« Les exactions perpétrées pendant le règne de Touré ont essentiellement été liées à la réponse apportée par l'Etat à de nombreux complots −considérés pour la plupart comme étant de pures inventions visant à renverser le régime. Selon des experts universitaires et des historiens, Touré s'est servi des complots pour détourner les critiques dirigées contre son régime et sa politique socio économique et pour éliminer ses opposants réels ou perçus comme tels. Après chaque complot dénoncé, les forces de sécurité et les responsables gouvernementaux ont déclenché une vague de détentions arbitraires, de disparitions, de procès-spectacles et, dans plusieurs cas, d'exécutions publiques. Lors d'un complot particulièrement sanglant, le « Complot peul », ou complot des Foulbés de 1976-77, des intellectuels Peuls respectés, dont Boubacar Telli Diallo, ex-secrétaire général de l'Organisation de l'Unité africaine, et d'innombrables autres personnes, furent emprisonnés, exécutés ou sont morts en détention. Ces violences provoquèrent un exode massif hors de Guinée de membres du groupe ethnique peuhl et ont [depuis] instauré un pénible sentiment de méfiance entre les Peuls et le deuxième plus important groupe ethnique de Guinée, les Malinkés, auquel appartenaient Touré et bon nombre de ses principaux alliés politiques au sein du PDG ».
Il apparaît déjà à la lumière de cette citation qu’il y a un problème peul en Guinée du fait de la répression qui cible spécifiquement les Foulbés en tant que groupe ethnique.
Pour comprendre cette situation des Peuls en Guinée, il faut voir l’état de la répartition ethnique dans ce pays tel qu’il est dressé par le même organisme dans son rapport de 2011. Sur les 10 000 000 de Guinéens, il y aurait environ 40% de Peuls, 30% de Malinkés, 20% de Soussous ; les 10% qui restent seraient constitués par des groupes minoritaires tels que les Guerzés, les Kissis, les Tomas, etc. (voir note 7 du rapport). Majoritaires donc, bien instruits, économiquement bien assis et ne partageant pas généralement la même orientation politique que Sékou Touré, les Peuls ne pouvaient qu’être perçus comme un danger par ce celui-ci. Sékou Touré ne tergiversa pas longtemps : dès les premières années de l’indépendance, il opta pour la méthode la plus radicale pour faire face à la « menace peule » : la liquidation politique passant, le plus souvent, par l’élimination physique des éléments de l’élite peule.
La liste s’ouvre en 1960 avec le « complot de Diallo Ibrahima », un Peul donc, qui semble-t-il jugeait Sékou Touré indigne d’être président de Guinée et menaçait de créer un parti rival. Il y eut ensuite, entre autres, le complot « des intellectuels tarés et des forces décadentes », celui « des syndicalistes et des éléments d’extraction féodale et anarchiste », celui « des petits commerçants », celui « des grands commerçants en connivence avec l’impérialisme », l’invasion portugaise du 22 novembre 1970 qui fut transformée en complot. Les complots de Sékou Touré sont en réalité plus nombreux que cela (voir Alsény René Gomez, Camp Boiro. Parler ou périr, Paris L’Harmattan 2007, chapitre XII, mis en ligne sur http://www.campboiro.org/bibliotheque/gomez_alseny/parler_perir/chap12.html) mais force est de reconnaître que dans tous ces complots fabriqués, ce sont les Peuls qui payèrent le tribut le plus lourd. Mais le plus sanglant de tous pour les Peuls, fut
le « Complot peul », ou complot des Foulbés de 1976-77, [lors duquel] des intellectuels Peuls respectés, dont Boubacar Telli Diallo, ex-secrétaire général de l'Organisation de l'Unité africaine, et d'innombrables autres personnes, furent emprisonnés, exécutés ou sont morts en détention. (Rapport de Human Rights Watch)
André Lewin qui fut ambassadeur de France en Guinée entre 1975 et 1979 et qui a écrit un livre, Diallo Telli. Le destin tragique d'un grand Africain, Jeune Afrique Livres. Collection Destins, 1990, 225 pages, nous décrit les débuts du « complot » comme suit :
« Le 13 mai [1976], la découverte par la police du jeune Mamadou Lamarana Diallo, 14 ans, peut-être même 12 seulement, perché sur un arbre et “porteur d'une arme automatique” à proximité de l'Institut polytechnique de Conakry où Sékou Touré effectue une visite, laquelle est immédiatement abrégée, entraîne l'arrestation, qui ne sera rendue publique qu'ultérieurement, de plusieurs miliciens, dont un commandant Sory Barry. Ils sont accusés de négligences dans la protection du président. On constatera plus tard que toutes les personnes arrêtées appartiennent à l'ethnie peule ». (A. Lewin, op. cit. Chapitre 7)
Boubacar Telli Diallo est arrêté dans la nuit du 18 au 19 juillet 1976 et interné au camp Boiro. Après d’abominables séances de torture par l’électricité (« cabine technique ») et par la privation d’eau et de nourriture (« diète noire »), il finit par céder. Ses aveux sont enregistrés et rendus publics le 9 août au Palais du Peuple, devant les militants du PDG. Dans ses aveux, lui et ses complices reconnaissent
« le caractère ethnique de leur mouvement et de leur futur gouvernement, dont Diallo Telli aurait été le chef et Dramé le ministre des Finances. Sans donner de précisions, Dramé affirme aussi que la France, la République fédérale d'Allemagne et les Etats-Unis, ainsi que le Sénégal et la Côte d'Ivoire, aident les anti-guinéens de l'extérieur ». (A. Lewin, op. cit. Chapitre 7)
