L'Arakan, État isolé de l'ouest de la Birmanie, s'embrase. Dans un enchaînement de représailles sanglantes, dix pèlerins musulmans ont été frappés à mort la semaine dernière par une foule en colère après le viol et l'assassinat d'une jeune femme bouddhiste. Les tensions religieuses ont dégénéré en émeutes. Et, depuis quatre jours, des bandes rivales armées de longs couteaux et de bambous affûtés se livrent à des chasses à l'homme et incendient des centaines de maisons dans la bourgade de Maungdaw, dans le nord de l'État, ainsi qu'à Sittwe, la capitale.
En dépit de l'état d'urgence décrété par le pouvoir et de la présence de forces de l'ordre aux abords des mosquées et des pagodes, les violences entre bouddhistes et musulmans se poursuivaient lundi, poussant les Nations unies à évacuer leur personnel international. Les médias officiels avancent les chiffres de 7 morts et 17 blessés depuis vendredi, mais semblent ignorer les victimes musulmanes. D'autres sources font état de bilans plus lourds, mais invérifiables.
Étrangers dans leur propre pays
L'Arakan est l'un de ces nœuds improbables perdus dans les confins: cette bande de terre sur le golfe du Bengale est le point de rencontre de l'Asie musulmane et hindoue avec l'Asie bouddhiste. Y cohabitent très difficilement une majorité bouddhiste, les Rakhines, et une minorité musulmane, les Rohingyas. Le sort de ces Rohingyas n'a rien d'enviable. Considérés par l'ONU comme une des minorités les plus persécutées au monde, ils sont systématiquement rejetés, stigmatisés et violentés. Leur drame est d'avoir servi de supplétifs à l'armée britannique lors de sa conquête de la Birmanie au XIXe siècle.
Considérés comme des traîtres, ils sont tyrannisés depuis l'indépendance en 1948. En 1978, 200.000 d'entre eux ont dû fuir au Bangladesh la campagne de terreur lancée par l'armée birmane. En 1982, une loi les a dépouillés de leur nationalité et en a fait des étrangers dans leur propre pays. En 1991-1992, ils ont été la cible de nouvelles opérations d'éradication. Et les violentes discriminations qu'ils subissent, comme le travail forcé, la confiscation des terres ou l'interdiction de se marier et de se déplacer sans l'accord des autorités les poussent à fuir. Ils sont aujourd'hui plus nombreux hors de Birmanie (plus d'un million) où ils mènent une vie de clandestins ou de réfugiés, que dans leur pays d'origine (750.000).
Les dernières convulsions dans l'Arakan sont à première vue engendrées spontanément par les haines religieuses et ethniques. Mais elles pourraient aussi être orchestrées par le régime birman pour forcer la figure de proue de l'opposition, Aung San Suu Kyi, à faire des déclarations impopulaires, comme un appel au calme et à la sympathie envers cette minorité que l'opinion birmane tient en piètre estime. Depuis quelques jours, les réseaux sociaux birmans se déchaînent contre les «Kalar», ces étrangers à la peau sombre. Les comptes Facebook regorgent de commentaires sur ces musulmans «terroristes», ces «immigrés clandestins infiltrés sous couvert de colons britanniques». Certains offrent même «une récompense pour l'assassinat d'un musulman» de l'Arakan. Les diplomates birmans ou les vedettes de cinéma ne sont pas en reste: les Rohingyas sont tour à tour décrits comme «vilains comme des ogres» ou «noirs, bedonnants et velus».
Sous les insultes, la politique affleure. Les exemples abondent où les autorités birmanes ont attisé, voire déclenché de violents heurts confessionnels, n'hésitant pas à déguiser leurs agents en bonzes. Cette fois encore, des tracts de propagande anti-Rohingyas circulaient depuis des semaines et, selon plusieurs témoins, les forces de sécurité ont prêté main-forte aux miliciens bouddhistes.
