Le Monde : Qu’est-ce qui vous a décidé à renoncer à un troisième ¬mandat ?
Président Macky Sall : Je n’ai subi aucune pression. Dès 2018, j’avais écrit dans un ouvrage, Le Sénégal au cœur (Le Cherche Midi, 2019), que je briguais mon dernier mandat. Mais dès ma victoire, il y a cinq ans, certains se sont empressés de lancer des campagnes mensongères autour d’un prétendu troisième mandat. J’ai par ailleurs reçu de nombreux soutiens d’élus qui m’ont supplié de sauter le pas. Dimanche 2 juillet, 512 élus m’ont remis une pétition allant dans ce sens. Que certains s’agitent sur ce sujet ne m’a pas dérangé, c’est la démocratie. Mais cela a fait courir la rumeur.
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de clarifier votre décision ?
Le flou que vous avez entretenu n’a-t-il pas contribué à la crispation politique, ces derniers mois ? Je ne pouvais pas dire plus tôt que je ne me représenterais pas. Sinon, le pays aurait cessé de travailler. Les tensions politiques de ces derniers temps n’ont rien à voir avec la question du troisième mandat. Le fond du problème, c’est une affaire judiciaire qui a débuté en mars 2021 avec l’arrestation d’un opposant [Ousmane Sonko était poursuivi pour viols contre une employée d’un salon de massage et a été condamné en juin à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse »]. Il a appelé les gens à descendre dans la rue pour protester contre la justice et il y a eu des morts. En juin, lors de son procès, les mêmes appels à l’insurrection ont été lancés avec les mêmes conséquences.
Vous n’avez jamais été tenté par un troisième mandat ?
Non. La seule raison pour laquelle j’aurais pu me représenter, c’est si le pays avait été confronté à une menace sérieuse pour sa stabilité. Mais cette menace n’est pas arrivée. Dans votre discours à la nation, vous avez insisté sur l’importance des valeurs républicaines.
Estimez-vous qu’elles sont menacées ?
Oui. Certains appellent à l’insurrection, à prendre le pouvoir par des méthodes antidémocratiques pour saper les fondements de la République. Ce sont des dangers pour notre pays. Mais même si le Sénégal peut être secoué, comme tous les pays, il résistera pour continuer sa marche. Après la condamnation d’Ousmane Sonko, les affrontements entre manifestants et forces de défense ont fait au moins 23 morts, selon Amnesty International. Le ministre de l’intérieur a évoqué la présence de « forces occultes » sur le sol sénégalais.
Quelles sont-elles ?
Une enquête est en cours, mais nous savons qu’il y a eu des complices qui ont tenté de déstabiliser le Sénégal. Parfois à l'étranger. En France, [le parti] La France insoumise, a soutenu ces violences. C'est une ingérence inadmissible.
Avez-vous prévu de discuter avec lui afin de mettre fin aux tensions ?
Ceux qui ont accepté de dialoguer au sein de l’opposition républicaine, ont obtenu des avancées sur le processus électoral [le dialogue national a préconisé que Khalifa Sall et Karim Wade puissent être candidats]. Ceux qui l’ont refusé, se sont exclus. Je ne vais pas leur courir après. Par ailleurs, ce n’est ni moi ni la rue qui décidons qui sera candidat à la prochaine présidentielle mais le Conseil constitutionnel.
La coalition que vous avez fondée, Benno Bokk Yakaar (« unis par l’espoir » en wolof), et votre parti, l’Alliance pour la République (APR), doivent à présent choisir leur prétendant pour février 2024. Avez vous un candidat ?
C’est un processus de discussion. J’ai réuni le parti, mercredi 5 juillet, et il a estimé qu’il fallait me faire confiance pour faire ce choix. Je souhaite pour ma part, un candidat capable de maintenir la coalition unie. Un homme de dialogue.
Envisagez-vous, après votre départ, d’entamer une carrière diplomatique, au Secrétariat général des Nations unies ou comme représentant permanent de l’Afrique au G20 ?
Il est trop tôt pour répondre à cette question. Le mandat de M. Guterres court jusqu’en 2026. Attendons 2025.