Ce curieux complot dans lequel les éléments de « la 5ème colonne », essentiellement pour ne pas dire exclusivement des Peuls, côtoient, pêle-mêle, la France, la République Fédérale d’Allemagne, les Etats Unis, le Sénégal, La Côte d’Ivoire, le Zaïre, le Gabon et l’Afrique du Sud, n’est en réalité qu’un vulgaire montage dont la cohérence d’ensemble défie le bon sens le plus élémentaire. Malgré cela, Boubacar Telli Diallo et ses amis furent condamnés par le théâtral « tribunal révolutionnaire » de Sékou Touré et moururent les uns après les autres entre le 26 février et le 1er mars 1977, épuisés par la « diète noire » :
« Le 26 février meurt le Dr. Alpha Oumar Barry ; le 28, c'est au tour des deux militaires ; enfin, le 1er mars, le matin, peu avant 9 heures, Diallo Telli rend le dernier soupir, cependant qu'Alioune Dramé mourra quelques minutes plus tard ». (A. Lewin, op. cit. Chapitre 7)
Il fut l’occasion pour Sékou Touré de déverser toute sa haine sur l’ethnie peule, en lui découvrant les tares les plus abominables et en l’accusant des crimes et trahisons les plus gravissimes, le tout enrobé dans un discours pseudo-révolutionnaire qui cachait mal l’ethnocentrisme et l’amour excessif du pouvoir : étrangers à la Guinée, contre-révolutionnaires incurables, collaborateurs, traîtres en tout temps et en tout lieu, ethnocentristes, endogames et même alcooliques !!! :
« Le Fouta était menacé, tragiquement menacé de nombreux travers sociaux. Nous avions visité cette province guinéenne de long en large et nous nous étions aperçu que l'alcoolisme menaçait, réellement la population du Fouta, y compris les marabouts qui remplissaient leurs bouilloires de bière ou de vin. Ne parlons pas des jeunes et encore moins des intellectuels : consommer l'alcool était devenu alors, le critère de l'évolution à l'époque ».
Sékou Touré voulait sans doute discréditer les Peuls mais ses arguments sont fort discutables. En effet qui est autochtone dans cette Afrique occidentale où la mémoire collective des populations se souvient encore des vagues migratoires qui les ont conduites de l’est à l’ouest du continent. Egalement contre Sékou Touré le fait que le Fouta était tellement réputé pour sa religiosité que même le vénérable Cheikh Oumar Tall, après s’y être initié, avait choisi Dinguiraye comme base pour la préparation de sa guerre sainte, sans doute en hommage au premier Etat théocratique de la sous-région qui vit le jour en 1725, c’est-à-dire bien avant celui du Fouta-Toro, fondé en 1776. Donc l’accusation est ridicule mais très révélatrice de la mauvaise foi du « Responsable Suprême de la Révolution ». Cette mauvaise foi crève aussi les yeux quand, contre tout bon sens, il s’attache à démontrer que les Peuls sont minoritaires au Fouta-Djalon ; vaine tentative mais pour Sékou Touré, tous les moyens sont bons pour nier l’évidence : le poids démographique des Peuls en Guinée, poids qu’il juge inadmissible.
Excédé par ce qu’il appelle l’ingratitude des cadres peuls, Sékou Touré décida de ne plus accorder de bouses étrangères aux étudiants peuls. Là également la mauvaise foi est manifeste : tout observateur objectif sait que c’est pour éviter de risquer leur vie que les cadres peuls s’imposent un exil volontaire et restent dans des pays, parfois très proches de la Guinée où ils peuvent travailler en toute tranquillité. En fait le vrai objectif de Sékou Touré c’était de bloquer la formation de cadres peuls parce qu’à son goût il y en avait déjà trop en Guinée. C’est donc un autre moyen diabolique pour étouffer les Peuls et dont il essayait maladroitement de les rendre eux-mêmes responsables. C’est ce que confirme la terrible phrase par laquelle Sékou Touré conclut son réquisitoire contre les Peuls :
« Retenez-le bien : Le racisme peulh, nous devons lui donner un enterrement de première classe, un enterrement définitif ».
Autrement dit, il opte pour quelque chose qui ne serait pas loin de « la solution finale » ; pauvres Peuls !
Depuis la mort de celui qui avait juré leur perte, en 1984, les Peuls pensaient sans doute que tout était fini et qu’il n’y aurait plus de « complot peul ». Mais malheureusement Sékou Touré a semble-t-il trouvé un digne successeur en la personne du « Professeur » Alpha Condé.
Dans la nuit du 18 au 19 juillet la résidence privée du président guinéen est attaquée et les Peuls retrouvent le cauchemar. En effet tous ceux qui sont arrêtés sont des Peuls ou des gens qui leur sont proches. Le camp Boiro n’existe plus mais on a trouvé semble-t-il quelque chose qui l’a remplacé dignement. En effet le procès, retransmis à la télévision et sur le point de s’achever (on en est au réquisitoire du procureur général et aux plaidoiries de la défense), laisse clairement apparaître que les prévenus ont été atrocement torturés et que tous les aveux ont été obtenus après atteinte à leur intégrité physique ou morale. La « cabine technique » et la « diète noire » du camp Boiro ont été utilisées au dire même des détenus. Ce qui est grave, c’est que le procureur général trouve, en réponse à un détenu qui disait que ses aveux avaient été obtenus après privation d’eau et de nourriture, que c’est là un argument léger de sa part ! Quel cynisme ! En effet force est de se rappeler ici que c’est avec ce procédé inhumain qu’ont été tués Boubacar Telli Diallo et ses codétenus dans le cadre du « complot peul » de 1976. Au moins deux prévenus n’ont pu résister à la « cabine technique » et à la « diète noire » : ils sont morts en détention ; d’autres sont physiquement et moralement atteints et ne seront plus jamais les mêmes personnes.
