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Le jackpot de la communication politique en Afrique


Rédigé par leral.net le Vendredi 15 Mars 2019 à 14:45 | | 0 commentaire(s)|

Prés de soixante ans après les Indépendances, la communication politique de nos Etats a totalement changé de dimensions: encore secrète et empreinte de propagande hier, elle a aujourd’hui gagné en maturité dans le fond comme dans la forme, avec l’arrivée du pluralisme politique et la multiplicité médiatique qui s’en est suivi. Mais qu’en est-il réellement?

On constate de nos jours la montée en puissance de gourous internationaux de la communication qui fait clairement apparaître que la communication politique en Afrique se résume à du lobbying, de la manipulation et du trafic d’influence et que nombreux sont les chefs d’états africains qui utilisent avantageusement les services de ces consultants étrangers pour manager leur communication ou s’offrir une image.

Et comme beaucoup trop d’amalgames et de confusions entourent le sacerdoce de ces gourous faiseurs de roi, j’ai voulu alors comprendre l’hégémonie toujours grandissante de ces conseillers en communication politique venus exercer leur métier de communication sous le regard bienveillant des dignitaires africains en manque de popularité et de légitimité.

Je partais du constat que la communication politique ne concernait que la promotion de certains chefs d’états africains et parlait peu de l’image du pays et de leur stratégie de développement.

La présence d’européens dans l’ombre des dirigeants du continent noir ne constitue pas une nouveauté. Tout comme la communication politique africaine, leur rôle a considérablement évolué au fil du temps.

Dans les années 1990, ce fut l’avènement du multipartisme qui libéra l’espace médiatique et vit l’explosion du marché de la communication en Afrique subsaharienne et principalement francophone.

Par exemple, durant le sommet France-Afrique de La Baule en 1989, François Mitterrand avait exigé des dirigeants des anciennes colonies françaises qu’ils s’engagent dans la voie de la démocratisation. Les chefs d’États de cette partie du monde devaient, à cet effet, convaincre les bailleurs de fonds et les institutions financières internationales, devenus plus intraitables, qu’ils respectent un minimum de préceptes démocratiques.

Dans ce contexte, soigner son image, notamment dans la presse occidentale, avec un entretien ou un portrait de complaisance à prix d’or dans de grands journaux français par exemple, était courant. Et c’est durant cette même période, que certaines lois surveillaient le financement de la vie politique dans les pays occidentaux et mettaient ainsi fin à “l’âge d’or” des communicants. C’est ainsi que les “faiseurs d’images” se tournèrent alors vers «le marché» africain.

Le style bien particulier de ces éminences grises

« J’ai vendu des assiettes, des tissus, maintenant je vends des présidents africains et, globalement, l’acte de vendre reste le même » déclare le 30 novembre 1998 sur Radio France Internationale (RFI) M. François Blanchard, conseiller en communication. Ce jour-là, à Lomé, il se trouve en compagnie d’un grand reporter du Figaro.  » Je dispose d’un groupe de sept copains journalistes qui viennent avec moi à Lomé, à Brazzaville ou à Abidjan, explique M. Blanchard. Ils savent que, lorsque je les emmène avec moi, c’est pour une bonne raison… Il faut aller voir nos amis journalistes, leur proposer un bon « bifteck » pour qu’ils puissent bien manger et qu’ils puissent bien écrire. »
Le  » bifteck « , en l’occurrence, pour le journaliste du Figaro, ce serait un entretien exclusif avec un certain président, régulièrement épinglé par les associations de défense des droits humains.

Thierry Saussez, membre du Rassemblement pour la République (RPR) et un des leaders de la communication institutionnelle et publique en France décrivait ainsi ses activités : « Nous incitons les autorités à des prises de position dans les grands supports européens. Dès qu’un ministre est à Bruxelles ou à Bonn, nous organisons sa médiatisation. Nous négocions avec les supports pour des interviews, nous invitons des groupes de journalistes à venir avec des programmes spécifiques montés pour eux. » En assurant la promotion de l’image de ses clients en France et en Europe, son agence Image et Stratégie réalisait, en 1998, environ la moitié de son chiffre d’affaire en Afrique avec des contrats se comptant en millions de francs français. Il admet, par ailleurs, faire aussi profiter ses clients de ses réseaux politiques : « Organiser un déjeuner d’un chef d’Etat avec quatre grands patrons et quatre responsables politiques, c’est tout à fait classique.

Ces « gourous blancs », adeptes du « Moi, j’aime l’Afrique » menaient jusqu’alors, non pas un travail de communication à finalité électorale, mais plutôt un travail de communication en vue de « vendre » une bonne image des hommes politiques africains à l’Occident, expliquant que le « pays marche bien », que les journalistes y sont allés, qu’il y a des élections et que le président est démocrate.

