Discussion rendue possible par le fait que, contrairement à l’opinion généralement répandue, la Constitution nouvelle ne limite nullement le nombre mandats (à deux), sinon nul ne pourrait songer à contester que le Président Wade a déjà bien eu deux mandats : un en 2000, un autre en 2007 ; cela est indiscutable. Ce que la Constitution de 2001 limite, c’est le nombre de renouvellements du mandat (à un), ce qui est bien différent. Le mandat de 2000 ayant été obtenu sous l’empire de la Constitution de 1963, laquelle ne comportait aucune limitation, ni du nombre de mandats, ni du nombre de renouvellements, la question peut effectivement être posée de savoir si ce mandat là est concerné par la limitation introduite par la Constitution nouvelle, d’autant plus que celle-ci dispose en son article 104 que « Le président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme ».
Classique question du conflit de lois dans le temps, qui se pose à l’occasion de tout changement de législation, et dont la solution consiste à déterminer avec précision, les faits et actes qui seront régis par la loi nouvelle, ainsi que les faits et actes qui resteront soumis à la loi ancienne abrogée. Question qui se pose avec une acuité particulière lorsque la situation juridique considérée est née sous l’empire de la loi ancienne, mais doit produire en tout ou partie, ses effets, après l’avènement de la loi nouvelle. Tel est le cas du mandat que le Président Abdoulaye Wade a obtenu en 2000, sous l’empire de la Constitution de 1963, mais dont les effets se sont poursuivis après l’entrée en vigueur de la Constitution nouvelle du 22 janvier 2001.
Ce mandat là, doit-il alors, rester soumis à la Constitution de 1963 sous l’empire duquel il est né, auquel cas la limitation posée par la loi nouvelle ne prendrait effet qu’à son expiration (2OO7) ? Doit-il au contraire, être régi par la Constitution nouvelle de 2001, à partir de l’entrée en vigueur de celle-ci, auquel cas, la limitation lui serait immédiatement applicable ? C’est toute la question.
Pour y répondre, il existe des principes de solution, qu’il est utile de rappeler, eu égard aux terribles confusions relevées dans plusieurs prises de position (1) ; ces principes cessant toutefois, de recevoir application, en présence d’une disposition transitoire, en l’occurrence, l’article 104 de la Constitution nouvelle, dont-il conviendra de faire l’exacte interprétation (2). Naturellement, il faudra aussi évoquer la cruciale question de l’office du Conseil constitutionnel (3).
1. Les principes de solution au conflit de lois dans le temps.
Ils résultent de l’article 831 du Code de la famille. Il s’agit du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, du principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle et enfin, du principe de survie de la loi ancienne. Ces principes, bien que contenus dans une loi ordinaire – le Code de la famille - ont vocation à régir tous conflits de lois dans le temps, sans considération de la nature des lois en cause. Ils sont donc bien évidemment, applicables en matière de lois constitutionnelles.
Et pour bien comprendre ces principes de solution, en vue de leur mise en œuvre, il faut prendre le soin de distinguer deux hypothèses, selon l’objet de la modification que la loi nouvelle apporte à la situation juridique considérée : ici, le mandat du président de la République, puisque c’est de cela seulement, qu’il s’agit.
Dans une première hypothèse, la loi nouvelle modifie les conditions d’acquisition du mandat. Il en est ainsi par exemple de l’article 28 de la Constitution nouvelle qui prévoit que « Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise… », alors que la Constitution de 1963 ne comportait nullement, cette condition. De manière générale, il s’agit de toutes les dispositions visant « le candidat à l’élection présidentielle ». En pareille hypothèse, c’est le principe de non-rétroactivité qui va s’appliquer, pour s’opposer à la remise en cause du mandat régulièrement acquis sous l’empire de la loi ancienne. A supposer donc, que le Président Abdoulaye Wade ne fut pas exclusivement de nationalité sénégalaise au moment de son élection en 2000, la Constitution nouvelle n’aurait nullement pu remettre en cause la validité de son mandat, mais aurait bien évidemment, fait obstacle à sa candidature à l’élection présidentielle de 2007. C’est là, le siège du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, qui signifie simplement, que dès lors qu’une situation juridique s’est entièrement constituée, conformément à la loi en vigueur au jour de cette constitution, une loi postérieure ne peut rétroagir, pour la remettre en cause. Principe de bon sens, qu’il paraît superflu ici, de justifier outre mesure, sauf à faire observer que l’autorité-même, due à la loi, en dépend largement.