En réagissant sur ce sujet très sensible, Aung San Suu Kyi, qui entame une tournée européenne mercredi, risque de diviser les rangs dans son parti. Quant aux Rohingyas, ils sont décidément damnés: des gardes-frontières bangladais ont renvoyé lundi huit embarcations transportant 300 de ces parias qui fuyaient les violences.
Par Florence Compain
En dépit de l'état d'urgence décrété par le pouvoir et de la présence de forces de l'ordre aux abords des mosquées et des pagodes, les violences entre bouddhistes et musulmans se poursuivaient lundi, poussant les Nations unies à évacuer leur personnel international. Les médias officiels avancent les chiffres de 7 morts et 17 blessés depuis vendredi, mais semblent ignorer les victimes musulmanes. D'autres sources font état de bilans plus lourds, mais invérifiables.
Étrangers dans leur propre pays
L'Arakan est l'un de ces nœuds improbables perdus dans les confins: cette bande de terre sur le golfe du Bengale est le point de rencontre de l'Asie musulmane et hindoue avec l'Asie bouddhiste. Y cohabitent très difficilement une majorité bouddhiste, les Rakhines, et une minorité musulmane, les Rohingyas. Le sort de ces Rohingyas n'a rien d'enviable. Considérés par l'ONU comme une des minorités les plus persécutées au monde, ils sont systématiquement rejetés, stigmatisés et violentés. Leur drame est d'avoir servi de supplétifs à l'armée britannique lors de sa conquête de la Birmanie au XIXe siècle.
Considérés comme des traîtres, ils sont tyrannisés depuis l'indépendance en 1948. En 1978, 200.000 d'entre eux ont dû fuir au Bangladesh la campagne de terreur lancée par l'armée birmane. En 1982, une loi les a dépouillés de leur nationalité et en a fait des étrangers dans leur propre pays. En 1991-1992, ils ont été la cible de nouvelles opérations d'éradication. Et les violentes discriminations qu'ils subissent, comme le travail forcé, la confiscation des terres ou l'interdiction de se marier et de se déplacer sans l'accord des autorités les poussent à fuir. Ils sont aujourd'hui plus nombreux hors de Birmanie (plus d'un million) où ils mènent une vie de clandestins ou de réfugiés, que dans leur pays d'origine (750.000).
Les dernières convulsions dans l'Arakan sont à première vue engendrées spontanément par les haines religieuses et ethniques. Mais elles pourraient aussi être orchestrées par le régime birman pour forcer la figure de proue de l'opposition, Aung San Suu Kyi, à faire des déclarations impopulaires, comme un appel au calme et à la sympathie envers cette minorité que l'opinion birmane tient en piètre estime. Depuis quelques jours, les réseaux sociaux birmans se déchaînent contre les «Kalar», ces étrangers à la peau sombre. Les comptes Facebook regorgent de commentaires sur ces musulmans «terroristes», ces «immigrés clandestins infiltrés sous couvert de colons britanniques». Certains offrent même «une récompense pour l'assassinat d'un musulman» de l'Arakan. Les diplomates birmans ou les vedettes de cinéma ne sont pas en reste: les Rohingyas sont tour à tour décrits comme «vilains comme des ogres» ou «noirs, bedonnants et velus».
Sous les insultes, la politique affleure. Les exemples abondent où les autorités birmanes ont attisé, voire déclenché de violents heurts confessionnels, n'hésitant pas à déguiser leurs agents en bonzes. Cette fois encore, des tracts de propagande anti-Rohingyas circulaient depuis des semaines et, selon plusieurs témoins, les forces de sécurité ont prêté main-forte aux miliciens bouddhistes.
En réagissant sur ce sujet très sensible, Aung San Suu Kyi, qui entame une tournée européenne mercredi, risque de diviser les rangs dans son parti. Quant aux Rohingyas, ils sont décidément damnés: des gardes-frontières bangladais ont renvoyé lundi huit embarcations transportant 300 de ces parias qui fuyaient les violences.
Par Florence Compain