De notre envoyé spécial à TallRifat, dans la province d'Alep
Mohammed K. a attendu longtemps avant de pouvoir déserter. Caporal dans un régiment participant à la répression de Homs, il était étroitement surveillé par ses chefs. «Ils nous disaient qu'on se battait contre des terroristes d'al-Qaida et des agents du Mossad. Seuls les plus naïfs croyaient à ces histoires. Comment des Israéliens peuvent-ils se battre aux côtés d'al-Qaida?»
«Les soldats qui refusaient de tirer sur les civils ou qui tiraient systématiquement à côté étaient envoyés dans les secteurs les plus dangereux, où ils étaient sûrs d'être tués. J'ai vu les civils arrêtés et battus. J'ai fini par me faire faire une fausse permission par un ami qui travaillait au service informatique pour accompagner le corps d'un soldat tué rendu à sa famille. Je me suis enfui en route.»
Comme beaucoup d'autres déserteurs, Mohammed K. a rejoint les rangs de l'Armée syrienne libre (ASL) et combat à présent contre les forces gouvernementales. Vendredi, un général - le 22e depuis le début de la guerre civile - et vingt officiers, dont quatre colonels, ont à leur tour franchi la frontière du nord pour trouver refuge en Turquie.
Le traitement VIP des officiers alaouites
Bachar Hamcho, 22 ans, était le chauffeur du colonel du 132e régiment d'Infanterie avant de déserter il y a six mois dans la région de Tartous. «À l'armée, nous étions coupés du monde. Les téléphones portables étant interdits, nous n'avions accès qu'à la télévision officielle, explique ce jeune soldat. On nous disait que le pays était attaqué par des terroristes, nous étions obligés de regarder les discours de Bachar el-Assad à la télévision.» Alors que son régiment s'apprête à participer à une opération de répression au début de l'année, Bachar Hamcho parvient à fausser compagnie à son unité et rejoint les rangs de l'Armée syrienne libre dans le nord du pays.
Son cousin, Shaker Hamcho, était stationné à Rankous, près de Damas, avec un régiment d'artillerie lance-roquettes. Posté à un point de contrôle, il assiste en décembre dernier à l'arrestation d'une trentaine de personnes. «Elles ont été emmenées à la prison et fusillées. On nous a dit que c'était des terroristes. J'ai décidé de déserter, mais j'ai dû attendre le bon moment avant de pouvoir m'enfuir.» Mohammed el-Hassar était stationné à Homs en février dernier, au plus fort de la répression contre le quartier de Bab al-Hamro. «On nous a fait nous habiller en civil et distribué de fausses cartes de policiers. Au cas où l'on rencontrait des observateurs des Nations unies, on devait leur dire que nous appartenions à la police, raconte-t-il. Un jour, notre colonel a disparu. Les autres officiers nous ont dit qu'il était un agent de l'étranger. J'ai décidé de partir. Je me suis tiré une balle dans le pied et on m'a envoyé à l'hôpital. De là, je me suis enfui.»
«Plus l'armée d'Assad s'affaiblit, plus on se renforce»
Les témoignages des déserteurs de l'armée syrienne, nombreux dans les rangs de la rébellion, se recoupent presque tous. «Les officiers supérieurs sont pour la plupart des Alaouites. Tout le monde leur obéit, même les autres officiers sunnites de grade plus élevé, explique un ancien conscrit. Au régiment, les Sunnites et les Alaouites prennent leurs repas séparément. Ils ont de la viande et des pommes de terre finement coupées. Nous, presque rien, et nos patates sont en gros morceaux. On n'a pas les mêmes cantonnements et, l'hiver, les Sunnites dorment sous la tente alors qu'eux ont des baraques chauffées.»
«On ne peut pas discuter entre nous, il y a des informateurs parmi les soldats. Dans mon régiment, un soldat a déserté et a été repris. Il a été tué et son corps enterré jusqu'à la taille au milieu du camp. Les officiers nous ont dit: voilà ce qui arrive aux déserteurs. Les officiers n'ont pas confiance dans les soldats sunnites. Ils s'enferment pour dormir», dit Rida Zein al-Abeddine, soldat au 17e d'infanterie, stationné près d'Idlib.
«Maintenant, tous les soldats sunnites ont compris et veulent s'enfuir. Les Alaouites, eux, se battront jusqu'au bout, dit un autre soldat qui a fait défection le mois dernier, Djamal Abou-Houra. S'ils ne le font pas, c'est qu'ils ont peur des représailles contre leurs familles. En particulier sur les femmes. Sans cette menace, l'armée se dissoudrait en quelques jours», ajoute-t-il.
Le rythme des désertions, relativement faible au début du soulèvement syrien, s'est accéléré ces derniers mois, au point de réduire fortement les capacités du régime Assad à contrôler un pays qui lui échappe. «Les désertions sont de plus en plus nombreuses», explique Hakim, chef d'un groupe de la région d'Alep composé en grande partie de déserteurs. «Comme dans un système de vases communicants, plus l'armée d'Assad s'affaiblit, plus on se renforce.»
Les seules unités complètement fiables, comme la 4e division de Maher el-Assad, le frère du président, les services secrets de l'armée et de l'aviation, sont composées en majorité d'Alaouites. Mais ces troupes fidèles, qui n'ont aucune mansuétude à attendre des rebelles, d'abord utilisées comme fer de lance de la répression, à Homs ou à Hama, sont à présent sur la défensive, repliées sur Damas et le centre des villes. En attendant la grande débandade des régiments de l'armée régulière, qui sonnera la fin d'un régime qui ne se maintient plus que par la force.