Dans une seconde hypothèse, la loi nouvelle modifie cette fois, les effets attachés au mandat du président de la République. Il s’agit ici, des dispositions relatives à la durée du mandat, au renouvellement du mandat, aux prérogatives du président, et plus généralement, de toutes les dispositions visant, non plus « le candidat à l’élection présidentielle », mais bien, « le président de la République ». Ces dispositions là, sont d’application immédiate, en vertu de l’alinéa 1 de l’article 831 du Code de la famille, lequel dispose : « La loi nouvelle a effet immédiat au jour de sa mise en vigueur. Elle régit … les conséquences que la loi tire des faits ou actes qui ont précédé sa mise en application ». Le mandat que le Président Abdoulaye Wade a obtenu en 2OOO, a certes, précédé la mise en application de la Constitution de 2001, mais celle-ci régit, dès son entrée en vigueur, toutes les conséquences qu’elle tire de ce mandat, notamment, par rapport à sa durée et à son renouvellement. Tel est le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle. Il trouve son fondement dans l’idée qu’il est tout-à-fait normal, que le législateur puisse à tout moment, modifier les conséquences, les effets que lui-même attachait à une situation juridique donnée.
Il ne pourrait en être autrement, que dans le cas où le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle peut être écarté, au profit du principe inverse de survie de la loi ancienne. Dans ce cas en effet, malgré son abrogation, la loi ancienne va survivre pour continuer à régir toutes les situations juridiques nées sous son empire, jusqu’à complet épuisement de leurs effets. Seul donc, le recours à ce principe de survie de la loi ancienne (la survie de la Constitution de 1963) pourrait exclure le mandat de 2000, du champ d’application de la Constitution 2001 ; le principe de non-rétroactivité qui a son siège ailleurs, ne pouvant nullement être invoqué à cet effet. Or, l’on sait bien, que le principe de survie de la loi ancienne n’est applicable qu’en matière contractuelle, se justifiant là, par le souci légitime de ne point bouleverser les prévisions des contractants, en modifiant par une loi nouvelle, les effets qu’ils ont eux-mêmes (et non plus, le législateur) librement attachés à leur contrat. Encore qu’en ce domaine même, la loi nouvelle sera d’application immédiate, si elle est fondée sur un motif d’ordre public.
Tels sont les principes de solution au conflit de lois dans le temps. Ils cessent toutefois, de recevoir application, lorsque le législateur a décidé de prendre en charge lui-même, le conflit, en insérant dans la loi nouvelle, une disposition transitoire ; seule alors, la mise en œuvre de cette disposition, doit permettre de résoudre le conflit. C’est précisément l’objet de l’article 104, dont-il faut à présent, faire l’exacte exégèse.
2. L’interprétation de l’article 104 de la Constitution.
L’article 104 dispose en son alinéa 1, que « Le président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme », l’alinéa 2 précisant que « Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables ». Il faut alors immédiatement mettre en rapport, cette disposition avec celle de l’article 27 ancien de la Constitution de 2001, qui prévoit que « La durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois ». Pour rappel, la Constitution de 1963 fixait la durée du mandat à sept ans et ne limitait pas le nombre de renouvellements.
A la lecture de ces deux dispositions, il apparaît alors clairement, que l’article 104 apporte une dérogation à l’article 27, en extirpant du champ d’application de celui-ci, le mandat que le Président Abdoulaye Wade tenait de l’élection de 2000. Mais alors, le véritable problème qui se pose est de délimiter l’étendue exacte de cette dérogation. L’article 104 a-t-il entendu soustraire ce mandat à l’emprise de l’article 27, dans la totalité de sa disposition ou pour partie seulement de celle-ci ? Autrement dit, la dérogation posée par l’article 104 visait-elle seulement à permettre au Président Wade de poursuivre son mandat jusqu’à son terme initial, ou visait-elle aussi à retarder la mise en œuvre du principe de la limitation du nombre de renouvellements du mandat, jusqu’à l’expiration de celui qui était en cours (2007) ? Telle est la seule question à trancher.
