LE FIGARO: Combien reste-t-il de criminels nazis impunis?
Efraim ZUROFF: Des centaines. Après la Seconde Guerre mondiale, il était impossible pour l'Allemagne de juger tous les responsables du génocide. Ils ont donc choisi de se concentrer sur les officiers. Maintenant, l'Allemagne accepte de poursuivre en justice toute personne qui a commis des crimes de guerre, à condition qu'il y ait suffisamment de preuves.
En quoi consiste le métier de chasseur de nazis?
D'abord, c'est un travail d'historien: on a des chercheurs en Allemagne, dans plusieurs pays d'Europe de l'Est et en Argentine qui étudient les archives pour trouver les noms des responsables. Ensuite, c'est du travail de détective, pour localiser le criminel. Par exemple, on a trouvé Charles Zentai , un officier hongrois «traqueur» de Juifs, en épluchant les registres électoraux australiens puisque le vote est obligatoire dans ce pays. Enfin et surtout, c'est un travail de lobbyiste, pour pousser les États à passer à l'action et poursuivre les criminels en justice. C'est précisément à cela que sert la fameuse liste des «10 criminels nazis les plus recherchés», sur laquelle Laszlo Csatary figurait en premier: attirer l'attention médiatique et politique sur ces cas. Le classement répond à trois critères: le niveau hiérarchique, l'implication personnelle dans des meurtres de Juifs, et l'échelle du crime. Ainsi, Laszlo Csatary était très important du point de vue du premier et du dernier critère, puisqu'il était commandant de police et qu'il est responsable de la mort de 15.000 Juifs.
Comment fonctionne l'Opération dernière chance?
Cette opération a été lancée en 2002 dans les pays baltes pour essayer de dénicher des criminels que l'on n'aurait pas encore identifiés. L'idée est d'offrir une récompense financière à toute personne qui aurait une information. La prime était de 10.000 dollars, maintenant elle est de 25.000. Mais en réalité, comme on ne la donne que si l'on aboutit à une condamnation, on ne la donne presque jamais… N'empêche que grâce à cette opération, on a récolté 630 noms, parmi lesquels 9 se sont avérés être des cas sérieux, qui ont été ajoutés à la liste des nazis les plus recherchés. C'est dans le cadre de cette opération qu'un informateur nous a donnés il y a dix mois des renseignements permettant de localiser Laszlo Csatary à Budapest.
Une fois retrouvés, les criminels sont-ils poursuivis en justice?
C'est très difficile. Le premier problème est que les procédures prennent du temps. Or ces criminels nonagénaires sont en train de mourir les uns après les autres… Ensuite, de nombreux pays ne coopèrent pas du tout pour les expulser. En Europe de l'Est, les pays sont très réticents à juger ces crimes. Au Canada, il n'y a aucune volonté politique de livrer les ex-nazis, qui sont pour la plupart originaires d'Europe de l'Est. Lorsque les autorités découvrent le passé criminel de leurs ressortissants, certains sont dénaturalisés mais ils sont souvent renaturalisés par la suite et aucun n'est jamais expulsé. Aux États-Unis en revanche, 75 personnes ont été dénaturalisées et 54 expulsées. Sans doute cette différence d'attitude s'explique-t-elle en partie par le fait que la communauté juive est plus importante aux États-Unis et que la communauté d'immigrés d'Europe de l'Est est plus importante au Canada.
Il y a donc peu de condamnations…
Elles sont rares mais elles ne sont pas le seul critère de succès de l'opération. Même si l'on n'arrive pas au procès, le fait d'obtenir la révocation de la nationalité d'un criminel est déjà en soi une petite victoire. Rien que le fait d'exposer publiquement le passé de certaines personnalités a valeur de punition. Dans le cas de Charles Zentai par exemple, son entourage n'était pas du tout au courant… Par ailleurs, on marque des points sur d'autres fronts. Dans les années 1990, j'ai découvert que le gouvernement lithuanien avait pardonné et réhabilité des criminels de guerre nazis. Grâce à cette révélation, 200 réhabilitations ont été annulées.
