Le Code pénal sénégalais prévoit, en application des articles 23 à 27 et 34 notamment, des peines complémentaires de dégradation civique parmi lesquelles, figure la perte du droit de vote et d'éligibilité.
Il en est de même de la déchéance électorale, instituée de manière automatique, générale et indifférenciée, qui est appliquée aux individus condamnés pour des infractions pénales depuis plusieurs décennies[1] et antérieurement même au Code électoral consensuel de 1992. La Loi n°2021‐35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral énumère, en son article L.29, les cas où l'empêchement de l'inscription sur une liste électorale est sans limitation de durée, donc permanent tandis que l'article L.30 cite les cas de perte provisoire du droit de vote pendant un délai de cinq ans, à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive.
Il y a lieu de reconnaître que messieurs Karim M. Wade et Khalifa A. Sall sont dans le cas prévu par l'article L.29-2 du code électoral, qui prévoit une interdiction d'inscription permanente sur les listes électorales à l'égard des condamnés pour un délit passible d'une peine supérieure à cinq (5) ans d'emprisonnement.
Voilà la raison pour laquelle, nous avons affirmé au lendemain de sa condamnation, que K. Wade est devenu inéligible, même si le juge n'avait pas expressément prononcé une peine complémentaire[2] - l'article 35 du Code pénal ne l'y autorisait pas. A l'époque, ses conseillers, en méconnaissance des dispositions du code électoral, avaient soutenu le contraire jusqu’à l’invalidation de sa candidature, en 2019, par le Conseil constitutionnel.
Cette décision découle du rejet de son inscription sur la liste électorale en application de l’article R.43, alinéa 3 qui dispose : « Au cours du traitement des données, les services centraux peuvent rejeter des demandes. Toutefois, ces rejets sont motivés. Une liste de ces rejets accompagnée des motifs est établie...»
Selon l’interprétation du Conseil constitutionnel sénégalais[3], le législateur a voulu, par les dispositions des articles L.29 et L.30 du Code électoral, apporter des aménagements en vue d’assurer une répression effective des infractions. Ce qui, d’après le juge constitutionnel, ne remet nullement en cause le principe d’individualisation des peines, corollaire du principe de nécessité des peines.
Aujourd'hui, le nouvel argumentaire servi par le collectif des avocats de K. Wade, dans leur communiqué en date du 22 juin 2023, consistant à viser l'article L.30 pour en tirer la conclusion que leur client a retrouvé ses droits d'être électeur et éligible depuis août 2020, ne résiste pas à la lecture de L.29 (ancien et nouveau), encore que L.30 limite la durée de la perte du droit de vote à la suite de condamnation légère, allant d’« une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un mois et inférieure ou égale à trois mois ou à une peine d’emprisonnement avec sursis égale ou supérieure à trois mois et inférieure ou égale à six mois, soit pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200.000 FCfa ».
Pour rappel, les Missions d’Audit du Fichier électoral (MAFE)[4] ainsi que la Mission d’Observation de l’Union européenne en 2019[5], tout en se fondant sur les instruments juridiques internationaux, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) en son article 25, avaient recommandé de prévoir une période de retrait du droit de vote proportionnée à la durée de la sentence.
Dès lors, la réforme actée par la commission du dialogue politique en juin 2023 et traduite dans le projet de loi n°12/2023, a une double signification.
En premier lieu, la révision de l'article L.29 du code électoral, dans le sens de limiter la déchéance électorale permanente, permet de se rapprocher des standards internationaux, qui recommandent une proportionnalité entre le délit et la privation du droit de vote. Les nouvelles dispositions indiquent que l'interdiction de l'inscription sur une liste électorale, est de cinq (5) ans après l'expiration de la durée de la peine prononcée.
A l'analyse, si nous considérons ce délai, Karim M. Wade inculpé, placé sous mandat de dépôt et incarcéré le 17 avril 2013 et condamné pour 6 ans, devrait voir son droit de vote restauré le 16 avril 2024. Quant à Khalifa A. Sall, emprisonné le 7 mars 2017, il serait éligible en 2027. A noter que ces deux détenus "politiques" ont bénéficié d'une grâce présidentielle.
