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LA CRISE CONGOLAISE VUE PAR BOUBACAR BORIS DIOP

Rédigé par leral.net le Mardi 18 Février 2025 à 22:24 | | 0 commentaire(s)|

De la Conférence de Berlin au génocide des Tutsi, en passant par les discriminations contre les Congolais rwandophones, l'intellectuel sénégalais remonte le fil d'un conflit aux racines profondes

(SenePlus) - Dans un entretien accordé au journaliste Momar Dieng d'Impact.sn, l'écrivain et intellectuel sénégalais Boubacar Boris Diop, décrypte les enjeux complexes du conflit qui secoue l'Est de la République démocratique du Congo (RDC), offrant une perspective historique et géopolitique rarement mise en lumière.

La prise récente de Goma par le M23 s'inscrit, selon l'analyste, dans une longue histoire de tensions régionales dont les racines remontent à la fin du XIXe siècle. La Conférence de Berlin (1884-1885) constitue un point de départ crucial, ayant redessiné arbitrairement les frontières africaines. "L'Afrique a été découpée comme on l'aurait fait d'un zoo gigantesque", souligne l'écrivain, pointant du doigt la mentalité raciste des élites européennes de l'époque qui a conduit à ces décisions aux conséquences durables.

Le Rwanda, amputé alors de plusieurs territoires au profit de l'Ouganda, de la Tanzanie et de l'actuelle RDC, ne cherche pourtant pas à reconquérir ces terres, précise Boubacar Boris Diop. Il décrit le président Kagame comme "beaucoup trop rationnel pour caresser une telle idée", soulignant que les enjeux actuels sont ailleurs.

L'héritage du génocide de 1994 constitue, selon l'intellectuel, une clé de compréhension essentielle du conflit. La présence en RDC des Forces démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), composées d'anciens génocidaires ayant fui grâce à l'Opération Turquoise, représente une menace existentielle pour le Rwanda. "Dans l'imaginaire des Rwandais qui savent dans leur chair ce que signifie le mot génocide, un seul FDLR c'est un génocidaire de trop", explique-t-il avec force.

La situation des Congolais rwandophones constitue un autre aspect critique du conflit. L'écrivain révèle qu'en 1965 déjà, ces populations étaient privées du droit de vote, et plus récemment exclues de la "Conférence nationale souveraine" du Zaïre. Cette discrimination systématique, couplée à des violences ethniques, fait écho aux événements qui ont précédé le génocide rwandais, créant une inquiétude légitime à Kigali.

Concernant le soutien présumé du Rwanda au M23, Boubacar Boris Diop adopte une position nuancée. S'il reconnaît une présence militaire rwandaise en RDC, il refuse de réduire le M23 à un simple instrument de Kigali. "Les rebelles du M23 sont des citoyens qui exigent précisément la reconnaissance de leur nationalité congolaise", affirme-t-il, ajoutant que "beaucoup de jeunes combattants du M23 se considèrent en état de légitime défense".

La chute rapide de Goma pourrait marquer un tournant décisif dans la région. L'auteur de "Murambi" souligne l'échec de la stratégie du président Tshisekedi, qui aurait misé sur une victoire militaire rapide contre le Rwanda en s'appuyant sur des mercenaires étrangers et diverses forces armées. "Ma conviction est qu'il y aura un avant et un après Goma 2025", prédit-il.

L'intellectuel s'attaque également aux idées reçues concernant les ressources minières de la région. Contrairement aux allégations répandues, le Rwanda est le deuxième producteur mondial de coltan, après la RDC mais devant le Brésil, le Nigeria et la Chine. Il appelle à un travail d'enquête journalistique approfondi pour identifier les véritables acteurs de l'exploitation minière dans l'Est du Congo.

Quant à l'avenir de la RDC, Boubacar Boris Diop évoque la possibilité d'une solution fédérale, tout en soulignant que cette décision appartient aux Congolais eux-mêmes. Il insiste sur la nécessité d'un leadership fort, comparable à celui de figures historiques comme Nyerere ou Mandela, pour surmonter les défis actuels. "Ce n'est pas en réveillant les démons de la haine qu'on peut se donner une chance de refermer la funeste page ouverte en janvier 1961 par l'assassinat de Patrice Lumumba", conclut-il.

L'intellectuel appelle à une approche plus nuancée et moins manichéenne du conflit, soulignant que la RDC est "le terrain des jeux les plus malsains du monde entier" où interviennent de nombreux acteurs internationaux, bien au-delà du seul Rwanda.

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Farid


Source : https://www.seneplus.com/international/la-crise-co...