La réponse à cette interrogation dépend alors du caractère divisible ou indivisible de la disposition concernée, en l’occurrence celle de l’article 27. Cette question de divisibilité ou d’indivisibilité se pose en effet, chaque fois qu’une même disposition tranche à la fois, deux ou plusieurs questions distinctes. C’est le cas de l’article 27, qui traite à la fois de la question de la durée du mandat et de celle bien distincte du nombre de renouvellements. La disposition serait-elle alors indivisible, qu’elle sera soumise dans sa totalité, au même régime juridique ; serait-elle divisible au contraire, que chacune de ses parties sera soumise à son régime propre.
Il est établi à cet égard, qu’une disposition est indivisible lorsque les questions dont elle traite, bien qu’étant distinctes, ont entre-elles, un lien logique, de telle sorte que la réponse donnée à l’une, influence nécessairement celle des autres, puisqu’elles procèdent toutes d’un choix unique. Au contraire, la disposition est divisible lorsque les questions qu’elle tranche sont indépendantes les unes des autres, lorsque celles-ci n’entretiennent aucun lien logique, aucun lien de dépendance nécessaire ; la réponse donnée à l’une des questions ne peut alors, ni conditionner celle des autres, ni dépendre de celle-ci, car ces réponses ne peuvent pas découler d’un choix unique.
S’agissant de l’article 27 de la Constitution, il ne peut être sérieusement discuté, que la question de la durée du mandat est tout-à-fait indépendante de celle du nombre de renouvellements, les deux questions n’ayant aucun rapport logique, aucun lien de dépendance nécessaire. En effet, en logique déontique comme en logique formelle, il n’est pas possible sur le fondement d’un choix unique, de trancher à la fois, les deux questions ; c’est par des choix séparés, que l’on se prononce successivement, sur l’une et sur l’autre. Pour preuve, il suffit d’ailleurs de faire observer par exemple, que la durée du mandat peut bien être modifiée – ce fut le cas en 2008, la durée étant à nouveau, portée à sept ans – sans que cela ait une quelconque influence sur le nombre de renouvellements.
En conséquence, la dérogation posée par l’article 104 ne vise dans l’article 27, que la seule partie de cette disposition, avec laquelle elle a un lien logique, c’est-à-dire, la partie relative à la durée du mandat qui était alors en cours. En effet, la poursuite du mandat alors en cours n’a à l’évidence, rien à voir avec le nombre de renouvellements. La Constitution de 2001 a seulement voulu que le mandat qui était en cours au jour de son adoption, fut mené jusqu’à son terme initial, sans en aucune façon, exclure celui-ci du décompte du nombre de renouvellements.
En définitive, la seule disposition de la Constitution de 2001, inapplicable au mandat de 2000, est celle de l’article 27, en ce qu’elle en fixait la durée à cinq ans. Toutes les autres dispositions lui sont applicables, y compris celle de l’article 27, en ce qu’elle en limite le renouvellement à une seule fois. Et ce mandat ayant déjà été renouvelé une fois en 2007, il ne peut certainement plus l’être. Le Président Abdoulaye Wade ne peut donc légalement, être candidat à la prochaine élection. Toutefois, la Constitution ne limitant pas le nombre de mandats, il lui sera toujours loisible, et en toute légalité, d’en briguer un troisième à l’élection suivante, normalement prévue en 2019, et en solliciter même le renouvellement en 2026, pour un quatrième mandat.
Si malgré tout et par impossible, il décide de faire acte de candidature, il appartiendra au Conseil constitutionnel d’apprécier. Sans alors préjuger de la décision que celui-ci rendra, l’on peut néanmoins, d’ores-et-déjà s’interroger sur l’office qui devra être le sien.
