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Le Président Abdoulaye Wade au journal espagnol Pùblico : «La loi française est allée trop loin»

Mandats d’arrêts lancés contre des personnalités sénégalaises, dossier Le Joola, les affaires Hissène Habré, El Malick Seck, corruption au Sénégal, des questions d’actualités sénégalaises, entre autres, que le Président Abdoulaye Wade, comme à son habitude, a bien voulu aborder avec des journalistes étrangers. Voici quelques extraits d’une interview du chef de l’Etat sénégalais, signée Manuel Ansede et publiée dans le quotidien espagnol Pùblico d’hier, mardi 14 octobre 2008.


Rédigé par leral.net le Mercredi 15 Octobre 2008 à 05:36 | | 0 commentaire(s)|

Le Président Abdoulaye Wade au journal espagnol Pùblico : «La loi française est allée trop loin»
Face à la crise économique l’Espagne vient de reviser sa politique d’émigration vis-à-vis du Sénégal. Qu’en pensez-vous si l’on sait que 2,1% du Pib de votre pays dépend des transferts d’argent des émigrés sénégalais vivant et travaillant en Espagne ?
C’est vrai que dans ce contexte de crise les émigrés envoient moins d’argent, mais il faut accepter les règles. Cela dit, il faut dénoncer le fait que l’Europe soit en train de construire une forteresse. Les lois pour juguler l’émigration sont dirigées contre l’Afrique noire, car au même moment l’Union méditeranéenne cherche à intégrer davantage le Magreb. Il y a une volonté manifeste d’isoler l’Afrique noire et cela, nous ne devons pas l’accepter.


Parlons de justice, pensez-vous que le juge français, qui a demandé l’arrestation de 9 anciens responsables sénégalais, soit allé si loin dans sa volonté d’y voir plus clair dans le naufrage du bateau Le Joola ?
C’est la loi française qui est allée trop loin (...). Nous n’avons jamais dit qu’il ne fallait pas juger les responsables du naufrage du Joola. Mais, il nous appartient de les juger. Le procureur de la République, après avoir determiné les actions administratives et les indemnisations correspondantes, et après avoir considéré que le capitaine du bateau avait trouvé la mort dans l’accident, décida en son âme et conscience d’archiver le dossier. Mais, cela ne signifie pas que le dossier ne peut pas être réouvert.


Avez-vous peur d’être vous aussi reclamé par la justice francaise ?
C’est une chose qui peut arriver.



Envisagez-vous, depuis le Sénégal, de lancer un mandat d’arrêt international contre Villepin, Sarkozy ou Raffarin ?

Oui, bien sûr. Même si je pense que ce système de compétence universelle de la justice, telle que libellé aujourdhui, est totalement absurde et va compliquer les relations internationales. Je sais que le gouvernement français, non plus, n’est pas d’accord avec ce système. Dans la realité, la France est gouvernée par les juges et rien ne les retient.


Pensez-vous que dans la réalité l’Afrique soit capable de juger ses criminels ?
Il faut chercher à atteindre cet objectif. Par exemple personne n’allait juger Hissène Habré si le Sénégal n’avait pas accepter de le faire. Mais avant tout il faut créer un tribunal, car jusqu’à présent il n’y a pas au sein de l’Union africaine, un tribunal pénal international.


N’empêche que cela fait deux ans que l’Union africaine avait délégué le Sénégal pour juger Habré, mais jusqu’à présent on continue d’attendre ce jugement...
Certes. Mais dans le cas de Habre, il faut dire que les gens parlent beaucoup et agissent peu. Nous avons accepté de le juger, mais pas avec les moyens financiers du Sénégal. C’est l’Union africaine qui doit financer les frais du procés. Certaines Ong qui appuient les victimes et certains pays de l’Union européenne nous ont fait part de leur désir de contribuer financièrement au procés. Un sénateur américain m’a aussi fait part de sa volonté d’y participer. Mais jusqu’au moment ou je vous parle nous n’avons reçu un seul dollar. Nous avons adapté notre Loi pour pouvoir juger Habré, mais je ne vais pas utiliser l’argent du Sénégal pour financer le projet. Il appartient à l’Union africaine de le faire.


