Ce n’est certes pas le Pérou mais c’est tellement mieux qu’au Sénégal ! Ils nous ont raconté leur nouvelle vie marocaine…
Jadis, le Maroc et, précisément Casablanca, sa capitale économique, étaient les destinations privilégiées pour de nombreux commerçants sénégalais mais aussi des candidats à l’émigration clandestine en Espagne qui faisaient du Royaume chérifien un pays de transit en attendant de pouvoir traverser la Méditerranée. Et au plus fort du flux migratoire des pirogues de la mort ou « Barsa et Barsakh », le Maroc avait été pris d’assaut par des milliers de jeunes Sahéliens désireux de gagner l’Espagne.
Les Européens ayant bouclé leurs frontières grâce en particulier au dispositif « Frontex » et l’Espagne n’étant plus une destination hospitalière du fait de la sévère crise économique que traverse le royaume ibérique, les vagues de migrants clandestins sont retombées. En lieu et place, le Maroc connaît plutôt une émigration « intellectuelle », lointain avatar de la politique d’ « émigration choisie » mise en place en France du temps du président Jacques Chirac. Car désormais, en effet, ce sont de jeunes diplômés sénégalais qui se rendent au Maroc non pas pour transiter à destination de l’Europe mais pour carrément s’y établir. Ces jeunes gens, après avoir acquis une expérience dans les centres d’appels sénégalais ou auprès des sociétés de téléphonie comme la Sonatel, Tigo, Expresso et, surtout, Premium Contact Center International Sénégal (Pcci), se sont tournés en désespoir de cause vers le Maroc. Diplômés en informatique ou en télécommunications, ils ont accumulé les stages et les Cdd (contrats à durée déterminée) dans les sociétés citées ci-dessus où, souvent, ils ont été placés par des sociétés d’intérim qui sont de véritables négriers. Le gros du peloton a travaillé à « Pcci », un centre d’appels gérant les appels téléphoniques et la relation clients de la société Orange. Il s’agit des fameux « 1441 » ou « 1413 » de la Sonatel. En effet, quand l’abonné appelle ces deux numéros, voire le 1212 pour demander des renseignements, les voix suaves qui répondent ne sont pas celles d’opérateurs ou opératrices de la Sonatel mais bien d’employés de « Pcci », une société à laquelle l’opérateur historique a sous-traité ce travail. Pour ce job d’intérimaire ou de temporaire, les jeunes galériens qui y travaillent bénéficient généralement de contrats de six mois renouvelables. Des contrats qui sont renouvelés indéfiniment avec toutefois des périodes de chômage, histoire pour l’employeur d’éviter de tomber sous le coup de la législation du travail. Confidence de l’un d’entre ces anciens intérimaires : « en ce qui me concerne, j’ai fait quatre ans dans les services « 1441 » et « 1413 » de la Sonatel avec des contrats de six mois renouvelables. Durant les quatre années que j’ai passées dans cette société, je touchais un salaire de base de 120.000 fcfa /mois ainsi qu’une prime de compétence de 50.000 fcfa / mois. Nous étions au départ plus de 110 opérateurs contractuels mais, au bout de quatre ans, seules trois personnes ont été définitivement recrutées et par… la Sonatel. C’était à peu près la même chose pour les autres générations de contractuels qui ont eu à y travailler avant et après nous... » nous explique El. H. Diop, un ancien contractuel de « Pcci ». Notre interlocuteur est établi aujourd’hui à Casablanca où il travaille dans un centre d’appels avec de nombreux jeunes sénégalais ayant fait les « beaux » jours de Tigo, Expresso, Orange etc.
Comme écrit plus haut, en effet, les sociétés de télécommunications du Sénégal ont recours massivement aux agences d’intérim qui leur fourguent une main d’œuvre taillable et corvéable à merci. Les jeunes gens mis ainsi à la disposition de ces opérateurs n’ont aucune chance d’être embauchés un jour… Et après avoir été pressés comme des citrons, soit ils se retrouvent dans la rue un beau matin parque étant devenus trop vieux pour le job, soit alors, gagnés par le découragement, ils jettent l’éponge…
La nouveauté c’est que beaucoup de galériens qui se trouvaient dans cette situation ont choisi d’émigrer en Mauritanie, en Tunisie et, surtout, au Maroc où ils sont accueillis à bras ouverts.