3. L’Office du Conseil constitutionnel.
Créé par la loi organique n° 92-23 du 30 mai 1992, le Conseil constitutionnel fait partie en vertu de l’article 6 de la Constitution, des institutions de la République. Conformément à l’article 88 de la Constitution, il exerce avec la Cour suprême, la Cour des comptes et les Cours et Tribunaux, le pouvoir judiciaire, lequel est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Ses compétences sont fixées par les articles 1 et 2 de la loi organique précitée. Aux termes de l’article 2, « Le Conseil constitutionnel reçoit les candidatures à la Présidence de la République, arrête la liste des candidats, statue sur les contestations relatives à l’élection et en proclame les résultats ». L’article 30 alinéa 1 de la Constitution précise que « Vingt neuf jours francs avant le premier tour du scrutin, le Conseil constitutionnel arrête et publie la liste des candidats ».
Il ressort de ces dispositions que l’office premier du Conseil constitutionnel est de recevoir les dossiers des différents candidats, pour en vérifier la conformité à la loi. Ce qu’il faut alors préciser, c’est que cette vérification ne peut être identique pour le Président candidat sortant et pour les autres candidats. Pour ces derniers en effet, la vérification de la légalité de la candidature sera faite au seul vu des pièces produites au dossier de candidature (extrait d’acte de naissance, certificat de nationalité, déclaration de nationalité sénégalaise exclusive, caution…etc.). En revanche, pour le Président Abdoulaye Wade, candidat sortant ayant déjà exercé deux mandats successifs – un premier de 2000 à2007 et un second de 2007 à 2012 – le Conseil constitutionnel doit obligatoirement et avant même l’examen du dossier de candidature, vérifier que le second mandat actuellement en cours ne procède point du renouvellement du premier. Et en aucune façon, le Conseil constitutionnel ne peut, sans déni de justice, se soustraire à cette obligation.
Si alors, le Conseil constitutionnel juge comme il se doit, que l’actuel mandat procède du renouvellement du premier mandat, il écartera la candidature du Président Wade. Si au contraire et par impossible, il juge que l’actuel mandat est sans lien avec le premier, alors il acceptera la candidature. Et conformément à l’article 92 alinéa 2 de la Constitution, sa décision ne sera susceptible d’aucun recours. Mais dans tous les cas, il ne faudra jamais perdre de vue que ce sera le peuple, au nom duquel la justice est précisément rendue, qui jugera ; et ce sera en dernier ressort.
Au début était le peuple du Sénégal souverain qui a approuvé et adopté la Constitution ; à la fin est le même peuple du Sénégal souverain pour défendre sa Constitution : non pas qu’elle est bonne, mais qu’elle est sienne.
Mody GADIAGA, Assistant en Droit Privé jurismody@yahoo.fr
Source:sen24heures.com
Classique question du conflit de lois dans le temps, qui se pose à l’occasion de tout changement de législation, et dont la solution consiste à déterminer avec précision, les faits et actes qui seront régis par la loi nouvelle, ainsi que les faits et actes qui resteront soumis à la loi ancienne abrogée. Question qui se pose avec une acuité particulière lorsque la situation juridique considérée est née sous l’empire de la loi ancienne, mais doit produire en tout ou partie, ses effets, après l’avènement de la loi nouvelle. Tel est le cas du mandat que le Président Abdoulaye Wade a obtenu en 2000, sous l’empire de la Constitution de 1963, mais dont les effets se sont poursuivis après l’entrée en vigueur de la Constitution nouvelle du 22 janvier 2001.
Ce mandat là, doit-il alors, rester soumis à la Constitution de 1963 sous l’empire duquel il est né, auquel cas la limitation posée par la loi nouvelle ne prendrait effet qu’à son expiration (2OO7) ? Doit-il au contraire, être régi par la Constitution nouvelle de 2001, à partir de l’entrée en vigueur de celle-ci, auquel cas, la limitation lui serait immédiatement applicable ? C’est toute la question.
Pour y répondre, il existe des principes de solution, qu’il est utile de rappeler, eu égard aux terribles confusions relevées dans plusieurs prises de position (1) ; ces principes cessant toutefois, de recevoir application, en présence d’une disposition transitoire, en l’occurrence, l’article 104 de la Constitution nouvelle, dont-il conviendra de faire l’exacte interprétation (2). Naturellement, il faudra aussi évoquer la cruciale question de l’office du Conseil constitutionnel (3).
