L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) compte 55 États et gouvernements membres et 13 observateurs répartis sur les cinq continents, regroupant plus de 800 millions de personnes, soit le tiers des pays du monde et un peu moins de 13% de la population du globe. En outre, selon les statistiques officielles:- l’ensemble francophone représente, aujourd’hui, 18,9 % des exportations et 19 % des importations mondiales ;- les échanges commerciaux entre les pays francophones totalisent près de 700 milliards de Dollars américains (soit le quart de leur commerce mondial total);- les investissements effectués par les pays francophones atteignent 170 milliards de dollars américains (soit 26 % du total des investissements mondiaux).
Il s’agit donc d’un ensemble doté d’un poids majeur dans l’économie mondiale, riche de sa diversité géographique et culturelle, et partageant une langue commune. Malgré tout, les statistiques précitées représentent-elles plus qu’une simple agrégation de données sans fondement économique tangible ? En d’autres termes, est-il vraiment possible de parler d’Espace économique en ce qui concerne les pays francophones ?
Une question d’opportunité se pose aussi. L’OIF doit-elle forcément chercher à mettre au même plan l’intégration économique des pays membres et l’exigence de promotion de la culture francophone?
Mettre en valeur l’apport culturel francophone dans l’ensemble mondial est indiscutablement une haute priorité pour l’OIF, en raison de la richesse du patrimoine francophone, aujourd’hui menacé par la progression fulgurante de l’anglais, en particulier dans les inforoutes, et dont la disparition serait une perte pour la culture mondiale qui doit converger vers une civilisation de l’universel, chère à Senghor, riche de sa diversité, où chaque sensibilité culturelle apporterait dans la calebasse ce qu’elle a de meilleur. L’objectif de construire un espace économique francophone intégré doit-il recevoir la même priorité ? La langue doit-être une variable-clé dans l’insertion dans l’économie désormais mondialisée ? Mettre en avant la langue n’aurait-il que des effets positifs, et ne réduirait-il pas le potentiel de coopération, de commerce et d’attraction d’investissements et de technologies pour les pays en développement qui gagnent à chercher des partenariats tous azimuts ? La Francophonie engendrerait-elle une création de commerce ou un détournement de commerce? Le monde ne réduirait-il pas globalement son potentiel de croissance et de bien-être si, au lieu de s’ouvrir pleinement, chaque espace linguistique chercherait d’abord et avant tout à s’unir économiquement ? Tous les pays ayant rejoint l’OIF (dont un quart seulement de la population parle français) accepteraient-ils unanimement d’accélérer la marche vers l’intégration économique ? Voilà autant de questions qui prouvent la sensibilité de la problématique de la promotion d’un espace économique francophone. Et le tout est de trouver le juste équilibre entre l’urgence de renforcer la dimension économique de la Francophonie et la nécessité de tenir compte des réalités économiques mondiales.
En attendant qu’un débat sur la question soit engagé au niveau le plus élevé de l’Organisation et que des décisions soient prises, il est possible d’esquisser quelques constats et quelques pistes de solutions : 1. Le développement de la dimension économique au sein de la Francophonie se justifie du point de vue de la légalité et de l’efficacité économique;2. L’OIF, sans pouvoir être le moteur du développement des pays membres, pourrait mieux accompagner les réformes et le développement des échanges commerciaux et les investissements entre les acteurs privés.
I. Le développement de la dimension économique au sein de la Francophonie se justifie du point de vue de la légalité et de l’efficacité économique
L’OIF est d’abord et avant tout une organisation politique qui œuvre en faveur de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme dans le monde. Mais, elle a également pour mission, en vertu de la Charte adoptée en 2005, de contribuer au « renforcement de la solidarité entre les pays membres, par des actions de coopération multilatérale, en vue de favoriser l’essor de leurs économies ».
