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Le Pr Justin Lin de l’Université de Beijing livre les recettes du décollage de son pays: Leçons chinoises pour un développement de l’Afrique

Les chiffres de la croissance annuelle au Japon en 2010, publiés ce matin, confirment que la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale l'an dernier.


Rédigé par leral.net le Mardi 21 Janvier 2014 à 15:01 | | 1 commentaire(s)|

Le Pr Justin Lin de l’Université de Beijing livre les recettes du décollage de son pays: Leçons chinoises pour un développement de l’Afrique
C’est assurément un très gros poisson qu’est allé pêcher le Pr Amadou Aly Mbaye, doyen de la FASEG (Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université de Dakar) et en même temps Président de la CIERA (Association des doyens et directeurs de centres de recherches basés en Afrique). Le gros poisson qu’il est parvenu à ramener sur les berges du Sénégal n’est autre en effet que le professeur chinois Justin Lin, Vice-président du Conseil de l’Université de Pékin, vice-président de la fédération des industriels et commerçants de Chine, ancien vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale, auteur de plusieurs ouvrages économiques salués par de nombreux Prix Nobel d’économie etc. Le Pr Justin Lin est aussi, avec le Camerounais Célestin Monga, un des théoriciens du concept de parcs industriels ou zones économiques spécialisées.

L’homme a sillonné plusieurs pays du continent du temps où il travaillait à la Banque mondiale et connaît donc très bien les problèmes auxquels les économies du continent sont confrontés. Il était donc particulièrement bien placé pour traiter du thème de la conférence qui portait sur « Émergence en Chine et prospérité en Afrique : Idées et opportunités ». Ailleurs, une telle pointure aurait fait salle comble partout et les gens auraient même payé cher pour assister à ses conférences. Pas au Sénégal où, malheureusement, il s’est exprimé dans une salle clairsemée du Cesag. Dommage, car sa causerie valait le déplacement. En tout cas, les happy few qui ont fait le déplacement n’ont pas été déçus.

Que nous a appris ce brillant professeur qui vient du pays « le plus performant du monde en matière économique » dixit le Pr Ahmadou Aly Mbaye qui s’exprimait assurément en connaisseur ! Un pays qui a réussi la prouesse de doubler sa richesse nationale en huit ans là où une nation européenne comme la Hollande a mis 63 ans pour le faire. Eh bien qu’en 1960, au moment où la plupart des pays africains accédaient à l’indépendance, le revenu par habitant du Sénégal, par exemple, était de 249 dollars alors que celui de la Chine s’élevait à 92 dollars seulement. Presque trois fois moins ! En 1978, ce revenu du Chinois traînait encore à 155 dollars tandis que le nôtre caracolait à 490 dollars. Et en 2012, 34 ans plus tard, le Sénégal, comme la plupart des pays du continent, était largué ! En effet, le revenu par habitant de la Chine s’établissait à 6.000 dollars tandis que celui du Sénégal ahanait à 1000 dollars !

Pour avoir une idée du grand bond en avant effectué par la Chine, devenue désormais la deuxième économie du monde — du moins d’après le professeur Lin —, il faut rappeler que jusqu’au milieu des années 70, 71 % des exportations de ce pays étaient encore constituées par des matières premières. Une véritable économie du Tiers monde ! Aujourd’hui, l’Empire du Milieu est devenu à ce point performant qu’il est le deuxième exportateur mondial et est surnommé « l’usine du monde ». Entretemps, la Chine a connu « trente glorieuses » années — plus exactement 34 — de croissance ininterrompue depuis 1979. Trente-quatre années au cours desquelles elle a réalisé un taux de croissance moyen de 9,3 % ! Il faut dire que l’envol économique de ce géant endormi a commencé en 1979 lorsque Deng Xiao Ping, véritablement l’artisan de ce décollage, est arrivé aux affaires.

Ce que le président Mao-Ze Dong et autres Chou En Laï n’avaient pas réussi — ils s’étaient fixés l’objectif de rattraper la Grande-Bretagne en dix ans et les USA en 15 ans ! —, lui l’avait réussi. Lorsque la Révolution triomphait en 1949, la Chine était plus pauvre que la plupart des pays africains. A la mort du Grand Timonier, en 1976, la situation n’avait guère changé. Il est vrai que la tache relevait de la gageure avec le blocus des pays occidentaux qui refusaient d’exporter leurs technologies vers ce pays communiste. Des technologies considérées comme relevant du « secret-défense ». Dès lors, la Chine n’eut d’autre solution que de lancer elle-même son propre programme de recherches et de consacrer des moyens colossaux à cette acquisition de connaissances et de technologies.

Quelques décennies plus tard, les résultats étaient là puisque le géant asiatique a testé sa bombe atomique et lancé des satellites dans l’espace. Mais à quel coût ! En effet, empruntant un modèle de développement à la soviétique, les dirigeants issus de la Longue marche avaient voulu privilégier l’industrialisation lourde, un domaine dans lequel l’Occident était beaucoup plus compétitif. Pour protéger leur économie aux coûts beaucoup plus élevés, ils pratiquèrent une politique de « distorsion des prix » qui fait que ce sont les consommateurs qui payaient en fait ces surcoûts. Le tout sur fond de protectionnisme à outrance. C’est ce qui explique sans doute que, durant tout ce temps, le revenu par habitant est demeuré incroyablement bas. Il était encore de 154 dollars en 1978. Il faut dire que l’Afrique ne se portait guère mieux durant ces mêmes années 80 et 90 puisque, du fait des politiques d’ajustement structurel, les taux de croissance étaient proches de zéro. D’ailleurs, selon le Pr Justin Li, il convient de les considérer comme des « décennies perdues ».

