Les fruits de son intense activité physique, durant près de deux décennies, restent visibles. A plus de soixante-dix ans, l’ancien champion sérère est toujours alerte et dans son Joal natal, redécouvre ses anciennes passions : les champs, tout en se rappelant le magnifique parcours qui est sien.
« Je rends grâce à Allah. C’est le fruit d’une bonne hygiène de vie. A l'époque, je m’entraînais beaucoup. Jusqu’à présent, ma façon de m’entraîner est très difficile à répéter pour mes fils qui peinent à suivre le rythme. Avant d’aller à l’école de police, je m’entraînais d’abord avant d’emmener ma troupe faire du sport. Ensuite, je faisais cap sur Dakar, au centre-ville, pour continuer mon activité physique. Dans l’après-midi, je faisais du judo et terminais ma journée avec mes amis lutteurs. C’est pourquoi, durant ma carrière, je ne me fatiguais pas. La souffrance physique était assimilée par mon corps, sans oublier que je pratiquais l’ « aïkido.
C’est une discipline martiale qui se pratique avec les bras et les mains. Le précurseur de cette discipline s’appelle Me Washiba, un Coréen de 55 kg. Il était capable de faire tomber des forces allant de 100 à 200 kg. La plupart de mes adversaires craignaient que le combat tire en longueur, car ils n’avaient aucune chance. Il m’arrivait de finir un combat sans éprouver la moindre fatigue.»
Serigne Ndiaye, celui qui a découvert Robert Diouf, témoigne : « Les champs, la pêche et le pâturage étaient les principales activités de Robert Diouf. Même quand il travaillait dans la police, il n'a pas cessé d'aller à Joal pour s'y consacrer. Il aime ce qu’il fait et il y va avec une réelle détermination », révèle «Boy Ndiaye», bras droit du légendaire champion sérère.
C’est ce dernier qui l’a découvert et conduit à Dakar avant de le confier à Cheikh Diop, qui l’a managé jusqu’ à la fin de sa carrière. A 16-17 ans, il s'était imposé comme un adversaire redoutable dans sa localité : Il gagnait bœufs et titres. C'est ainsi que sa renommée le précédera à Dakar, qui avait déjà adopté Double Less, Mbaye Guèye et les autres. « Je voulais toujours être le meilleur dans tout ce que je faisais, c’est pourquoi je me tuais aux entraînements. Personne ne pouvait me résister. Il m’arrivait de faire un footing de plusieurs kilomètres, de revenir à la maison me recoucher avant le réveil de mes parents. Ensuite, après les travaux champêtres, la pêche et le traitement des bêtes, je retournais aux entraînements », fait savoir Mohamed Ndiaye.
Son statut de «bête du travail» va crescendo quand il sera enrôlé à la police comme moniteur sportif. « Avant de me rendre à l’école de police, je faisais un footing matinal et, à 10 h, je prenais en main mes éléments au niveau de l’école. A midi, je me rendais en salle pour parfaire ma musculation, mais ce n’est pas de la même façon que les lutteurs actuels. L’après-midi, je me rendais à l’écurie sérère et les séances finissaient après la dernière prière du soir », se rappelle Robert Diouf, nostalgique.
Ses débuts à Dakar furent assez laborieux, surtout en notoriété. Pas grand de taille, ni assez costaud, Robert Diouf n’a jamais dépassé 100 kg, mais était résistant. « On me snobait lors des séances de «mbapatt», car on me connaissait peu à Dakar. Il me fallait jouer de subterfuge pour lutter contre des adversaires plus lourds que moi et au palmarès plus élogieux. C’est fort de cela que j’ai eu à affronter Double Less qui me défiait. Même mes amis ne voulaient pas de ce combat, de peur de me faire laminer. Au finish, je l’ai battu deux fois et fait match nul avec lui. C’est à partir de ce «mbapatt» que les amateurs m’ont découvert et adopté », dit-il. Son parcours dans la lutte avec frappe est l’un des plus riches de l’histoire avec 118 victoires à son actif.
Un million de francs CFA de cachet
Ce combat revanche, c’est feu Bassirou Diagne qui l’a monté. Il avait en tête un projet de partenariat avec une société de l’époque, Apollo TM, pour engager Robert Diouf, Mbaye Guèye, Mame Gorgui et Falaye Baldé dans des tournées dans la sous-région, avec chacun un cachet d’un million de francs. Du jamais vu dans l’arène ! Le projet avortera et le manager de Robert Diouf, Cheikh Diop ayant eu écho de cette tractation, campa sur ses positions (cachet d’un million) quand il a été démarché pour la revanche contre Double Less.
