La transhumance est de plus en plus banalisée ; elle ne dérange plus personne. Elle est acceptée, intégrée dans notre vécu. Elle devient finalement un phénomène qui nous est propre, au point que le substantif « transhumant » à la sénégalaise figure dans Le Petit Larousse illustré (2012) où on lit : « Adjectif, qui effectue une transhumance ; *nom, Sénégal, personne qui quitte son parti d’origine pour adhérer à un autre,
généralement au pouvoir ». Ce triste phénomène devient donc pour nous une spécificité, une sorte de marque de fabrique, de marque déposée.
Avec le président Houphouët Boigny, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) a régné sans partage pendant 40 ans, ou presque. Quand il a été déposé en décembre 1999, les grands ténors lui sont restés fidèles, à l’exception notable de Laurent Dona Fologo. De même, quand Laurent Gbagbo a été chassé du pouvoir auquel il s’est accroché de toutes ses forces, aucun des principaux responsables du Front patriotique ivoirien (Fpi) n’a rejoint le président Ouattara. En tout cas pas à ma connaissance. Ils sont, au contraire, restés dignement dans l’opposition, une opposition alors très risquée en Côte d’Ivoire. Chez nous, quand le décret présidentiel et les fonds spéciaux changent de camp, les hommes et les femmes du pouvoir vaincu retournent immédiatement leurs vestes et rejoignent sans vergogne les nouvelles prairies. Il en a été ainsi au lendemain du 19 mars 2000, comme aussitôt après la débâcle du vieux président politicien, le 25 mars 2012.
Aujourd’hui, on trouve autour du président de la république, au gouvernement, à l’Assemblée nationale, dans la diplomatie, à la tête de directions, d’agences, de conseils d’administration et de conseils de surveillance, des sans vergogne qui étaient des wadistes purs et durs pendant tout le temps que les prairies étaient bleues. Des hommes et des femmes sans foi ni loi, qui ont tiré sans ménagement sur Macky Sall pendant toute sa traversée du désert. Au soir du 25 février 2012, quand tout indiquait qu’il serait le quatrième président de la République du Sénégal, la plupart d’entre eux ont vite fait de montrer leurs bonnes dispositions à son égard. Ces tristes individus, qui ont tout mis en œuvre pour faire réélire le vieux président politicien pour la deuxième fois, n’ont eu aucune peine à envahir le nouvel espace présidentiel.
Aujourd’hui, d’anciens responsables de Réew mi cherchent des poux à Idrissa Seck pour justifier leur rupture avec lui. Tout le monde sait que je ne suis pas très ami au Maire de Thiès. Force est de reconnaître, cependant, que sans lui, Papa Diouf et Oumar Guèye ne seraient jamais ministres dans le gouvernement du président Macky Sall. Aujourd’hui, ils ont tourné sans état d’âme le dos à leur ancien mentor, crient haut et fort leur enracinement dans le camp présidentiel, avec pour seule préoccupation désormais, de sauvegarder leurs maroquins. Pour raccourcir leur chemin vers l’Apr, ils ont créé chacun un mouvement de circonstance.
Voilà où nous en sommes au Sénégal, avec des hommes et des femmes, tristes individus, qui ont perdu tout sens de l’honneur et de la dignité. Des hommes et des femmes qui, comme poussés par une force invisible, courent inlassablement derrière le lucre et sont de tous les râteliers.
Dans une excellente contribution publiée au journal « Le Quotidien » du samedi 27 novembre 2004, un nommé Mor Diop cloue au pilori trois d’entre eux, et pas des moindres. M. Diop évoque alors un adage russe selon lequel, « avec une colonne vertébrale solide, on ne saurait conquérir les hauts postes ». « Le triplet maudit de la politique sénégalaise » (c’est ainsi qu’il appelle les trois compères) a vite fait de comprendre cet adage russe et de se retrouver « avec une colonne vertébrale molle et souple pouvant faire des courbettes à l’odeur d’un quelconque avantage ». Après avoir traité ces trois gros transhumants de « professionnels de la trahison », il les crucifie par ces mots terribles et mérités : « (…) Ils se reconnaissent en ces trois caractéristiques : leur langue contredit leur cœur, leur cœur contredit leurs actes et leur apparence leur for intérieur. » M. Diop conclut son sévère et justifié réquisitoire en ces termes : « Le pire des hommes est celui qui présente deux visages et tient un double langage. »
Nombre de nos compatriotes présentent, non pas seulement deux visages, mais bien plusieurs et tiennent plus qu’un double langage. Leurs visages et leurs langages dépendent des circonstances et de leurs variations, de la direction du vent du pouvoir et de ses honneurs. C’est pourquoi ils sont détestables, si détestables qu’un ami, au détour d’une conversation animée, n’a pas hésité à les comparer à des mbaam xuux (des cochons, des porcs). Cette comparaison pourrait surprendre, peut-être même choquer. Elle est pourtant pertinente, de mon humble point de vue. Comme les mbaam xuux, ces tristes individus suivent leur seul instinct d’assouvir leur faim et leur soif de prébendes. Je suis même tenté de me demander si ce n’est pas faire injure aux premiers que de les comparer aux seconds, qui seraient de la pire des espèces créées par notre Seigneur.
Nous serions donc tous coupables d’accepter le fait accompli de la détestable transhumance, ce cancer dont les métastases rongent tous les secteurs de la vie nationale. Le devoir nous incombe, à nous tous – classe politique, société civile y compris les chefs religieux et les grands notables – de la combattre sans répit. En particulier, le président de la République devrait cesser de l’encourager, de l’entretenir, sous le prétexte de massifier son parti. Les transhumants sont de mauvais chevaux ; ils n’ont jamais permis de gagner une grande bataille électorale. L’ancien président politicien les a usés à la course, sans succès.
