•Un exercice imposé
Comme quasiment tous les autres premiers ministres de la Ve République avant lui, Jean-Marc Ayrault prononce mardi à 15 heures son premier discours de politique générale. Cette allocution est une tradition, à laquelle seul Raymond Barre, en plein choc pétrolier en 1973 s'était soustrait. Un tel discours est un délicat exercice de synthèse. Il s'agit de préciser comment seront mises en oeuvres les promesses réalisées pendant la campagne sans créer un effet catalogue, de souder la majorité, de satisfaire chacun des ministres et d'essayer de marquer les esprits avec quelques formules fortes. Le tout en une heure environ, sous peine d'endormir les députés. Le discours est lu simultanément au Sénat par le numéro 2 du gouvernement, soit le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius.
Le premier ministre engage ensuite la responsabilité de son gouvernement et fait voter «la question de confiance» au parlement. Ce vote ne sera que pure formalité pour Jean-Marc Ayrault, le PS et ses proches alliés détenant la majorité absolue des 577 sièges. Cette question de confiance n'étant pas obligatoire, plusieurs premiers ministres se sont déjà soustraits à cette pratique. Ce fût le cas pour Maurice Couve de Murville (en 1968), Michel Rocard (en 1988), Édith Cresson (en 1992) et Pierre Bérégovoy (en 1992), qui ne disposaient pas d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale.
•Des mots tabous
Le discours de politique générale étant très observé et analysé dans ses moindres détails, il s'agit aussi pour le premier ministre d'éviter de prononcer certains mots sensibles. Le linguiste Jean Veronis a passé au peigne fin tous les discours des premiers ministres et mis en avant les trois mots les plus utilisés dans chaque discours. Ainsi, en 1959, le premier ministre Michel Debré prononce le mot «Algérie» vingt fois. Mais la guerre n'est que très peu évoquée, il préfère alors utiliser un euphémisme avec l'expression «maintien de l'ordre».
«Les mots que l'on prononce sont aussi intéressants à étudier que ceux que l'on ne prononce pas. Il est fort probable que Jean-Marc Ayrault cherche à éviter les mots “rigueur” et “austérité” et les remplace par “redressement”, accolé à un adjectif qui temporise, comme “juste”», poursuit le linguiste. Le discours de Jean-Marc Ayrault intervient en effet au lendemain d'un rapport de la Cour des comptes qui s'inquiète de la santé financière du pays.
•L'occasion de sortir du lot voire de marquer l'histoire
Un discours de politique générale peut suivre une personnalité politique toute sa vie. On se souvient encore aujourd'hui de la toute première «raffarinade»: «La route est droite mais la pente est forte» avait déclaré Jean-Pierre Raffarin lors de son allocution en 2002.
Jacques Chaban-Delmas avait notamment marqué les esprits en 1969 dans un discours aux accents présidentiles, où il évoquait la construction et l'avènement d'une nouvelle société: “Nous pouvons donc entreprendre de construire une nouvelle société, (...) et cette société nouvelle, quant à moi, je la vois comme une société prospère, jeune, généreuse et libérée.” A la fin de son discours, Georges Pompidou avait même fait connaître son mécontentement devant ce coup politique.
Plus tard, en 1988, Michel Rocard avait également séduit dans une allocution articulée autour «du rêve et du pragmatisme politique». «Je rêve d'un pays où l'on se parle à nouveau. Je rêve de villes où les tensions soient moindres. Je rêve d'une politique où l'on soit attentif à ce qui est dit, plutôt qu'à qui le dit. Je rêve tout simplement d'un pays ambitieux dont tous les habitants redécouvrent le sens du dialogue, -pourquoi pas de la fête,- et de la liberté.»
•Les ratés
En 1962, Georges Pompidou, avait complètement raté son grand oral. Les députés l'avaient alors trouvé ennuyeux, sans souffle, sans grande envergure. Les images du discours de la première femme premier ministre Edith Cresson en 1992 sont encore douloureuses à regarder aujourd'hui. Elle échoue à convaincre les députés de sa majorité, qui, sur fond de machisme, se moquent ouvertement d'elle et la chahutent pendant son allocution. Imposée par Mitterrand contre la volonté des socialistes et suspectée d'être sa maîtresse, Edith Cresson ne s'est pas relevée de ce mauvais départ et quittera son poste quelques mois plus tard.