Entre-temps, Pathé, le manager de Double Less avait accepté un cachet de six cent mille francs (600.000 F CFA). Fin en affaires, Cheikh Diop obtiendra gain de cause pour un million de francs, ce qui fera de Robert Diouf le premier millionnaire de l’arène. « Double Less, grand seigneur acceptera la donne car il a avoué que son manager l’a engagé pour un premier combat à trente mille francs. Il ne rechignera pas sur les six cent mille, une forte somme à l’époque. Finalement, son cachet sera augmenté à neuf cent mille (900.000 F CFA)», révèle Cheikh Diop.
Qu’est-ce qui faisait la particularité de Robert Diouf ? « C’est simple: je voulais être le meilleur. Je ne me donnais pas de limites et pour cela, il fallait battre les meilleurs. Grâce à Dieu, j’ai réussi une grande carrière et tous les lutteurs qui m’ont battu, je les ai terrassés lors des revanches. C’est une satisfaction, car aucun de mes adversaires ne m’a battu à deux reprises. Mieux, quand on se rencontrait pour la revanche, je leur disais toujours qu’il n’est pas nécessaire de donner de l’argent aux marabouts pour la préparation mystique. Cette force mentale, je l’avais et cela déstabilisait toujours mes adversaires», clame l’ex-puncheur des arènes.
Faire monter les cachets de la lutte pour la première fois à un million deux cent mille francs (1.200.000 F CFA) et perdre un combat qu’il ne fallait pas prendre, a été l’un des plus douloureux souvenirs de Robert Diouf, battu par Mbaye Guèye de Fass dans un combat «bizarre et mystique».
« J’avais fini de battre Mame Gorgui Ndiaye, alors porte-étendard de Fass à l’époque et cette défaite avait fait des dégâts en leur sein. La bataille mystique avait fait rage, car Mame Gorgui était soutenu par les douze «pinthie» de la Médina et les Lébous dans leur ensemble. Fass savait que mystiquement, Mame Gorgui a laissé des traces dans mon corps et ils ont voulu coûte que coûte me faire lutter contre Mbaye Guèye. Je voulais l’affronter, mais pas si tôt. On m’a forcé la main et même les supporteurs qui m’étaient très proches et qui habitaient au cœur de Fass, voulaient le combat. Je sentais le piège, mais je ne pouvais plus reculer. Je me suis battu avec mes armes, mais la charge mystique avait laissé des traces », se désole Robert Diouf.
Un autre fait marquera l’ancien champion sérère, ses deux combats contre Moussa Diamé qui est un parent. Pour l’ancien manager Cheikh Diop, cet événement a laissé des séquelles dans l’écurie sérère. « C’est Robert qui a formé Moussa Diamé et lui a appris beaucoup de choses. Mais les promoteurs ont fait croire à Moussa Diamé qu’il est plus fort que Robert Diouf et lui ont proposé de l’argent. Robert a refusé de l’affronter et n’a pas voulu répondre aux provocations de ce dernier. Les Sérères se sont mobilisés pour que ce combat n’ait pas lieu, mais Moussa Diamé ne voulait rien entendre. Pour leur première confrontation, Robert n’a pas voulu forcer son talent et a contraint Moussa Diamé au match nul. Uniquement pour préserver les liens. Mais les attaques frontales étaient plus agressives et il le dominera lors de leur deuxième opposition », regrette l’ancien manager de Manga 2. L’histoire ne dira pas cependant si c’est à cause de ce combat que les Sérères s’affrontent chaque fois qu’ils sont dans des écuries ou écoles de lutte différentes.
Avec le palmarès qui est le sien, l’on peut dire sans hésiter que ses dignes héritiers sont… Yékini (fils spirituel) et Abdoulaye Ndiaye, son fils cadet, sociétaire de l’écurie Ndakaru. Pourtant, Mbagnick et Mamady Ndiaye avaient toutes les qualités techniques pour réussir dans la lutte. « En sport, il faut être sérieux pour arriver à ses fins. Etre fils d’un tel ou tel ne garantit absolument rien. Seul le travail paye. Je peux dire que Yékini qui est un neveu et Abdoulaye Ndiaye, mon fils cadet suivent à la lettre ce que je leur dis. Le résultat du premier nommé ne surprend guère, car il a été «Roi des arènes» et l’autre, sera peut-être un grand champion. S’il est toujours dans les mêmes dispositions, car il a les qualités techniques, physiques pour réussir», prévient Mohamed Ndiaye qui s’est converti à l’Islam aux derniers moments de sa carrière.