1. Les principes de solution au conflit de lois dans le temps.
Ils résultent de l’article 831 du Code de la famille. Il s’agit du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, du principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle et enfin, du principe de survie de la loi ancienne. Ces principes, bien que contenus dans une loi ordinaire – le Code de la famille - ont vocation à régir tous conflits de lois dans le temps, sans considération de la nature des lois en cause. Ils sont donc bien évidemment, applicables en matière de lois constitutionnelles.
Et pour bien comprendre ces principes de solution, en vue de leur mise en œuvre, il faut prendre le soin de distinguer deux hypothèses, selon l’objet de la modification que la loi nouvelle apporte à la situation juridique considérée : ici, le mandat du président de la République, puisque c’est de cela seulement, qu’il s’agit.
Dans une première hypothèse, la loi nouvelle modifie les conditions d’acquisition du mandat. Il en est ainsi par exemple de l’article 28 de la Constitution nouvelle qui prévoit que « Tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise… », alors que la Constitution de 1963 ne comportait nullement, cette condition. De manière générale, il s’agit de toutes les dispositions visant « le candidat à l’élection présidentielle ». En pareille hypothèse, c’est le principe de non-rétroactivité qui va s’appliquer, pour s’opposer à la remise en cause du mandat régulièrement acquis sous l’empire de la loi ancienne. A supposer donc, que le Président Abdoulaye Wade ne fut pas exclusivement de nationalité sénégalaise au moment de son élection en 2000, la Constitution nouvelle n’aurait nullement pu remettre en cause la validité de son mandat, mais aurait bien évidemment, fait obstacle à sa candidature à l’élection présidentielle de 2007. C’est là, le siège du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, qui signifie simplement, que dès lors qu’une situation juridique s’est entièrement constituée, conformément à la loi en vigueur au jour de cette constitution, une loi postérieure ne peut rétroagir, pour la remettre en cause. Principe de bon sens, qu’il paraît superflu ici, de justifier outre mesure, sauf à faire observer que l’autorité-même, due à la loi, en dépend largement.
Dans une seconde hypothèse, la loi nouvelle modifie cette fois, les effets attachés au mandat du président de la République. Il s’agit ici, des dispositions relatives à la durée du mandat, au renouvellement du mandat, aux prérogatives du président, et plus généralement, de toutes les dispositions visant, non plus « le candidat à l’élection présidentielle », mais bien, « le président de la République ». Ces dispositions là, sont d’application immédiate, en vertu de l’alinéa 1 de l’article 831 du Code de la famille, lequel dispose : « La loi nouvelle a effet immédiat au jour de sa mise en vigueur. Elle régit … les conséquences que la loi tire des faits ou actes qui ont précédé sa mise en application ». Le mandat que le Président Abdoulaye Wade a obtenu en 2OOO, a certes, précédé la mise en application de la Constitution de 2001, mais celle-ci régit, dès son entrée en vigueur, toutes les conséquences qu’elle tire de ce mandat, notamment, par rapport à sa durée et à son renouvellement. Tel est le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle. Il trouve son fondement dans l’idée qu’il est tout-à-fait normal, que le législateur puisse à tout moment, modifier les conséquences, les effets que lui-même attachait à une situation juridique donnée.
Il ne pourrait en être autrement, que dans le cas où le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle peut être écarté, au profit du principe inverse de survie de la loi ancienne. Dans ce cas en effet, malgré son abrogation, la loi ancienne va survivre pour continuer à régir toutes les situations juridiques nées sous son empire, jusqu’à complet épuisement de leurs effets. Seul donc, le recours à ce principe de survie de la loi ancienne (la survie de la Constitution de 1963) pourrait exclure le mandat de 2000, du champ d’application de la Constitution 2001 ; le principe de non-rétroactivité qui a son siège ailleurs, ne pouvant nullement être invoqué à cet effet. Or, l’on sait bien, que le principe de survie de la loi ancienne n’est applicable qu’en matière contractuelle, se justifiant là, par le souci légitime de ne point bouleverser les prévisions des contractants, en modifiant par une loi nouvelle, les effets qu’ils ont eux-mêmes (et non plus, le législateur) librement attachés à leur contrat. Encore qu’en ce domaine même, la loi nouvelle sera d’application immédiate, si elle est fondée sur un motif d’ordre public.