Etes-vous intéressés par ce poste ?
J’aimerais me mettre au service de l’Afrique et du monde. Il faut réformer les systèmes de gouvernance mondiale, sans quoi, nous, Africains, qu’importent nos efforts, nous ne nous en sortirons pas… Les institutions de Bretton Woods ont été mises en place après 1945 alors que nous n’étions pas souverains. Ces mécanismes sont en total déphasage avec aujourd’hui.
Par ailleurs, le Conseil de sécurité de l’ONU doit être réformé pour plus d’inclusion. Si l’on veut éviter une fracture entre les pays du G7 et les puissances émergentes, il nous faut trouver un système plus équilibré. Je souhaite aussi lutter pour l’accès de l’Afrique au marché des capitaux dans des conditions supportables.
Les familles des victimes attendent toujours une enquête judiciaire. Où en est-elle ?
Cela est en bonne voie. Mais je ne suis pas habilité à commenter un dossier judiciaire.
Amnesty International a dénoncé un « usage disproportionné » de la force lors de la répression des manifestations de juin. N’y a-t-il pas un problème avec le maintien de l’ordre au Sénégal ?
Je ne le pense pas. Quand des personnes attaquent des brigades pour prendre des armes, est-ce une manifestation démocratique ? Pourquoi détruire des mairies, des prisons, des tribunaux ? Quand des manifestants incendient des maisons, Amnesty International condamne-t-elle ces actes ? Quand on appelle la jeunesse à mourir, à se sacrifier, où est cette organisation ? Il y a eu des morts par balles à Ziguinchor… Je ne le nie pas. La justice va faire la lumière là-dessus, des enquêtes sont en cours.
Les forces de défense seront-elles sanctionnées si ces enquêtes les mettent en cause ?
Attendons que l’enquête établisse les responsabilités. Il y a une telle insistance pour désigner des coupables ! Une demande d’enquête pour « crimes contre l’humanité » a été soumise à la Cour pénale internationale (CPI) contre vous et d’autres responsables sénégalais par Juan Branco, l’avocat français d’Ousmane Sonko.
Que répondez-vous à ces accusations ?
C’est ridicule. Le Sénégal est le premier Etat au monde à avoir ratifié les statuts de la CPI. Nous n’accepterons pas d’entrer dans ce jeu de diversion. L’opposition vous accuse d’avoir sélectionné les candidats qui pourront concourir au scrutin et cherché à éliminer Ousmane Sonko de la course.
Dans ces conditions, le Sénégal peut-il réellement aller vers un scrutin apaisé en février 2024 ?
Sans aucun doute. En 2019 aussi, on disait que si certains candidats ne participaient pas à l’élection, ce serait le chaos. Pourtant, tout s’est bien passé. L’élection se tiendra et le peuple choisira son président. Rien ni personne ne pourra remettre en cause le processus électoral. M. Sonko a été condamné à deux ans de prison ferme mais n’a toujours pas été arrêté.
Est-ce parce que vous craignez que son incarcération crée des violences ?
Non, je ne crains rien. Je dirige un pays, je ne me focalise pas sur un débat de personne. Si quelqu’un doit être arrêté, il doit l’être.
A la suite de la visite de Marine Le Pen en janvier, et après que votre pays s’est abstenu de voter à l’ONU pour sanctionner l’agression russe en Ukraine, où en sont vos relations avec Emmanuel Macron ?
Nos relations sont très bonnes. Mais il faut éviter la monotonie. C’est normal qu’il y ait quelques couacs, mais ce n’est rien par rapport à la valeur de la relation entre la France et le Sénégal. Cela va au-delà de nos personnes, au président Macron et moi-même. Marine Le Pen est venue au Sénégal et a demandé que je la reçoive, j’ai accepté. Cela ne peut pas être un facteur de déstabilisation de la relation avec la France. J’ai, pour ma part, trouvé inélégant que Paris missionne [en mars] une conseillère [de l’Elysée] pour rencontrer mon opposant [Ousmane Sonko]. Pour autant, cela ne va pas casser notre relation.