«Yahya Diop «Yékini» est mon fils. Il m’écoute et applique mes directives à la lettre. Lors de son deuxième combat contre Baboye, pourles dernières recommandations, je lui ai dit qu’il n’y aura pas d’échange de coups. Mais, où que tu puisses passer, Baboye te fera une ceinture arrière «weur ndomba». Je lui ai répété les mêmes paroles et il me fait une accolade avant d’aller rejoindre l’enceinte. A quelques mètres du «cimikay» de Yékini, je me retourne et constate que Baboye avait attaqué et fait comme je l’avais prédit. Il savait aussi que son poids allait faire la différence, car Baboye ne pouvait le soulever», se souvient-il.
« Ces aspects, on les maîtrise, mais on ne le fait pas savoir à tout le monde. A la fin du combat, Yékini n’en revenait pas, mais ce sont des choses que Dieu transmet à certaines personnes », ajoute le champion sérère.
Dans sa maison, la scène est assez cocasse pour êtresoulignée, un téléphone sonne : c’est la chorégraphie de Balla Gaye n°2 qui se fait entendre. Abdoulaye Ndiaye, son fils cadet et lutteur à Ndakaru, ne peut contenir sa rage. S’adressant à sa sœur cadette, propriétaire du cellulaire, il lâche : « Ce téléphone, dès que je l’aurai à portée de main, je le briserai. Je n’aime pas cette sonnerie », fulmine Abdoulaye.
Robert intervient : « Il faut respecter le choix des autres. Chaque personne est libre de supporter le lutteur de son choix. Des voisins, des parents, supportaient d’autres lutteurs alors que j’étais en activité. Cela me motivait davantage. C’est normal, personne ne peut faire l’unanimité», exhorte-t-il son fils à lâcher du lest.
« J’ai fait 137 combats pour 7 défaites, 12 nuls et 118 victoires. Tous des combats dans l’arène. Ce n’est pas la même chose ! Et puis, on avait l’habitude de reprendre des combats quand la chute était litigieuse. Tant que ce n’est pas limpide, on ne peut considérer une chute. On avait cet esprit sportif et les lutteurs n’avaient pas peur de perdre, car chacun était sûr de ses qualités. Il arrivait qu’on se rencontre deux, trois, voire à quatre reprises. J’étais très doué et ce don était renforcé par un travail acharné. Je voulais être le meilleur partout», clame-t-il.
«C’était pendant un voyage en Europe, en France, en compagnie de Double Less. On était dans la même chambre. Je tiens à souligner aussi que nos rapports avec nos adversaires étaient bons, seuls les combats nous opposaient. Double Less me dit : «Tu resteras la tache noire de ma carrière. J’ai terrassé tout le monde, sauf toi. Comment tu fais ? Cela me fait tellement mal», ne cessait-il de me demander. «Il ne faut pas t’en faire, c’est du ressort de Dieu. Je sais que tu es fort comme un taureau, puissant, mais je suis meilleur que toi. Tactiquement et techniquement, tu ne fais pas le poids», se rappelait-il, dans un fou rire. Ayant une lecture de la façon de lutter de Double Less, il analyse : «S’il se déplaçait normalement comme les autres, ses défaites seraient plus nombreuses. Je le chambre chaque fois que l’on se rencontre, mais sans plus».
« Ce que je déplore, cela concerne mes anciens collègues lutteurs. Il arrive qu’on en interroge certains et ils citent mon nom parmi ceux qu’ils ont battus. Il s’agit de Pape Diop «Boston» de Pikine et Boy Bambara. Ils ne m’ont jamais battu, alors que je les ai terrassés. (Il montre sa main gauche avec une cicatrice). Cette blessure, je l’ai contractée face à Boy Bambara. Après lui avoir donné un coup, sa dent a percuté ma main. Je regrette, mais sa mère avait dit que son fils ne lutterait plus dans l’arène au risque de se faire tuer. Je reconnais que Mbaye Guèye, Pape Kane, Mame Gorgui m’ont battu et je les ai terrassés aussi. Et pas une seule fois. Et celle concédée contre Mbaye Guèye était presque préméditée. Je savais ce qui se passait et se tramait. Entre Lébous et Sérères, la bataille mystique faisait rage».