Les images du procès confirment qu’on est en présence d’un montage grossier, truffé d’incohérences. Les avocats de la défense ont réussi à mettre à nu toutes les failles de l’accusation : des trajectoires de balles et de roquettes peu crédibles ; des policiers, des gendarmes et des militaires, témoins à charge, qui refusent de répondre aux questions des avocats de la défense quand bon leur semble et avec l’aide active du président du tribunal et celle du procureur général prompts à voler à leur secours dès qu’ils sont en difficulté face aux questions de ceux-ci ; leur arrogance prouve à souhait qu’ils ont la garantie de l’impunité. C’est le même état d’esprit qu’on retrouve chez les gendarmes et officiers de police qui ont mené l’enquête préliminaire. A les écouter, on devine aisément comment les aveux ont été obtenus.
Le procureur général rappelle Sékou Touré : la hargne, la mauvaise foi, l’invraisemblance des accusations sont presque les mêmes. D’après lui, c’est parce que les Peuls s’estiment discriminés que Madame Fatou Badiar Diallo, le cerveau du complot, et ses complices ont attaqué la résidence privée du président afin de le tuer et de procéder à un changement de régime. Voilà pourquoi le procureur William Fernandez porte à leur encontre les accusations suivantes :
« Association de malfaiteurs, assassinat et tentative d’assassinat contre la personne du Chef de l’Etat, détention illégale d’armes de guerre et de minutions, de drogue, ethnocentrisme et régionalisme ».
Pour ces chefs d’accusation, il demande la peine capitale pour les cerveaux, la détention à perpétuité, de lourdes peines de prison pour les principaux complices et l’acquittement pour quelques comparses arrêtés par erreur ! Un citoyen guinéen qui semble bien averti juge ainsi le nouveau complot peul et le procès qu’il a entraîné :
« Enfin, il faut évoquer le pseudo-attentat du 19 Juillet 2011 et la parodie de justice liée à cette affaire, pour illustrer la nouvelle république bananière qu'Alpha Condé souhaite mettre en place en Guinée. On a pu constater que des individus avaient été arrêtés une semaine avant le début de la pièce de théâtre, comme acteurs principaux du faux complot – ce qui suppose donc que certains militaires étaient informés –, et l'arrestation de militaires bien après la date pour abstention délictueuse (sic). Tout le monde devrait avoir honte de cette justice de pacotille. (voir http://www.guinee58.com/index.php/politique/34-politique-guinee-conakry/5985-alpha-conde-il-faut-partir-maintenant). Au vu des images de la télévision guinéenne, ce jugement est loin d’être exagéré ».
Il est triste de constater que 35 ans après le « complot peul » de 1976 la Guinée renoue avec ses vieux démons et que des innocents risquent leur tête si rien n’est fait pour arrêter la main des pouvoiristes qui les accusent.
Cependant une analyse froide de l’enchaînement des événements depuis le premier tour de l’élection présidentielle pourrait aider à comprendre le retour du syndrome peul.
Sur les 24 candidats retenus par la Cour suprême de Guinée, 5 sont des Peuls. Si le nombre de candidats devait être proportionnel au poids du groupe, les Peuls auraient eu 9,6 candidats ; ce qui est loin des 5 effectivement retenus. Cependant pour certains Guinéens, surtout des Malinkés, 2ème groupe ethnique après les Peuls, ce nombre est déjà alarmant. Les choses deviennent encore plus alarmantes quand, après d’interminables tergiversations, Cellou Dalein Diallo (un Peul) est proclamé vainqueur du premier tour avec 43,69% contre 18,25% pour Alpha Condé, le candidat qui porte l’espoir des Malinkés. Le ralliement de Sidya Touré arrivé 3ème avec 13,02% et celui d’autres candidats significatifs est vécu comme un séisme politique par tous les Malinkés. En effet, cela signifie qu’une partie de la classe politique guinéenne a vaincu la méfiance savamment entretenue par Sékou Touré à l’égard des Peuls et qu’il y avait donc de fortes chances pour qu’un Peul dirige enfin la Guinée. A partir de ce moment, la stratégie d’Alpha Condé est claire : il faut tout faire pour éviter une telle « catastrophe ». Il durcit le discours ethniciste et ses partisans sèment la terreur surtout en Haute Guinée, son fief, et à Conakry où les Peuls sont fortement présents. Il est aidé en cela par la passivité des forces de l’ordre qui laissent faire ou apportent parfois même leur complicité active. Ici tous les faits observables laissent deviner une collusion entre le Général Sékouba Konaté qui assurait la transition et le nouveau président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), un général malien (le général d’aviation Siaka Toumani Sangaré initialement envoyé par l’OIF pour superviser le processus électoral guinéen). Tout laisse croire que leur appartenance au groupe Mandé les inclinait à se ranger du côté d’Alpha Condé. Le second tour se tient enfin le 7 novembre 2010 après de nombreux cas de violences et de multiples tractations. Il est fort probable que ce sont les effets combinés de la terreur infligée aux partisans de Cellou Dalein et les tripatouillages des résultats orchestrés par les acteurs de la transition dont le Premier ministre Jean-Marie Doré et les deux généraux cités ci-dessus qui ont abouti au renversement de situation spectaculaire auquel aboutit le second tour de la présidentielle. En effet, déjouant les prévisions arithmétiques, Alpha Condé obtient finalement 52,52% des suffrages contre 47,48% pour Cellou. Ce sont là les résultats définitifs proclamés par la Cour suprême dans la nuit du 2 au 3 décembre 2010. (Pour plus de détails, voir le rapport final de la Fondation Carter sur les élections guinéennes) http://www.cartercenter.org/resources/pdfs/news/peace_publications/election_reports/guinea-2010-FinalReport-fr.pdf.