C’est la raison pour laquelle le Cadre stratégique décennal 2005-2014 de l’OIF, adopté lors de Xe Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage, réunie à Ouagadougou au Burkina Faso, les 26 et 27 novembre 2004, indique que « la Francophonie doit agir pour le développement durable, en appuyant, notamment dans les pays du Sud membres de l’Organisation, l’amélioration de la gouvernance économique, le renforcement des capacités, la concertation et la recherche de stratégies communes dans les grandes négociations internationales ». Cette solidarité entre pays membres est un principe fondateur de la communauté francophone, en raison de la diversité des situations de ses membres – pays moins avancés, pays pauvres très endettés, petits États insulaires en développement, pays enclavés. Elle s’impose d’autant plus que les populations dont la langue maternelle n’est pas le français, et qui proviennent de presque tous les pays membres de l’OIF autres que la France, le Canada, la Belgique et la Suisse, n’ont a priori aucune raison de faire de la défense de la langue française un impératif de long terme. La promotion de leur propre langue et de leur propre culture nationale étant, en principe, leur priorité absolue. Le refus de l’Algérie de se joindre à l’OIF, exacerbé par les péripéties historiques vécues entre ce pays et la France, s’explique ainsi.
Il s’y ajoute que dans la plupart des pays francophones africains, les jeunes parlent, en dehors du français, plusieurs autres langues étrangères. Personnellement, je pratique l’anglais et l’arabe, et possède quelques connaissances en allemand. D’autres jeunes sénégalais parlent chinois, japonais, italien ou espagnol. Comment donc les convaincre que leur horizon réside forcément dans l’ensemble francophone, si l’on ne leur propose pas un agenda conforme aux objectifs de développement de leur pays et à leur ambition de réussite personnelle ?Le jeune originaire du Québec, de la France, de la Wallonie ou de la Suisse romande ne se pose pas cette problématique, car pour lui la défense du français procède d’une question de survie identitaire. Pour que les populations africaines, asiatiques ou de l’Europe centrale et orientale s’identifient, sans contrainte et de manière enthousiaste, à l’espace francophone, il y faut donc plus que la promotion du patrimoine culturel et linguistique francophone, en faisant de celui-ci-ci un levier de croissance économique et de développement durable et solidaire. Très clairement donc la francophonie économique possède un fondement légal et légitime à la fois. C’est ce qui fait dire à son Secrétaire général de la Francophonie, le président Abdou Diouf, que «la Francophonie est dans son rôle lorsqu’elle s’occupe de l’économie».
Mais, tout en étant juridiquement et politiquement fondée, la francophonie économique en serait-elle pour autant justifiée du point de vue de l’efficacité économique. Plusieurs considérations permettent de répondre par l’affirmative.D’abord, la diversité géographique des pays membres de l’OIF est un facteur de compétitivité internationale dans le nouvel environnement de la mondialisation. Car elle développe la curiosité et pousse à rechercher une meilleure connaissance des marchés régionaux qui sont en train de se constituer dans toutes les sphères du globe.
Ensuite, un pays francophone donné, exploitant opportunément les affinités dérivées du partage d’une langue et de l’appartenance à une organisation internationale commune, possède à priori, dans un autre pays francophone, toutes choses égales par ailleurs, un avantage compétitif par rapport à un pays tiers non francophone, dans la concurrence pour l’accès au commerce et à l’investissement.
Au surplus, l’augmentation des possibilités de commerce et d’investissement (y compris dans les téléservices), que génère potentiellement l’appartenance à l’ensemble francophone, améliore le bien-être des pays du Sud (qui peuvent capter des technologiques nouvelles et des délocalisations d’entreprises) comme des pays du Nord membres de la Francophonie (qui s’ouvrent ainsi des opportunités d’exportation de biens et services).
De surcroît, la présence, au sein de l’OIF, de pays très avancés ou à revenu intermédiaire joue le rôle d’ancrage et exerce un effet positif sur l’amélioration de la gouvernance économique des pays moins développés qui, bon gré malgré, sont influencés par la diffusion des expériences et pratiques en vigueur chez les premiers.
