ouvriers syriens désormais autorisés à renouveler leur permis de séjour sans retourner en Syrie, dont certains ont fait venir leur famille.
À la différence de la Turquie, de la Jordanie et de l'Irak, les réfugiés syriens sont disséminés parmi les Libanais plutôt que regroupés dans des camps. Ils sont généralement bien accueillis dans le nord, une région politiquement favorable à l'opposition syrienne et où les liens économiques et familiaux sont nombreux avec la Syrie ; 55 % des réfugiés y seraient concentrés. Ils sont aussi nombreux à Baalbeck, une zone pourtant dominée par le Hezbollah, allié du régime d'el-Assad, où est encore vivace le souvenir de l'accueil syrien réservé à quelque 200 000 Libanais fuyant les bombardements israéliens à l'été 2006. «Il y a beaucoup de générosité côté libanais, mais les solutions privées ne sont pas soutenables. La question du logement devient critique», avertit Jean-Paul Cavalieri. Le HCR a réclamé aux autorités libanaises des décisions concrètes pour créer des centres d'accueil collectifs dans des bâtiments publics vacants ou des préfabriqués.
«Notre plan est prêt depuis un mois, j'attends que le Conseil des ministres se décide à l'adopter», affirme Waël Bou Faour, le ministre des Affaires sociales, responsable du dossier des «déplacés» syriens. Le terme reflète l'hypersensibilité de ce sujet au Liban, où la classe politique est très divisée sur la question syrienne. Il reste aussi marqué par la problématique inextricable des réfugiés palestiniens. «Jusqu'à très récemment, l'existence même du problème était contestée, mais ce déni ne peut plus durer. Je compte sur le réalisme du Hezbollah et d'Amal (les partis alliés d'Assad qui dominent la coalition gouvernementale libanaise, NDLR) pour une réponse strictement humanitaire n'entamant en rien la neutralité politique du Liban», ajoute le ministre.
Le traumatisme des enfants
À Baalbeck, Zaki Rifaï, cofondateur de l'association Sawa, partage cet espoir. «Les responsables locaux (du Hezbollah, NDLR) commencent à recevoir les ONG et à envisager de nous aider.» Il se réjouit surtout que l'État autorise cette année la scolarisation des réfugiés syriens dans les écoles publiques. Quelque 15.000 enfants sont en âge d'intégrer le primaire et l'Unicef déploie ses efforts pour parvenir à scolariser une majorité d'entre eux, malgré les obstacles liés aux différences de cursus.
Assise dans un coin sur le sol en béton, la fille aînée d'Ayman révise ses tables de multiplication. Elle est ravie de bénéficier des cours de soutien en langues prodigués par Sawa, l'un des principaux relais de l'Unicef à Baalbeck. Rim, sa petite sœur, est beaucoup moins joyeuse. «Elle a vu son oncle égorgé. Elle recommence tout juste à parler», explique Ezzedine Chimalie, coordinateur des activités des enfants.
Par Sibylle Rizk