Égypte, Libye, Yémen, Tunisie, Irak, Iran… comme une traînée de poudre, la colère suscitée par le film anti-islam réalisé aux États-Unis et diffusé sur YouTube continue à se propager à travers le monde arabo-musulman. Alors que deux navires américains faisaient route, jeudi, vers les côtes libyennes, après l'attaque, mardi, du consulat de Benghazi, qui a coûté la vie à l'ambassadeur américain, la rue s'est particulièrement embrasée à Sanaa, la capitale du Yémen, où au moins deux protestataires yéménites sont morts sous les balles de la police.
À deux reprises, les manifestants ont forcé l'entrée de la chancellerie américaine, en brisant les vitres de l'enceinte de sécurité aux cris de «O Prophète, O Mahomet», et en mettant le feu à des voitures diplomatiques avant d'être dispersés par les forces de l'ordre.
À Téhéran, où le film incriminé, L'Innocence des musulmans , a été qualifié d'«ignoble» par les autorités de la République islamique, quelque cinq cents personnes se sont rassemblées près de l'ambassade de Suisse, qui représente les intérêts américains dans le pays. La veille, plusieurs manifestants furieux s'en étaient également pris aux représentations américaines à Casablanca, Tunis et Khartoum.
Au Caire, où les manifestations aux abords de l'ambassade américaine se poursuivent quotidiennement depuis mardi, des heurts ont à nouveau opposé la police et les contestataires, provoquant de violents échanges de tirs de pierres et de gaz lacrymogène. Le ministère de la Santé dénombre au moins 70 blessés dans ces violences.
«Un vrai gros problème»
D'abord resté étonnamment en retrait, le nouveau président Mohammed Morsi, issu des Frères musulmans, a finalement brisé son silence en condamnant, lors de sa visite à Bruxelles, les «atteintes» contre le Prophète, tout en appelant à rejeter la violence et à respecter «le devoir de protéger nos hôtes (et) à ne pas agresser les ambassades». Il a en outre condamné l'attaque contre le consulat des États-Unis à Benghazi, en précisant que «tuer des innocents n'est pas accepté par l'islam».
Le président Barack Obama, qui s'est entretenu par téléphone avec son homologue égyptien, avait préalablement mis en garde contre un «vrai gros problème» si jamais Le Caire ne protégeait pas la chancellerie américaine.
Mais, dans le même temps, la Confrérie a appelé à de vastes manifestations ce vendredi, jour de prière, à la sortie des mosquées. Un «double jeu» qui commence à inquiéter certains esprits avisés. «On ne peut pas à la fois appeler au calme et inciter à de nouveaux rassemblements, propices aux débordements», confie Leyla, une étudiante égyptienne, voilée de bleu. Mardi soir, elle est allée crier sa colère devant la chancellerie américaine, aux côtés de quelque 2000 manifestants, contre ce film brûlot qu'elle juge «piteusement réalisé et qui insulte gratuitement l'islam». Depuis, elle s'est néanmoins désolidarisée de ce mouvement de contestation qui, dit-elle, «risque d'être récupéré par certains fondamentalistes religieux et de mener à des dérapages incontrôlables».
«Un prétexte idéal»
«Aussi condamnable que soit ce film, il est irresponsable et dangereux de répondre à la violence par la violence», relève le politologue égyptien Mohammed Ezz el-Arab, encore sous le choc de l'attaque menée contre le consulat américain de Benghazi, en Libye. «Au final, cette histoire risque de se retourner contre nous en propageant une image négative de notre religion et de nos populations», prévient-il. Ce chercheur spécialiste du monde arabe, rattaché au Centre al-Ahram du Caire, y voit le triste revers du «printemps arabe» qui, bien que porté par des idéaux de justice et de liberté, a ouvert la voie aux formes d'expression les plus extrêmes.
Pour ce qui est de l'Égypte, la victoire à la présidentielle d'un «frériste» a également contribué, selon lui, à conforter certains salafistes, partisans d'un islam radical, jusqu'alors muselés par l'ancien régime. «Aujourd'hui, ils ont le sentiment de pouvoir agir en toute impunité. Alors ils en profitent et saisissent toutes les occasions pour rassembler les foules autour d'eux. Ce film était un prétexte idéal, ils ont sauté dessus», observe-t-il.
La solution? «Il serait judicieux que le ministère des Cultes, en charge de diffuser les permis de prêcher dans les mosquées, fasse la distinction entre islamistes et fondamentalistes», relève-t-il. Dans un effort de désamorcer cette vague de contestation - qui rappelle, sept ans plus tard, l'affaire des caricatures de Mahomet -, le site de visionnage de vidéos YouTube a, pour sa part, pris l'initiative de restreindre, dès mercredi après-midi, l'accès en Libye et en Égypte aux extraits du film. Par précaution, l'Indonésie a également demandé à ce que sa diffusion soit bloquée. Mais n'est-ce pas déjà trop tard?