Deng et le virage vers l’économie de marché

Pour sortir du gouffre, combler son retard technologique et boxer dans la catégorie des poids lourds, Pékin a donc
dû faire preuve de pragmatisme sous la houlette de Deng Xiao Ping. « J’ai eu à visiter plusieurs pays africains, croyez-moi, la plupart d’entre eux bénéficiaient à l’époque de bien meilleures infrastructures que la Chine » assure le conférencier. Il fallait donc faire preuve de pragmatisme, s’extirper de l’idéologie. C’est l’époque où le mot d’ordre était : « qu’importe que le chat soit noir ou gris, l’essentiel c’est qu’il puisse attraper la souris ! » Deng commença donc par construire des zones économiques spéciales où l’environnement des affaires était amélioré. En fait, il s’agissait de véritables enclaves capitalistes en milieu communiste.

Des infrastructures modernes et performantes y furent construites. Il y fut permis de réaliser des profits selon le mot d’ordre « enrichissez-vous ! » Les procédures de création d’entreprises y furent simplifiées. Par exemple, hors ZES, pour monter un projet industriel ou commercial, il fallait obtenir au moins 200 autorisations ! Le parcours du combattant durait des années. Dans les ZES, toutes les autorisations étaient obtenues en un seul jour ! Surtout, Deng Xiao Ping jeta aux orties le dogme de l’industrialisation lourde, domaine dans lequel la Chine n’avait aucune chance de battre les Occidentaux, pour s’orienter vers l’industrie légère.

L’objectif était de fabriquer des articles à bas prix qui inonderaient les marchés du monde capitaliste du fait de leur faible coût de production. « Au début, reconnaît le Pr Justin Lin, la qualité des articles n’était pas très bonne » mais qu’importe, l’essentiel était de produire et d’exporter. Au fur et à mesure, cette qualité s’est améliorée au point de taquiner aujourd’hui les standards internationaux. L’autarcie ayant ses limites, les dirigeants chinois de l’époque ont fait la cour aux investisseurs étrangers auxquels ils ont accordé toutes sortes de facilités et garanties dans les ZES.

Des ZES inspirées… de l’ile Maurice ! De ce fait, ils ont attiré des industries occidentales très compétitives séduites notamment pas la modicité des salaires de la main d’œuvre chinoise, abondante et qualifiée. Dans le même temps, les Chinois ont pratiqué un protectionnisme pour protéger leurs entreprises, lesquelles bénéficiaient également d’importants soutiens de l’Etat soucieux de créer dans tous les secteurs des champions économiques. Des entreprises appartenant à l’Etat, bien sûr, mais fonctionnant selon les règles de l’économie de marché. Un capitalisme d’Etat, en somme.

Aux Africains, le Pr Justin Li conseille de créer des industries adaptées à leur contexte et de miser sur l’abondance de leur main d’œuvre qui est assez qualifiée. Ils devront privilégier les secteurs où ils sont les plus compétitifs, orienter les investissements locaux vers ces secteurs prioritaires, et, surtout, améliorer l’environnement des affaires comme les Chinois l’ont fait dans leurs zones économiques spéciales. Une Chine qui, soit dit en passant, occupe la 90ème place dans le classement du Doing Business établi par la Banque mondiale ! Cherchez l’erreur… « Avec un milliard d’habitants environ, une jeunesse assez éduquée et des salaires bas, l’Afrique devrait pouvoir se spécialiser dans les industries légères, notamment les manufactures. Par exemple, le coût de la main d’œuvre en Chine est 10 fois plus élevé qu’en Ethiopie. Elle peut donc délocaliser dans ce dernier pays mais aussi partout ailleurs où l’on trouve les mêmes conditions. De fait, les industriels chinois de la chaussure emploient aujourd’hui 22.000 travailleurs en Ethiopie » confie l’ancien vice-président de la Banque mondiale. Il estime qu’il ne sert à rien de brûler les étapes et qu’il vaut mieux pour l’Afrique commencer par les industries manufacturières grosses consommatrices de main d’œuvre.

Comme la Chine qui emploie 85 millions de personnes dans ce secteur, contre 10 millions tout au plus en Afrique. Puis, progressivement, le continent pourrait monter en puissance vers les secteurs de haute technologie. Enfin, il faudrait que les dirigeants africains protègent leurs industries en pratiquant un protectionnisme. Ce qui aurait l’avantage de pousser quiconque voudrait vendre en Afrique de venir y construire des usines. « Si ces conseils sont respectés, nul doute que les pays en voie de développement comme les vôtres pourront réaliser des taux de croissance de 8 % au moins pendant des décennies » se dit convaincu le Pr Justin Li. De quoi faire des pays Africains des Lions ou des Eléphants à l’instar des Dragons asiatiques. Il est toujours permis de rêver car cette Afrique que l’on voit, on dirait qu’elle refuse le développement !

Mamadou Oumar NDIAYE

LE TEMOIN N°1149 - HEBDOMADAIRE SENEGALAIS / JANVIER 2014