Cellou Dalein Diallo fit des recours contre des irrégularités et des annulations qui lui étaient défavorables mais en vain car tout semblait contre lui. Faisant preuve de maturité et mettant en avant l’intérêt supérieur de la Guinée, il appela ses partisans au calme et reconnut la victoire d’Alpha Condé. Cependant, tous les observateurs avertis savaient que cette victoire était loin d’être incontestable vu l’avance qu’avait Cellou au premier tour ainsi que les multiples irrégularités dont elle était entachée.
La présidentielle pliée, restaient les législatives que devait organiser le nouveau président dans les meilleurs délais pour compléter les institutions démocratiques du pays. Mais le constat est que le président multiplie depuis des obstacles pour retarder les législatives. Tous les actes qu’il pose vont dans ce sens. Aujourd’hui, après deux ans et demi de tergiversations et de répressions, même les observateurs les moins perspicaces ont fini par comprendre que le « Professeur » a choisi de tourner le dos aux obligations de sa fonction : organiser les élections législatives sans arrière pensée. Malgré sa prétendue victoire de 52,52%, il sait qu’il ne peut pas l’emporter aux législatives si l’opposition reste soudée derrière Cellou Dalein Diallo et si le vote est transparent. En effet celui-ci a entre temps gagné l’estime de beaucoup de Guinéens par son attitude responsable. A 58 ans (contre 72 à Alpha Condé) il avait donc toutes les chances d’imposer la cohabitation à Condé et de se positionner comme son successeur. Cette perspective cauchemardesque va pousser le « Professeur » à remettre au goût du jour le machiavélisme à la Sékou Touré. Il va donc s’attacher à :
Affaiblir l’opposition par tous les moyens possibles et imaginables parmi lesquels l’usage excessif de la force qui se traduit par des tirs à balles réelles sur les manifestants de l’opposition ;
Créer les conditions d’opacité du processus électoral pour rééditer son hold-up de la présidentielle. C’est ce qui explique son refus obstiné du vote des Guinéens de la diaspora (que permet pourtant la constitution) parmi lesquels les Peuls sont majoritaires. Majorité qui se comprend parce qu’ils ont été les plus persécutés par Sékou Touré. C’est ce qui explique également le bras de fer avec l’opposition autour du fichier électoral dont il veut faire une chasse gardée pour pouvoir le manipuler à saguise.
Quoi de plus efficace qu’un bon « complot peul » à la Sékou Touré pour affaiblir le groupe le plus dangereux pour son pouvoir, c’est-à-dire le groupe peul ? Vite pensé, vite fait : une simulation d’attaque de la résidence privée du président fut donc « montée » comme du temps de Sékou Touré, des aveux extorqués par voie de torture et un procès organisé, le tout sous la conduite du « Professeur » qui tire les ficelles à distance. Honte au « Professeur » qui se montre sous sa véritable nature, celle d’un homme sans éthique, doublé d’un apprenti dictateur sans scrupules, qui n’hésite pas à recourir aux abominables méthodes de Sékou Touré pour parvenir à ses fins.
Mais le « Professeur » est le seul à croire encore au « complot peul » : les Guinéens qui ont beaucoup mûri ne jettent plus l’anathème sur leurs concitoyens peuls ou affichent une indifférence prudente comme du temps de Sékou Touré ; au contraire depuis qu’Alpha Condé est au pouvoir, c’est un peuple uni qui brave sa soldatesque partout en Guinée.
Cependant comme il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut rien voir, il est grand temps, pour éviter que des innocents soient exécutés ou injustement emprisonnés mais aussi pour sortir les populations guinéennes des griffes de ce Professeur ès dictature, que toutes les voix s’élèvent pour faire comprendre à Alpha Condé qu’il y a des pratiques d’un autre âge que le monde n’est plus prêt à laisser faire.
Cela doit commencer par ses pairs qui, au lieu d’aller à l’Africa Hall, leur fief, pour invectiver injustement la CPI, feraient mieux de laver le linge sale en famille en disant leurs quatre vérités à tous ceux d’entre eux qui, pour le pouvoir, sont prêts à martyriser mille fois leurs peuples. La CPI ne doit surtout pas desserrer l’étau car la perspective d’être un jour traîné devant le tribunal de La Haye peut avoir un effet dissuasif pour les bourreaux potentiels de leurs peuples.
La CEDEAO doit mettre Condé en quarantaine ; les organisations telles que la RADDHO, Human Rights Watch, etc. doivent élever la voix avant qu’il ne soit trop tard.
Les pays bailleurs de fonds de la Guinée doivent dépasser la simple suspension de leur aide et prendre des sanctions du genre de celles prises quand leurs intérêts stratégiques sont en jeu.
Quant au « Professeur », qu’il sache qu’il a déjà gravement terni ce titre qu’il est si fier de porter mais qui suppose une droiture, une hauteur de vue et une exemplarité largement au-dessus de la moyenne. Je lui demanderai surtout, et sans attendre d’éventuelles pressions, de mettre fin à cette parodie de procès, d’organiser enfin des législatives transparentes et d’en accepter le résultat quel qu’il soit. C’est à ce prix seulement qu’il pourra espérer porter de nouveau dignement le titre de Professeur !
Si nous n’aidons pas, par nos protestations et pressions sur Alpha Condé, la Guinée à traiter la gangrène du pouvoirisme aux relents ethnocentristes qui la ronge depuis Sékou Touré par l’organisation de législatives « propres », les prochaines présidentielles risquent de la plonger dans une spirale de violence dont les conséquences ne peuvent être que catastrophiques et pourraient aller jusqu’à menacer son existence même.
