Par cette matinée de mardi 09 octobre, le jour s’est levé sur Dakar. Comme tous les jours, la circulation est dense sur la Voie de dégagement nord communément appelé VDN. Les voitures y circulent non-stop dans tous les deux sens.
C’est sur cette large avenue que se trouve la cité Telyiom, dont le meilleur symbole est l’hypermarché Exclusive, tenu par des Indiens. Cette grande surface attire du monde presque toutes les heures de la journée. Parmi les clients, il y a ceux qui viennent, ceux qui partent. Le mouvement est constant. Cette concentration du monde sur le site est intéressante pour les mendiants. Quand on sort du supermarché, on a certainement quelque reliquat à offrir. Il est 10 heures passées lorsque nous arrivons sur les lieux.
Sur place, nous constatons un fait pour le moins troublant. Les femmes mendiantes ont avec elles de petits enfants, les leurs soutiennent-elles. Mais d’après nos sources, certaines mendiantes « loueraient » ces mômes pour mieux toucher la sensibilité des potentiels bienfaiteurs. Néanmoins, les mises en cause s’offusquent contre de telles allégations et estiment que celles-ci « sont infondées et déshonorantes« . Mais avant d’entrer plus encore dans cet étonnant monde, cherchons le sous-jacent historique et social d’une telle pratique à l’ampleur grandissante.
Certaines en ont même fait une activité saisonnière. C’est le cas de N. Sarr. Native de Diourbel, elle se rend à chaque période de vacances scolaires à Dakar pour, dit-elle, « trouver de quoi inscrire mes enfants à l’école« . Comme elle, des dizaines d’autres femmes de tous âges ont fait de la Voie de Dégagement Nord (VDN) un véritable lieu de travail : démarrage des activités de « collecte » au plus tard à 08 heures du matin et descente vers 19 heures.
Aux origines de la mendicité: la recherche éperdue de la racine du mal
Il est difficile de dater historiquement l’éclosion du phénomène de la mendicité au Sénégal. Nos recherches documentaires signalent la présence dudit phénomène dans le Sénégal d’avant indépendance. Seulement, la fuite du temps ne conditionne pas la fin de la mendicité car, et il est bien de le noter, elle s’accentuera après l’indépendance. La mendicité est le résultat des politiques sociales aux objectifs mal définis. Loin des avis d’experts, les citoyens ont une appréhension autre du phénomène.
Selon de nombreuses personnes interrogées, la cause principale du phénomène de la mendicité n’est autre que la pauvreté. Celle-ci obligerait les individus à faire la manche pour assurer leurs besoins alimentaires. Mais pour Seynabou Ndiaye, étudiante en droit, « la pauvreté ne doit pas être une fatalité. Il y a toujours des possibilités de travail à saisir et c’est mieux que de mendier« .
Cet avis n’est pas du tout partagé par les femmes rencontrées à la VDN ainsi que les personnes âgées à mobilité réduite tenant siège devant une banque du Point E, un quartier résidentiel de Dakar. Les premières martèlent qu’il leur est impossible de travailler car l’État ne considère pas les personnes démunies. S’agissant des vieux, ils évoquent leur incapacité motrice à exercer un quelconque travail.
Au-delà de l’opinion commune, il faut dire que la problématique de la mendicité trouve bien une explication dans l’attitude attentiste de beaucoup de Sénégalais. En clair, d’après les résultats de notre investigation, il est bien plus facile d’avoir de quoi vivre en quémandant qu’en travaillant et ce, quitte à mettre en berne son honneur et sa dignité.
La mendicité ou le nouveau « business » à la mode
Trouvée assisse sur le trottoir de la VDN en compagnie de deux (2) de ses enfants, F. Diop est une ménagère dont l’activité principale est la mendicité. Elle se présente quotidiennement au bord de cette large avenue où elle passe toute la journée à la quête de son «pain». Et quand on l’interroge sur sa situation familiale, elle affirme sans sourciller : « Je suis mère de quatre (4) enfants et il m’est très difficile de payer la scolarisation de ces derniers. Leur papa gagne très peu avec son travail de maçon et je dois demander de l’aide pour tous nos besoins ».