Enfin, la diversité des pays membres de l’OIF prépare leurs citoyens à mieux tenir compte des relations inter-culturelles lorsqu’ils font des affaires avec le reste du monde. De ce fait, elle favorise, à travers les échanges économiques, une meilleure compréhension et un meilleur respect entre les peuples du monde, ainsi qu’un meilleur humanisme.
Au total donc, l’appartenance à la Francophonie confère un certain avantage, dans le contexte de la mondialisation. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’attractivité qu’exerce l’OIF auprès des nombreux de pays qui veulent la rejoindre.
Reste à savoir comment exploiter et optimiser cet avantage potentiel de l’espace économique francophone. C’est l’objet des développements qui suivent.
II. L’OIF, sans pouvoir être le moteur du développement des pays membres, pourrait mieux accompagner les réformes et le développement des échanges commerciaux et les investissements entre les acteurs privés
Comment donc optimiser l’espace économique francophone en puissance ?
D’abord un constat. Aujourd’hui beaucoup parmi les pays membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) continuent d’être comptés aujourd’hui parmi les pays pauvres. En Afrique, en particulier, la croissance amorce, certes, une tendance haussière depuis quelques années, dépassant 5% par an en moyenne, grâce aux progrès enregistrés dans la mise en œuvre des réformes, couplés, dans certains cas, avec l’exploitation des ressources pétrolières.
Cependant, le niveau de croissance demeure encore insuffisant pour permettre à la plupart des pays d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement fixés pour 2015. Cette situation découle de plusieurs handicaps structurels : mauvaise spécialisation internationale, faible productivité, infrastructures physiques inappropriées, absence d’entrepreneurs et d’un secteur privé performant.
Relever ce défi de la pauvreté et du sous-développement est devenu une nécessité, pour permettre aux pays membres de la Francophonie de bénéficier des opportunités nouvelles qu’offre la mondialisation.
L’OIF doit non seulement travailler à comprendre la cause des difficultés vécues par plusieurs de ses pays membres, mais aussi apporter son appui pour leur prise effective, à travers la bonne gouvernance et la promotion des opportunités offertes par l’Espace économique que constituent potentiellement les pays francophones.
Le document de Cadre stratégique de l’OIF a bien pris en compte cet impératif en insistant toutefois sur le rôle propre des États qui doivent chercher à « rendre compatibles leur intégration à l’économie mondiale et la lutte efficace contre la pauvreté, élément de leur stratégie nationale de développement durable ». En d’autres termes, la Francophonie institutionnelle doit certes accompagner le développement des pays membres, mais elle ne peut en être le moteur. Car la complexité des chantiers de l’émergence de la pauvreté fait que leur pilotage est rendu plus efficace si les pays déclinent eux même leur propre vision et leurs propres stratégies articulées avec des plans d’actions appropriés, et, surtout, s’évertuent à être des champions de la réforme qui sachent convaincre leurs populations de soutenir les projets de réforme. Pour sa part, la Francophonie peut et doit agir à plusieurs niveaux :
- Promouvoir la bonne gouvernance et les bonnes pratiques ;
- Soutenir les partenariats d’affaires et l’insertion des pays pauvres dans l’économie mondiale ;
- Appuyer le financement d’initiatives de développement ;
- Contribuer au développement de l’entreprenariat au sein de la Francophonie.
Premièrement, l’OIF doit faire un vrai plaidoyer pour la réforme et pour la bonne gouvernance politique et économique qui constitue le préalable et la première étape de la marche vers l’émergence et le développement. Partageant des valeurs fortes, ancrées sur un passé commun et sur une langue qui facilite le dialogue mutuel et l’esprit de camaraderie, les pays francophones devraient mettre en place un processus de Revue entre les Pairs en matière de gouvernance politique, de démocratie et de respect des droits de l’Homme. Ceci viendrait compléter le travail déjà notable effectué par l’OIF à travers les missions de paix et d’observation des élections. La conclusion d’un partenariat entre l’OIF et l’Institut africain de la Gouvernance, récemment créé, est également à recommander.