Toutefois, cette privation du droit de vote demeure toujours définitive pour les personnes condamnées pour crime, trafic de stupéfiants ou les infractions portant sur les deniers publics. Or, les deux K. ont été condamnés pour des délits à caractère financier : l'un pour "enrichissement illicite", l'autre pour "escroquerie sur fonds publics". Par conséquent, l'article L.29 modifié les écarte toujours de la présidentielle de février 2024.
En second lieu, on peut relever que la plus grande prouesse du dialogue politique, est d'avoir inventé un nouveau mode de restauration du droit de vote en plus de l'amnistie et de la réhabilitation. En effet, l'article L.28-3 nouveau, en prévoyant la grâce comme voie pour recouvrer le droit de vote, rendra, une fois adopté, les sieurs K. Wade et K. Sall éligibles à la présidentielle de 2024.
La seule condition à remplir pour les personnes bénéficiant d’une mesure de grâce, est d'observer « un délai correspondant à la durée de la peine prononcée par la juridiction de jugement s’il s’agit d’une peine d’emprisonnement ou d’une durée de trois (03) ans à compter de la date de la grâce s’il s’agit d’une condamnation à une peine d’amende». De ce fait, K. Wade a fini d’observer ce délai depuis le 16 avril 2019 et, K. Sall, le 6 mars 2022.
A la lumière de ce qui précède, la réforme quoique consensuelle et salutaire, me laisse perplexe dès lors que la personne qui purge la totalité de sa peine, devra encore attendre cinq (5) ans avant de pouvoir s'inscrire sur une liste électorale, alors que celui qui bénéficie d'une grâce recouvre son droit de vote dès l'expiration de la peine prononcée. En tout état de cause, il me semble judicieux d'aller vers l’articulation et l’harmonisation entre les nouvelles dispositions de L.29 et celles de L.30 relativement à la déchéance électorale temporaire.
Il convient d'admettre que notre code électoral établit un lien étroit entre le droit vote et l'éligibilité, au vu de la Constitution en son article 3, dernier alinéa qui énonce : « Tous les nationaux sénégalais des deux sexes, âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi » et du code électoral en son article L.27, ainsi que de L.120-2 qui dispose que la candidature à la présidence de la République, doit comporter « la mention que le candidat est de nationalité sénégalaise et qu’il jouit de ses droits civils et de ses droits politiques, conformément aux dispositions du titre premier du Code électoral ». Au surplus, l’article L.57 dispose que : « Tout Sénégalais électeur peut faire acte de candidature et être élu, sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi».
Au regard des normes internationales qui protègent le droit de vote en tant que droit fondamental, tel qu’il ressort de l’Observation générale n°25 §14 du Comité des Droits de l'Homme des Nations Unies : « Si le fait d’avoir été condamné pour une infraction, est un motif de privation du droit de vote, la période pendant laquelle l’interdiction s’applique devrait être en rapport avec l’infraction et la sentence».
C’est dans cet esprit que nous avons préconisé, dans une récente contribution[6], la modification de L.28-3 dans le sens d'autoriser aux individus, ayant purgé leurs peines prononcées en application du code pénal, de s'inscrire sur une liste électorale. D’où l’impérieuse nécessité d’harmoniser les dispositions du code électoral avec celles du code pénal.
Sous ce rapport, le Sénégal gagnerait à mieux détacher l’éligibilité du droit de vote. Dans cette optique, l’exercice de certaines fonctions prééminentes ou mandats, peut être soumis à des conditions plus rigoureuses d’éligibilité comme celles relatives à l’élection des députés et édictées par l’article LO.16O, alinéa 2 : « Les individus dont la condamnation empêche temporairement l’inscription sur une liste électorale, sont inéligibles pendant une période double de celle durant laquelle ils ne peuvent être inscrits sur la liste électorale».