Par Laura Raim
Efraim ZUROFF: Des centaines. Après la Seconde Guerre mondiale, il était impossible pour l'Allemagne de juger tous les responsables du génocide. Ils ont donc choisi de se concentrer sur les officiers. Maintenant, l'Allemagne accepte de poursuivre en justice toute personne qui a commis des crimes de guerre, à condition qu'il y ait suffisamment de preuves.
En quoi consiste le métier de chasseur de nazis?
D'abord, c'est un travail d'historien: on a des chercheurs en Allemagne, dans plusieurs pays d'Europe de l'Est et en Argentine qui étudient les archives pour trouver les noms des responsables. Ensuite, c'est du travail de détective, pour localiser le criminel. Par exemple, on a trouvé Charles Zentai , un officier hongrois «traqueur» de Juifs, en épluchant les registres électoraux australiens puisque le vote est obligatoire dans ce pays. Enfin et surtout, c'est un travail de lobbyiste, pour pousser les États à passer à l'action et poursuivre les criminels en justice. C'est précisément à cela que sert la fameuse liste des «10 criminels nazis les plus recherchés», sur laquelle Laszlo Csatary figurait en premier: attirer l'attention médiatique et politique sur ces cas. Le classement répond à trois critères: le niveau hiérarchique, l'implication personnelle dans des meurtres de Juifs, et l'échelle du crime. Ainsi, Laszlo Csatary était très important du point de vue du premier et du dernier critère, puisqu'il était commandant de police et qu'il est responsable de la mort de 15.000 Juifs.
Comment fonctionne l'Opération dernière chance?
Cette opération a été lancée en 2002 dans les pays baltes pour essayer de dénicher des criminels que l'on n'aurait pas encore identifiés. L'idée est d'offrir une récompense financière à toute personne qui aurait une information. La prime était de 10.000 dollars, maintenant elle est de 25.000. Mais en réalité, comme on ne la donne que si l'on aboutit à une condamnation, on ne la donne presque jamais… N'empêche que grâce à cette opération, on a récolté 630 noms, parmi lesquels 9 se sont avérés être des cas sérieux, qui ont été ajoutés à la liste des nazis les plus recherchés. C'est dans le cadre de cette opération qu'un informateur nous a donnés il y a dix mois des renseignements permettant de localiser Laszlo Csatary à Budapest.
Une fois retrouvés, les criminels sont-ils poursuivis en justice?
C'est très difficile. Le premier problème est que les procédures prennent du temps. Or ces criminels nonagénaires sont en train de mourir les uns après les autres… Ensuite, de nombreux pays ne coopèrent pas du tout pour les expulser. En Europe de l'Est, les pays sont très réticents à juger ces crimes. Au Canada, il n'y a aucune volonté politique de livrer les ex-nazis, qui sont pour la plupart originaires d'Europe de l'Est. Lorsque les autorités découvrent le passé criminel de leurs ressortissants, certains sont dénaturalisés mais ils sont souvent renaturalisés par la suite et aucun n'est jamais expulsé. Aux États-Unis en revanche, 75 personnes ont été dénaturalisées et 54 expulsées. Sans doute cette différence d'attitude s'explique-t-elle en partie par le fait que la communauté juive est plus importante aux États-Unis et que la communauté d'immigrés d'Europe de l'Est est plus importante au Canada.
Il y a donc peu de condamnations…
Elles sont rares mais elles ne sont pas le seul critère de succès de l'opération. Même si l'on n'arrive pas au procès, le fait d'obtenir la révocation de la nationalité d'un criminel est déjà en soi une petite victoire. Rien que le fait d'exposer publiquement le passé de certaines personnalités a valeur de punition. Dans le cas de Charles Zentai par exemple, son entourage n'était pas du tout au courant… Par ailleurs, on marque des points sur d'autres fronts. Dans les années 1990, j'ai découvert que le gouvernement lithuanien avait pardonné et réhabilité des criminels de guerre nazis. Grâce à cette révélation, 200 réhabilitations ont été annulées.
Par Laura Raim