De notre correspondante aux États-Unis.
Le week-end dernier, la National rifle association (NRA) exhibait sa puissance dans un immense centre de convention de Saint Louis, Mississippi. Le pays a beau être agité par une nouvelle polémique sur le port d'armes, après la mort de l'adolescent noir Trayvon Martin, abattu par un vigile dans un lotissement de Floride, quelques dizaines de milliers d'Américains avaient afflué de partout pour la grand-messe du grand lobby des armes à feu. Une sorte de Goliath pro-guns, dont la puissance de frappe fait frémir les politiciens en quête de voix et de financements.
L'ambiance était haute en couleur. S'ils devaient laisser leurs revolvers à la maison, les invités ont pu s'essayer au maniement d'armes de guerre sophistiquées sur quelque 500 stands… Beaucoup étaient venus en famille, comme s'ils allaient à Disneyland, signe d'une culture des armes à feu qui fait toujours viscéralement partie de l'ADN américain. Dans ce pays créé par des cow-boys et des fermiers qui durent défendre leurs terres le fusil à la main, le nombre de citoyens attachés au port d'armes reste une masse critique, qui fait la force de la NRA. Ce sont eux qui se pressent en foule compacte aux gun shows (foires aux armes) à travers le pays. Eux qui participent à des camps de loisir des «amis de la NRA» pendant l'été. Eux encore qui collectionnent les armes de guerre dans leurs sous-sols, comme d'autres les timbres.
«Cette base très motivée de millions d'activistes constitue la vraie force de la NRA, explique Kristen Rand, directrice juridique du Violence Policy Center, l'un des lobbys anti-guns de Washington. Ces gens-là vivent pour leurs armes, ils sont donc prêts à se mobiliser à la seconde. Quand la NRA a besoin d'eux pour faire pression sur les politiques, une déferlante d'appels inonde les standards téléphoniques des sénateurs et représentants dans les États ou au Capitole. Les élus en ont peur. Ils sont persuadés que tout écart contre le lobby des “guns” peut leur coûter leur siège.» Pas étonnant, dans ces conditions, que le candidat républicain Mitt Romney soit venu, entre autres politiques, payer tribut à la NRA à Saint Louis, promettant, la main sur le cœur, de défendre ses intérêts. Les démocrates, quant à eux, préfèrent se taire.
Kristen Rand explique pourtant que cette peur n'est pas aussi fondée qu'elle le devrait et que le lobby des armes ne représente qu'une minorité de la population. «Regardez Obama, la NRA avait mis tous les feux au rouge pour l'arrêter, mais il a été élu!» Depuis les années 1970, la tendance est en réalité à la baisse des ventes d'armes dans la population américaine. S'ils étaient 50 % à détenir un fusil il y a quarante ans, ils ne seraient plus que 25 à 30 %. «Un marché en voie de rétrécissement», note Kristen Rand, même si l'on compte toujours quelque 250 millions d'armes en circulation.
Pressée d'agir par les marchands d'armes, avec lesquels elle avance main dans la main, la NRA a contre-attaqué dans les années 1980 sur le plan législatif, pour tenter d'élargir le marché via une diminution des restrictions sur le port d'armes. C'est à ce moment-là que la Floride est entrée en scène, devenant le laboratoire de nouveaux projets législatifs laxistes. Le professeur de droit pénal Kenneth Adams, de l'université centrale de Floride, explique ce rôle pionnier de «l'État du soleil» par sa «propension naturelle» à mener de nouvelles expériences. La directrice du Violence Policy Center évoque plutôt le rôle clé de Marian Hammer, lobbyiste locale du camp pro-gun, dont la «personnalité agressive» aurait été l'atout maître de la NRA.