Habré sera-t-il un jour devant les juges ?
J’espère que l’Union africaine, l’Union européenne et les Ong vont se mobiliser parce que je ne vais pas garder indéfiniment Habré au Sénégal. Nous avons besoin d’argent pour payer les magistrats, les tribunaux, les frais de voyage des juges à Djamena, mais aussi les frais de voyage des témoins au Sénégal. Quelqu’un doit payer ces dépenses et ce ne sera pas le Sénégal. C’est le probléme que nous avons en ce moment par rapport à l’affaire Habré.


Donc le jugement de Habré peut encore tarder ?
Nous courrons le risque que cela traîne en longueur. Si ça continue comme ça, je dirai à l’Union africaine de reprendre le cas.


Et Habré ?
Je ferai qu’il abandonne le Sénégal, même si je ne sais pas où il va aller. Je ne suis pas obligé de le juger. J’accepte de le juger mais qu’on me donne les moyens.


Le ministre de la Justice sénégalaise, Madické Niang, est l’ancien avocat de Hissene Habré…
Cela ne pose aucun probléme. Madické Niang n’est pas un juge, c’est un administrateur.


Mais dans tout les cas c’est quelque chose d’étrange.
Sarkozy aussi était avocat. Je ne vais pas modifier mon gouvernement pour faire juger Habré. C’est vrai que le ministre de la Justice était l’avocat de Habré, mais il n’intervient pas dans ce cas.


Si le Sénégal a la volonté politique de juger Habré, un ancien président d’un autre pays, pourquoi n’acceptez-vous pas qu’un ancien Premier ministre sénégalais soit jugé par un juge français dans l’affaire du Joola ?
Parce que la Justice française n’est pas compétente. Dans le cas de Habré l’Union africaine est compétente et elle nous a délégués pour juger Habré. Le juge français n’a aucun droit à juger qui que ce soit au Sénégal. Les faits incriminés se sont déroulés au Sénégal et doivent être jugés au Sénégal et nulle part ailleurs.


Le directeur du journal 24 Heures Chrono, El Malick Seck, vous a diffamé en citant des sources vagues et a été condamné à 3 ans de prison. Pensez-vous que la prison doit être la réponse face aux actes de diffamation ?

Ce n’est pas moi qui rédige le Code pénal, cela ressort de la compétence de l’Assemblée nationale et du Sénat. Un journaliste est un citoyen comme n’importe quel autre citoyen. S’il commet un délit, il faut l’arrêter. En plus si c’était une exception j’aurai passé l’éponge, mais on ne peut pas passer toute la vie en diffamant des gens et cela sans conséquences. C’est bon que des fois les gens comprennent qu’il y a des limites à ne pas depasser.


Selon le dernier rapport de Transparency international, le Sénégal est davantage gangrené par la corruption.
Les pays developpés doivent la fermer et ne pas parler de corruption, parce qu’ils sont les plus corrompus du monde. Ils n’ont aucune leçon de morale à me donner. Je sais parfaitement qu’il y a la corruption au Sénégal, mais les tribunaux condamnent tous les jours les corrompus. Nous faisons tout notre possible pour lutter contre cette tare. Nous savons ce qui se passe dans les autres pays. Prenez par exemple l’angolagate en France. C’est quoi ?
Certes en Europe il n’y a pas de policiers corrompus qui inventent des infractions pour vous soutirer 2000 francs Cfa, mais il y a d’autres formes de corruption dans le milieu des banques et de la finance. La corruption n’a pas de patrie.
Texte traduit par Ibrahima
Khalil Wade en Espagne
source le quotidien

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