Sans les chevauchées fantastiques de Kylian Mbappé contre l’Argentine, le sang-froid d’Antoine Griezmann sur penalty (deux fois) ou les arrêts décisifs de Hugo Lloris quand le bateau bleu tanguait en début de tournoi, la Coupe du monde de l’équipe de France serait peut-être déjà terminée. Mais si les hommes de Didier Deschamps sont parvenus à se hisser en quarts de finale, où ils affronteront l’Uruguay vendredi à Nijni Novgorod (16h00), ils le doivent aussi à la remarquable régularité de quatre élements aux trajectoires et aux statuts différents : Raphaël Varane, Paul Pogba, Lucas Hernandez et Ngolo Kanté.
«Des joueurs sont en train de prendre de l’ampleur et du volume dans le bon sens, cela rend l’équipe beaucoup plus structurée et vivante. C’est un plus par rapport au début de la compétition», avouait Guy Stéphan en début de semaine. L’adjoint de Didier Deschamps faisait référence à Varane et Pogba, deux joueurs au talent certain, installés en équipe de France depuis un bon moment, mais dont on attendait qu’ils prennent une autre dimension en Russie.
Excellents dans ce Mondial, le Madrilène et le Mancunien répondent aux attentes et ont levé les doutes. Inconnu en France il y a encore trois mois, Lucas Hernandez, le déraciné, a contaminé les Bleus de sa hargne. Et que dire de Ngolo Kanté, aussi discret hors des pelouses qu’indéboulonnable sur le terrain. Ils sont les deux autres indispensables fantassins de Deschamps, prêts à retourner à la guerre face aux rugueux Uruguayens.
Raphaël Varane, la force tranquille
«On sait de quoi je suis capable. A moi de le montrer en sélection». Début juin à Clairefontaine, Raphaël Varane était déterminé à calquer ses prestations en équipe de France sur celles réussies avec le Real Madrid. Malgré toute sa bonne volonté, le doute était permis après sa prestation catastrophique lors du naufrage collectif contre la Colombie en mars (défaite 2-3). Aujourd’hui, le scepticisme n’est plus de mise tant le vice-capitaine des Bleus a plané sur ce début de Coupe du monde. «Il est grand, rapide sur l’homme et bon dans l’anticipation. Il est aussi capable de partir à l’abordage avec le ballon pour créer le décalage même s’il ne le fait pas beaucoup. Il est complet», détaille pour Le Figaro, Marcel Desailly.
A 25 ans, Varane, quadruple champion d’Europe, diffuse une impression de sérénité sur le terrain. Et s’affirme aussi comme un leader, à sa façon. «Il ne faut pas que je surjoue mais que je sois moi-même, ma personnalité ne peut pas plaire à tout le monde, expliquait-il y a quinze jours. Moi, à Madrid, j'ai eu le meilleur exemple avec Zizou. Pas toujours besoin de parler fort ou de chercher la lumière pour faire passer des messages». Hormis une faute de concentration qui a coûté un but (le 3e) contre l’Argentine, l’ancien Lensois présente un bilan quasi-immaculé jusque-là. «Sa complémentarité avec Umtiti est réelle mais le duo manque encore d’expérience. Il en faut pour absorber la pression générée par un quart de finale de Coupe du monde», prévient cependant Desailly. Il y a quatre ans, un Varane encore vert s’était fait manger de la tête par Mats Hummels dont le but avait propulsé l’Allemagne en demi-finales. Au Madrilène, qui avait raté l’Euro 2016 sur blessure, de confirmer face à l’Uruguay qu’il a bien changé de braquet.
Lucas Hernandez, le piment venu d’Espagne
On dit qu’une image vaut parfois mille mots. Celle d’un Lucas Hernandez virulent et combatif au milieu de quatre joueurs argentins dans un moment d’extrême tension samedi dernier à Kazan, illustre à la perfection ce qu’apporte le défenseur de l’Atlético Madrid aux Bleus. De l’engagement et du caractère. «Avec moi, vous pouvez être tranquille, je vais défendre ce maillot à mort», clamait-il récemment à Istra dans un sourire et un regard enjôleurs, qui tranchent avec son attitude de guerrier sur la pelouse. Débarqué en équipe de France au printemps alors que la sélection espagnole lui faisait les yeux doux, le joueur de 22 ans a séduit Deschamps grâce à son abattage impressionnant dans son couloir gauche et son tempérament.