Dans ce dernier pays, qui est très avancé en matière des télécommunications, la demande en télé-opérateurs est forte. En dehors des trois principaux opérateurs de téléphonie que sont les géants Maroc Telecom, Meditel et Wana, le pays compte plus de 500 centres d’appels, du plus minuscule et informel aux très grandes entreprises. Sans oublier les centres d’appels des sociétés françaises « offshore » fuyant les rigueurs fiscales et les salaires élevés du Vieux continent pour venir s’implanter dans le royaume chérifien où le coût du travail est très bas. D’après nos jeunes compatriotes établis dans ce pays, rien qu’à Casablanca, il y aurait plus de 200 centres d’appels. Confirmation de M. Nd depuis la capitale économique marocaine : « En janvier 2012, cinq de mes amis avec qui je travaillais à Pcci m’ont appelé du Maroc pour m’annoncer que le marché de l’emploi dans le secteur des télécommunications est très porteur. Ils m’avaient même précisé que l’offre d’emplois dépassait largement la demande dans les centres d’appels... Sans me faire prier, j’ai rassemblé une somme de 100.000 fcfa pour prendre la route vers le Maroc » raconte notre interlocuteur.
Le téléphone arabe fonctionnant, ce fut bientôt le grand rush vers le Maroc ! Et ces derniers temps, les jeunes galériens d’Orange, de Tigo ou du Pcci partent par centaines vers le Maroc. Sur place, ils ont tous trouvé du travail dans les centres d’appels avec des salaires mensuels oscillant entre 450 euros (300.000 fcfa) et 500 euros (325.000 fcfa). Au Royaume chérifien, les jeunes diplômés sénégalais en informatique et en télécommunications côtoient des étudiants ayant « cartouché » à l’Ucad (Université Cheikh Anta Diop) ou dans les universités marocaines. Explication : « dans les centres d’appels marocains, il suffit d’avoir un bon niveau en français pour se faire recruter comme opérateur ou téléconseiller » précise T.F., un ancien stagiaire de Tigo joint au téléphone aux côtés de ses jeunes collègues sénégalais. Tous ces jeunes compatriotes confirment que les anciens contractuels de Pcci et d’Orange ont des chances d’être recrutés sans subir des tests. Comme quoi, Pcci et la Sonatel sont des références en Afrique !
Ces jeunes gens bien formés n’auraient-ils pas pillé ou piraté, avant de partir, les logiciels d’Orange ou Tigo pour faciliter leur recrutement dans les centres d’appels marocains ? Nos correspondants démentent avec force. Au contraire, expliquent-ils, « ceux d’entre nous qui ont eu à travailler au Pcci, à la Sonatel Orange, à Tigo ou Expresso ne se retrouvent pas dans les applications ou logiciels des sociétés marocaines puisqu’elles sont en avance sur le Sénégal ». Ce, histoire de nous faire comprendre que le Maroc ne manque pas de compétences — loin de là ! — dans le domaine des Ntics. Donc, l’arrivée de jeunes Sénégalais sur le marché chérifien du travail ne peut en aucun cas être mû par des raisons d’espionnage économique. Mieux, explique un de nos jeunes compatriotes, « le Maroc s’est doté de satellites de nouvelle génération avec des applications qui n’existent pas encore au Sénégal. » Dans la foulée, ces professionnels sénégalais mobiles regrettent le fait que les Marocains n’acceptent de les recruter que comme téléconseillers dans les centres d’appels. En effet, expliquent-ils, dans les sociétés de télécommunications, seuls les sujets de Sa Majesté le roi Mohamed VI travaillent dans les services stratégiques où les logiciels et les données sont très sensibles. Ce qui veut dire que l’accès à ces emplois n’est pas autorisé aux étrangers, en général, et aux Sénégalais en particulier » souligne M. Nd. depuis Casablanca. Toujours est-il que nos jeunes compatriotes établis au Maroc — du moins ceux d’entre eux travaillant dans les centres d’appels — ne se plaignent guère de leur situation. Tous disent gagner honnêtement leur vie avec de bons contrats. « C’est mille fois mieux qu’au Sénégal ! » hurlent-ils au téléphone en ponctuant leurs propos avec force « Al hamdoulilahi... »
Une chose est sûre : au lendemain de la parution de cet article aux allures d’offres d’emplois gratuites et à grande échelle, les départs vers le Maroc de jeunes chômeurs diplômés sénégalais vont se multiplier !