Dans le domaine de la gouvernance économique, la promotion de la lutte contre la corruption, sous toutes ses formes, la modernisation et la rationalisation du droit des affaires, la simplification des procédures administratives, doivent, entre autres chantiers, recevoir l’attention de l’OIF. Le soutien apporté à l’OHADA trouve là tout son intérêt.
L’OIF pourrait également bâtir des indicateurs de gouvernance, exploitant les multiples données déjà disponibles dans les autres institutions internationales (ex : Doing Business, Indice de Gouvernance, Indice de Compétitivité Globale de l’IMD, etc.) comparant les différents pays de l’Organisation et les autres pays du monde, publier un classement annuel des pays francophones et appuyer les pays à améliorer leurs performances.
Le second axe d’intervention potentiel de la Francophonie institutionnelle, c’est le soutien des partenariats d’affaires et des efforts d’insertion des pays pauvres dans l’économie mondiale. Présentement, l’OIF, en collaboration avec ses partenaires comme privés comme le Réseau des Chambres Consulaires francophones, déploie plusieurs programmes qui méritent d’être consolidés et renforcés.
Le programme de mise en place d’une plate-forme d’experts en négociations d’accords de partenariat économique (ACP/UE) et l’accompagnement des efforts de développement du commerce et de l’investissement des organisations régionales (telles que la CEMAC, l’UEMOA, la COI et la CEDEAO) méritent d’être poursuivis, en y associant davantage les milieux d’affaires.
En sus, la Francophonie pourrait considérer les actions supplémentaires ci-après :
- L’organisation d’une foire commerciale de la Francophonie, une fois tous les deux ans, en marge de la Francophonie, afin de faire du Sommet l’affaire du secteur privé. La RIFE pourrait être institutionnalisée et se tenir en même temps que la Foire. Des prix de l’innovation en entreprenariat dans l’espace francophone pourraient être distribués à la même occasion ;- La rationalisation du site web www.espace-economique-francophone.com pour y inclure une base de données des exportateurs francophones, organisés selon les secteurs et les groupes de produits, et une base sur les opportunités commerciales et d’investissement dans les pays francophones;- La refonte de l’action d’appui aux marchés publics internationaux, en effectuant la collecte, la traduction et la publication sur le site www.espace-economique-francophone.com des principaux appels d’offres lancés dans les différents pays du monde ;- La transformation de la Direction du Développement durable et de la Solidarité de l’OIF en un Institut francophone du Développement économique chargé de piloter la dimension économique de la Francophonie et doté de moyens conséquents;- La publication annuelle d’un annuaire statistique de la Francophonie, incluant des données macroéconomiques et des chiffres clés concernant les échanges économiques des pays membres ;- La création d’un grand marché francophone du travail, favorisant, de manière équilibrée, la mobilité des experts et cadres dans l’espace francophone;- La consécration officielle du rôle des Chambres consulaires dans l’animation du réseau des gens d’affaires francophones et dans la jonction avec la Francophonie institutionnelle. Ceci permettra d’éviter la cacophonie dans la mobilisation du secteur privé francophone.
En matière de financement innovant et de développement de l’entreprenariat, l’OIF pourrait créer un Fonds francophone de l’entreprenariat, abondé par les Etats membres et par le secteur privé, et dont la gestion serait confiée, après appel d’offres, à une structure privée, selon un cahier de charges défini au préalable. Ce fonds pourrait notamment refinancer les institutions de micro-finance des pays pauvres et prendre des participations, sous forme de capital investissement, dans quelques projets innovants et porteurs.
Dans le domaine du renforcement des capacités, il faudrait étudier les moyens de démultiplier les modules de l’Institut Francophone de l’Entreprenariat au sein même des pays membres, en signant des protocoles avec des écoles et universités locales.