Offensive au Capitole
La première bataille s'est jouée sur le «droit au port d'armes cachées», une loi qui a inversé la philosophie en vigueur. Jusque-là, il fallait prouver la nécessité de porter une arme cachée pour y avoir droit, et demander une autorisation. Mais la nouvelle législation a établi que si un citoyen n'avait pas de passé criminel ni de problèmes mentaux, il devait pouvoir bénéficier du «port d'armes cachées». La loi de Floride a ensuite essaimé à travers une trentaine d'autres États. «Quand le processus s'est essoufflé dans le Connecticut ou le Massachusetts, qui ont toujours eu des lois plus restrictives, le lobby pro-gun est passé à autre chose, raconte Kristen Rand. Il s'est mis à promouvoir la loi Stand your ground («ne reculez pas»), texte législatif voté en 2005 en Floride, puis “exporté” dans une vingtaine d'autres États, qui élargit démesurément le cadre de la légitime défense. Celle-ci peut désormais être appliquée n'importe où, si un citoyen se juge suffisamment en danger.» Une loi qui sera sans aucun doute invoquée par le vigile George Zimmerman dans sa défense, pour justifier son coup de feu contre Trayvon Martin.
Les protestations de nombreuses organisations de police locales, dont le chef de la police de Miami de l'époque John Timoney, n'ont servi à rien. Résultat, le nombre d'«homicides justifiés» annuels a triplé en Floride. Mais la NRA a redoublé d'efforts pour établir une équation entre possession d'armes et sécurité des citoyens, invoquant les travaux scientifiques du professeur John Lott, qui prétend avoir démontré par un modèle mathématique - et en contradiction avec les statistiques - que plus il y a de fusils en circulation, moins il y a de crimes.
Après ses offensives dans les États, la NRA s'est aujourd'hui lancée dans une bataille fédérale menée directement sur la colline du Capitole, où elle fait le siège des législateurs, distribuant largesses électorales et soutiens politiques. Un projet de loi visant à contourner les lois restrictives, dites anti-guns, qui prévalent dans certains États a été déposé au Congrès. L'idée est de permettre aux personnes ayant un droit de «port d'armes cachées» dans leur État de bénéficier de ce droit à travers le reste du territoire américain. Un empiétement que les États anti-guns dénoncent farouchement. Le texte n'en a pas moins été voté par la Chambre des représentants, majoritairement républicaine, en pleine affaire Trayvon Martin. Il est en attente au Sénat.
«La NRA pense que le temps joue pour elle, dit Kristen Rand. Elle table sur l'apathie des citoyens et la couardise des politiques», estime également le président du Brady Center contre la violence armée, Dan Ross.
Le week-end dernier, la National rifle association (NRA) exhibait sa puissance dans un immense centre de convention de Saint Louis, Mississippi. Le pays a beau être agité par une nouvelle polémique sur le port d'armes, après la mort de l'adolescent noir Trayvon Martin, abattu par un vigile dans un lotissement de Floride, quelques dizaines de milliers d'Américains avaient afflué de partout pour la grand-messe du grand lobby des armes à feu. Une sorte de Goliath pro-guns, dont la puissance de frappe fait frémir les politiciens en quête de voix et de financements.
L'ambiance était haute en couleur. S'ils devaient laisser leurs revolvers à la maison, les invités ont pu s'essayer au maniement d'armes de guerre sophistiquées sur quelque 500 stands… Beaucoup étaient venus en famille, comme s'ils allaient à Disneyland, signe d'une culture des armes à feu qui fait toujours viscéralement partie de l'ADN américain. Dans ce pays créé par des cow-boys et des fermiers qui durent défendre leurs terres le fusil à la main, le nombre de citoyens attachés au port d'armes reste une masse critique, qui fait la force de la NRA. Ce sont eux qui se pressent en foule compacte aux gun shows (foires aux armes) à travers le pays. Eux qui participent à des camps de loisir des «amis de la NRA» pendant l'été. Eux encore qui collectionnent les armes de guerre dans leurs sous-sols, comme d'autres les timbres.
«Cette base très motivée de millions d'activistes constitue la vraie force de la NRA, explique Kristen Rand, directrice juridique du Violence Policy Center, l'un des lobbys anti-guns de Washington. Ces gens-là vivent pour leurs armes, ils sont donc prêts à se mobiliser à la seconde. Quand la NRA a besoin d'eux pour faire pression sur les politiques, une déferlante d'appels inonde les standards téléphoniques des sénateurs et représentants dans les États ou au Capitole. Les élus en ont peur. Ils sont persuadés que tout écart contre le lobby des “guns” peut leur coûter leur siège.» Pas étonnant, dans ces conditions, que le candidat républicain Mitt Romney soit venu, entre autres politiques, payer tribut à la NRA à Saint Louis, promettant, la main sur le cœur, de défendre ses intérêts. Les démocrates, quant à eux, préfèrent se taire.