Le 14 juillet 2023
Ndiaga Sylla, Expert électoral
Président du Dialogue citoyen
Il en est de même de la déchéance électorale, instituée de manière automatique, générale et indifférenciée, qui est appliquée aux individus condamnés pour des infractions pénales depuis plusieurs décennies[1] et antérieurement même au Code électoral consensuel de 1992. La Loi n°2021‐35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral énumère, en son article L.29, les cas où l'empêchement de l'inscription sur une liste électorale est sans limitation de durée, donc permanent tandis que l'article L.30 cite les cas de perte provisoire du droit de vote pendant un délai de cinq ans, à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive.
Il y a lieu de reconnaître que messieurs Karim M. Wade et Khalifa A. Sall sont dans le cas prévu par l'article L.29-2 du code électoral, qui prévoit une interdiction d'inscription permanente sur les listes électorales à l'égard des condamnés pour un délit passible d'une peine supérieure à cinq (5) ans d'emprisonnement.
Voilà la raison pour laquelle, nous avons affirmé au lendemain de sa condamnation, que K. Wade est devenu inéligible, même si le juge n'avait pas expressément prononcé une peine complémentaire[2] - l'article 35 du Code pénal ne l'y autorisait pas. A l'époque, ses conseillers, en méconnaissance des dispositions du code électoral, avaient soutenu le contraire jusqu’à l’invalidation de sa candidature, en 2019, par le Conseil constitutionnel.
Cette décision découle du rejet de son inscription sur la liste électorale en application de l’article R.43, alinéa 3 qui dispose : « Au cours du traitement des données, les services centraux peuvent rejeter des demandes. Toutefois, ces rejets sont motivés. Une liste de ces rejets accompagnée des motifs est établie...»
Selon l’interprétation du Conseil constitutionnel sénégalais[3], le législateur a voulu, par les dispositions des articles L.29 et L.30 du Code électoral, apporter des aménagements en vue d’assurer une répression effective des infractions. Ce qui, d’après le juge constitutionnel, ne remet nullement en cause le principe d’individualisation des peines, corollaire du principe de nécessité des peines.
Aujourd'hui, le nouvel argumentaire servi par le collectif des avocats de K. Wade, dans leur communiqué en date du 22 juin 2023, consistant à viser l'article L.30 pour en tirer la conclusion que leur client a retrouvé ses droits d'être électeur et éligible depuis août 2020, ne résiste pas à la lecture de L.29 (ancien et nouveau), encore que L.30 limite la durée de la perte du droit de vote à la suite de condamnation légère, allant d’« une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un mois et inférieure ou égale à trois mois ou à une peine d’emprisonnement avec sursis égale ou supérieure à trois mois et inférieure ou égale à six mois, soit pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200.000 FCfa ».
Pour rappel, les Missions d’Audit du Fichier électoral (MAFE)[4] ainsi que la Mission d’Observation de l’Union européenne en 2019[5], tout en se fondant sur les instruments juridiques internationaux, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) en son article 25, avaient recommandé de prévoir une période de retrait du droit de vote proportionnée à la durée de la sentence.
Dès lors, la réforme actée par la commission du dialogue politique en juin 2023 et traduite dans le projet de loi n°12/2023, a une double signification.
En premier lieu, la révision de l'article L.29 du code électoral, dans le sens de limiter la déchéance électorale permanente, permet de se rapprocher des standards internationaux, qui recommandent une proportionnalité entre le délit et la privation du droit de vote. Les nouvelles dispositions indiquent que l'interdiction de l'inscription sur une liste électorale, est de cinq (5) ans après l'expiration de la durée de la peine prononcée.
A l'analyse, si nous considérons ce délai, Karim M. Wade inculpé, placé sous mandat de dépôt et incarcéré le 17 avril 2013 et condamné pour 6 ans, devrait voir son droit de vote restauré le 16 avril 2024. Quant à Khalifa A. Sall, emprisonné le 7 mars 2017, il serait éligible en 2027. A noter que ces deux détenus "politiques" ont bénéficié d'une grâce présidentielle.