En Côte-d’Ivoire nous avons laissé prospérer « l’ivoirité », une idéologie fondée sur l’exclusion, la négation des droits d’une catégorie d’Ivoiriens essentiellement originaires du nord du pays ; nous avons tous vu où cela a fini : une plaie béante qui mettra du temps, beaucoup de temps, à cicatriser. Avons-nous le droit de laisser la Guinée sombrer dans un désastre similaire ? Il est temps que les Africains se mobilisent pour que de tels drames cessent enfin sur l’ensemble de leur continent.
Pr Aboubacry Moussa LAM
Université Cheikh Anta Diop
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Département d’histoire
Il apparaît déjà à la lumière de cette citation qu’il y a un problème peul en Guinée du fait de la répression qui cible spécifiquement les Foulbés en tant que groupe ethnique.
Pour comprendre cette situation des Peuls en Guinée, il faut voir l’état de la répartition ethnique dans ce pays tel qu’il est dressé par le même organisme dans son rapport de 2011. Sur les 10 000 000 de Guinéens, il y aurait environ 40% de Peuls, 30% de Malinkés, 20% de Soussous ; les 10% qui restent seraient constitués par des groupes minoritaires tels que les Guerzés, les Kissis, les Tomas, etc. (voir note 7 du rapport). Majoritaires donc, bien instruits, économiquement bien assis et ne partageant pas généralement la même orientation politique que Sékou Touré, les Peuls ne pouvaient qu’être perçus comme un danger par ce celui-ci. Sékou Touré ne tergiversa pas longtemps : dès les premières années de l’indépendance, il opta pour la méthode la plus radicale pour faire face à la « menace peule » : la liquidation politique passant, le plus souvent, par l’élimination physique des éléments de l’élite peule.
La liste s’ouvre en 1960 avec le « complot de Diallo Ibrahima », un Peul donc, qui semble-t-il jugeait Sékou Touré indigne d’être président de Guinée et menaçait de créer un parti rival. Il y eut ensuite, entre autres, le complot « des intellectuels tarés et des forces décadentes », celui « des syndicalistes et des éléments d’extraction féodale et anarchiste », celui « des petits commerçants », celui « des grands commerçants en connivence avec l’impérialisme », l’invasion portugaise du 22 novembre 1970 qui fut transformée en complot. Les complots de Sékou Touré sont en réalité plus nombreux que cela (voir Alsény René Gomez, Camp Boiro. Parler ou périr, Paris L’Harmattan 2007, chapitre XII, mis en ligne sur http://www.campboiro.org/bibliotheque/gomez_alseny/parler_perir/chap12.html) mais force est de reconnaître que dans tous ces complots fabriqués, ce sont les Peuls qui payèrent le tribut le plus lourd. Mais le plus sanglant de tous pour les Peuls, fut
le « Complot peul », ou complot des Foulbés de 1976-77, [lors duquel] des intellectuels Peuls respectés, dont Boubacar Telli Diallo, ex-secrétaire général de l'Organisation de l'Unité africaine, et d'innombrables autres personnes, furent emprisonnés, exécutés ou sont morts en détention. (Rapport de Human Rights Watch)
André Lewin qui fut ambassadeur de France en Guinée entre 1975 et 1979 et qui a écrit un livre, Diallo Telli. Le destin tragique d'un grand Africain, Jeune Afrique Livres. Collection Destins, 1990, 225 pages, nous décrit les débuts du « complot » comme suit :
« Le 13 mai [1976], la découverte par la police du jeune Mamadou Lamarana Diallo, 14 ans, peut-être même 12 seulement, perché sur un arbre et “porteur d'une arme automatique” à proximité de l'Institut polytechnique de Conakry où Sékou Touré effectue une visite, laquelle est immédiatement abrégée, entraîne l'arrestation, qui ne sera rendue publique qu'ultérieurement, de plusieurs miliciens, dont un commandant Sory Barry. Ils sont accusés de négligences dans la protection du président. On constatera plus tard que toutes les personnes arrêtées appartiennent à l'ethnie peule ». (A. Lewin, op. cit. Chapitre 7)
Boubacar Telli Diallo est arrêté dans la nuit du 18 au 19 juillet 1976 et interné au camp Boiro. Après d’abominables séances de torture par l’électricité (« cabine technique ») et par la privation d’eau et de nourriture (« diète noire »), il finit par céder. Ses aveux sont enregistrés et rendus publics le 9 août au Palais du Peuple, devant les militants du PDG. Dans ses aveux, lui et ses complices reconnaissent
« le caractère ethnique de leur mouvement et de leur futur gouvernement, dont Diallo Telli aurait été le chef et Dramé le ministre des Finances. Sans donner de précisions, Dramé affirme aussi que la France, la République fédérale d'Allemagne et les Etats-Unis, ainsi que le Sénégal et la Côte d'Ivoire, aident les anti-guinéens de l'extérieur ». (A. Lewin, op. cit. Chapitre 7)
Ce curieux complot dans lequel les éléments de « la 5ème colonne », essentiellement pour ne pas dire exclusivement des Peuls, côtoient, pêle-mêle, la France, la République Fédérale d’Allemagne, les Etats Unis, le Sénégal, La Côte d’Ivoire, le Zaïre, le Gabon et l’Afrique du Sud, n’est en réalité qu’un vulgaire montage dont la cohérence d’ensemble défie le bon sens le plus élémentaire. Malgré cela, Boubacar Telli Diallo et ses amis furent condamnés par le théâtral « tribunal révolutionnaire » de Sékou Touré et moururent les uns après les autres entre le 26 février et le 1er mars 1977, épuisés par la « diète noire » :
« Le 26 février meurt le Dr. Alpha Oumar Barry ; le 28, c'est au tour des deux militaires ; enfin, le 1er mars, le matin, peu avant 9 heures, Diallo Telli rend le dernier soupir, cependant qu'Alioune Dramé mourra quelques minutes plus tard ». (A. Lewin, op. cit. Chapitre 7)
Il fut l’occasion pour Sékou Touré de déverser toute sa haine sur l’ethnie peule, en lui découvrant les tares les plus abominables et en l’accusant des crimes et trahisons les plus gravissimes, le tout enrobé dans un discours pseudo-révolutionnaire qui cachait mal l’ethnocentrisme et l’amour excessif du pouvoir : étrangers à la Guinée, contre-révolutionnaires incurables, collaborateurs, traîtres en tout temps et en tout lieu, ethnocentristes, endogames et même alcooliques !!! :
« Le Fouta était menacé, tragiquement menacé de nombreux travers sociaux. Nous avions visité cette province guinéenne de long en large et nous nous étions aperçu que l'alcoolisme menaçait, réellement la population du Fouta, y compris les marabouts qui remplissaient leurs bouilloires de bière ou de vin. Ne parlons pas des jeunes et encore moins des intellectuels : consommer l'alcool était devenu alors, le critère de l'évolution à l'époque ».