L’ensemble de ces idées et d’autres encore pourraient être approfondies par l’OIF, dans le cadre d’un travail d’élaboration d’un Livre blanc sur la Francophonie économique, en gardant scrupuleusement à l’esprit les cinq principes directeurs qui guident l’Organisation dans le choix de ses priorités et de ses actions : la subsidiarité, l’intégration, la pertinence, le partenariat et la mesurabilité.
Il s’agit donc d’un ensemble doté d’un poids majeur dans l’économie mondiale, riche de sa diversité géographique et culturelle, et partageant une langue commune. Malgré tout, les statistiques précitées représentent-elles plus qu’une simple agrégation de données sans fondement économique tangible ? En d’autres termes, est-il vraiment possible de parler d’Espace économique en ce qui concerne les pays francophones ?
Une question d’opportunité se pose aussi. L’OIF doit-elle forcément chercher à mettre au même plan l’intégration économique des pays membres et l’exigence de promotion de la culture francophone?
Mettre en valeur l’apport culturel francophone dans l’ensemble mondial est indiscutablement une haute priorité pour l’OIF, en raison de la richesse du patrimoine francophone, aujourd’hui menacé par la progression fulgurante de l’anglais, en particulier dans les inforoutes, et dont la disparition serait une perte pour la culture mondiale qui doit converger vers une civilisation de l’universel, chère à Senghor, riche de sa diversité, où chaque sensibilité culturelle apporterait dans la calebasse ce qu’elle a de meilleur. L’objectif de construire un espace économique francophone intégré doit-il recevoir la même priorité ? La langue doit-être une variable-clé dans l’insertion dans l’économie désormais mondialisée ? Mettre en avant la langue n’aurait-il que des effets positifs, et ne réduirait-il pas le potentiel de coopération, de commerce et d’attraction d’investissements et de technologies pour les pays en développement qui gagnent à chercher des partenariats tous azimuts ? La Francophonie engendrerait-elle une création de commerce ou un détournement de commerce? Le monde ne réduirait-il pas globalement son potentiel de croissance et de bien-être si, au lieu de s’ouvrir pleinement, chaque espace linguistique chercherait d’abord et avant tout à s’unir économiquement ? Tous les pays ayant rejoint l’OIF (dont un quart seulement de la population parle français) accepteraient-ils unanimement d’accélérer la marche vers l’intégration économique ? Voilà autant de questions qui prouvent la sensibilité de la problématique de la promotion d’un espace économique francophone. Et le tout est de trouver le juste équilibre entre l’urgence de renforcer la dimension économique de la Francophonie et la nécessité de tenir compte des réalités économiques mondiales.
En attendant qu’un débat sur la question soit engagé au niveau le plus élevé de l’Organisation et que des décisions soient prises, il est possible d’esquisser quelques constats et quelques pistes de solutions : 1. Le développement de la dimension économique au sein de la Francophonie se justifie du point de vue de la légalité et de l’efficacité économique;2. L’OIF, sans pouvoir être le moteur du développement des pays membres, pourrait mieux accompagner les réformes et le développement des échanges commerciaux et les investissements entre les acteurs privés.
I. Le développement de la dimension économique au sein de la Francophonie se justifie du point de vue de la légalité et de l’efficacité économique
L’OIF est d’abord et avant tout une organisation politique qui œuvre en faveur de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme dans le monde. Mais, elle a également pour mission, en vertu de la Charte adoptée en 2005, de contribuer au « renforcement de la solidarité entre les pays membres, par des actions de coopération multilatérale, en vue de favoriser l’essor de leurs économies ».
