Kim Jong-un a désormais une mère. La propagande nord-coréenne a franchi un nouveau pas dans le culte de la personnalité visant à établir son jeune «leader suprême» en orchestrant celui de sa mère défunte Ko Young-hee, demeurée jusqu'ici sous le boisseau du fait de ses origines sulfureuses. Le régime a diffusé à ses cadres et soldats un documentaire hagiographique de 90 minutes qui installe sur un piédestal cette danseuse d'origine japonaise qui fut le grand amour secret de Kim Jong-il.
Cette vidéo obtenue par le quotidien japonais Mainichi tresse les louanges de la nouvelle «mère de Pyongyang» et dévoile des images inédites de l'enfance du dictateur le plus mystérieux du monde, dont même l'âge reste incertain. On y voit la belle Ko surveillant maternellement le petit dictateur en herbe en train de dessiner sagement. Celle qui mourut en grand secret en 2004 à Paris d'un cancer et dont l'existence fut camouflée rejoint soudain le panthéon des «bonnes mères» du régime, sur les traces Kim Jung-suk, l'épouse attentionnée du fondateur de la dynastie, Kim Il-sung.
L'opération de propagande est délicate, car le pouvoir veut à tout prix camoufler les origines nipponnes de Ko, jugées suspectes. Née à Osaka, la génitrice du «leader suprême» appartenait à cette communauté de Coréens exilée au Japon, l'ennemi historique contre lequel le régime de Kim Il-sung a bâti sa légende. Ces «Japonais» même rentrés au pays sont classés dans la catégorie des traîtres en puissance par ce système totalitaire qui a placé 72 % de sa population dans la catégorie «suspectes», selon une nouvelle étude du Committee for Human Rights in North Korea (HRNK), basé à Washington. Signe de la nervosité du régime, le documentaire a même effacé le nom de Ko rebaptisée Ri Eun-shil. La propagande passe également sous silence les circonstances de sa rencontre avec Kim Jong-il, lorsque gracieuse danseuse du Ballet d'élite de Mansudae, elle tapa dans l'œil du dirigeant marié et devint sa maîtresse avant de lui donner trois enfants. Après la mort de sa rivale, elle devint de fait la «First Lady» de Pyongyang, mais une éphémère tentative pour l'intégrer au culte dynastique au début des années 2000 tourna court.
Légitimité dynastique
«L'invention» de Ko démontre la volonté du pouvoir de consolider rapidement la légitimité dynastique du troisième des Kim aux yeux d'une population qui le connaît mal, six mois seulement après avoir succédé à son père. Ces images complètent la mise en scène d'un jeune héritier jovial et chaleureux, plaisantant avec les simples soldats. Les mensonges n'empêchent pas une dose de vérité. «Ko Young-hee fut une mère très douce et aimante» estime Cheong Seong-chang, fin spécialiste au Sejong Institute, à Séoul. Mais la façon dont ce document réservé aux cadres a pu filtrer hors du «royaume ermite» est un motif d'inquiétude pour le régime, selon le site DailyNK qui travaille avec des sources dans le pays. Cette «fuite» serait le signe que sa grippe totalitaire est entamée par la circulation des informations sous le manteau via la frontière chinoise et la corruption.
Par Sébastien Falletti