Affrontant pour cela les innombrables pressions de l’appareil sécuritaire pour étouffer l’affaire et surtout, la loi du silence habituellement imposée par une société demeurée machiste, ou trop souvent l’opprobre est jeté sur la victime… «
Coupable d’avoir été violée » est justement le titre du récit autobiographique de la victime de ce fait divers sordide, dont s’est inspiré la jeune réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania pour son 3e long métrage,
« La Belle et la meute », présenté le 19 mai dans la sélection officielle « Un Certain Regard » du 70e Festival de Cannes (17 au 29 mai 2017), et qui a créé un choc durable sur la Croisette: quinze minutes d’applaudissements et d’ovations ininterrompus du public resté sous le choc d’un film intense qui a l’intelligence de ne jamais céder au racolage facile : surtout en décidant contre toute attente, de ne pas filmer du tout la scène attendue, qui pour une cinéaste moins exigeante, aurait pu « faire sensation », celle du viol !
Car ce que montre Kaouther Ben Hnia s’avère encore pire que le viol physique : la véritable torture morale que subit sans discontinuer la victime, qu’elle réussit à communiquer avec force aux spectateurs, les tenant en haleine entre la stupeur et l’indignation jusqu’à la fin du film, où la jeune fille, soutenue en tout dernier recours par un policier intègre, décidé de poursuivre son combat jusqu’au bout malgré le scandale.
Longs plans-séquences
Pour cela, la jeune cinéaste a choisi une technique qui n’est pas sans risque : celle de tout filmer en longs plans-séquences, tournés en caméra à l’épaule, accompagnant les personnages en permanence. Ce qui aboutit à un réalisme accru, plaçant le spectateur dans une immersion complète, dans l’unité de temps d’une nuit interminable où l’on avance en parallèle à l’éveil progressif d’une conscience : celle d’une héroïne qui, entre hésitations, humiliations nécessaires et voltes-faces, finit par se persuader et nous persuader, que la seule issue possible est celle de la résistance: la force du film est aussi de ne pas caricaturer les policiers vivant quotidiennement dans la brutalité et la violence et essayant de protéger leurs collègues « ripoux », en expliquant à la victime que le discrédit possible sur les forces de l’ordre, les affaiblirait dans leur lutte contre le terrorisme…
La conclusion réelle de l’affaire (la condamnation des coupables à 12 ans de prison après le soutien de la société civile apporté à la jeune Myriam grâce à une large campagne médiatique, et l’existence du film lui-même prouvent, a contrario, de la colère que suscite sa vision, que malgré le marasme économique qui a suivi la révolution et s’aggrave encore de nos jours, la liberté d’expression de la Tunisie, qui s’est affirmée même pendant le gouvernement majoritairement islamiste, demeure en Tunisie un acquis qui semble pour le moment, irréversible : il est évident que sous l’ère Ben Ali, les médias n’auraient pu faire campagne, l’affaire aurait été rapidement étouffée et en aucun cas un tel film n’aurait pu voir le jour.
Un seul bémol toutefois : en terminant son film par une image de l’héroïne choisissant de tenir tête, en mentionnant sobrement sur l’écran « inspiré d’une histoire vraie », sans informer le spectateur que dans la réalité des faits, les coupables ont été effectivement condamnés, on laisse au spectateur la fâcheuse impression que l’injustice (montrée ici sans sa conclusion judiciaire) règne toujours dans la Tunisie actuelle.
Le cinéma d’éveil de conscience que pratique Kaouther Ben Hania, s’avère ainsi une arme à double tranchant : une dénonciation de la force par un film qui réussit à éviter le didactisme, et une fin qui invite le simpliste à lever l’ambiguïté concernant l’aboutissement réel du fait divers dans une Tunisie, exception démocratique du « Printemps Arabe », dont s’inspire une cinéaste inventive toujours à la recherche d’expérimentations créatrices différentes.
Chacun de ses films (dont la fiction « Le Challat de Tunis » présenté en marge de Cannes, en 2013, et le documentaire « Zeinab n’aime pas la neige » , « Tanit d’Or » des Journées Cinématographiques de Carthage 2016), montre qu’il faut beaucoup attendre d’elle dans l’avenir.
