Le Liban sur un volcan. L'enlèvement, mercredi, de vingt Syriens - et d'un Turc - dans des zones sous le contrôle du Hezbollah souligne la précarité du pays, alors que pro et anti-Assad se déchirent dans la Syrie voisine. Selon un scénario rodé, rumeurs alarmistes et désinformation, relayées par les télévisions locales, ont envahi Beyrouth tandis que la route de l'aéroport était une nouvelle fois fermée mercredi.
La «crise des otages», comme l'ont déjà baptisée les médias libanais, a débuté lundi en Syrie lorsqu'Hassan al-Mouqdad, «sniper à la solde de Damas», selon ses ravisseurs, est kidnappé par des hommes se réclamant de l'Armée syrienne libre (ASL). Hassan, citoyen libanais, mais aussi - et surtout - rejeton du clan al-Mouqdad, est issu d'une puissante famille chiite, proche du Hezbollah pro-Assad, versée dans la contrebande et qui se targue de posséder son propre bras armé.
Pas question de laisser passer l'affront. «Pour libérer (son) frère», le clan al-Mouqdad organise mercredi l'enlèvement d'une vingtaine de Syriens et d'un Turc. À leur grand effroi, le soir même, les Libanais redécouvrent, en boucle sur leurs postes de télévision, les images oubliées de la guerre civile qui déchira le pays pendant quinze ans: des hommes en treillis, cagoulés, armés de mitraillettes et menaçant deux des otages. Parallèlement, les quartiers chiites de Beyrouth se mobilisent: rixes antisyriennes, commerces dévalisés et travailleurs migrants traqués. L'aéroport devient inaccessible et quelques vols de nuit, dont l'un d'Air France, sont suspendus ou déroutés «pour raisons de sécurité».
Un tour communautaire et régional
Le message diffusé dès mercredi sur la chaîne pro-Hezbollah Al Mayadeen est clair: rendez-nous Hassan ou nous exécutons les otages, «en commençant par le Turc», précise le clan. Il menace également les citoyens «du Qatar et de l'Arabie saoudite». Dans la foulée, Ryad, suivi jeudi par les Émirats arabes unis, le Qatar, Bahreïn et le Koweït, a intimé à ses ressortissants de quitter le Liban.
En quelques heures, la crise prend un tour communautaire et régional dont la rue libanaise appréhende le contrecoup. D'un côté, le puissant Hezbollah allié à la Syrie, d'ores et déjà accusé d'avoir manipulé en sous-main les enlèvements. De l'autre, les monarchies du Golfe et la Turquie, rendues responsables, à cause de leur soutien à l'ASL, du rapt et du sort d'Hassan al-Mouqdad. Pris en tenailles, les Libanais se sont réveillés jeudi avec la peur au ventre. «Pourquoi nous, encore et toujours?», déplore Soha, une cinéaste d'une quarantaine d'années qui a grandi au rythme de la guerre civile des années 1980. «Mercredi soir, j'ai cru que tout allait recommencer…»
Depuis dix-sept mois, en fait, les autorités libanaises louvoient et pratiquent, non sans danger, un jeu d'équilibrisme subtil. Alors que le gouvernement, à travers son affiliation au Hezbollah, apparaît comme pro-Assad, une partie significative de la population penche plutôt pour la rébellion. Quant à la Syrie, elle cherche visiblement à déstabiliser son fragile voisin pour l'entraîner dans une guerre qui ferait tâche d'huile dans la région.
Après l'arrestation, la semaine dernière de Michel Samaha, le député chrétien «ami» de Damas (accusé d'avoir introduit au Liban des explosifs pour fomenter des attentats), les Libanais s'inquiètent de ces interférences qui ravivent les tensions et soulignent la polarisation des communautés.
L'aéroport, «baromètre» de la vie à Beyrouth
Le président Michel Sleimane a pris la mesure du danger et convoqué hier une réunion de crise avec les puissants chefs des agences de sécurité du pays, dont la Sûreté générale, service de renseignement intérieur aux mains des chiites, donc inféodé au Hezbollah. «Nous espérons une solution diplomatique» à la crise des otages, a-t-il indiqué. Celle-ci se joue via les ministères des Affaires étrangères libanais et turc. Le clan al-Mouqdad continue à donner de la voix en menaçant aussi d'enlever «plus de Syriens».
Jeudi matin, cependant, la route de l'aéroport, «baromètre» des tensions au Liban, a été rouverte et les vols ont repris dès le début de matinée. La vie à Beyrouth paraissait suivre son cours et les embouteillages ont retrouvé droit de cité dans la capitale. Un détail toutefois: les agences de voyage font recette. Pour les fêtes de fin du ramadan - quatre jours à compter de vendredi - les Beyrouthins aiment habituellement quitter la capitale et se ressourcer «à la montagne». Mais, cette année, certains d'entre eux préféreraient un séjour en Turquie. «Nous n'avons pas besoin de visa pour Istanbul, je vais y passer quelques jours et rentrer mardi matin, dit Soha. D'ici là, j'espère qu'il y aura une solution. Aujourd'hui, c'est le seul endroit de cette région maudite où je me sente en sécurité - la capitale de l'ancien empire ottoman… Quelle ironie!»