Mody Niang, mail : modyniang@arc.sn
généralement au pouvoir ». Ce triste phénomène devient donc pour nous une spécificité, une sorte de marque de fabrique, de marque déposée.
Avec le président Houphouët Boigny, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) a régné sans partage pendant 40 ans, ou presque. Quand il a été déposé en décembre 1999, les grands ténors lui sont restés fidèles, à l’exception notable de Laurent Dona Fologo. De même, quand Laurent Gbagbo a été chassé du pouvoir auquel il s’est accroché de toutes ses forces, aucun des principaux responsables du Front patriotique ivoirien (Fpi) n’a rejoint le président Ouattara. En tout cas pas à ma connaissance. Ils sont, au contraire, restés dignement dans l’opposition, une opposition alors très risquée en Côte d’Ivoire. Chez nous, quand le décret présidentiel et les fonds spéciaux changent de camp, les hommes et les femmes du pouvoir vaincu retournent immédiatement leurs vestes et rejoignent sans vergogne les nouvelles prairies. Il en a été ainsi au lendemain du 19 mars 2000, comme aussitôt après la débâcle du vieux président politicien, le 25 mars 2012.
Aujourd’hui, on trouve autour du président de la république, au gouvernement, à l’Assemblée nationale, dans la diplomatie, à la tête de directions, d’agences, de conseils d’administration et de conseils de surveillance, des sans vergogne qui étaient des wadistes purs et durs pendant tout le temps que les prairies étaient bleues. Des hommes et des femmes sans foi ni loi, qui ont tiré sans ménagement sur Macky Sall pendant toute sa traversée du désert. Au soir du 25 février 2012, quand tout indiquait qu’il serait le quatrième président de la République du Sénégal, la plupart d’entre eux ont vite fait de montrer leurs bonnes dispositions à son égard. Ces tristes individus, qui ont tout mis en œuvre pour faire réélire le vieux président politicien pour la deuxième fois, n’ont eu aucune peine à envahir le nouvel espace présidentiel.
Aujourd’hui, d’anciens responsables de Réew mi cherchent des poux à Idrissa Seck pour justifier leur rupture avec lui. Tout le monde sait que je ne suis pas très ami au Maire de Thiès. Force est de reconnaître, cependant, que sans lui, Papa Diouf et Oumar Guèye ne seraient jamais ministres dans le gouvernement du président Macky Sall. Aujourd’hui, ils ont tourné sans état d’âme le dos à leur ancien mentor, crient haut et fort leur enracinement dans le camp présidentiel, avec pour seule préoccupation désormais, de sauvegarder leurs maroquins. Pour raccourcir leur chemin vers l’Apr, ils ont créé chacun un mouvement de circonstance.
Voilà où nous en sommes au Sénégal, avec des hommes et des femmes, tristes individus, qui ont perdu tout sens de l’honneur et de la dignité. Des hommes et des femmes qui, comme poussés par une force invisible, courent inlassablement derrière le lucre et sont de tous les râteliers.
Dans une excellente contribution publiée au journal « Le Quotidien » du samedi 27 novembre 2004, un nommé Mor Diop cloue au pilori trois d’entre eux, et pas des moindres. M. Diop évoque alors un adage russe selon lequel, « avec une colonne vertébrale solide, on ne saurait conquérir les hauts postes ». « Le triplet maudit de la politique sénégalaise » (c’est ainsi qu’il appelle les trois compères) a vite fait de comprendre cet adage russe et de se retrouver « avec une colonne vertébrale molle et souple pouvant faire des courbettes à l’odeur d’un quelconque avantage ». Après avoir traité ces trois gros transhumants de « professionnels de la trahison », il les crucifie par ces mots terribles et mérités : « (…) Ils se reconnaissent en ces trois caractéristiques : leur langue contredit leur cœur, leur cœur contredit leurs actes et leur apparence leur for intérieur. » M. Diop conclut son sévère et justifié réquisitoire en ces termes : « Le pire des hommes est celui qui présente deux visages et tient un double langage. »
Nombre de nos compatriotes présentent, non pas seulement deux visages, mais bien plusieurs et tiennent plus qu’un double langage. Leurs visages et leurs langages dépendent des circonstances et de leurs variations, de la direction du vent du pouvoir et de ses honneurs. C’est pourquoi ils sont détestables, si détestables qu’un ami, au détour d’une conversation animée, n’a pas hésité à les comparer à des mbaam xuux (des cochons, des porcs). Cette comparaison pourrait surprendre, peut-être même choquer. Elle est pourtant pertinente, de mon humble point de vue. Comme les mbaam xuux, ces tristes individus suivent leur seul instinct d’assouvir leur faim et leur soif de prébendes. Je suis même tenté de me demander si ce n’est pas faire injure aux premiers que de les comparer aux seconds, qui seraient de la pire des espèces créées par notre Seigneur.
Nous serions donc tous coupables d’accepter le fait accompli de la détestable transhumance, ce cancer dont les métastases rongent tous les secteurs de la vie nationale. Le devoir nous incombe, à nous tous – classe politique, société civile y compris les chefs religieux et les grands notables – de la combattre sans répit. En particulier, le président de la République devrait cesser de l’encourager, de l’entretenir, sous le prétexte de massifier son parti. Les transhumants sont de mauvais chevaux ; ils n’ont jamais permis de gagner une grande bataille électorale. L’ancien président politicien les a usés à la course, sans succès.
Mody Niang, mail : modyniang@arc.sn