Le film a déjà eu le temps d'être recopié sur de nombreux téléphones cellulaires et ordinateurs portables. Et dans des pays en pleine phase d'apprentissage de la démocratie, où la rumeur a souvent valeur d'information, la simple description des scènes les plus provocatrices suffit à déchaîner les passions.
Par Delphine Minoui
À deux reprises, les manifestants ont forcé l'entrée de la chancellerie américaine, en brisant les vitres de l'enceinte de sécurité aux cris de «O Prophète, O Mahomet», et en mettant le feu à des voitures diplomatiques avant d'être dispersés par les forces de l'ordre.
À Téhéran, où le film incriminé, L'Innocence des musulmans , a été qualifié d'«ignoble» par les autorités de la République islamique, quelque cinq cents personnes se sont rassemblées près de l'ambassade de Suisse, qui représente les intérêts américains dans le pays. La veille, plusieurs manifestants furieux s'en étaient également pris aux représentations américaines à Casablanca, Tunis et Khartoum.
Au Caire, où les manifestations aux abords de l'ambassade américaine se poursuivent quotidiennement depuis mardi, des heurts ont à nouveau opposé la police et les contestataires, provoquant de violents échanges de tirs de pierres et de gaz lacrymogène. Le ministère de la Santé dénombre au moins 70 blessés dans ces violences.
«Un vrai gros problème»
D'abord resté étonnamment en retrait, le nouveau président Mohammed Morsi, issu des Frères musulmans, a finalement brisé son silence en condamnant, lors de sa visite à Bruxelles, les «atteintes» contre le Prophète, tout en appelant à rejeter la violence et à respecter «le devoir de protéger nos hôtes (et) à ne pas agresser les ambassades». Il a en outre condamné l'attaque contre le consulat des États-Unis à Benghazi, en précisant que «tuer des innocents n'est pas accepté par l'islam».
Le président Barack Obama, qui s'est entretenu par téléphone avec son homologue égyptien, avait préalablement mis en garde contre un «vrai gros problème» si jamais Le Caire ne protégeait pas la chancellerie américaine.
Mais, dans le même temps, la Confrérie a appelé à de vastes manifestations ce vendredi, jour de prière, à la sortie des mosquées. Un «double jeu» qui commence à inquiéter certains esprits avisés. «On ne peut pas à la fois appeler au calme et inciter à de nouveaux rassemblements, propices aux débordements», confie Leyla, une étudiante égyptienne, voilée de bleu. Mardi soir, elle est allée crier sa colère devant la chancellerie américaine, aux côtés de quelque 2000 manifestants, contre ce film brûlot qu'elle juge «piteusement réalisé et qui insulte gratuitement l'islam». Depuis, elle s'est néanmoins désolidarisée de ce mouvement de contestation qui, dit-elle, «risque d'être récupéré par certains fondamentalistes religieux et de mener à des dérapages incontrôlables».
«Un prétexte idéal»
«Aussi condamnable que soit ce film, il est irresponsable et dangereux de répondre à la violence par la violence», relève le politologue égyptien Mohammed Ezz el-Arab, encore sous le choc de l'attaque menée contre le consulat américain de Benghazi, en Libye. «Au final, cette histoire risque de se retourner contre nous en propageant une image négative de notre religion et de nos populations», prévient-il. Ce chercheur spécialiste du monde arabe, rattaché au Centre al-Ahram du Caire, y voit le triste revers du «printemps arabe» qui, bien que porté par des idéaux de justice et de liberté, a ouvert la voie aux formes d'expression les plus extrêmes.
Pour ce qui est de l'Égypte, la victoire à la présidentielle d'un «frériste» a également contribué, selon lui, à conforter certains salafistes, partisans d'un islam radical, jusqu'alors muselés par l'ancien régime. «Aujourd'hui, ils ont le sentiment de pouvoir agir en toute impunité. Alors ils en profitent et saisissent toutes les occasions pour rassembler les foules autour d'eux. Ce film était un prétexte idéal, ils ont sauté dessus», observe-t-il.
La solution? «Il serait judicieux que le ministère des Cultes, en charge de diffuser les permis de prêcher dans les mosquées, fasse la distinction entre islamistes et fondamentalistes», relève-t-il. Dans un effort de désamorcer cette vague de contestation - qui rappelle, sept ans plus tard, l'affaire des caricatures de Mahomet -, le site de visionnage de vidéos YouTube a, pour sa part, pris l'initiative de restreindre, dès mercredi après-midi, l'accès en Libye et en Égypte aux extraits du film. Par précaution, l'Indonésie a également demandé à ce que sa diffusion soit bloquée. Mais n'est-ce pas déjà trop tard?
Le film a déjà eu le temps d'être recopié sur de nombreux téléphones cellulaires et ordinateurs portables. Et dans des pays en pleine phase d'apprentissage de la démocratie, où la rumeur a souvent valeur d'information, la simple description des scènes les plus provocatrices suffit à déchaîner les passions.
Par Delphine Minoui