Sékou Touré voulait sans doute discréditer les Peuls mais ses arguments sont fort discutables. En effet qui est autochtone dans cette Afrique occidentale où la mémoire collective des populations se souvient encore des vagues migratoires qui les ont conduites de l’est à l’ouest du continent. Egalement contre Sékou Touré le fait que le Fouta était tellement réputé pour sa religiosité que même le vénérable Cheikh Oumar Tall, après s’y être initié, avait choisi Dinguiraye comme base pour la préparation de sa guerre sainte, sans doute en hommage au premier Etat théocratique de la sous-région qui vit le jour en 1725, c’est-à-dire bien avant celui du Fouta-Toro, fondé en 1776. Donc l’accusation est ridicule mais très révélatrice de la mauvaise foi du « Responsable Suprême de la Révolution ». Cette mauvaise foi crève aussi les yeux quand, contre tout bon sens, il s’attache à démontrer que les Peuls sont minoritaires au Fouta-Djalon ; vaine tentative mais pour Sékou Touré, tous les moyens sont bons pour nier l’évidence : le poids démographique des Peuls en Guinée, poids qu’il juge inadmissible.
Excédé par ce qu’il appelle l’ingratitude des cadres peuls, Sékou Touré décida de ne plus accorder de bouses étrangères aux étudiants peuls. Là également la mauvaise foi est manifeste : tout observateur objectif sait que c’est pour éviter de risquer leur vie que les cadres peuls s’imposent un exil volontaire et restent dans des pays, parfois très proches de la Guinée où ils peuvent travailler en toute tranquillité. En fait le vrai objectif de Sékou Touré c’était de bloquer la formation de cadres peuls parce qu’à son goût il y en avait déjà trop en Guinée. C’est donc un autre moyen diabolique pour étouffer les Peuls et dont il essayait maladroitement de les rendre eux-mêmes responsables. C’est ce que confirme la terrible phrase par laquelle Sékou Touré conclut son réquisitoire contre les Peuls :
« Retenez-le bien : Le racisme peulh, nous devons lui donner un enterrement de première classe, un enterrement définitif ».
Autrement dit, il opte pour quelque chose qui ne serait pas loin de « la solution finale » ; pauvres Peuls !
Depuis la mort de celui qui avait juré leur perte, en 1984, les Peuls pensaient sans doute que tout était fini et qu’il n’y aurait plus de « complot peul ». Mais malheureusement Sékou Touré a semble-t-il trouvé un digne successeur en la personne du « Professeur » Alpha Condé.
Dans la nuit du 18 au 19 juillet la résidence privée du président guinéen est attaquée et les Peuls retrouvent le cauchemar. En effet tous ceux qui sont arrêtés sont des Peuls ou des gens qui leur sont proches. Le camp Boiro n’existe plus mais on a trouvé semble-t-il quelque chose qui l’a remplacé dignement. En effet le procès, retransmis à la télévision et sur le point de s’achever (on en est au réquisitoire du procureur général et aux plaidoiries de la défense), laisse clairement apparaître que les prévenus ont été atrocement torturés et que tous les aveux ont été obtenus après atteinte à leur intégrité physique ou morale. La « cabine technique » et la « diète noire » du camp Boiro ont été utilisées au dire même des détenus. Ce qui est grave, c’est que le procureur général trouve, en réponse à un détenu qui disait que ses aveux avaient été obtenus après privation d’eau et de nourriture, que c’est là un argument léger de sa part ! Quel cynisme ! En effet force est de se rappeler ici que c’est avec ce procédé inhumain qu’ont été tués Boubacar Telli Diallo et ses codétenus dans le cadre du « complot peul » de 1976. Au moins deux prévenus n’ont pu résister à la « cabine technique » et à la « diète noire » : ils sont morts en détention ; d’autres sont physiquement et moralement atteints et ne seront plus jamais les mêmes personnes.
Les images du procès confirment qu’on est en présence d’un montage grossier, truffé d’incohérences. Les avocats de la défense ont réussi à mettre à nu toutes les failles de l’accusation : des trajectoires de balles et de roquettes peu crédibles ; des policiers, des gendarmes et des militaires, témoins à charge, qui refusent de répondre aux questions des avocats de la défense quand bon leur semble et avec l’aide active du président du tribunal et celle du procureur général prompts à voler à leur secours dès qu’ils sont en difficulté face aux questions de ceux-ci ; leur arrogance prouve à souhait qu’ils ont la garantie de l’impunité. C’est le même état d’esprit qu’on retrouve chez les gendarmes et officiers de police qui ont mené l’enquête préliminaire. A les écouter, on devine aisément comment les aveux ont été obtenus.