Malgré cette situation familiale précaire, F. Diop parvient à économiser au moins 2.000 FCfa par jour. De plus, elle a réussi à inscrire ses deux (2) autres enfants à l’école et elle n’est pas la seule à être dans cette situation, loin de correspondre à la définition de la pauvreté.
Une autre femme « mendiante » vraisemblablement sexagénaire, explique sous couvert d’anonymat, ce qui la motive à mendier « J’ai des enfants qui travaillent mais ils ne gagnent pas beaucoup d’argent. C’est pour cela que je suis ici pour demander de l’assistance aux bienfaiteurs ». La sexagénaire récuse l’opinion consistant à dire que ses compatriotes n’ont pas de compatissant ou ne sont pas solidaires vis-à-vis des plus démunis. « On dit souvent que les Sénégalais ne donnent pas aux pauvres, je ne suis pas d’accord avec ça. Ici il y a des gens bien qui nous font des dons de 5.000 FCfa, 10.000 FCfa, de la viande, du riz et beaucoup d’autres produits dont nous avons besoin», soutient-elle.
Annuellement au-dessus du SMIC…
Après plusieurs entretiens avec les femmes faisant la manche juste en face de Sud-Foire au niveau de la VDN, nous avons essayé de ressortir, par une analyse comparative, le revenu journalier de celles-ci. En effet, ces femmes, dans leur majorité (7 sur 9), estiment rentrer chez elles avec au minimum 3.000 Fcfa, repas et autres achats préalablement réglés. Sachant que cette somme peut connaître un bond positif ou un bond négatif suivant les jours, nous retenons comme revenu de base quotidien 2.500 Fcfa. Ainsi, le gain mensuel de ces femmes serait d’au moins 75.000 Fcfa soit plus que le salaire minimum au Sénégal fixé à 52.500 Fcfa.
Avec les personnes à mobilité réduite qui sont journellement devant le Société générale des banques au Sénégal (Sgbs) du Point E, la situation semble bien meilleure. « Nous rendons grâce à Dieu. Moi je suis là depuis 1974 et je n’ai aucun problème ici. Les gens ont bon cœur. Il y a un monsieur qui me donne chaque année un mouton pour la Tabaski et des denrées alimentaires lors de la période de Ramadan », nous explique le vieux A. Ba.
En plus d’avoir fait chacun au minimum 40 ans sur place, de bénéficier de la bourse familiale et de la carte d’égalité des chances, ces personnes âgées ont un véritable « réseau » de donateurs dans le quartier et aux alentours. « C’est pour cela, explique monsieur Ba, que nous n’envisageons pas de changer de lieu. Ailleurs, il nous sera difficile d’avoir de l’argent. » A ce titre, il est important de rappeler que le quartier du Point E est l’un des plus huppés de la capitale sénégalaise.
Toutes les personnes interrogées, d’après leurs révélations, ont un gain mensuel supérieur au salaire minimum du pays. Un véritable paradoxe, très difficile à cerner d’autant que nombre de ces personnes, particulièrement les femmes, refusent de faire certaines tâches pour gagner de l’argent. En attestent ces propos étonnants et sans complexe d’une d’entre elles : « Faire le linge n’est pas bon pour mes mains et les gens ne payent pas beaucoup pour ça. Ici au moins, j’ai de quoi nourrir ma famille et régler mes problèmes».
Tout compte fait, il se trouve que la mendicité comme « business » trouve un propice terrain dans un pays comme le Sénégal où la conscience collective porte en elle les forces occultes. En fait, il y a une complémentarité voire une complicité entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent, comme quoi, il n’y a pas que les « mendiants » qui sont dans le besoin. Les supposés bienfaiteurs ne font généralement que donner une sorte d’aumône prescrite par leur marabout.
D’après nos investigations, le don n’est pas une mission de charité dans de nombreux cas, mais un simple moyen de satisfaire des objectifs mystiques. Le système est donc bien huilé, avec en filigrane des acteurs rationnels défendant leurs intérêts. Un « deal » s’établit alors entre mendiants et donateurs autour d’enjeux divers de part et d’autre. Le «business» est en ce sens légitimé par un environnement social qui donne vie au phénomène de la mendicité. Une nouvelle classe sociale est donc née, celle des « mendiants-nobles » acteurs de marque d’un business à peine dissimulé.
