C'est un drapeau écrit blanc sur noir. Celui de l'United States of salafistes. On le voit de plus en plus: du Sahel et jusque sur les ambassades américaines en Tunisie ou ailleurs. Ce drapeau désigne paradoxalement un pays à venir selon les idées d'un pays révolu.
Ce drapeau fait aussi dans le remake: il a ses martyrs, fait sa guerre de libération, a son hymne (l'Adhan), ses ennemis, ses otages, sa vision du monde aveugle et ses foules. Il vise cependant un peu plus que les décolonisations: la terre entière, convertie en une mosquée totale face à l'Eglise totale qui veut gouverner la terre entière, selon lui.
Passons, car ce n'est pas le sujet du jour mais le sujet du siècle. La question du jour est celle qui étonne les Algériens et le reste du monde: pourquoi en Algérie il n'y pas eu de manifestations salafistes violentes contre le film L'innocence des musulmans?
Des réponses sont en circuit: la première veut que cela soit à cause de la police algérienne. Elle est rodée, sait contenir les manifestations, même celles organisées dans la tête, possède vingt ans d'expérience dans la gestion des foules et des vastes ronds-points et a le fichier le plus long au monde de ses islamistes, affidés, descendants, ascendants et sympathisants.
La seconde thèse est que l'Algérie est un pays post-mortem: tout le monde y est mort politiquement, sauf Abdelaziz Bouteflika qui a prouvé qu'il est vivant télévisuellement.
On est, selon la théorie, dans le post-islamisme, le post-socialisme, la post-décolonisation et la post-illusion et pré-emploi. Ici donc, selon cette thèse, les gens ne sont plus que des piétons ou des importateurs. Ni salafistes, ni progressistes.
200.000 morts et beaucoup de souffrance
L'activité politique se résume à redresser ou à s'asseoir ou à partir. Donc, dans un pays qui a connu une guerre civile, 200.000 morts et beaucoup de souffrance, on se passe un peu de l'illusion salafiste et islamiste. Et de son contraire aussi.
L'Algérie n'est plus dans la phase FIS (Front islamique du salut), mais dans la phase Al Qaïda. Le drame d'un diplomate tué par des salafistes, elle l'a vécu quelques semaines avant les Etats-Unis.
Le drame du 11-Septembre, elle l'a vécu dix ans avant les Etats-Unis. Le «dégage!», elle l'aurait vécu il y a vingt ans avant la place Tahrir. Un des rares domaines où nous sommes en avance sur le reste de l'humanité.
L'autre théorie qui explique un peu la singularité algérienne est justement la singularité algérienne.
Ce pays a cinquante ans: il est plus jeune que ses dirigeants. Les jeunes sont plus nombreux que les vieux mais se sentent plus vieux que le reste de l'humanité. C'est un pays où on enregistre dix émeutes par jour mais seulement une révolution par siècle.
Tout le monde y parle de l'au-delà, y vit déjà, y va un peu ou en revient après dix ans de guerre. Du coup, on y est sans utopie, sans illusion, en avance sur les autres, en retard sur soi. Un peu. Ou tellement. Ou seulement en apparence. Avec la plus grande mosquée d'Afrique et les plus petits partis islamistes dans le monde arabe.
Donc face à L'innocence des musulmans, des Algériens ont choisi de ne pas croire à l'innocence des islamistes. Cela a ravi un peu. Mais cela impose de rester prudent aussi.
Selon certains, la dictature est utile seulement pour faire barrage aux salafistes. Pour le reste, pour les routes, les commerces ou autre, c'est un désastre.
Donc la singularité algérienne est là: le troisième âge collectif donne cette sagesse molle sans vertèbres qui permet de rester prudent et de rester assis, sur soi.
On connaît cependant le sens de l'expérience selon le proverbe: une lanterne qui permet d'éclairer le passé. Et l'avenir? Une lanterne éclairée au gaz et au pétrole, disent les prévisions à court terme.
Kamel Daoud (Quotidien d'Oran)
Ce drapeau fait aussi dans le remake: il a ses martyrs, fait sa guerre de libération, a son hymne (l'Adhan), ses ennemis, ses otages, sa vision du monde aveugle et ses foules. Il vise cependant un peu plus que les décolonisations: la terre entière, convertie en une mosquée totale face à l'Eglise totale qui veut gouverner la terre entière, selon lui.
Passons, car ce n'est pas le sujet du jour mais le sujet du siècle. La question du jour est celle qui étonne les Algériens et le reste du monde: pourquoi en Algérie il n'y pas eu de manifestations salafistes violentes contre le film L'innocence des musulmans?
Des réponses sont en circuit: la première veut que cela soit à cause de la police algérienne. Elle est rodée, sait contenir les manifestations, même celles organisées dans la tête, possède vingt ans d'expérience dans la gestion des foules et des vastes ronds-points et a le fichier le plus long au monde de ses islamistes, affidés, descendants, ascendants et sympathisants.
La seconde thèse est que l'Algérie est un pays post-mortem: tout le monde y est mort politiquement, sauf Abdelaziz Bouteflika qui a prouvé qu'il est vivant télévisuellement.
On est, selon la théorie, dans le post-islamisme, le post-socialisme, la post-décolonisation et la post-illusion et pré-emploi. Ici donc, selon cette thèse, les gens ne sont plus que des piétons ou des importateurs. Ni salafistes, ni progressistes.
200.000 morts et beaucoup de souffrance
L'activité politique se résume à redresser ou à s'asseoir ou à partir. Donc, dans un pays qui a connu une guerre civile, 200.000 morts et beaucoup de souffrance, on se passe un peu de l'illusion salafiste et islamiste. Et de son contraire aussi.
L'Algérie n'est plus dans la phase FIS (Front islamique du salut), mais dans la phase Al Qaïda. Le drame d'un diplomate tué par des salafistes, elle l'a vécu quelques semaines avant les Etats-Unis.
Le drame du 11-Septembre, elle l'a vécu dix ans avant les Etats-Unis. Le «dégage!», elle l'aurait vécu il y a vingt ans avant la place Tahrir. Un des rares domaines où nous sommes en avance sur le reste de l'humanité.
L'autre théorie qui explique un peu la singularité algérienne est justement la singularité algérienne.
Ce pays a cinquante ans: il est plus jeune que ses dirigeants. Les jeunes sont plus nombreux que les vieux mais se sentent plus vieux que le reste de l'humanité. C'est un pays où on enregistre dix émeutes par jour mais seulement une révolution par siècle.
Tout le monde y parle de l'au-delà, y vit déjà, y va un peu ou en revient après dix ans de guerre. Du coup, on y est sans utopie, sans illusion, en avance sur les autres, en retard sur soi. Un peu. Ou tellement. Ou seulement en apparence. Avec la plus grande mosquée d'Afrique et les plus petits partis islamistes dans le monde arabe.
Donc face à L'innocence des musulmans, des Algériens ont choisi de ne pas croire à l'innocence des islamistes. Cela a ravi un peu. Mais cela impose de rester prudent aussi.
Selon certains, la dictature est utile seulement pour faire barrage aux salafistes. Pour le reste, pour les routes, les commerces ou autre, c'est un désastre.
Donc la singularité algérienne est là: le troisième âge collectif donne cette sagesse molle sans vertèbres qui permet de rester prudent et de rester assis, sur soi.
On connaît cependant le sens de l'expérience selon le proverbe: une lanterne qui permet d'éclairer le passé. Et l'avenir? Une lanterne éclairée au gaz et au pétrole, disent les prévisions à court terme.
Kamel Daoud (Quotidien d'Oran)