Le procureur général rappelle Sékou Touré : la hargne, la mauvaise foi, l’invraisemblance des accusations sont presque les mêmes. D’après lui, c’est parce que les Peuls s’estiment discriminés que Madame Fatou Badiar Diallo, le cerveau du complot, et ses complices ont attaqué la résidence privée du président afin de le tuer et de procéder à un changement de régime. Voilà pourquoi le procureur William Fernandez porte à leur encontre les accusations suivantes :
« Association de malfaiteurs, assassinat et tentative d’assassinat contre la personne du Chef de l’Etat, détention illégale d’armes de guerre et de minutions, de drogue, ethnocentrisme et régionalisme ».
Pour ces chefs d’accusation, il demande la peine capitale pour les cerveaux, la détention à perpétuité, de lourdes peines de prison pour les principaux complices et l’acquittement pour quelques comparses arrêtés par erreur ! Un citoyen guinéen qui semble bien averti juge ainsi le nouveau complot peul et le procès qu’il a entraîné :
« Enfin, il faut évoquer le pseudo-attentat du 19 Juillet 2011 et la parodie de justice liée à cette affaire, pour illustrer la nouvelle république bananière qu'Alpha Condé souhaite mettre en place en Guinée. On a pu constater que des individus avaient été arrêtés une semaine avant le début de la pièce de théâtre, comme acteurs principaux du faux complot – ce qui suppose donc que certains militaires étaient informés –, et l'arrestation de militaires bien après la date pour abstention délictueuse (sic). Tout le monde devrait avoir honte de cette justice de pacotille. (voir http://www.guinee58.com/index.php/politique/34-politique-guinee-conakry/5985-alpha-conde-il-faut-partir-maintenant). Au vu des images de la télévision guinéenne, ce jugement est loin d’être exagéré ».
Il est triste de constater que 35 ans après le « complot peul » de 1976 la Guinée renoue avec ses vieux démons et que des innocents risquent leur tête si rien n’est fait pour arrêter la main des pouvoiristes qui les accusent.
Cependant une analyse froide de l’enchaînement des événements depuis le premier tour de l’élection présidentielle pourrait aider à comprendre le retour du syndrome peul.
Sur les 24 candidats retenus par la Cour suprême de Guinée, 5 sont des Peuls. Si le nombre de candidats devait être proportionnel au poids du groupe, les Peuls auraient eu 9,6 candidats ; ce qui est loin des 5 effectivement retenus. Cependant pour certains Guinéens, surtout des Malinkés, 2ème groupe ethnique après les Peuls, ce nombre est déjà alarmant. Les choses deviennent encore plus alarmantes quand, après d’interminables tergiversations, Cellou Dalein Diallo (un Peul) est proclamé vainqueur du premier tour avec 43,69% contre 18,25% pour Alpha Condé, le candidat qui porte l’espoir des Malinkés. Le ralliement de Sidya Touré arrivé 3ème avec 13,02% et celui d’autres candidats significatifs est vécu comme un séisme politique par tous les Malinkés. En effet, cela signifie qu’une partie de la classe politique guinéenne a vaincu la méfiance savamment entretenue par Sékou Touré à l’égard des Peuls et qu’il y avait donc de fortes chances pour qu’un Peul dirige enfin la Guinée. A partir de ce moment, la stratégie d’Alpha Condé est claire : il faut tout faire pour éviter une telle « catastrophe ». Il durcit le discours ethniciste et ses partisans sèment la terreur surtout en Haute Guinée, son fief, et à Conakry où les Peuls sont fortement présents. Il est aidé en cela par la passivité des forces de l’ordre qui laissent faire ou apportent parfois même leur complicité active. Ici tous les faits observables laissent deviner une collusion entre le Général Sékouba Konaté qui assurait la transition et le nouveau président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), un général malien (le général d’aviation Siaka Toumani Sangaré initialement envoyé par l’OIF pour superviser le processus électoral guinéen). Tout laisse croire que leur appartenance au groupe Mandé les inclinait à se ranger du côté d’Alpha Condé. Le second tour se tient enfin le 7 novembre 2010 après de nombreux cas de violences et de multiples tractations. Il est fort probable que ce sont les effets combinés de la terreur infligée aux partisans de Cellou Dalein et les tripatouillages des résultats orchestrés par les acteurs de la transition dont le Premier ministre Jean-Marie Doré et les deux généraux cités ci-dessus qui ont abouti au renversement de situation spectaculaire auquel aboutit le second tour de la présidentielle. En effet, déjouant les prévisions arithmétiques, Alpha Condé obtient finalement 52,52% des suffrages contre 47,48% pour Cellou. Ce sont là les résultats définitifs proclamés par la Cour suprême dans la nuit du 2 au 3 décembre 2010. (Pour plus de détails, voir le rapport final de la Fondation Carter sur les élections guinéennes) http://www.cartercenter.org/resources/pdfs/news/peace_publications/election_reports/guinea-2010-FinalReport-fr.pdf.
Cellou Dalein Diallo fit des recours contre des irrégularités et des annulations qui lui étaient défavorables mais en vain car tout semblait contre lui. Faisant preuve de maturité et mettant en avant l’intérêt supérieur de la Guinée, il appela ses partisans au calme et reconnut la victoire d’Alpha Condé. Cependant, tous les observateurs avertis savaient que cette victoire était loin d’être incontestable vu l’avance qu’avait Cellou au premier tour ainsi que les multiples irrégularités dont elle était entachée.