Senenews
C’est sur cette large avenue que se trouve la cité Telyiom, dont le meilleur symbole est l’hypermarché Exclusive, tenu par des Indiens. Cette grande surface attire du monde presque toutes les heures de la journée. Parmi les clients, il y a ceux qui viennent, ceux qui partent. Le mouvement est constant. Cette concentration du monde sur le site est intéressante pour les mendiants. Quand on sort du supermarché, on a certainement quelque reliquat à offrir. Il est 10 heures passées lorsque nous arrivons sur les lieux.
Sur place, nous constatons un fait pour le moins troublant. Les femmes mendiantes ont avec elles de petits enfants, les leurs soutiennent-elles. Mais d’après nos sources, certaines mendiantes « loueraient » ces mômes pour mieux toucher la sensibilité des potentiels bienfaiteurs. Néanmoins, les mises en cause s’offusquent contre de telles allégations et estiment que celles-ci « sont infondées et déshonorantes« . Mais avant d’entrer plus encore dans cet étonnant monde, cherchons le sous-jacent historique et social d’une telle pratique à l’ampleur grandissante.
Certaines en ont même fait une activité saisonnière. C’est le cas de N. Sarr. Native de Diourbel, elle se rend à chaque période de vacances scolaires à Dakar pour, dit-elle, « trouver de quoi inscrire mes enfants à l’école« . Comme elle, des dizaines d’autres femmes de tous âges ont fait de la Voie de Dégagement Nord (VDN) un véritable lieu de travail : démarrage des activités de « collecte » au plus tard à 08 heures du matin et descente vers 19 heures.
Aux origines de la mendicité: la recherche éperdue de la racine du mal
Il est difficile de dater historiquement l’éclosion du phénomène de la mendicité au Sénégal. Nos recherches documentaires signalent la présence dudit phénomène dans le Sénégal d’avant indépendance. Seulement, la fuite du temps ne conditionne pas la fin de la mendicité car, et il est bien de le noter, elle s’accentuera après l’indépendance. La mendicité est le résultat des politiques sociales aux objectifs mal définis. Loin des avis d’experts, les citoyens ont une appréhension autre du phénomène.
Selon de nombreuses personnes interrogées, la cause principale du phénomène de la mendicité n’est autre que la pauvreté. Celle-ci obligerait les individus à faire la manche pour assurer leurs besoins alimentaires. Mais pour Seynabou Ndiaye, étudiante en droit, « la pauvreté ne doit pas être une fatalité. Il y a toujours des possibilités de travail à saisir et c’est mieux que de mendier« .
Cet avis n’est pas du tout partagé par les femmes rencontrées à la VDN ainsi que les personnes âgées à mobilité réduite tenant siège devant une banque du Point E, un quartier résidentiel de Dakar. Les premières martèlent qu’il leur est impossible de travailler car l’État ne considère pas les personnes démunies. S’agissant des vieux, ils évoquent leur incapacité motrice à exercer un quelconque travail.
Au-delà de l’opinion commune, il faut dire que la problématique de la mendicité trouve bien une explication dans l’attitude attentiste de beaucoup de Sénégalais. En clair, d’après les résultats de notre investigation, il est bien plus facile d’avoir de quoi vivre en quémandant qu’en travaillant et ce, quitte à mettre en berne son honneur et sa dignité.
La mendicité ou le nouveau « business » à la mode
Trouvée assisse sur le trottoir de la VDN en compagnie de deux (2) de ses enfants, F. Diop est une ménagère dont l’activité principale est la mendicité. Elle se présente quotidiennement au bord de cette large avenue où elle passe toute la journée à la quête de son «pain». Et quand on l’interroge sur sa situation familiale, elle affirme sans sourciller : « Je suis mère de quatre (4) enfants et il m’est très difficile de payer la scolarisation de ces derniers. Leur papa gagne très peu avec son travail de maçon et je dois demander de l’aide pour tous nos besoins ».
Malgré cette situation familiale précaire, F. Diop parvient à économiser au moins 2.000 FCfa par jour. De plus, elle a réussi à inscrire ses deux (2) autres enfants à l’école et elle n’est pas la seule à être dans cette situation, loin de correspondre à la définition de la pauvreté.
