Correspondante à Washington
À Rockville, dans la banlieue de Washington, Barbara, belle femme noire de 45 ans, vêtue d'un pantalon sombre et d'une élégante tunique blanche, vient tout juste de garer sa voiture et se dirige d'un pas chaloupé vers un magasin Goodwill. Cette chaîne commerciale «à orientation sociale», alimentée par des dons de particuliers et d'ONG, offre aux personnes en difficulté mille et une marchandises de seconde main que les donateurs viennent déposer en voiture dans un hangar attenant. Pulls à 3 dollars, casseroles et chaussures à 5 dollars, robes de mariées en satin blanc à 29 dollars, batteries de cuisine… «Avant, je venais ici pour faire des dons, maintenant, je viens acheter», lance Barbara, un peu amère. Elle évoque le temps, «pas si lointain», où elle se considérait comme «membre de la classe moyenne». «Je le suis toujours un peu car j'ai la chance d'avoir un mari qui travaille. De plus, nous n'avons pas perdu notre maison, contrairement à beaucoup d'autres, car nous n'avons pas fait l'erreur d'acheter trop grand», dit cette décoratrice d'intérieur, qui peine à trouver des contrats, à cause de la crise immobilière.
Barbara évoque pourtant un quotidien qui se rétrécit et un futur brouillé. «On vit au jour le jour, d'une paie à l'autre. Mes trois enfants de 20, 19 et 14 ans sont toujours chez nous. Les plus grands peinent à trouver un boulot, et rien qui paie plus de 15 dollars de l'heure. Voilà pourquoi on est aujourd'hui si nombreux à venir à Goodwill. Les gens redécouvrent la valeur des vêtements usagés, la nécessité d'économiser. S'ils ont la chance d'avoir un toit, ils louent des chambres, ils louent même leur voiture à la journée pour se faire un peu d'argent. Ils ne se soignent pas vraiment car lorsqu'ils vont à l'hôpital, aux urgences, on leur demande immédiatement leur code postal. Si c'est un quartier chic, c'est bon. Sinon, ils doivent attendre… C'est ainsi que les gens glissent lentement vers un statut de citoyen de seconde classe!», constate-t-elle. Barbara est persuadée que d'ici à quelques années, Medicare, l'assurance-maladie des retraités aujourd'hui prise en charge par l'État, aura disparu. «C'est la jungle ici et ça ne va pas s'arranger», dit-elle, résignée. Obama? «Il n'est pas responsable, cela a commencé avant», estime-t-elle. Mais elle ne se lance pas dans une tirade passionnée pour le défendre…
La nostalgie de Reagan
Les Américains, peuple d'optimistes forcenés, sont devenus pessimistes sur l'avenir. Quelque 61 % d'entre eux estiment que le pays est sur la mauvaise pente, selon un récent sondage du journal Politico. Ils sont également 65 % à penser que l'économie stagne ou qu'elle se dégrade. Hantés par la persistance d'un taux de chômage de plus de 8 %, ils ne sont pas dupes: la crise économique est une crise du système. Les Américains ont compris que le modèle de croissance par la dette et la consommation qui a caractérisé leur économie depuis 20 ans n'est «plus tenable». Ils sont 63 % à penser que leurs enfants vivront moins bien qu'eux-mêmes, une réalité qui leur donne le vertige.
«C'est une catastrophe, et Obama est responsable!», lance tout net Denise Marshall, professeur de 61 ans, tout juste à la retraite, mais qui a repris du service pour arrondir ses fins de mois. Visiblement embarrassée d'être interviewée à l'entrée de Goodwill, elle dit être venue «faire un tour». «Nous devons être plus responsables en matière de dépenses. La dette du pays est aujourd'hui de 18.000 milliards de dollars! Serons-nous la prochaine Grèce?», s'inquiète-t-elle. Denise dit avoir voté Obama lors de l'élection 2008 parce qu'il promettait «un changement». Mais elle ne recommencera pas, «vu le désastre». «Il a eu sa chance et il a aggravé le problème. S'il perd en novembre, j'organiserai une fête!», lance-t-elle.