«J’ai toujours eu ça. Ça fait déjà onze ans que je suis à l’Atlético Madrid. Et, avec Diego Simeone (son entraîneur), j’ai encore amélioré ce point. Je suis un joueur très agressif. Je ne vais jamais lâcher dans un match. Le coach n’aura jamais de regrets car je vais toujours tout donner», expliquait-il encore. Depuis le début du Mondial, Hernandez a joint la parole aux actes avec des prestations de grande qualité sur le plan défensif comme offensif. Présenté comme moins décisif dans le camp adverse que son concurrent Benjamin Mendy, le natif de Marseille – il n’y a vécu que quatre ans avant de partir vivre en Espagne – a failli marquer contre le Pérou et il a délivré un centre décisif pour Benjamin Pavard – l’autre révélation française en défense - face à l’Argentine. Son penalty obtenu contre l’Italie en préparation, avait contribué à convaincre Deschamps de lui donner les clés du poste. Sans aucun regret.
Ngolo Kanté, l’homme aux «15 poumons»
«Au milieu, On a un petit garçon qui très intelligent et qui sait comment se placer. Si Messi joue dans l’axe, il pourra s’en occuper.» Interrogé avant le choc contre l’Argentine, Marius Trésor avait tout bon. A Kazan, bien aidé par ses coéquipiers, Ngolo Kanté a mis dans sa poche la star de l’Albiceleste. Comme il le fait avec tous ses adversaires depuis le début de la Coupe du monde. Du haut de son mètre soixante-huit, le milieu de terrain de Chelsea semble avoir le don d’ubiquité. Omniprésent à la récupération avec sa science du placement et sa faculté à harceler le porteur du ballon, il participe aussi grandement à la transition défense-attaque avec sa vista et sa touche technique.
Efficace dans son rôle de sentinelle devant la défense face à l’Australie, son rôle a pris une toute autre ampleur depuis le passage à deux milieux relayeurs aux côtés de Paul Pogba. Victime du changement tactique de Deschamps à la mi-temps du 8e de finale contre l’Irlande, il avait suivi la fin de l’Euro 2016 sur le banc. Deux ans plus tard, plus personne ne s’aventurerait à remettre en cause la présence de l’ancien Caennais. «Il fait partie des meilleurs joueurs de ce Mondial», estime Trésor. Au-delà des blagues qu’il inspire à ses coéquipiers, - «Il a quinze poumons», dit de lui Pogba, «Tu le vois partout. D'un seul coup il sort de la terre», s’amuse Hernandez – le discret Kanté fait l’admiration de tous. A commencer par son capitaine, Hugo Lloris : «Il est tellement précieux que ce soit dans la récupération mais aussi dans l'utilisation du ballon. C'est un leader à sa manière.»
Paul Pogba, enfin taille patron
Didier Deschamps l’a toujours soutenu, contre vents et marées. «Si je l'ai pris, c'est qu'il est indispensable. Je sais ce qu'il peut faire et j'ai confiance en lui», martelait encore le sélectionneur il y a un mois. Au sortir d’une prestation individuelle médiocre contre l’Italie alors que l’équipe de France, elle, avait brillé (3-1), le statut d’indispensable du Mancunien commençait sérieusement à vaciller. En tout cas pour les observateurs, prompts à mettre en avant les bonnes prestations de Corentin Tolisso. Jamais aussi fort que lorsqu’il est sous pression, Pogba a remis les pendules à l’heure avec des prestations de très haut niveau en Russie. Déchargé d’une partie de ses tâches défensives par Kanté, «La Pioche» brille balle au pied et excelle dans son rôle de «quarterback», formidable rampe de lancement pour la fusée Mbappé.
Impliqué sur les trois buts bleus inscrits en phase de groupe, il l’est aussi davantage dans la vie des 23 et avec la presse après une diète médiatique de quatre ans. «C’est devenu un vrai patron, indiquait Blaise Matuidi mercredi. Il a pris conscience qu’il pouvait être l’un des grands leaders de cette équipe. On a besoin d’un Paul comme ça.» «Je le trouve changé. Dans le football c’est le même. La différence, c’est qu’il est devenu un vrai leader. Il a les mots justes, basés sur le sacrifice, l’effort», abonde Adil Rami. Après avoir réclamé «les clés» de la maison bleue avant le début du Mondial, l’ancien Turinois, seulement 25 ans mais déjà 57 sélections au compteur, assume désormais pleinement ses responsabilités. «Et il n’a pas fini de nous surprendre», promet Matuidi. Les supporters bleus ne demandent que ça.