C’est la raison pour laquelle le Cadre stratégique décennal 2005-2014 de l’OIF, adopté lors de Xe Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement des pays ayant le français en partage, réunie à Ouagadougou au Burkina Faso, les 26 et 27 novembre 2004, indique que « la Francophonie doit agir pour le développement durable, en appuyant, notamment dans les pays du Sud membres de l’Organisation, l’amélioration de la gouvernance économique, le renforcement des capacités, la concertation et la recherche de stratégies communes dans les grandes négociations internationales ». Cette solidarité entre pays membres est un principe fondateur de la communauté francophone, en raison de la diversité des situations de ses membres – pays moins avancés, pays pauvres très endettés, petits États insulaires en développement, pays enclavés. Elle s’impose d’autant plus que les populations dont la langue maternelle n’est pas le français, et qui proviennent de presque tous les pays membres de l’OIF autres que la France, le Canada, la Belgique et la Suisse, n’ont a priori aucune raison de faire de la défense de la langue française un impératif de long terme. La promotion de leur propre langue et de leur propre culture nationale étant, en principe, leur priorité absolue. Le refus de l’Algérie de se joindre à l’OIF, exacerbé par les péripéties historiques vécues entre ce pays et la France, s’explique ainsi.
Il s’y ajoute que dans la plupart des pays francophones africains, les jeunes parlent, en dehors du français, plusieurs autres langues étrangères. Personnellement, je pratique l’anglais et l’arabe, et possède quelques connaissances en allemand. D’autres jeunes sénégalais parlent chinois, japonais, italien ou espagnol. Comment donc les convaincre que leur horizon réside forcément dans l’ensemble francophone, si l’on ne leur propose pas un agenda conforme aux objectifs de développement de leur pays et à leur ambition de réussite personnelle ?Le jeune originaire du Québec, de la France, de la Wallonie ou de la Suisse romande ne se pose pas cette problématique, car pour lui la défense du français procède d’une question de survie identitaire. Pour que les populations africaines, asiatiques ou de l’Europe centrale et orientale s’identifient, sans contrainte et de manière enthousiaste, à l’espace francophone, il y faut donc plus que la promotion du patrimoine culturel et linguistique francophone, en faisant de celui-ci-ci un levier de croissance économique et de développement durable et solidaire. Très clairement donc la francophonie économique possède un fondement légal et légitime à la fois. C’est ce qui fait dire à son Secrétaire général de la Francophonie, le président Abdou Diouf, que «la Francophonie est dans son rôle lorsqu’elle s’occupe de l’économie».
Mais, tout en étant juridiquement et politiquement fondée, la francophonie économique en serait-elle pour autant justifiée du point de vue de l’efficacité économique. Plusieurs considérations permettent de répondre par l’affirmative.D’abord, la diversité géographique des pays membres de l’OIF est un facteur de compétitivité internationale dans le nouvel environnement de la mondialisation. Car elle développe la curiosité et pousse à rechercher une meilleure connaissance des marchés régionaux qui sont en train de se constituer dans toutes les sphères du globe.
Ensuite, un pays francophone donné, exploitant opportunément les affinités dérivées du partage d’une langue et de l’appartenance à une organisation internationale commune, possède à priori, dans un autre pays francophone, toutes choses égales par ailleurs, un avantage compétitif par rapport à un pays tiers non francophone, dans la concurrence pour l’accès au commerce et à l’investissement.
Au surplus, l’augmentation des possibilités de commerce et d’investissement (y compris dans les téléservices), que génère potentiellement l’appartenance à l’ensemble francophone, améliore le bien-être des pays du Sud (qui peuvent capter des technologiques nouvelles et des délocalisations d’entreprises) comme des pays du Nord membres de la Francophonie (qui s’ouvrent ainsi des opportunités d’exportation de biens et services).
De surcroît, la présence, au sein de l’OIF, de pays très avancés ou à revenu intermédiaire joue le rôle d’ancrage et exerce un effet positif sur l’amélioration de la gouvernance économique des pays moins développés qui, bon gré malgré, sont influencés par la diffusion des expériences et pratiques en vigueur chez les premiers.
Enfin, la diversité des pays membres de l’OIF prépare leurs citoyens à mieux tenir compte des relations inter-culturelles lorsqu’ils font des affaires avec le reste du monde. De ce fait, elle favorise, à travers les échanges économiques, une meilleure compréhension et un meilleur respect entre les peuples du monde, ainsi qu’un meilleur humanisme.