Boy Niang N°2 ne sera sans doute pas le seul lutteur suspendu par les instances dirigeantes de la lutte. Auparavant, Robert Diouf l’a été après son combat contre Falaye Baldé qui n’a pas connu d’épilogue. Les deux camps se sont affrontés et la sentence n’a pas été tendre pour le Sérère, qui a écopé d’une suspension de trois (3) mois. Mais c’était sans compter avec la détermination des amateurs et des supporters de Robert Diouf. « Robert avait beaucoup de supporters, partout au Sénégal. Ces derniers ont déserté les différents stades. L’arène Makhary Thiam était la plus prisée et il y comptait beaucoup d’inconditionnels. Et curieusement, elle sonnait vide lors des autres combats. Il n’y avait plus de public et cela faisait désordre. Le ministre des Sports de l’époque, Amadou Racine Ndiaye, voulait que notre lutteur se produise dans les stades, moyennant des cachets. Naturellement, on a refusé, car on voulait respecter les trois (3) mois de suspension et marquer les esprits», explique Serigne Ndiaye, l’ancien bras droit.
« Les promoteurs s’étaient concertés pour plafonner les cachets à quatre vingt mille francs (80.000 F CFA) pour les ténors et moins pour les autres lutteurs. Robert Diouf étant très sollicité, sa levée de suspension va coïncider avec son prochain combat où l’on a reçu presque cinq cents mille francs (500 000 F CFA), si l’on tient compte des dépenses prises en charge par le ministre des Sports qui a tout financé», révèle l’homme à tout faire de Robert Diouf.
A l’en croire, le plafonnement des cachets a toujours existé, mais les lutteurs prennent souvent le dessus sur les promoteurs.
« Les lutteurs d’aujourd’hui doivent nous féliciter et nous honorer, car si on parle de millions, c’est grâce à Mbaye Guèye et à moi-même. Nos collègues, malgré leur talent, cumulaient à trois cents (300), quatre cents (400) ou cinq cents mille francs (500.000 F CFA). Maintenant, c’est une véritable industrie et quand on est sérieux, on peut réussir sa vie socialement», conclut Robert Diouf.
*Crédit photos et textes de l'ouvrage "au-delà des Millions et des Passions" du Journaliste Omar Sharif NDAO
Palmarès de Mohamed Ndiaye « Robert Diouf »
Les victoires :
1- Mbaye Dia Diop (2 fois) 22- Modou Fall
2- Mame Gorgui Ndiaye (2 fois)23- Bécaye N°2
3- Yacou Sarr (2 fois)24- Poulo de Diourbel
4- Samba Diaw (2 fois)25- Ndiobeu Mbaye
5- Mbaye Guèye (2 fois)26- Diongue N°1
6- Ndiol Sène (3 fois)27- Diongue N°2
7- Mbar Mbaye (3 fois)28- Sow Faye
8- Souleymane Diaw (3 fois)29- Madiop Ndiaye
9- Boy Niague (4 fois)30- Songane N°2
10- Bécaye N° » (4 fois)31- Singuily Sankharé
11- Ousmane Diop (5 fois)32- Sa Ndiambour
12- Ousmane Ngom (6 fois)33- Boy Bambara
13- Faga 34- Double Less
14- Modou Diène de Thiaroye35-Boy Sérère de Darème
15- Mour de Diender36-Moussa Diamé
16- Daouda Guèye37-Mbaye Fall
17- Thiaw Mbao38-Ass Diallo
18- Assurance Diop39-Papa Kane
19- Malick Niang de Yoff40-Ngoumbane Khoulé
20- Gormack Faye41-Papa Touré
21- Mbaye Faye (semaine nationale)
Les défaites :
1- Falaye Baldé 1- Ousmane Ngom
2- Allé Fall 2- Mame Gorgui Ndiaye
3- Samba Diaw 3- Boy Niague
Les matches nuls :
1- Madiop Ndiaye 9- Moussa Diamé
2- Bécaye N°3 10- Sow Faye
3- Falaye Baldé 11- Mbor Mbaye
4- Ousmane Diop 12- Samba Diaw
5- Yocou Sarr 13- Allé Fall
6- Boy Bambara 14- Souleymane Diaw
7- Gormack Faye 15- Double Less
8- Bécaye N°2 16- Boy Nar Fall (2 fois)
Lutte internationale :
- Champion international : 1963 et 1972
- Médaille d’argent à la Rau
- Médaille d’or au Maroc
« Je rends grâce à Allah. C’est le fruit d’une bonne hygiène de vie. A l'époque, je m’entraînais beaucoup. Jusqu’à présent, ma façon de m’entraîner est très difficile à répéter pour mes fils qui peinent à suivre le rythme. Avant d’aller à l’école de police, je m’entraînais d’abord avant d’emmener ma troupe faire du sport. Ensuite, je faisais cap sur Dakar, au centre-ville, pour continuer mon activité physique. Dans l’après-midi, je faisais du judo et terminais ma journée avec mes amis lutteurs. C’est pourquoi, durant ma carrière, je ne me fatiguais pas. La souffrance physique était assimilée par mon corps, sans oublier que je pratiquais l’ « aïkido.