Président Macky Sall : Je n’ai subi aucune pression. Dès 2018, j’avais écrit dans un ouvrage, Le Sénégal au cœur (Le Cherche Midi, 2019), que je briguais mon dernier mandat. Mais dès ma victoire, il y a cinq ans, certains se sont empressés de lancer des campagnes mensongères autour d’un prétendu troisième mandat. J’ai par ailleurs reçu de nombreux soutiens d’élus qui m’ont supplié de sauter le pas. Dimanche 2 juillet, 512 élus m’ont remis une pétition allant dans ce sens. Que certains s’agitent sur ce sujet ne m’a pas dérangé, c’est la démocratie. Mais cela a fait courir la rumeur.
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de clarifier votre décision ?
Le flou que vous avez entretenu n’a-t-il pas contribué à la crispation politique, ces derniers mois ? Je ne pouvais pas dire plus tôt que je ne me représenterais pas. Sinon, le pays aurait cessé de travailler. Les tensions politiques de ces derniers temps n’ont rien à voir avec la question du troisième mandat. Le fond du problème, c’est une affaire judiciaire qui a débuté en mars 2021 avec l’arrestation d’un opposant [Ousmane Sonko était poursuivi pour viols contre une employée d’un salon de massage et a été condamné en juin à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse »]. Il a appelé les gens à descendre dans la rue pour protester contre la justice et il y a eu des morts. En juin, lors de son procès, les mêmes appels à l’insurrection ont été lancés avec les mêmes conséquences.
Vous n’avez jamais été tenté par un troisième mandat ?
Non. La seule raison pour laquelle j’aurais pu me représenter, c’est si le pays avait été confronté à une menace sérieuse pour sa stabilité. Mais cette menace n’est pas arrivée. Dans votre discours à la nation, vous avez insisté sur l’importance des valeurs républicaines.
Estimez-vous qu’elles sont menacées ?
Oui. Certains appellent à l’insurrection, à prendre le pouvoir par des méthodes antidémocratiques pour saper les fondements de la République. Ce sont des dangers pour notre pays. Mais même si le Sénégal peut être secoué, comme tous les pays, il résistera pour continuer sa marche. Après la condamnation d’Ousmane Sonko, les affrontements entre manifestants et forces de défense ont fait au moins 23 morts, selon Amnesty International. Le ministre de l’intérieur a évoqué la présence de « forces occultes » sur le sol sénégalais.
Quelles sont-elles ?
Une enquête est en cours, mais nous savons qu’il y a eu des complices qui ont tenté de déstabiliser le Sénégal. Parfois à l'étranger. En France, [le parti] La France insoumise, a soutenu ces violences. C'est une ingérence inadmissible.
Avez-vous prévu de discuter avec lui afin de mettre fin aux tensions ?
Ceux qui ont accepté de dialoguer au sein de l’opposition républicaine, ont obtenu des avancées sur le processus électoral [le dialogue national a préconisé que Khalifa Sall et Karim Wade puissent être candidats]. Ceux qui l’ont refusé, se sont exclus. Je ne vais pas leur courir après. Par ailleurs, ce n’est ni moi ni la rue qui décidons qui sera candidat à la prochaine présidentielle mais le Conseil constitutionnel.
La coalition que vous avez fondée, Benno Bokk Yakaar (« unis par l’espoir » en wolof), et votre parti, l’Alliance pour la République (APR), doivent à présent choisir leur prétendant pour février 2024. Avez vous un candidat ?
C’est un processus de discussion. J’ai réuni le parti, mercredi 5 juillet, et il a estimé qu’il fallait me faire confiance pour faire ce choix. Je souhaite pour ma part, un candidat capable de maintenir la coalition unie. Un homme de dialogue.
Envisagez-vous, après votre départ, d’entamer une carrière diplomatique, au Secrétariat général des Nations unies ou comme représentant permanent de l’Afrique au G20 ?
Il est trop tôt pour répondre à cette question. Le mandat de M. Guterres court jusqu’en 2026. Attendons 2025.