Électrice sans affiliation, qui votera donc cette fois pour Romney, Denise Marshall s'intéresse surtout au candidat à la vice-présidence Paul Ryan, parce qu'il «propose un plan courageux de réduction des dépenses et s'y connaît en chiffres». Comme beaucoup de ses compatriotes, l'enseignante se méfie de l'État-providence et prône la «responsabilité». «Les jeunes générations doivent comprendre que l'État ne peut être le baby-sitter de la nation, ils doivent se prendre en main. Avec mon mari, nous n'avons pas changé de voiture depuis 15 ans, et elle marche! Quand mes enfants sont allés au collège, nous leur avons payé la moitié de leur scolarité mais nous avons aussi insisté pour qu'ils paient leur part en empruntant et en travaillant pour rembourser.»
En contraste avec les revendications françaises, le discours aux États-unis reste très libéral sur l'économie, et cela où que l'on aille, banlieue pauvre ou banlieue riche, ce qui est le plus surprenant. Les démocrates, notamment les Afro-Américains, défendent d'ordinaire Obama, mais plutôt mollement, comme s'ils ne croyaient plus vraiment au «rêve» qu'il incarnait. Les autres sont critiques et reviennent immanquablement à la peur d'un scénario «à l'européenne» pour justifier leur penchant pour les républicains et leurs potions budgétaires amères. Cette drôle d'époque rappelle l'ère Reagan à ceux qui l'ont connue: la même crainte d'un affaissement de la puissance américaine ; le même sentiment de déclin et d'urgence, aggravé aujourd'hui par une désaffection profonde à l'égard des politiques.
À l'époque, le vieux politicien de Californie, sous-estimé par l'intelligentsia démocrate, avait su, après Carter, rendre l'espoir avec son optimisme, ses slogans chocs sur le «retour de l'Amérique» et son programme de réduction drastique d'impôts et de coupes sèches dans les programmes sociaux fédéraux. L'équipe Romney peut-elle tenter le même scénario pour se poser en alternative indispensable et oser promettre de trancher dans le vif des dépenses de l'État, même si son champion n'a évidemment pas le charisme de son prédécesseur des années 1980? Romney n'est pas Reagan et Obama n'est pas Carter. Mais la question planera néanmoins lourdement sur Tampa, la semaine prochaine, lors de la convention républicaine.
Par Laure Mandeville
À Rockville, dans la banlieue de Washington, Barbara, belle femme noire de 45 ans, vêtue d'un pantalon sombre et d'une élégante tunique blanche, vient tout juste de garer sa voiture et se dirige d'un pas chaloupé vers un magasin Goodwill. Cette chaîne commerciale «à orientation sociale», alimentée par des dons de particuliers et d'ONG, offre aux personnes en difficulté mille et une marchandises de seconde main que les donateurs viennent déposer en voiture dans un hangar attenant. Pulls à 3 dollars, casseroles et chaussures à 5 dollars, robes de mariées en satin blanc à 29 dollars, batteries de cuisine… «Avant, je venais ici pour faire des dons, maintenant, je viens acheter», lance Barbara, un peu amère. Elle évoque le temps, «pas si lointain», où elle se considérait comme «membre de la classe moyenne». «Je le suis toujours un peu car j'ai la chance d'avoir un mari qui travaille. De plus, nous n'avons pas perdu notre maison, contrairement à beaucoup d'autres, car nous n'avons pas fait l'erreur d'acheter trop grand», dit cette décoratrice d'intérieur, qui peine à trouver des contrats, à cause de la crise immobilière.