Tels sont les principes de solution au conflit de lois dans le temps. Ils cessent toutefois, de recevoir application, lorsque le législateur a décidé de prendre en charge lui-même, le conflit, en insérant dans la loi nouvelle, une disposition transitoire ; seule alors, la mise en œuvre de cette disposition, doit permettre de résoudre le conflit. C’est précisément l’objet de l’article 104, dont-il faut à présent, faire l’exacte exégèse.
2. L’interprétation de l’article 104 de la Constitution.
L’article 104 dispose en son alinéa 1, que « Le président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme », l’alinéa 2 précisant que « Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables ». Il faut alors immédiatement mettre en rapport, cette disposition avec celle de l’article 27 ancien de la Constitution de 2001, qui prévoit que « La durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois ». Pour rappel, la Constitution de 1963 fixait la durée du mandat à sept ans et ne limitait pas le nombre de renouvellements.
A la lecture de ces deux dispositions, il apparaît alors clairement, que l’article 104 apporte une dérogation à l’article 27, en extirpant du champ d’application de celui-ci, le mandat que le Président Abdoulaye Wade tenait de l’élection de 2000. Mais alors, le véritable problème qui se pose est de délimiter l’étendue exacte de cette dérogation. L’article 104 a-t-il entendu soustraire ce mandat à l’emprise de l’article 27, dans la totalité de sa disposition ou pour partie seulement de celle-ci ? Autrement dit, la dérogation posée par l’article 104 visait-elle seulement à permettre au Président Wade de poursuivre son mandat jusqu’à son terme initial, ou visait-elle aussi à retarder la mise en œuvre du principe de la limitation du nombre de renouvellements du mandat, jusqu’à l’expiration de celui qui était en cours (2007) ? Telle est la seule question à trancher.
La réponse à cette interrogation dépend alors du caractère divisible ou indivisible de la disposition concernée, en l’occurrence celle de l’article 27. Cette question de divisibilité ou d’indivisibilité se pose en effet, chaque fois qu’une même disposition tranche à la fois, deux ou plusieurs questions distinctes. C’est le cas de l’article 27, qui traite à la fois de la question de la durée du mandat et de celle bien distincte du nombre de renouvellements. La disposition serait-elle alors indivisible, qu’elle sera soumise dans sa totalité, au même régime juridique ; serait-elle divisible au contraire, que chacune de ses parties sera soumise à son régime propre.
Il est établi à cet égard, qu’une disposition est indivisible lorsque les questions dont elle traite, bien qu’étant distinctes, ont entre-elles, un lien logique, de telle sorte que la réponse donnée à l’une, influence nécessairement celle des autres, puisqu’elles procèdent toutes d’un choix unique. Au contraire, la disposition est divisible lorsque les questions qu’elle tranche sont indépendantes les unes des autres, lorsque celles-ci n’entretiennent aucun lien logique, aucun lien de dépendance nécessaire ; la réponse donnée à l’une des questions ne peut alors, ni conditionner celle des autres, ni dépendre de celle-ci, car ces réponses ne peuvent pas découler d’un choix unique.
S’agissant de l’article 27 de la Constitution, il ne peut être sérieusement discuté, que la question de la durée du mandat est tout-à-fait indépendante de celle du nombre de renouvellements, les deux questions n’ayant aucun rapport logique, aucun lien de dépendance nécessaire. En effet, en logique déontique comme en logique formelle, il n’est pas possible sur le fondement d’un choix unique, de trancher à la fois, les deux questions ; c’est par des choix séparés, que l’on se prononce successivement, sur l’une et sur l’autre. Pour preuve, il suffit d’ailleurs de faire observer par exemple, que la durée du mandat peut bien être modifiée – ce fut le cas en 2008, la durée étant à nouveau, portée à sept ans – sans que cela ait une quelconque influence sur le nombre de renouvellements.