C’est une discipline martiale qui se pratique avec les bras et les mains. Le précurseur de cette discipline s’appelle Me Washiba, un Coréen de 55 kg. Il était capable de faire tomber des forces allant de 100 à 200 kg. La plupart de mes adversaires craignaient que le combat tire en longueur, car ils n’avaient aucune chance. Il m’arrivait de finir un combat sans éprouver la moindre fatigue.»
Serigne Ndiaye, celui qui a découvert Robert Diouf, témoigne : « Les champs, la pêche et le pâturage étaient les principales activités de Robert Diouf. Même quand il travaillait dans la police, il n'a pas cessé d'aller à Joal pour s'y consacrer. Il aime ce qu’il fait et il y va avec une réelle détermination », révèle «Boy Ndiaye», bras droit du légendaire champion sérère.
C’est ce dernier qui l’a découvert et conduit à Dakar avant de le confier à Cheikh Diop, qui l’a managé jusqu’ à la fin de sa carrière. A 16-17 ans, il s'était imposé comme un adversaire redoutable dans sa localité : Il gagnait bœufs et titres. C'est ainsi que sa renommée le précédera à Dakar, qui avait déjà adopté Double Less, Mbaye Guèye et les autres. « Je voulais toujours être le meilleur dans tout ce que je faisais, c’est pourquoi je me tuais aux entraînements. Personne ne pouvait me résister. Il m’arrivait de faire un footing de plusieurs kilomètres, de revenir à la maison me recoucher avant le réveil de mes parents. Ensuite, après les travaux champêtres, la pêche et le traitement des bêtes, je retournais aux entraînements », fait savoir Mohamed Ndiaye.
Son statut de «bête du travail» va crescendo quand il sera enrôlé à la police comme moniteur sportif. « Avant de me rendre à l’école de police, je faisais un footing matinal et, à 10 h, je prenais en main mes éléments au niveau de l’école. A midi, je me rendais en salle pour parfaire ma musculation, mais ce n’est pas de la même façon que les lutteurs actuels. L’après-midi, je me rendais à l’écurie sérère et les séances finissaient après la dernière prière du soir », se rappelle Robert Diouf, nostalgique.
Ses débuts à Dakar furent assez laborieux, surtout en notoriété. Pas grand de taille, ni assez costaud, Robert Diouf n’a jamais dépassé 100 kg, mais était résistant. « On me snobait lors des séances de «mbapatt», car on me connaissait peu à Dakar. Il me fallait jouer de subterfuge pour lutter contre des adversaires plus lourds que moi et au palmarès plus élogieux. C’est fort de cela que j’ai eu à affronter Double Less qui me défiait. Même mes amis ne voulaient pas de ce combat, de peur de me faire laminer. Au finish, je l’ai battu deux fois et fait match nul avec lui. C’est à partir de ce «mbapatt» que les amateurs m’ont découvert et adopté », dit-il. Son parcours dans la lutte avec frappe est l’un des plus riches de l’histoire avec 118 victoires à son actif.
Un million de francs CFA de cachet
Ce combat revanche, c’est feu Bassirou Diagne qui l’a monté. Il avait en tête un projet de partenariat avec une société de l’époque, Apollo TM, pour engager Robert Diouf, Mbaye Guèye, Mame Gorgui et Falaye Baldé dans des tournées dans la sous-région, avec chacun un cachet d’un million de francs. Du jamais vu dans l’arène ! Le projet avortera et le manager de Robert Diouf, Cheikh Diop ayant eu écho de cette tractation, campa sur ses positions (cachet d’un million) quand il a été démarché pour la revanche contre Double Less.