Par Adrien Jaulmes
Mohammed K. a attendu longtemps avant de pouvoir déserter. Caporal dans un régiment participant à la répression de Homs, il était étroitement surveillé par ses chefs. «Ils nous disaient qu'on se battait contre des terroristes d'al-Qaida et des agents du Mossad. Seuls les plus naïfs croyaient à ces histoires. Comment des Israéliens peuvent-ils se battre aux côtés d'al-Qaida?»
«Les soldats qui refusaient de tirer sur les civils ou qui tiraient systématiquement à côté étaient envoyés dans les secteurs les plus dangereux, où ils étaient sûrs d'être tués. J'ai vu les civils arrêtés et battus. J'ai fini par me faire faire une fausse permission par un ami qui travaillait au service informatique pour accompagner le corps d'un soldat tué rendu à sa famille. Je me suis enfui en route.»
Comme beaucoup d'autres déserteurs, Mohammed K. a rejoint les rangs de l'Armée syrienne libre (ASL) et combat à présent contre les forces gouvernementales. Vendredi, un général - le 22e depuis le début de la guerre civile - et vingt officiers, dont quatre colonels, ont à leur tour franchi la frontière du nord pour trouver refuge en Turquie.
Le traitement VIP des officiers alaouites
Bachar Hamcho, 22 ans, était le chauffeur du colonel du 132e régiment d'Infanterie avant de déserter il y a six mois dans la région de Tartous. «À l'armée, nous étions coupés du monde. Les téléphones portables étant interdits, nous n'avions accès qu'à la télévision officielle, explique ce jeune soldat. On nous disait que le pays était attaqué par des terroristes, nous étions obligés de regarder les discours de Bachar el-Assad à la télévision.» Alors que son régiment s'apprête à participer à une opération de répression au début de l'année, Bachar Hamcho parvient à fausser compagnie à son unité et rejoint les rangs de l'Armée syrienne libre dans le nord du pays.
Son cousin, Shaker Hamcho, était stationné à Rankous, près de Damas, avec un régiment d'artillerie lance-roquettes. Posté à un point de contrôle, il assiste en décembre dernier à l'arrestation d'une trentaine de personnes. «Elles ont été emmenées à la prison et fusillées. On nous a dit que c'était des terroristes. J'ai décidé de déserter, mais j'ai dû attendre le bon moment avant de pouvoir m'enfuir.» Mohammed el-Hassar était stationné à Homs en février dernier, au plus fort de la répression contre le quartier de Bab al-Hamro. «On nous a fait nous habiller en civil et distribué de fausses cartes de policiers. Au cas où l'on rencontrait des observateurs des Nations unies, on devait leur dire que nous appartenions à la police, raconte-t-il. Un jour, notre colonel a disparu. Les autres officiers nous ont dit qu'il était un agent de l'étranger. J'ai décidé de partir. Je me suis tiré une balle dans le pied et on m'a envoyé à l'hôpital. De là, je me suis enfui.»
«Plus l'armée d'Assad s'affaiblit, plus on se renforce»
Les témoignages des déserteurs de l'armée syrienne, nombreux dans les rangs de la rébellion, se recoupent presque tous. «Les officiers supérieurs sont pour la plupart des Alaouites. Tout le monde leur obéit, même les autres officiers sunnites de grade plus élevé, explique un ancien conscrit. Au régiment, les Sunnites et les Alaouites prennent leurs repas séparément. Ils ont de la viande et des pommes de terre finement coupées. Nous, presque rien, et nos patates sont en gros morceaux. On n'a pas les mêmes cantonnements et, l'hiver, les Sunnites dorment sous la tente alors qu'eux ont des baraques chauffées.»
«On ne peut pas discuter entre nous, il y a des informateurs parmi les soldats. Dans mon régiment, un soldat a déserté et a été repris. Il a été tué et son corps enterré jusqu'à la taille au milieu du camp. Les officiers nous ont dit: voilà ce qui arrive aux déserteurs. Les officiers n'ont pas confiance dans les soldats sunnites. Ils s'enferment pour dormir», dit Rida Zein al-Abeddine, soldat au 17e d'infanterie, stationné près d'Idlib.
«Maintenant, tous les soldats sunnites ont compris et veulent s'enfuir. Les Alaouites, eux, se battront jusqu'au bout, dit un autre soldat qui a fait défection le mois dernier, Djamal Abou-Houra. S'ils ne le font pas, c'est qu'ils ont peur des représailles contre leurs familles. En particulier sur les femmes. Sans cette menace, l'armée se dissoudrait en quelques jours», ajoute-t-il.
Le rythme des désertions, relativement faible au début du soulèvement syrien, s'est accéléré ces derniers mois, au point de réduire fortement les capacités du régime Assad à contrôler un pays qui lui échappe. «Les désertions sont de plus en plus nombreuses», explique Hakim, chef d'un groupe de la région d'Alep composé en grande partie de déserteurs. «Comme dans un système de vases communicants, plus l'armée d'Assad s'affaiblit, plus on se renforce.»
Les seules unités complètement fiables, comme la 4e division de Maher el-Assad, le frère du président, les services secrets de l'armée et de l'aviation, sont composées en majorité d'Alaouites. Mais ces troupes fidèles, qui n'ont aucune mansuétude à attendre des rebelles, d'abord utilisées comme fer de lance de la répression, à Homs ou à Hama, sont à présent sur la défensive, repliées sur Damas et le centre des villes. En attendant la grande débandade des régiments de l'armée régulière, qui sonnera la fin d'un régime qui ne se maintient plus que par la force.
Par Adrien Jaulmes