Pape NDIAYE
Le Témoin N° 1106 –Hebdomadaire Sénégalais ( Décembre 2012)
Jadis, le Maroc et, précisément Casablanca, sa capitale économique, étaient les destinations privilégiées pour de nombreux commerçants sénégalais mais aussi des candidats à l’émigration clandestine en Espagne qui faisaient du Royaume chérifien un pays de transit en attendant de pouvoir traverser la Méditerranée. Et au plus fort du flux migratoire des pirogues de la mort ou « Barsa et Barsakh », le Maroc avait été pris d’assaut par des milliers de jeunes Sahéliens désireux de gagner l’Espagne.
Les Européens ayant bouclé leurs frontières grâce en particulier au dispositif « Frontex » et l’Espagne n’étant plus une destination hospitalière du fait de la sévère crise économique que traverse le royaume ibérique, les vagues de migrants clandestins sont retombées. En lieu et place, le Maroc connaît plutôt une émigration « intellectuelle », lointain avatar de la politique d’ « émigration choisie » mise en place en France du temps du président Jacques Chirac. Car désormais, en effet, ce sont de jeunes diplômés sénégalais qui se rendent au Maroc non pas pour transiter à destination de l’Europe mais pour carrément s’y établir. Ces jeunes gens, après avoir acquis une expérience dans les centres d’appels sénégalais ou auprès des sociétés de téléphonie comme la Sonatel, Tigo, Expresso et, surtout, Premium Contact Center International Sénégal (Pcci), se sont tournés en désespoir de cause vers le Maroc. Diplômés en informatique ou en télécommunications, ils ont accumulé les stages et les Cdd (contrats à durée déterminée) dans les sociétés citées ci-dessus où, souvent, ils ont été placés par des sociétés d’intérim qui sont de véritables négriers. Le gros du peloton a travaillé à « Pcci », un centre d’appels gérant les appels téléphoniques et la relation clients de la société Orange. Il s’agit des fameux « 1441 » ou « 1413 » de la Sonatel. En effet, quand l’abonné appelle ces deux numéros, voire le 1212 pour demander des renseignements, les voix suaves qui répondent ne sont pas celles d’opérateurs ou opératrices de la Sonatel mais bien d’employés de « Pcci », une société à laquelle l’opérateur historique a sous-traité ce travail. Pour ce job d’intérimaire ou de temporaire, les jeunes galériens qui y travaillent bénéficient généralement de contrats de six mois renouvelables. Des contrats qui sont renouvelés indéfiniment avec toutefois des périodes de chômage, histoire pour l’employeur d’éviter de tomber sous le coup de la législation du travail. Confidence de l’un d’entre ces anciens intérimaires : « en ce qui me concerne, j’ai fait quatre ans dans les services « 1441 » et « 1413 » de la Sonatel avec des contrats de six mois renouvelables. Durant les quatre années que j’ai passées dans cette société, je touchais un salaire de base de 120.000 fcfa /mois ainsi qu’une prime de compétence de 50.000 fcfa / mois. Nous étions au départ plus de 110 opérateurs contractuels mais, au bout de quatre ans, seules trois personnes ont été définitivement recrutées et par… la Sonatel. C’était à peu près la même chose pour les autres générations de contractuels qui ont eu à y travailler avant et après nous... » nous explique El. H. Diop, un ancien contractuel de « Pcci ». Notre interlocuteur est établi aujourd’hui à Casablanca où il travaille dans un centre d’appels avec de nombreux jeunes sénégalais ayant fait les « beaux » jours de Tigo, Expresso, Orange etc.
Comme écrit plus haut, en effet, les sociétés de télécommunications du Sénégal ont recours massivement aux agences d’intérim qui leur fourguent une main d’œuvre taillable et corvéable à merci. Les jeunes gens mis ainsi à la disposition de ces opérateurs n’ont aucune chance d’être embauchés un jour… Et après avoir été pressés comme des citrons, soit ils se retrouvent dans la rue un beau matin parque étant devenus trop vieux pour le job, soit alors, gagnés par le découragement, ils jettent l’éponge…
La nouveauté c’est que beaucoup de galériens qui se trouvaient dans cette situation ont choisi d’émigrer en Mauritanie, en Tunisie et, surtout, au Maroc où ils sont accueillis à bras ouverts.