Au total donc, l’appartenance à la Francophonie confère un certain avantage, dans le contexte de la mondialisation. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’attractivité qu’exerce l’OIF auprès des nombreux de pays qui veulent la rejoindre.
Reste à savoir comment exploiter et optimiser cet avantage potentiel de l’espace économique francophone. C’est l’objet des développements qui suivent.
II. L’OIF, sans pouvoir être le moteur du développement des pays membres, pourrait mieux accompagner les réformes et le développement des échanges commerciaux et les investissements entre les acteurs privés
Comment donc optimiser l’espace économique francophone en puissance ?
D’abord un constat. Aujourd’hui beaucoup parmi les pays membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) continuent d’être comptés aujourd’hui parmi les pays pauvres. En Afrique, en particulier, la croissance amorce, certes, une tendance haussière depuis quelques années, dépassant 5% par an en moyenne, grâce aux progrès enregistrés dans la mise en œuvre des réformes, couplés, dans certains cas, avec l’exploitation des ressources pétrolières.
Cependant, le niveau de croissance demeure encore insuffisant pour permettre à la plupart des pays d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement fixés pour 2015. Cette situation découle de plusieurs handicaps structurels : mauvaise spécialisation internationale, faible productivité, infrastructures physiques inappropriées, absence d’entrepreneurs et d’un secteur privé performant.
Relever ce défi de la pauvreté et du sous-développement est devenu une nécessité, pour permettre aux pays membres de la Francophonie de bénéficier des opportunités nouvelles qu’offre la mondialisation.
L’OIF doit non seulement travailler à comprendre la cause des difficultés vécues par plusieurs de ses pays membres, mais aussi apporter son appui pour leur prise effective, à travers la bonne gouvernance et la promotion des opportunités offertes par l’Espace économique que constituent potentiellement les pays francophones.
Le document de Cadre stratégique de l’OIF a bien pris en compte cet impératif en insistant toutefois sur le rôle propre des États qui doivent chercher à « rendre compatibles leur intégration à l’économie mondiale et la lutte efficace contre la pauvreté, élément de leur stratégie nationale de développement durable ». En d’autres termes, la Francophonie institutionnelle doit certes accompagner le développement des pays membres, mais elle ne peut en être le moteur. Car la complexité des chantiers de l’émergence de la pauvreté fait que leur pilotage est rendu plus efficace si les pays déclinent eux même leur propre vision et leurs propres stratégies articulées avec des plans d’actions appropriés, et, surtout, s’évertuent à être des champions de la réforme qui sachent convaincre leurs populations de soutenir les projets de réforme. Pour sa part, la Francophonie peut et doit agir à plusieurs niveaux :
- Promouvoir la bonne gouvernance et les bonnes pratiques ;
- Soutenir les partenariats d’affaires et l’insertion des pays pauvres dans l’économie mondiale ;
- Appuyer le financement d’initiatives de développement ;
- Contribuer au développement de l’entreprenariat au sein de la Francophonie.
Premièrement, l’OIF doit faire un vrai plaidoyer pour la réforme et pour la bonne gouvernance politique et économique qui constitue le préalable et la première étape de la marche vers l’émergence et le développement. Partageant des valeurs fortes, ancrées sur un passé commun et sur une langue qui facilite le dialogue mutuel et l’esprit de camaraderie, les pays francophones devraient mettre en place un processus de Revue entre les Pairs en matière de gouvernance politique, de démocratie et de respect des droits de l’Homme. Ceci viendrait compléter le travail déjà notable effectué par l’OIF à travers les missions de paix et d’observation des élections. La conclusion d’un partenariat entre l’OIF et l’Institut africain de la Gouvernance, récemment créé, est également à recommander.
Dans le domaine de la gouvernance économique, la promotion de la lutte contre la corruption, sous toutes ses formes, la modernisation et la rationalisation du droit des affaires, la simplification des procédures administratives, doivent, entre autres chantiers, recevoir l’attention de l’OIF. Le soutien apporté à l’OHADA trouve là tout son intérêt.