Au Sénégal, par exemple, lors de l’élection présidentielle de 2000, qui a marqué la fin de 40 années de règne du Parti socialiste, le Président sortant Abdou Diouf durant sa campagne électorale, avait recruté Jacques Séguèla publicitaire bien connu en France pour avoir, dit-il, inventé la fameuse formule « La Force Tranquille » qui accompagna la victoire de François Mitterrand en 1981. L’équipe de Havas Advertising avait réalisé alors pour le compte du président sortant, une série d’affiches qui en avaient fait sourire plus d’un. En perte de vitesse après 20 années de pouvoir, le chef de l’État sortant était présenté en compagnie d’enfants, affublé du slogan : « Ensemble changeons le Sénégal » face à Abdoulaye Wade, considéré comme le principal porteur du « Sopi » (changement en wolof) et favori de l’élection.  Ce dernier avait, de son côté requis les services de Anne Meaux, Présidente de Image 7 qui pendant douze ans, allait gérer son image.

Certains dirigeants africains tiennent tant à avoir leurs conseillers blancs qu’ils n’hésitent pas à les multiplier. C’est le cas de l’actuel homme fort du Congo Brazzaville qui fournit l’illustration la plus impressionnante de la boulimie de communication à laquelle on assistait parfois dans cette région de l’Afrique. Arrivé au pouvoir pour la seconde fois, au terme de cinq mois d’une guerre civile sanglante, Denis Sassou Nguesso avait un fort besoin de justifications vis-à-vis de l’extérieur. Pour redorer son image, le nouveau maître du pays fit appel à une armée de communicants et autres « faiseurs d’images ». Parmi eux, Jean-François Probst, conseiller politique. Ce dernier affirmait, il y a quelques mois, avoir contribué au retour de M. Nguesso aux affaires.  » L’aider, c’était le conseiller sur les contacts nécessaires. J’ai organisé le système autour de Sassou. Je lui ai présenté des hommes politiques français et des journalistes. Je l’ai aussi aidé dans la guerre avec beaucoup de matériel.  » M. Denis Sassou Nguesso a très tôt pris conscience de l’importance de son image à l’extérieur.

Plus récemment, le président Macky Sall a confié la gestion de son image à une journaliste Patrica Balme qui ne donnait, je cite, qu’un « coup de pouce à Macky Sall dans sa communication ». Mais c’est à Richard Attias que revient la palme d’or du marché de la communication au Sénégal. Chouchouté par Wade et son clan, l’homme d’affaires franco-marocain après avoir obtenu la gestion de la communication du sommet de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) et gagné le marché de la communication du 14ème sommet de la Francophonie à Dakar en 2014 s’est vu attribuer l’organisation du lancement à Dakar du Train Express Régional (TER).

Last but not least, Instant News Service (INS), une agence basée à Bruxelles, a eu le loisir, durant l’élection présidentielle de 2019, de soigner l’image de Macky Sall. Ce dernier avait invité INS à réaliser un documentaire de 28 minutes sur sa carrière politique, les principales concrétisations de son gouvernement et sa vision du futur pour son pays en Afrique. Ce documentaire fut diffusé par plusieurs télévisions nationales et locales au Sénégal mais également en Europe. Onze chapitres plus courts furent disséminés sur les réseaux sociaux.

L’Asie également profite bien du marché de la communication au Sénégal. Une partie des supports de communication (tee-shirts, casquettes,…) destinés à la campagne électorale du président sortant et de sa coalition a été commandé en…Chine.

Même pour les prestations de service les plus banales, nos chefs d’Etats préfèrent s’attacher les services d’entreprises étrangères.

Le marché de communication en Afrique : une très lucrative audience

Même si pour certains rares communicants venus d’ailleurs, l’Afrique est un marché comme un autre, pour beaucoup d’autres personnalités, en revanche, c’est un moyen de reconversion qui leur permet d’osciller entre communication, conseil politique et activités occultes. C’est le cas du Sieur Jean-François Probst, cité plus haut, qui tenait à marquer sa différence avec les communicants : « Ce que je fais dépasse de loin la communication, c’est de la stratégie », avait déclaré ce “consultant indépendant”.

L’Afrique, paie à prix d’or la pléthore de « Dossier Spécial » dans la presse internationale et enrichit un corps de métier qui ne fait que recycler (rien que ça !) des campagnes anciennement réalisées.

Ces multiples ballets de spécialistes de la communication entre l’Occident et l’Afrique contribuent au maintien des rapports de domination  à travers des réseaux qui en retour leur filent des tuyaux pour gagner d’autres marchés de communication sur le continent. La plupart des leaders politiques possèdent leur « Monsieur Afrique ». Il existe en effet des hommes de l’ombre dont le nom n’apparaît qu’épisodiquement au détour d’un article de presse.

La communication politique en Afrique qui oscille entre trafic d’influence, stratégie d’influence, propagande, lobbying,…est une grande nébuleuse et les communicants étrangers ont compris que le continent africain avait besoin d’eux pour apparaître dans les médias autrement qu’en termes négatifs (guerre, épidémie,..)

S’offrir les services de conseillers en communications étrangers qui ne se soucient guère d’objectivité, est une pratique devenue ordinaire. Ce hiatus qui altère l’ensemble de l’accès à l’information, dénature toute tentative de débat équilibré et convainquant dans le pays. L’Afrique paie ainsi très cher sa place dans la presse et enrichit un corps de métier dont l’objectivité est souvent le cadet de leurs soucis.

Nathalie Dia http://opal-communication.com/

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