Toutefois, cette privation du droit de vote demeure toujours définitive pour les personnes condamnées pour crime, trafic de stupéfiants ou les infractions portant sur les deniers publics. Or, les deux K. ont été condamnés pour des délits à caractère financier : l'un pour "enrichissement illicite", l'autre pour "escroquerie sur fonds publics". Par conséquent, l'article L.29 modifié les écarte toujours de la présidentielle de février 2024.
En second lieu, on peut relever que la plus grande prouesse du dialogue politique, est d'avoir inventé un nouveau mode de restauration du droit de vote en plus de l'amnistie et de la réhabilitation. En effet, l'article L.28-3 nouveau, en prévoyant la grâce comme voie pour recouvrer le droit de vote, rendra, une fois adopté, les sieurs K. Wade et K. Sall éligibles à la présidentielle de 2024.
La seule condition à remplir pour les personnes bénéficiant d’une mesure de grâce, est d'observer « un délai correspondant à la durée de la peine prononcée par la juridiction de jugement s’il s’agit d’une peine d’emprisonnement ou d’une durée de trois (03) ans à compter de la date de la grâce s’il s’agit d’une condamnation à une peine d’amende». De ce fait, K. Wade a fini d’observer ce délai depuis le 16 avril 2019 et, K. Sall, le 6 mars 2022.
A la lumière de ce qui précède, la réforme quoique consensuelle et salutaire, me laisse perplexe dès lors que la personne qui purge la totalité de sa peine, devra encore attendre cinq (5) ans avant de pouvoir s'inscrire sur une liste électorale, alors que celui qui bénéficie d'une grâce recouvre son droit de vote dès l'expiration de la peine prononcée. En tout état de cause, il me semble judicieux d'aller vers l’articulation et l’harmonisation entre les nouvelles dispositions de L.29 et celles de L.30 relativement à la déchéance électorale temporaire.
Il convient d'admettre que notre code électoral établit un lien étroit entre le droit vote et l'éligibilité, au vu de la Constitution en son article 3, dernier alinéa qui énonce : « Tous les nationaux sénégalais des deux sexes, âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi » et du code électoral en son article L.27, ainsi que de L.120-2 qui dispose que la candidature à la présidence de la République, doit comporter « la mention que le candidat est de nationalité sénégalaise et qu’il jouit de ses droits civils et de ses droits politiques, conformément aux dispositions du titre premier du Code électoral ». Au surplus, l’article L.57 dispose que : « Tout Sénégalais électeur peut faire acte de candidature et être élu, sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi».
Au regard des normes internationales qui protègent le droit de vote en tant que droit fondamental, tel qu’il ressort de l’Observation générale n°25 §14 du Comité des Droits de l'Homme des Nations Unies : « Si le fait d’avoir été condamné pour une infraction, est un motif de privation du droit de vote, la période pendant laquelle l’interdiction s’applique devrait être en rapport avec l’infraction et la sentence».
C’est dans cet esprit que nous avons préconisé, dans une récente contribution[6], la modification de L.28-3 dans le sens d'autoriser aux individus, ayant purgé leurs peines prononcées en application du code pénal, de s'inscrire sur une liste électorale. D’où l’impérieuse nécessité d’harmoniser les dispositions du code électoral avec celles du code pénal.
Sous ce rapport, le Sénégal gagnerait à mieux détacher l’éligibilité du droit de vote. Dans cette optique, l’exercice de certaines fonctions prééminentes ou mandats, peut être soumis à des conditions plus rigoureuses d’éligibilité comme celles relatives à l’élection des députés et édictées par l’article LO.16O, alinéa 2 : « Les individus dont la condamnation empêche temporairement l’inscription sur une liste électorale, sont inéligibles pendant une période double de celle durant laquelle ils ne peuvent être inscrits sur la liste électorale».
Le 14 juillet 2023
Ndiaga Sylla, Expert électoral
Président du Dialogue citoyen