L’OIF pourrait également bâtir des indicateurs de gouvernance, exploitant les multiples données déjà disponibles dans les autres institutions internationales (ex : Doing Business, Indice de Gouvernance, Indice de Compétitivité Globale de l’IMD, etc.) comparant les différents pays de l’Organisation et les autres pays du monde, publier un classement annuel des pays francophones et appuyer les pays à améliorer leurs performances.
Le second axe d’intervention potentiel de la Francophonie institutionnelle, c’est le soutien des partenariats d’affaires et des efforts d’insertion des pays pauvres dans l’économie mondiale. Présentement, l’OIF, en collaboration avec ses partenaires comme privés comme le Réseau des Chambres Consulaires francophones, déploie plusieurs programmes qui méritent d’être consolidés et renforcés.
Le programme de mise en place d’une plate-forme d’experts en négociations d’accords de partenariat économique (ACP/UE) et l’accompagnement des efforts de développement du commerce et de l’investissement des organisations régionales (telles que la CEMAC, l’UEMOA, la COI et la CEDEAO) méritent d’être poursuivis, en y associant davantage les milieux d’affaires.
En sus, la Francophonie pourrait considérer les actions supplémentaires ci-après :
- L’organisation d’une foire commerciale de la Francophonie, une fois tous les deux ans, en marge de la Francophonie, afin de faire du Sommet l’affaire du secteur privé. La RIFE pourrait être institutionnalisée et se tenir en même temps que la Foire. Des prix de l’innovation en entreprenariat dans l’espace francophone pourraient être distribués à la même occasion ;- La rationalisation du site web www.espace-economique-francophone.com pour y inclure une base de données des exportateurs francophones, organisés selon les secteurs et les groupes de produits, et une base sur les opportunités commerciales et d’investissement dans les pays francophones;- La refonte de l’action d’appui aux marchés publics internationaux, en effectuant la collecte, la traduction et la publication sur le site www.espace-economique-francophone.com des principaux appels d’offres lancés dans les différents pays du monde ;- La transformation de la Direction du Développement durable et de la Solidarité de l’OIF en un Institut francophone du Développement économique chargé de piloter la dimension économique de la Francophonie et doté de moyens conséquents;- La publication annuelle d’un annuaire statistique de la Francophonie, incluant des données macroéconomiques et des chiffres clés concernant les échanges économiques des pays membres ;- La création d’un grand marché francophone du travail, favorisant, de manière équilibrée, la mobilité des experts et cadres dans l’espace francophone;- La consécration officielle du rôle des Chambres consulaires dans l’animation du réseau des gens d’affaires francophones et dans la jonction avec la Francophonie institutionnelle. Ceci permettra d’éviter la cacophonie dans la mobilisation du secteur privé francophone.
En matière de financement innovant et de développement de l’entreprenariat, l’OIF pourrait créer un Fonds francophone de l’entreprenariat, abondé par les Etats membres et par le secteur privé, et dont la gestion serait confiée, après appel d’offres, à une structure privée, selon un cahier de charges défini au préalable. Ce fonds pourrait notamment refinancer les institutions de micro-finance des pays pauvres et prendre des participations, sous forme de capital investissement, dans quelques projets innovants et porteurs.
Dans le domaine du renforcement des capacités, il faudrait étudier les moyens de démultiplier les modules de l’Institut Francophone de l’Entreprenariat au sein même des pays membres, en signant des protocoles avec des écoles et universités locales.
L’ensemble de ces idées et d’autres encore pourraient être approfondies par l’OIF, dans le cadre d’un travail d’élaboration d’un Livre blanc sur la Francophonie économique, en gardant scrupuleusement à l’esprit les cinq principes directeurs qui guident l’Organisation dans le choix de ses priorités et de ses actions : la subsidiarité, l’intégration, la pertinence, le partenariat et la mesurabilité.