Par Judith Duportail
Comme quasiment tous les autres premiers ministres de la Ve République avant lui, Jean-Marc Ayrault prononce mardi à 15 heures son premier discours de politique générale. Cette allocution est une tradition, à laquelle seul Raymond Barre, en plein choc pétrolier en 1973 s'était soustrait. Un tel discours est un délicat exercice de synthèse. Il s'agit de préciser comment seront mises en oeuvres les promesses réalisées pendant la campagne sans créer un effet catalogue, de souder la majorité, de satisfaire chacun des ministres et d'essayer de marquer les esprits avec quelques formules fortes. Le tout en une heure environ, sous peine d'endormir les députés. Le discours est lu simultanément au Sénat par le numéro 2 du gouvernement, soit le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius.
Le premier ministre engage ensuite la responsabilité de son gouvernement et fait voter «la question de confiance» au parlement. Ce vote ne sera que pure formalité pour Jean-Marc Ayrault, le PS et ses proches alliés détenant la majorité absolue des 577 sièges. Cette question de confiance n'étant pas obligatoire, plusieurs premiers ministres se sont déjà soustraits à cette pratique. Ce fût le cas pour Maurice Couve de Murville (en 1968), Michel Rocard (en 1988), Édith Cresson (en 1992) et Pierre Bérégovoy (en 1992), qui ne disposaient pas d'une majorité absolue à l'Assemblée nationale.
•Des mots tabous
Le discours de politique générale étant très observé et analysé dans ses moindres détails, il s'agit aussi pour le premier ministre d'éviter de prononcer certains mots sensibles. Le linguiste Jean Veronis a passé au peigne fin tous les discours des premiers ministres et mis en avant les trois mots les plus utilisés dans chaque discours. Ainsi, en 1959, le premier ministre Michel Debré prononce le mot «Algérie» vingt fois. Mais la guerre n'est que très peu évoquée, il préfère alors utiliser un euphémisme avec l'expression «maintien de l'ordre».
«Les mots que l'on prononce sont aussi intéressants à étudier que ceux que l'on ne prononce pas. Il est fort probable que Jean-Marc Ayrault cherche à éviter les mots “rigueur” et “austérité” et les remplace par “redressement”, accolé à un adjectif qui temporise, comme “juste”», poursuit le linguiste. Le discours de Jean-Marc Ayrault intervient en effet au lendemain d'un rapport de la Cour des comptes qui s'inquiète de la santé financière du pays.
•L'occasion de sortir du lot voire de marquer l'histoire
Un discours de politique générale peut suivre une personnalité politique toute sa vie. On se souvient encore aujourd'hui de la toute première «raffarinade»: «La route est droite mais la pente est forte» avait déclaré Jean-Pierre Raffarin lors de son allocution en 2002.
Jacques Chaban-Delmas avait notamment marqué les esprits en 1969 dans un discours aux accents présidentiles, où il évoquait la construction et l'avènement d'une nouvelle société: “Nous pouvons donc entreprendre de construire une nouvelle société, (...) et cette société nouvelle, quant à moi, je la vois comme une société prospère, jeune, généreuse et libérée.” A la fin de son discours, Georges Pompidou avait même fait connaître son mécontentement devant ce coup politique.
Plus tard, en 1988, Michel Rocard avait également séduit dans une allocution articulée autour «du rêve et du pragmatisme politique». «Je rêve d'un pays où l'on se parle à nouveau. Je rêve de villes où les tensions soient moindres. Je rêve d'une politique où l'on soit attentif à ce qui est dit, plutôt qu'à qui le dit. Je rêve tout simplement d'un pays ambitieux dont tous les habitants redécouvrent le sens du dialogue, -pourquoi pas de la fête,- et de la liberté.»
•Les ratés
En 1962, Georges Pompidou, avait complètement raté son grand oral. Les députés l'avaient alors trouvé ennuyeux, sans souffle, sans grande envergure. Les images du discours de la première femme premier ministre Edith Cresson en 1992 sont encore douloureuses à regarder aujourd'hui. Elle échoue à convaincre les députés de sa majorité, qui, sur fond de machisme, se moquent ouvertement d'elle et la chahutent pendant son allocution. Imposée par Mitterrand contre la volonté des socialistes et suspectée d'être sa maîtresse, Edith Cresson ne s'est pas relevée de ce mauvais départ et quittera son poste quelques mois plus tard.
Par Judith Duportail