Entre-temps, Pathé, le manager de Double Less avait accepté un cachet de six cent mille francs (600.000 F CFA). Fin en affaires, Cheikh Diop obtiendra gain de cause pour un million de francs, ce qui fera de Robert Diouf le premier millionnaire de l’arène. « Double Less, grand seigneur acceptera la donne car il a avoué que son manager l’a engagé pour un premier combat à trente mille francs. Il ne rechignera pas sur les six cent mille, une forte somme à l’époque. Finalement, son cachet sera augmenté à neuf cent mille (900.000 F CFA)», révèle Cheikh Diop.
Qu’est-ce qui faisait la particularité de Robert Diouf ? « C’est simple: je voulais être le meilleur. Je ne me donnais pas de limites et pour cela, il fallait battre les meilleurs. Grâce à Dieu, j’ai réussi une grande carrière et tous les lutteurs qui m’ont battu, je les ai terrassés lors des revanches. C’est une satisfaction, car aucun de mes adversaires ne m’a battu à deux reprises. Mieux, quand on se rencontrait pour la revanche, je leur disais toujours qu’il n’est pas nécessaire de donner de l’argent aux marabouts pour la préparation mystique. Cette force mentale, je l’avais et cela déstabilisait toujours mes adversaires», clame l’ex-puncheur des arènes.
Faire monter les cachets de la lutte pour la première fois à un million deux cent mille francs (1.200.000 F CFA) et perdre un combat qu’il ne fallait pas prendre, a été l’un des plus douloureux souvenirs de Robert Diouf, battu par Mbaye Guèye de Fass dans un combat «bizarre et mystique».
« J’avais fini de battre Mame Gorgui Ndiaye, alors porte-étendard de Fass à l’époque et cette défaite avait fait des dégâts en leur sein. La bataille mystique avait fait rage, car Mame Gorgui était soutenu par les douze «pinthie» de la Médina et les Lébous dans leur ensemble. Fass savait que mystiquement, Mame Gorgui a laissé des traces dans mon corps et ils ont voulu coûte que coûte me faire lutter contre Mbaye Guèye. Je voulais l’affronter, mais pas si tôt. On m’a forcé la main et même les supporteurs qui m’étaient très proches et qui habitaient au cœur de Fass, voulaient le combat. Je sentais le piège, mais je ne pouvais plus reculer. Je me suis battu avec mes armes, mais la charge mystique avait laissé des traces », se désole Robert Diouf.
Un autre fait marquera l’ancien champion sérère, ses deux combats contre Moussa Diamé qui est un parent. Pour l’ancien manager Cheikh Diop, cet événement a laissé des séquelles dans l’écurie sérère. « C’est Robert qui a formé Moussa Diamé et lui a appris beaucoup de choses. Mais les promoteurs ont fait croire à Moussa Diamé qu’il est plus fort que Robert Diouf et lui ont proposé de l’argent. Robert a refusé de l’affronter et n’a pas voulu répondre aux provocations de ce dernier. Les Sérères se sont mobilisés pour que ce combat n’ait pas lieu, mais Moussa Diamé ne voulait rien entendre. Pour leur première confrontation, Robert n’a pas voulu forcer son talent et a contraint Moussa Diamé au match nul. Uniquement pour préserver les liens. Mais les attaques frontales étaient plus agressives et il le dominera lors de leur deuxième opposition », regrette l’ancien manager de Manga 2. L’histoire ne dira pas cependant si c’est à cause de ce combat que les Sérères s’affrontent chaque fois qu’ils sont dans des écuries ou écoles de lutte différentes.
Avec le palmarès qui est le sien, l’on peut dire sans hésiter que ses dignes héritiers sont… Yékini (fils spirituel) et Abdoulaye Ndiaye, son fils cadet, sociétaire de l’écurie Ndakaru. Pourtant, Mbagnick et Mamady Ndiaye avaient toutes les qualités techniques pour réussir dans la lutte. « En sport, il faut être sérieux pour arriver à ses fins. Etre fils d’un tel ou tel ne garantit absolument rien. Seul le travail paye. Je peux dire que Yékini qui est un neveu et Abdoulaye Ndiaye, mon fils cadet suivent à la lettre ce que je leur dis. Le résultat du premier nommé ne surprend guère, car il a été «Roi des arènes» et l’autre, sera peut-être un grand champion. S’il est toujours dans les mêmes dispositions, car il a les qualités techniques, physiques pour réussir», prévient Mohamed Ndiaye qui s’est converti à l’Islam aux derniers moments de sa carrière.