Barbara évoque pourtant un quotidien qui se rétrécit et un futur brouillé. «On vit au jour le jour, d'une paie à l'autre. Mes trois enfants de 20, 19 et 14 ans sont toujours chez nous. Les plus grands peinent à trouver un boulot, et rien qui paie plus de 15 dollars de l'heure. Voilà pourquoi on est aujourd'hui si nombreux à venir à Goodwill. Les gens redécouvrent la valeur des vêtements usagés, la nécessité d'économiser. S'ils ont la chance d'avoir un toit, ils louent des chambres, ils louent même leur voiture à la journée pour se faire un peu d'argent. Ils ne se soignent pas vraiment car lorsqu'ils vont à l'hôpital, aux urgences, on leur demande immédiatement leur code postal. Si c'est un quartier chic, c'est bon. Sinon, ils doivent attendre… C'est ainsi que les gens glissent lentement vers un statut de citoyen de seconde classe!», constate-t-elle. Barbara est persuadée que d'ici à quelques années, Medicare, l'assurance-maladie des retraités aujourd'hui prise en charge par l'État, aura disparu. «C'est la jungle ici et ça ne va pas s'arranger», dit-elle, résignée. Obama? «Il n'est pas responsable, cela a commencé avant», estime-t-elle. Mais elle ne se lance pas dans une tirade passionnée pour le défendre…
La nostalgie de Reagan
Les Américains, peuple d'optimistes forcenés, sont devenus pessimistes sur l'avenir. Quelque 61 % d'entre eux estiment que le pays est sur la mauvaise pente, selon un récent sondage du journal Politico. Ils sont également 65 % à penser que l'économie stagne ou qu'elle se dégrade. Hantés par la persistance d'un taux de chômage de plus de 8 %, ils ne sont pas dupes: la crise économique est une crise du système. Les Américains ont compris que le modèle de croissance par la dette et la consommation qui a caractérisé leur économie depuis 20 ans n'est «plus tenable». Ils sont 63 % à penser que leurs enfants vivront moins bien qu'eux-mêmes, une réalité qui leur donne le vertige.
«C'est une catastrophe, et Obama est responsable!», lance tout net Denise Marshall, professeur de 61 ans, tout juste à la retraite, mais qui a repris du service pour arrondir ses fins de mois. Visiblement embarrassée d'être interviewée à l'entrée de Goodwill, elle dit être venue «faire un tour». «Nous devons être plus responsables en matière de dépenses. La dette du pays est aujourd'hui de 18.000 milliards de dollars! Serons-nous la prochaine Grèce?», s'inquiète-t-elle. Denise dit avoir voté Obama lors de l'élection 2008 parce qu'il promettait «un changement». Mais elle ne recommencera pas, «vu le désastre». «Il a eu sa chance et il a aggravé le problème. S'il perd en novembre, j'organiserai une fête!», lance-t-elle.
Électrice sans affiliation, qui votera donc cette fois pour Romney, Denise Marshall s'intéresse surtout au candidat à la vice-présidence Paul Ryan, parce qu'il «propose un plan courageux de réduction des dépenses et s'y connaît en chiffres». Comme beaucoup de ses compatriotes, l'enseignante se méfie de l'État-providence et prône la «responsabilité». «Les jeunes générations doivent comprendre que l'État ne peut être le baby-sitter de la nation, ils doivent se prendre en main. Avec mon mari, nous n'avons pas changé de voiture depuis 15 ans, et elle marche! Quand mes enfants sont allés au collège, nous leur avons payé la moitié de leur scolarité mais nous avons aussi insisté pour qu'ils paient leur part en empruntant et en travaillant pour rembourser.»
En contraste avec les revendications françaises, le discours aux États-unis reste très libéral sur l'économie, et cela où que l'on aille, banlieue pauvre ou banlieue riche, ce qui est le plus surprenant. Les démocrates, notamment les Afro-Américains, défendent d'ordinaire Obama, mais plutôt mollement, comme s'ils ne croyaient plus vraiment au «rêve» qu'il incarnait. Les autres sont critiques et reviennent immanquablement à la peur d'un scénario «à l'européenne» pour justifier leur penchant pour les républicains et leurs potions budgétaires amères. Cette drôle d'époque rappelle l'ère Reagan à ceux qui l'ont connue: la même crainte d'un affaissement de la puissance américaine ; le même sentiment de déclin et d'urgence, aggravé aujourd'hui par une désaffection profonde à l'égard des politiques.
À l'époque, le vieux politicien de Californie, sous-estimé par l'intelligentsia démocrate, avait su, après Carter, rendre l'espoir avec son optimisme, ses slogans chocs sur le «retour de l'Amérique» et son programme de réduction drastique d'impôts et de coupes sèches dans les programmes sociaux fédéraux. L'équipe Romney peut-elle tenter le même scénario pour se poser en alternative indispensable et oser promettre de trancher dans le vif des dépenses de l'État, même si son champion n'a évidemment pas le charisme de son prédécesseur des années 1980? Romney n'est pas Reagan et Obama n'est pas Carter. Mais la question planera néanmoins lourdement sur Tampa, la semaine prochaine, lors de la convention républicaine.
Par Laure Mandeville