Dans ce dernier pays, qui est très avancé en matière des télécommunications, la demande en télé-opérateurs est forte. En dehors des trois principaux opérateurs de téléphonie que sont les géants Maroc Telecom, Meditel et Wana, le pays compte plus de 500 centres d’appels, du plus minuscule et informel aux très grandes entreprises. Sans oublier les centres d’appels des sociétés françaises « offshore » fuyant les rigueurs fiscales et les salaires élevés du Vieux continent pour venir s’implanter dans le royaume chérifien où le coût du travail est très bas. D’après nos jeunes compatriotes établis dans ce pays, rien qu’à Casablanca, il y aurait plus de 200 centres d’appels. Confirmation de M. Nd depuis la capitale économique marocaine : « En janvier 2012, cinq de mes amis avec qui je travaillais à Pcci m’ont appelé du Maroc pour m’annoncer que le marché de l’emploi dans le secteur des télécommunications est très porteur. Ils m’avaient même précisé que l’offre d’emplois dépassait largement la demande dans les centres d’appels... Sans me faire prier, j’ai rassemblé une somme de 100.000 fcfa pour prendre la route vers le Maroc » raconte notre interlocuteur.
Le téléphone arabe fonctionnant, ce fut bientôt le grand rush vers le Maroc ! Et ces derniers temps, les jeunes galériens d’Orange, de Tigo ou du Pcci partent par centaines vers le Maroc. Sur place, ils ont tous trouvé du travail dans les centres d’appels avec des salaires mensuels oscillant entre 450 euros (300.000 fcfa) et 500 euros (325.000 fcfa). Au Royaume chérifien, les jeunes diplômés sénégalais en informatique et en télécommunications côtoient des étudiants ayant « cartouché » à l’Ucad (Université Cheikh Anta Diop) ou dans les universités marocaines. Explication : « dans les centres d’appels marocains, il suffit d’avoir un bon niveau en français pour se faire recruter comme opérateur ou téléconseiller » précise T.F., un ancien stagiaire de Tigo joint au téléphone aux côtés de ses jeunes collègues sénégalais. Tous ces jeunes compatriotes confirment que les anciens contractuels de Pcci et d’Orange ont des chances d’être recrutés sans subir des tests. Comme quoi, Pcci et la Sonatel sont des références en Afrique !
Ces jeunes gens bien formés n’auraient-ils pas pillé ou piraté, avant de partir, les logiciels d’Orange ou Tigo pour faciliter leur recrutement dans les centres d’appels marocains ? Nos correspondants démentent avec force. Au contraire, expliquent-ils, « ceux d’entre nous qui ont eu à travailler au Pcci, à la Sonatel Orange, à Tigo ou Expresso ne se retrouvent pas dans les applications ou logiciels des sociétés marocaines puisqu’elles sont en avance sur le Sénégal ». Ce, histoire de nous faire comprendre que le Maroc ne manque pas de compétences — loin de là ! — dans le domaine des Ntics. Donc, l’arrivée de jeunes Sénégalais sur le marché chérifien du travail ne peut en aucun cas être mû par des raisons d’espionnage économique. Mieux, explique un de nos jeunes compatriotes, « le Maroc s’est doté de satellites de nouvelle génération avec des applications qui n’existent pas encore au Sénégal. » Dans la foulée, ces professionnels sénégalais mobiles regrettent le fait que les Marocains n’acceptent de les recruter que comme téléconseillers dans les centres d’appels. En effet, expliquent-ils, dans les sociétés de télécommunications, seuls les sujets de Sa Majesté le roi Mohamed VI travaillent dans les services stratégiques où les logiciels et les données sont très sensibles. Ce qui veut dire que l’accès à ces emplois n’est pas autorisé aux étrangers, en général, et aux Sénégalais en particulier » souligne M. Nd. depuis Casablanca. Toujours est-il que nos jeunes compatriotes établis au Maroc — du moins ceux d’entre eux travaillant dans les centres d’appels — ne se plaignent guère de leur situation. Tous disent gagner honnêtement leur vie avec de bons contrats. « C’est mille fois mieux qu’au Sénégal ! » hurlent-ils au téléphone en ponctuant leurs propos avec force « Al hamdoulilahi... »
Une chose est sûre : au lendemain de la parution de cet article aux allures d’offres d’emplois gratuites et à grande échelle, les départs vers le Maroc de jeunes chômeurs diplômés sénégalais vont se multiplier !
Pape NDIAYE
Le Témoin N° 1106 –Hebdomadaire Sénégalais ( Décembre 2012)