Etes-vous intéressés par ce poste ?
J’aimerais me mettre au service de l’Afrique et du monde. Il faut réformer les systèmes de gouvernance mondiale, sans quoi, nous, Africains, qu’importent nos efforts, nous ne nous en sortirons pas… Les institutions de Bretton Woods ont été mises en place après 1945 alors que nous n’étions pas souverains. Ces mécanismes sont en total déphasage avec aujourd’hui.
Par ailleurs, le Conseil de sécurité de l’ONU doit être réformé pour plus d’inclusion. Si l’on veut éviter une fracture entre les pays du G7 et les puissances émergentes, il nous faut trouver un système plus équilibré. Je souhaite aussi lutter pour l’accès de l’Afrique au marché des capitaux dans des conditions supportables.
Les familles des victimes attendent toujours une enquête judiciaire. Où en est-elle ?
Cela est en bonne voie. Mais je ne suis pas habilité à commenter un dossier judiciaire.
Amnesty International a dénoncé un « usage disproportionné » de la force lors de la répression des manifestations de juin. N’y a-t-il pas un problème avec le maintien de l’ordre au Sénégal ?
Je ne le pense pas. Quand des personnes attaquent des brigades pour prendre des armes, est-ce une manifestation démocratique ? Pourquoi détruire des mairies, des prisons, des tribunaux ? Quand des manifestants incendient des maisons, Amnesty International condamne-t-elle ces actes ? Quand on appelle la jeunesse à mourir, à se sacrifier, où est cette organisation ? Il y a eu des morts par balles à Ziguinchor… Je ne le nie pas. La justice va faire la lumière là-dessus, des enquêtes sont en cours.
Les forces de défense seront-elles sanctionnées si ces enquêtes les mettent en cause ?
Attendons que l’enquête établisse les responsabilités. Il y a une telle insistance pour désigner des coupables ! Une demande d’enquête pour « crimes contre l’humanité » a été soumise à la Cour pénale internationale (CPI) contre vous et d’autres responsables sénégalais par Juan Branco, l’avocat français d’Ousmane Sonko.
Que répondez-vous à ces accusations ?
C’est ridicule. Le Sénégal est le premier Etat au monde à avoir ratifié les statuts de la CPI. Nous n’accepterons pas d’entrer dans ce jeu de diversion. L’opposition vous accuse d’avoir sélectionné les candidats qui pourront concourir au scrutin et cherché à éliminer Ousmane Sonko de la course.
Dans ces conditions, le Sénégal peut-il réellement aller vers un scrutin apaisé en février 2024 ?
Sans aucun doute. En 2019 aussi, on disait que si certains candidats ne participaient pas à l’élection, ce serait le chaos. Pourtant, tout s’est bien passé. L’élection se tiendra et le peuple choisira son président. Rien ni personne ne pourra remettre en cause le processus électoral. M. Sonko a été condamné à deux ans de prison ferme mais n’a toujours pas été arrêté.
Est-ce parce que vous craignez que son incarcération crée des violences ?
Non, je ne crains rien. Je dirige un pays, je ne me focalise pas sur un débat de personne. Si quelqu’un doit être arrêté, il doit l’être.
A la suite de la visite de Marine Le Pen en janvier, et après que votre pays s’est abstenu de voter à l’ONU pour sanctionner l’agression russe en Ukraine, où en sont vos relations avec Emmanuel Macron ?
Nos relations sont très bonnes. Mais il faut éviter la monotonie. C’est normal qu’il y ait quelques couacs, mais ce n’est rien par rapport à la valeur de la relation entre la France et le Sénégal. Cela va au-delà de nos personnes, au président Macron et moi-même. Marine Le Pen est venue au Sénégal et a demandé que je la reçoive, j’ai accepté. Cela ne peut pas être un facteur de déstabilisation de la relation avec la France. J’ai, pour ma part, trouvé inélégant que Paris missionne [en mars] une conseillère [de l’Elysée] pour rencontrer mon opposant [Ousmane Sonko]. Pour autant, cela ne va pas casser notre relation.