Kristen Rand explique pourtant que cette peur n'est pas aussi fondée qu'elle le devrait et que le lobby des armes ne représente qu'une minorité de la population. «Regardez Obama, la NRA avait mis tous les feux au rouge pour l'arrêter, mais il a été élu!» Depuis les années 1970, la tendance est en réalité à la baisse des ventes d'armes dans la population américaine. S'ils étaient 50 % à détenir un fusil il y a quarante ans, ils ne seraient plus que 25 à 30 %. «Un marché en voie de rétrécissement», note Kristen Rand, même si l'on compte toujours quelque 250 millions d'armes en circulation.
Pressée d'agir par les marchands d'armes, avec lesquels elle avance main dans la main, la NRA a contre-attaqué dans les années 1980 sur le plan législatif, pour tenter d'élargir le marché via une diminution des restrictions sur le port d'armes. C'est à ce moment-là que la Floride est entrée en scène, devenant le laboratoire de nouveaux projets législatifs laxistes. Le professeur de droit pénal Kenneth Adams, de l'université centrale de Floride, explique ce rôle pionnier de «l'État du soleil» par sa «propension naturelle» à mener de nouvelles expériences. La directrice du Violence Policy Center évoque plutôt le rôle clé de Marian Hammer, lobbyiste locale du camp pro-gun, dont la «personnalité agressive» aurait été l'atout maître de la NRA.
Offensive au Capitole
La première bataille s'est jouée sur le «droit au port d'armes cachées», une loi qui a inversé la philosophie en vigueur. Jusque-là, il fallait prouver la nécessité de porter une arme cachée pour y avoir droit, et demander une autorisation. Mais la nouvelle législation a établi que si un citoyen n'avait pas de passé criminel ni de problèmes mentaux, il devait pouvoir bénéficier du «port d'armes cachées». La loi de Floride a ensuite essaimé à travers une trentaine d'autres États. «Quand le processus s'est essoufflé dans le Connecticut ou le Massachusetts, qui ont toujours eu des lois plus restrictives, le lobby pro-gun est passé à autre chose, raconte Kristen Rand. Il s'est mis à promouvoir la loi Stand your ground («ne reculez pas»), texte législatif voté en 2005 en Floride, puis “exporté” dans une vingtaine d'autres États, qui élargit démesurément le cadre de la légitime défense. Celle-ci peut désormais être appliquée n'importe où, si un citoyen se juge suffisamment en danger.» Une loi qui sera sans aucun doute invoquée par le vigile George Zimmerman dans sa défense, pour justifier son coup de feu contre Trayvon Martin.
Les protestations de nombreuses organisations de police locales, dont le chef de la police de Miami de l'époque John Timoney, n'ont servi à rien. Résultat, le nombre d'«homicides justifiés» annuels a triplé en Floride. Mais la NRA a redoublé d'efforts pour établir une équation entre possession d'armes et sécurité des citoyens, invoquant les travaux scientifiques du professeur John Lott, qui prétend avoir démontré par un modèle mathématique - et en contradiction avec les statistiques - que plus il y a de fusils en circulation, moins il y a de crimes.
Après ses offensives dans les États, la NRA s'est aujourd'hui lancée dans une bataille fédérale menée directement sur la colline du Capitole, où elle fait le siège des législateurs, distribuant largesses électorales et soutiens politiques. Un projet de loi visant à contourner les lois restrictives, dites anti-guns, qui prévalent dans certains États a été déposé au Congrès. L'idée est de permettre aux personnes ayant un droit de «port d'armes cachées» dans leur État de bénéficier de ce droit à travers le reste du territoire américain. Un empiétement que les États anti-guns dénoncent farouchement. Le texte n'en a pas moins été voté par la Chambre des représentants, majoritairement républicaine, en pleine affaire Trayvon Martin. Il est en attente au Sénat.
«La NRA pense que le temps joue pour elle, dit Kristen Rand. Elle table sur l'apathie des citoyens et la couardise des politiques», estime également le président du Brady Center contre la violence armée, Dan Ross.