Une autre femme « mendiante » vraisemblablement sexagénaire, explique sous couvert d’anonymat, ce qui la motive à mendier « J’ai des enfants qui travaillent mais ils ne gagnent pas beaucoup d’argent. C’est pour cela que je suis ici pour demander de l’assistance aux bienfaiteurs ». La sexagénaire récuse l’opinion consistant à dire que ses compatriotes n’ont pas de compatissant ou ne sont pas solidaires vis-à-vis des plus démunis. « On dit souvent que les Sénégalais ne donnent pas aux pauvres, je ne suis pas d’accord avec ça. Ici il y a des gens bien qui nous font des dons de 5.000 FCfa, 10.000 FCfa, de la viande, du riz et beaucoup d’autres produits dont nous avons besoin», soutient-elle.
Annuellement au-dessus du SMIC…
Après plusieurs entretiens avec les femmes faisant la manche juste en face de Sud-Foire au niveau de la VDN, nous avons essayé de ressortir, par une analyse comparative, le revenu journalier de celles-ci. En effet, ces femmes, dans leur majorité (7 sur 9), estiment rentrer chez elles avec au minimum 3.000 Fcfa, repas et autres achats préalablement réglés. Sachant que cette somme peut connaître un bond positif ou un bond négatif suivant les jours, nous retenons comme revenu de base quotidien 2.500 Fcfa. Ainsi, le gain mensuel de ces femmes serait d’au moins 75.000 Fcfa soit plus que le salaire minimum au Sénégal fixé à 52.500 Fcfa.
Avec les personnes à mobilité réduite qui sont journellement devant le Société générale des banques au Sénégal (Sgbs) du Point E, la situation semble bien meilleure. « Nous rendons grâce à Dieu. Moi je suis là depuis 1974 et je n’ai aucun problème ici. Les gens ont bon cœur. Il y a un monsieur qui me donne chaque année un mouton pour la Tabaski et des denrées alimentaires lors de la période de Ramadan », nous explique le vieux A. Ba.
En plus d’avoir fait chacun au minimum 40 ans sur place, de bénéficier de la bourse familiale et de la carte d’égalité des chances, ces personnes âgées ont un véritable « réseau » de donateurs dans le quartier et aux alentours. « C’est pour cela, explique monsieur Ba, que nous n’envisageons pas de changer de lieu. Ailleurs, il nous sera difficile d’avoir de l’argent. » A ce titre, il est important de rappeler que le quartier du Point E est l’un des plus huppés de la capitale sénégalaise.
Toutes les personnes interrogées, d’après leurs révélations, ont un gain mensuel supérieur au salaire minimum du pays. Un véritable paradoxe, très difficile à cerner d’autant que nombre de ces personnes, particulièrement les femmes, refusent de faire certaines tâches pour gagner de l’argent. En attestent ces propos étonnants et sans complexe d’une d’entre elles : « Faire le linge n’est pas bon pour mes mains et les gens ne payent pas beaucoup pour ça. Ici au moins, j’ai de quoi nourrir ma famille et régler mes problèmes».
Tout compte fait, il se trouve que la mendicité comme « business » trouve un propice terrain dans un pays comme le Sénégal où la conscience collective porte en elle les forces occultes. En fait, il y a une complémentarité voire une complicité entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent, comme quoi, il n’y a pas que les « mendiants » qui sont dans le besoin. Les supposés bienfaiteurs ne font généralement que donner une sorte d’aumône prescrite par leur marabout.
D’après nos investigations, le don n’est pas une mission de charité dans de nombreux cas, mais un simple moyen de satisfaire des objectifs mystiques. Le système est donc bien huilé, avec en filigrane des acteurs rationnels défendant leurs intérêts. Un « deal » s’établit alors entre mendiants et donateurs autour d’enjeux divers de part et d’autre. Le «business» est en ce sens légitimé par un environnement social qui donne vie au phénomène de la mendicité. Une nouvelle classe sociale est donc née, celle des « mendiants-nobles » acteurs de marque d’un business à peine dissimulé.
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