«Yahya Diop «Yékini» est mon fils. Il m’écoute et applique mes directives à la lettre. Lors de son deuxième combat contre Baboye, pourles dernières recommandations, je lui ai dit qu’il n’y aura pas d’échange de coups. Mais, où que tu puisses passer, Baboye te fera une ceinture arrière «weur ndomba». Je lui ai répété les mêmes paroles et il me fait une accolade avant d’aller rejoindre l’enceinte. A quelques mètres du «cimikay» de Yékini, je me retourne et constate que Baboye avait attaqué et fait comme je l’avais prédit. Il savait aussi que son poids allait faire la différence, car Baboye ne pouvait le soulever», se souvient-il.
« Ces aspects, on les maîtrise, mais on ne le fait pas savoir à tout le monde. A la fin du combat, Yékini n’en revenait pas, mais ce sont des choses que Dieu transmet à certaines personnes », ajoute le champion sérère.
Dans sa maison, la scène est assez cocasse pour êtresoulignée, un téléphone sonne : c’est la chorégraphie de Balla Gaye n°2 qui se fait entendre. Abdoulaye Ndiaye, son fils cadet et lutteur à Ndakaru, ne peut contenir sa rage. S’adressant à sa sœur cadette, propriétaire du cellulaire, il lâche : « Ce téléphone, dès que je l’aurai à portée de main, je le briserai. Je n’aime pas cette sonnerie », fulmine Abdoulaye.
Robert intervient : « Il faut respecter le choix des autres. Chaque personne est libre de supporter le lutteur de son choix. Des voisins, des parents, supportaient d’autres lutteurs alors que j’étais en activité. Cela me motivait davantage. C’est normal, personne ne peut faire l’unanimité», exhorte-t-il son fils à lâcher du lest.
« J’ai fait 137 combats pour 7 défaites, 12 nuls et 118 victoires. Tous des combats dans l’arène. Ce n’est pas la même chose ! Et puis, on avait l’habitude de reprendre des combats quand la chute était litigieuse. Tant que ce n’est pas limpide, on ne peut considérer une chute. On avait cet esprit sportif et les lutteurs n’avaient pas peur de perdre, car chacun était sûr de ses qualités. Il arrivait qu’on se rencontre deux, trois, voire à quatre reprises. J’étais très doué et ce don était renforcé par un travail acharné. Je voulais être le meilleur partout», clame-t-il.
«C’était pendant un voyage en Europe, en France, en compagnie de Double Less. On était dans la même chambre. Je tiens à souligner aussi que nos rapports avec nos adversaires étaient bons, seuls les combats nous opposaient. Double Less me dit : «Tu resteras la tache noire de ma carrière. J’ai terrassé tout le monde, sauf toi. Comment tu fais ? Cela me fait tellement mal», ne cessait-il de me demander. «Il ne faut pas t’en faire, c’est du ressort de Dieu. Je sais que tu es fort comme un taureau, puissant, mais je suis meilleur que toi. Tactiquement et techniquement, tu ne fais pas le poids», se rappelait-il, dans un fou rire. Ayant une lecture de la façon de lutter de Double Less, il analyse : «S’il se déplaçait normalement comme les autres, ses défaites seraient plus nombreuses. Je le chambre chaque fois que l’on se rencontre, mais sans plus».
« Ce que je déplore, cela concerne mes anciens collègues lutteurs. Il arrive qu’on en interroge certains et ils citent mon nom parmi ceux qu’ils ont battus. Il s’agit de Pape Diop «Boston» de Pikine et Boy Bambara. Ils ne m’ont jamais battu, alors que je les ai terrassés. (Il montre sa main gauche avec une cicatrice). Cette blessure, je l’ai contractée face à Boy Bambara. Après lui avoir donné un coup, sa dent a percuté ma main. Je regrette, mais sa mère avait dit que son fils ne lutterait plus dans l’arène au risque de se faire tuer. Je reconnais que Mbaye Guèye, Pape Kane, Mame Gorgui m’ont battu et je les ai terrassés aussi. Et pas une seule fois. Et celle concédée contre Mbaye Guèye était presque préméditée. Je savais ce qui se passait et se tramait. Entre Lébous et Sérères, la bataille mystique faisait rage».