Jeune Afrique
Coupable d’avoir été violée » est justement le titre du récit autobiographique de la victime de ce fait divers sordide, dont s’est inspiré la jeune réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania pour son 3e long métrage,
« La Belle et la meute », présenté le 19 mai dans la sélection officielle « Un Certain Regard » du 70e Festival de Cannes (17 au 29 mai 2017), et qui a créé un choc durable sur la Croisette: quinze minutes d’applaudissements et d’ovations ininterrompus du public resté sous le choc d’un film intense qui a l’intelligence de ne jamais céder au racolage facile : surtout en décidant contre toute attente, de ne pas filmer du tout la scène attendue, qui pour une cinéaste moins exigeante, aurait pu « faire sensation », celle du viol !
Car ce que montre Kaouther Ben Hnia s’avère encore pire que le viol physique : la véritable torture morale que subit sans discontinuer la victime, qu’elle réussit à communiquer avec force aux spectateurs, les tenant en haleine entre la stupeur et l’indignation jusqu’à la fin du film, où la jeune fille, soutenue en tout dernier recours par un policier intègre, décidé de poursuivre son combat jusqu’au bout malgré le scandale.
Longs plans-séquences
Pour cela, la jeune cinéaste a choisi une technique qui n’est pas sans risque : celle de tout filmer en longs plans-séquences, tournés en caméra à l’épaule, accompagnant les personnages en permanence. Ce qui aboutit à un réalisme accru, plaçant le spectateur dans une immersion complète, dans l’unité de temps d’une nuit interminable où l’on avance en parallèle à l’éveil progressif d’une conscience : celle d’une héroïne qui, entre hésitations, humiliations nécessaires et voltes-faces, finit par se persuader et nous persuader, que la seule issue possible est celle de la résistance: la force du film est aussi de ne pas caricaturer les policiers vivant quotidiennement dans la brutalité et la violence et essayant de protéger leurs collègues « ripoux », en expliquant à la victime que le discrédit possible sur les forces de l’ordre, les affaiblirait dans leur lutte contre le terrorisme…
La conclusion réelle de l’affaire (la condamnation des coupables à 12 ans de prison après le soutien de la société civile apporté à la jeune Myriam grâce à une large campagne médiatique, et l’existence du film lui-même prouvent, a contrario, de la colère que suscite sa vision, que malgré le marasme économique qui a suivi la révolution et s’aggrave encore de nos jours, la liberté d’expression de la Tunisie, qui s’est affirmée même pendant le gouvernement majoritairement islamiste, demeure en Tunisie un acquis qui semble pour le moment, irréversible : il est évident que sous l’ère Ben Ali, les médias n’auraient pu faire campagne, l’affaire aurait été rapidement étouffée et en aucun cas un tel film n’aurait pu voir le jour.
Un seul bémol toutefois : en terminant son film par une image de l’héroïne choisissant de tenir tête, en mentionnant sobrement sur l’écran « inspiré d’une histoire vraie », sans informer le spectateur que dans la réalité des faits, les coupables ont été effectivement condamnés, on laisse au spectateur la fâcheuse impression que l’injustice (montrée ici sans sa conclusion judiciaire) règne toujours dans la Tunisie actuelle.
Le cinéma d’éveil de conscience que pratique Kaouther Ben Hania, s’avère ainsi une arme à double tranchant : une dénonciation de la force par un film qui réussit à éviter le didactisme, et une fin qui invite le simpliste à lever l’ambiguïté concernant l’aboutissement réel du fait divers dans une Tunisie, exception démocratique du « Printemps Arabe », dont s’inspire une cinéaste inventive toujours à la recherche d’expérimentations créatrices différentes.
Chacun de ses films (dont la fiction « Le Challat de Tunis » présenté en marge de Cannes, en 2013, et le documentaire « Zeinab n’aime pas la neige » , « Tanit d’Or » des Journées Cinématographiques de Carthage 2016), montre qu’il faut beaucoup attendre d’elle dans l’avenir.
Jeune Afrique