La présidentielle pliée, restaient les législatives que devait organiser le nouveau président dans les meilleurs délais pour compléter les institutions démocratiques du pays. Mais le constat est que le président multiplie depuis des obstacles pour retarder les législatives. Tous les actes qu’il pose vont dans ce sens. Aujourd’hui, après deux ans et demi de tergiversations et de répressions, même les observateurs les moins perspicaces ont fini par comprendre que le « Professeur » a choisi de tourner le dos aux obligations de sa fonction : organiser les élections législatives sans arrière pensée. Malgré sa prétendue victoire de 52,52%, il sait qu’il ne peut pas l’emporter aux législatives si l’opposition reste soudée derrière Cellou Dalein Diallo et si le vote est transparent. En effet celui-ci a entre temps gagné l’estime de beaucoup de Guinéens par son attitude responsable. A 58 ans (contre 72 à Alpha Condé) il avait donc toutes les chances d’imposer la cohabitation à Condé et de se positionner comme son successeur. Cette perspective cauchemardesque va pousser le « Professeur » à remettre au goût du jour le machiavélisme à la Sékou Touré. Il va donc s’attacher à :
Affaiblir l’opposition par tous les moyens possibles et imaginables parmi lesquels l’usage excessif de la force qui se traduit par des tirs à balles réelles sur les manifestants de l’opposition ;
Créer les conditions d’opacité du processus électoral pour rééditer son hold-up de la présidentielle. C’est ce qui explique son refus obstiné du vote des Guinéens de la diaspora (que permet pourtant la constitution) parmi lesquels les Peuls sont majoritaires. Majorité qui se comprend parce qu’ils ont été les plus persécutés par Sékou Touré. C’est ce qui explique également le bras de fer avec l’opposition autour du fichier électoral dont il veut faire une chasse gardée pour pouvoir le manipuler à saguise.
Quoi de plus efficace qu’un bon « complot peul » à la Sékou Touré pour affaiblir le groupe le plus dangereux pour son pouvoir, c’est-à-dire le groupe peul ? Vite pensé, vite fait : une simulation d’attaque de la résidence privée du président fut donc « montée » comme du temps de Sékou Touré, des aveux extorqués par voie de torture et un procès organisé, le tout sous la conduite du « Professeur » qui tire les ficelles à distance. Honte au « Professeur » qui se montre sous sa véritable nature, celle d’un homme sans éthique, doublé d’un apprenti dictateur sans scrupules, qui n’hésite pas à recourir aux abominables méthodes de Sékou Touré pour parvenir à ses fins.
Mais le « Professeur » est le seul à croire encore au « complot peul » : les Guinéens qui ont beaucoup mûri ne jettent plus l’anathème sur leurs concitoyens peuls ou affichent une indifférence prudente comme du temps de Sékou Touré ; au contraire depuis qu’Alpha Condé est au pouvoir, c’est un peuple uni qui brave sa soldatesque partout en Guinée.
Cependant comme il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut rien voir, il est grand temps, pour éviter que des innocents soient exécutés ou injustement emprisonnés mais aussi pour sortir les populations guinéennes des griffes de ce Professeur ès dictature, que toutes les voix s’élèvent pour faire comprendre à Alpha Condé qu’il y a des pratiques d’un autre âge que le monde n’est plus prêt à laisser faire.
Cela doit commencer par ses pairs qui, au lieu d’aller à l’Africa Hall, leur fief, pour invectiver injustement la CPI, feraient mieux de laver le linge sale en famille en disant leurs quatre vérités à tous ceux d’entre eux qui, pour le pouvoir, sont prêts à martyriser mille fois leurs peuples. La CPI ne doit surtout pas desserrer l’étau car la perspective d’être un jour traîné devant le tribunal de La Haye peut avoir un effet dissuasif pour les bourreaux potentiels de leurs peuples.
La CEDEAO doit mettre Condé en quarantaine ; les organisations telles que la RADDHO, Human Rights Watch, etc. doivent élever la voix avant qu’il ne soit trop tard.
Les pays bailleurs de fonds de la Guinée doivent dépasser la simple suspension de leur aide et prendre des sanctions du genre de celles prises quand leurs intérêts stratégiques sont en jeu.
Quant au « Professeur », qu’il sache qu’il a déjà gravement terni ce titre qu’il est si fier de porter mais qui suppose une droiture, une hauteur de vue et une exemplarité largement au-dessus de la moyenne. Je lui demanderai surtout, et sans attendre d’éventuelles pressions, de mettre fin à cette parodie de procès, d’organiser enfin des législatives transparentes et d’en accepter le résultat quel qu’il soit. C’est à ce prix seulement qu’il pourra espérer porter de nouveau dignement le titre de Professeur !
Si nous n’aidons pas, par nos protestations et pressions sur Alpha Condé, la Guinée à traiter la gangrène du pouvoirisme aux relents ethnocentristes qui la ronge depuis Sékou Touré par l’organisation de législatives « propres », les prochaines présidentielles risquent de la plonger dans une spirale de violence dont les conséquences ne peuvent être que catastrophiques et pourraient aller jusqu’à menacer son existence même.
En Côte-d’Ivoire nous avons laissé prospérer « l’ivoirité », une idéologie fondée sur l’exclusion, la négation des droits d’une catégorie d’Ivoiriens essentiellement originaires du nord du pays ; nous avons tous vu où cela a fini : une plaie béante qui mettra du temps, beaucoup de temps, à cicatriser. Avons-nous le droit de laisser la Guinée sombrer dans un désastre similaire ? Il est temps que les Africains se mobilisent pour que de tels drames cessent enfin sur l’ensemble de leur continent.
Pr Aboubacry Moussa LAM
Université Cheikh Anta Diop
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Département d’histoire