Boy Niang N°2 ne sera sans doute pas le seul lutteur suspendu par les instances dirigeantes de la lutte. Auparavant, Robert Diouf l’a été après son combat contre Falaye Baldé qui n’a pas connu d’épilogue. Les deux camps se sont affrontés et la sentence n’a pas été tendre pour le Sérère, qui a écopé d’une suspension de trois (3) mois. Mais c’était sans compter avec la détermination des amateurs et des supporters de Robert Diouf. « Robert avait beaucoup de supporters, partout au Sénégal. Ces derniers ont déserté les différents stades. L’arène Makhary Thiam était la plus prisée et il y comptait beaucoup d’inconditionnels. Et curieusement, elle sonnait vide lors des autres combats. Il n’y avait plus de public et cela faisait désordre. Le ministre des Sports de l’époque, Amadou Racine Ndiaye, voulait que notre lutteur se produise dans les stades, moyennant des cachets. Naturellement, on a refusé, car on voulait respecter les trois (3) mois de suspension et marquer les esprits», explique Serigne Ndiaye, l’ancien bras droit.
« Les promoteurs s’étaient concertés pour plafonner les cachets à quatre vingt mille francs (80.000 F CFA) pour les ténors et moins pour les autres lutteurs. Robert Diouf étant très sollicité, sa levée de suspension va coïncider avec son prochain combat où l’on a reçu presque cinq cents mille francs (500 000 F CFA), si l’on tient compte des dépenses prises en charge par le ministre des Sports qui a tout financé», révèle l’homme à tout faire de Robert Diouf.
A l’en croire, le plafonnement des cachets a toujours existé, mais les lutteurs prennent souvent le dessus sur les promoteurs.
« Les lutteurs d’aujourd’hui doivent nous féliciter et nous honorer, car si on parle de millions, c’est grâce à Mbaye Guèye et à moi-même. Nos collègues, malgré leur talent, cumulaient à trois cents (300), quatre cents (400) ou cinq cents mille francs (500.000 F CFA). Maintenant, c’est une véritable industrie et quand on est sérieux, on peut réussir sa vie socialement», conclut Robert Diouf.
*Crédit photos et textes de l'ouvrage "au-delà des Millions et des Passions" du Journaliste Omar Sharif NDAO
Palmarès de Mohamed Ndiaye « Robert Diouf »
Les victoires :
1- Mbaye Dia Diop (2 fois) 22- Modou Fall
2- Mame Gorgui Ndiaye (2 fois)23- Bécaye N°2
3- Yacou Sarr (2 fois)24- Poulo de Diourbel
4- Samba Diaw (2 fois)25- Ndiobeu Mbaye
5- Mbaye Guèye (2 fois)26- Diongue N°1
6- Ndiol Sène (3 fois)27- Diongue N°2
7- Mbar Mbaye (3 fois)28- Sow Faye
8- Souleymane Diaw (3 fois)29- Madiop Ndiaye
9- Boy Niague (4 fois)30- Songane N°2
10- Bécaye N° » (4 fois)31- Singuily Sankharé
11- Ousmane Diop (5 fois)32- Sa Ndiambour
12- Ousmane Ngom (6 fois)33- Boy Bambara
13- Faga 34- Double Less
14- Modou Diène de Thiaroye35-Boy Sérère de Darème
15- Mour de Diender36-Moussa Diamé
16- Daouda Guèye37-Mbaye Fall
17- Thiaw Mbao38-Ass Diallo
18- Assurance Diop39-Papa Kane
19- Malick Niang de Yoff40-Ngoumbane Khoulé
20- Gormack Faye41-Papa Touré
21- Mbaye Faye (semaine nationale)
Les défaites :
1- Falaye Baldé 1- Ousmane Ngom
2- Allé Fall 2- Mame Gorgui Ndiaye
3- Samba Diaw 3- Boy Niague
Les matches nuls :
1- Madiop Ndiaye 9- Moussa Diamé
2- Bécaye N°3 10- Sow Faye
3- Falaye Baldé 11- Mbor Mbaye
4- Ousmane Diop 12- Samba Diaw
5- Yocou Sarr 13- Allé Fall
6- Boy Bambara 14- Souleymane Diaw
7- Gormack Faye 15- Double Less
8- Bécaye N°2 16- Boy Nar Fall (2 fois)
Lutte internationale :
- Champion international : 1963 et 1972
- Médaille d’argent à la Rau
- Médaille d’or au Maroc