En conséquence, la dérogation posée par l’article 104 ne vise dans l’article 27, que la seule partie de cette disposition, avec laquelle elle a un lien logique, c’est-à-dire, la partie relative à la durée du mandat qui était alors en cours. En effet, la poursuite du mandat alors en cours n’a à l’évidence, rien à voir avec le nombre de renouvellements. La Constitution de 2001 a seulement voulu que le mandat qui était en cours au jour de son adoption, fut mené jusqu’à son terme initial, sans en aucune façon, exclure celui-ci du décompte du nombre de renouvellements.
En définitive, la seule disposition de la Constitution de 2001, inapplicable au mandat de 2000, est celle de l’article 27, en ce qu’elle en fixait la durée à cinq ans. Toutes les autres dispositions lui sont applicables, y compris celle de l’article 27, en ce qu’elle en limite le renouvellement à une seule fois. Et ce mandat ayant déjà été renouvelé une fois en 2007, il ne peut certainement plus l’être. Le Président Abdoulaye Wade ne peut donc légalement, être candidat à la prochaine élection. Toutefois, la Constitution ne limitant pas le nombre de mandats, il lui sera toujours loisible, et en toute légalité, d’en briguer un troisième à l’élection suivante, normalement prévue en 2019, et en solliciter même le renouvellement en 2026, pour un quatrième mandat.
Si malgré tout et par impossible, il décide de faire acte de candidature, il appartiendra au Conseil constitutionnel d’apprécier. Sans alors préjuger de la décision que celui-ci rendra, l’on peut néanmoins, d’ores-et-déjà s’interroger sur l’office qui devra être le sien.
3. L’Office du Conseil constitutionnel.
Créé par la loi organique n° 92-23 du 30 mai 1992, le Conseil constitutionnel fait partie en vertu de l’article 6 de la Constitution, des institutions de la République. Conformément à l’article 88 de la Constitution, il exerce avec la Cour suprême, la Cour des comptes et les Cours et Tribunaux, le pouvoir judiciaire, lequel est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Ses compétences sont fixées par les articles 1 et 2 de la loi organique précitée. Aux termes de l’article 2, « Le Conseil constitutionnel reçoit les candidatures à la Présidence de la République, arrête la liste des candidats, statue sur les contestations relatives à l’élection et en proclame les résultats ». L’article 30 alinéa 1 de la Constitution précise que « Vingt neuf jours francs avant le premier tour du scrutin, le Conseil constitutionnel arrête et publie la liste des candidats ».
Il ressort de ces dispositions que l’office premier du Conseil constitutionnel est de recevoir les dossiers des différents candidats, pour en vérifier la conformité à la loi. Ce qu’il faut alors préciser, c’est que cette vérification ne peut être identique pour le Président candidat sortant et pour les autres candidats. Pour ces derniers en effet, la vérification de la légalité de la candidature sera faite au seul vu des pièces produites au dossier de candidature (extrait d’acte de naissance, certificat de nationalité, déclaration de nationalité sénégalaise exclusive, caution…etc.). En revanche, pour le Président Abdoulaye Wade, candidat sortant ayant déjà exercé deux mandats successifs – un premier de 2000 à2007 et un second de 2007 à 2012 – le Conseil constitutionnel doit obligatoirement et avant même l’examen du dossier de candidature, vérifier que le second mandat actuellement en cours ne procède point du renouvellement du premier. Et en aucune façon, le Conseil constitutionnel ne peut, sans déni de justice, se soustraire à cette obligation.
Si alors, le Conseil constitutionnel juge comme il se doit, que l’actuel mandat procède du renouvellement du premier mandat, il écartera la candidature du Président Wade. Si au contraire et par impossible, il juge que l’actuel mandat est sans lien avec le premier, alors il acceptera la candidature. Et conformément à l’article 92 alinéa 2 de la Constitution, sa décision ne sera susceptible d’aucun recours. Mais dans tous les cas, il ne faudra jamais perdre de vue que ce sera le peuple, au nom duquel la justice est précisément rendue, qui jugera ; et ce sera en dernier ressort.
Au début était le peuple du Sénégal souverain qui a approuvé et adopté la Constitution ; à la fin est le même peuple du Sénégal souverain pour défendre sa Constitution : non pas qu’elle est bonne, mais qu’elle est sienne.
Mody GADIAGA, Assistant en Droit Privé jurismody@yahoo.fr
Source:sen24heures.com