Par Ariane Quentier
La «crise des otages», comme l'ont déjà baptisée les médias libanais, a débuté lundi en Syrie lorsqu'Hassan al-Mouqdad, «sniper à la solde de Damas», selon ses ravisseurs, est kidnappé par des hommes se réclamant de l'Armée syrienne libre (ASL). Hassan, citoyen libanais, mais aussi - et surtout - rejeton du clan al-Mouqdad, est issu d'une puissante famille chiite, proche du Hezbollah pro-Assad, versée dans la contrebande et qui se targue de posséder son propre bras armé.
Pas question de laisser passer l'affront. «Pour libérer (son) frère», le clan al-Mouqdad organise mercredi l'enlèvement d'une vingtaine de Syriens et d'un Turc. À leur grand effroi, le soir même, les Libanais redécouvrent, en boucle sur leurs postes de télévision, les images oubliées de la guerre civile qui déchira le pays pendant quinze ans: des hommes en treillis, cagoulés, armés de mitraillettes et menaçant deux des otages. Parallèlement, les quartiers chiites de Beyrouth se mobilisent: rixes antisyriennes, commerces dévalisés et travailleurs migrants traqués. L'aéroport devient inaccessible et quelques vols de nuit, dont l'un d'Air France, sont suspendus ou déroutés «pour raisons de sécurité».
Un tour communautaire et régional
Le message diffusé dès mercredi sur la chaîne pro-Hezbollah Al Mayadeen est clair: rendez-nous Hassan ou nous exécutons les otages, «en commençant par le Turc», précise le clan. Il menace également les citoyens «du Qatar et de l'Arabie saoudite». Dans la foulée, Ryad, suivi jeudi par les Émirats arabes unis, le Qatar, Bahreïn et le Koweït, a intimé à ses ressortissants de quitter le Liban.
En quelques heures, la crise prend un tour communautaire et régional dont la rue libanaise appréhende le contrecoup. D'un côté, le puissant Hezbollah allié à la Syrie, d'ores et déjà accusé d'avoir manipulé en sous-main les enlèvements. De l'autre, les monarchies du Golfe et la Turquie, rendues responsables, à cause de leur soutien à l'ASL, du rapt et du sort d'Hassan al-Mouqdad. Pris en tenailles, les Libanais se sont réveillés jeudi avec la peur au ventre. «Pourquoi nous, encore et toujours?», déplore Soha, une cinéaste d'une quarantaine d'années qui a grandi au rythme de la guerre civile des années 1980. «Mercredi soir, j'ai cru que tout allait recommencer…»
Depuis dix-sept mois, en fait, les autorités libanaises louvoient et pratiquent, non sans danger, un jeu d'équilibrisme subtil. Alors que le gouvernement, à travers son affiliation au Hezbollah, apparaît comme pro-Assad, une partie significative de la population penche plutôt pour la rébellion. Quant à la Syrie, elle cherche visiblement à déstabiliser son fragile voisin pour l'entraîner dans une guerre qui ferait tâche d'huile dans la région.
Après l'arrestation, la semaine dernière de Michel Samaha, le député chrétien «ami» de Damas (accusé d'avoir introduit au Liban des explosifs pour fomenter des attentats), les Libanais s'inquiètent de ces interférences qui ravivent les tensions et soulignent la polarisation des communautés.
L'aéroport, «baromètre» de la vie à Beyrouth
Le président Michel Sleimane a pris la mesure du danger et convoqué hier une réunion de crise avec les puissants chefs des agences de sécurité du pays, dont la Sûreté générale, service de renseignement intérieur aux mains des chiites, donc inféodé au Hezbollah. «Nous espérons une solution diplomatique» à la crise des otages, a-t-il indiqué. Celle-ci se joue via les ministères des Affaires étrangères libanais et turc. Le clan al-Mouqdad continue à donner de la voix en menaçant aussi d'enlever «plus de Syriens».
Jeudi matin, cependant, la route de l'aéroport, «baromètre» des tensions au Liban, a été rouverte et les vols ont repris dès le début de matinée. La vie à Beyrouth paraissait suivre son cours et les embouteillages ont retrouvé droit de cité dans la capitale. Un détail toutefois: les agences de voyage font recette. Pour les fêtes de fin du ramadan - quatre jours à compter de vendredi - les Beyrouthins aiment habituellement quitter la capitale et se ressourcer «à la montagne». Mais, cette année, certains d'entre eux préféreraient un séjour en Turquie. «Nous n'avons pas besoin de visa pour Istanbul, je vais y passer quelques jours et rentrer mardi matin, dit Soha. D'ici là, j'espère qu'il y aura une solution. Aujourd'hui, c'est le seul endroit de cette région maudite où je me sente en sécurité - la capitale de l'ancien empire ottoman… Quelle ironie!»
Par Ariane Quentier