La même question hante diplomates allemands et français : comment donner à la rencontre de François Hollande et d’Angela Merkel de Reims, symbole historique des deux conflits mondiaux, la même résonance émotionnelle que la commémoration en 1984, à Verdun, par François Mitterrand et d’Helmut Kohl, du souvenir des soldats tombés pendant les deux guerres mondiales ? L’image des deux présidents, main dans la main, restera à jamais gravée dans la mémoire collective.Point d’orgue officiel du 50e anniversaire de la réconciliation des deux pays, la célébration rémoise, qui a lieu dimanche 8 juillet, s’inscrit dans un contexte difficile. A rebours de la lune de miel des années quatre vingt, jamais peut-être le couple n’a connu de tensions aussi fortes.
Les optimistes évoquent des turbulences classiques. Après l’ère "Merkozy", la difficulté des deux chefs d’Etat de trouver leur marque après avoir découvert leurs différences serait parfaitement normale. Même si la chancelière a probablement trop compté sur la victoire en France d’un homme de son camp, même si le nouveau président français ne s’est pas privé de réserver aux dirigeants socialistes allemands de l’opposition la primeur de sa stratégie politique. Les pessimistes - ou les réalistes - évoquent des divergences profondes. Economiques et géopolitiques.
Rigueur contre croissance
Economiques ? Côté cour, chacun répète comme Jean-Marc Ayrault que la relation franco-allemande demeure "le socle de la construction européenne". L’histoire n’a-t-elle pas donné à ces deux pays une "responsabilité particulière" ? Pourtant, côté jardin, les deux poids lourds européens continuent d’avoir des visions opposées sur l’origine de la crise qui ravage le vieux continent et sur les remèdes à apporter.
Face à la crise de l’euro "monnaie hors sol d’une union mal identifiée", la France souhaite prioritairement renforcer la solidarité et l’union économique. L‘Allemagne au contraire ne jure que par la responsabilité de chaque pays-membre et veut un accord politique préalable sur l’union politique pour contrôler toute forme d’intégration économique, financière, monétaire.
Dialogue de sourd ? Plutôt conversation entre deux malentendants. La France qui au dernier sommet a soutenu le bras de fer de Rome et de Madrid, menacés à court terme d’ un AVC, feint d’ignorer les raisons du "nein" de Berlin à une mutualisation de la dette européenne.
Elle sait pourtant parfaitement que l’Allemagne a déjà contribué massivement (pour environ 500 milliards aux différents plans de sauvetage européen) et qu’au nom du "risque moral" ( moral hazard) elle a de bonnes raisons de refuser un renflouement permanent des pays du "club Med" qui n’auraient dès lors aucune incitation à modifier leur comportement laxiste.
La France et la peur de la mondialisation
En sens inverse, l’Allemagne sous-estime les difficultés en France d’un "saut fédéral". L’élection présidentielle a révélé en effet que 30% au moins des électeurs, dans un pays historiquement unitaire et centralisé, étaient hostiles à de nouvelles délégations de souveraineté à une entité qui ne les a protégé ni contre la mondialisation, ni contre la crise.
Les divergences politiques sont plus graves encore. Car cette "globalisation" que la France redoute et qu'elle ne parvient même pas à penser est précisément le nouveau terrain de jeu de son puissant voisin. Plus de vingt ans après sa réunification, décomplexée et fière d’une force de frappe économique retrouvée, l’Allemagne naguère aux avant porte de l’Union européenne regarde de plus en plus vers le grand large pour asseoir son imperium.
Sans doute a-t-elle encore besoin des débouchés de l’Union pour ses exportations (60%). Mais ceux-ci diminuent régulièrement au profit des pays dits du "BRIC" ( Brésil, Russie, Inde et Chine), gros consommateurs d’automobiles ou de biens d’équipements "made in Germany".
Petite Chine ou grande Suisse, l’Allemagne libre échangiste supporte dès lors de moins en moins d’être le bouc émissaire d’une crise économique qui s’éternise alors que la France, en ignorant superbement l’affaissement de sa compétitivité et de sa base productrice, se condamne à devenir structurellement l’homme malade de l’Europe.
Usé, poussif, confronté à des pannes récurrentes, le moteur franco-allemand est-il condamné ? La volonté- partagée- de sortir du tête à tête exclusif ne signifie pas pour autant le divorce. Si l’Europe ne peut fonctionner sur la base d’un condominium franco-allemand décidant pour les autres, l’axe Paris-Berlin reste vital dans la construction d’un ensemble de taille capable de faire pièce aux nouveaux empires. "Le couple n’a jamais reposée sur une communauté de vues mais sur la volonté de dégager un compromis sur la base de positions divergentes pour le faire entériner ensuite au niveau européen", explique un expert du Centre de réflexion européen Le mariage est coûteux ? D’accord, mais pensons à celui d’un divorce !
Jean-Gabriel Fredet - Le Nouvel Observateur
Les optimistes évoquent des turbulences classiques. Après l’ère "Merkozy", la difficulté des deux chefs d’Etat de trouver leur marque après avoir découvert leurs différences serait parfaitement normale. Même si la chancelière a probablement trop compté sur la victoire en France d’un homme de son camp, même si le nouveau président français ne s’est pas privé de réserver aux dirigeants socialistes allemands de l’opposition la primeur de sa stratégie politique. Les pessimistes - ou les réalistes - évoquent des divergences profondes. Economiques et géopolitiques.
Rigueur contre croissance
Economiques ? Côté cour, chacun répète comme Jean-Marc Ayrault que la relation franco-allemande demeure "le socle de la construction européenne". L’histoire n’a-t-elle pas donné à ces deux pays une "responsabilité particulière" ? Pourtant, côté jardin, les deux poids lourds européens continuent d’avoir des visions opposées sur l’origine de la crise qui ravage le vieux continent et sur les remèdes à apporter.
Face à la crise de l’euro "monnaie hors sol d’une union mal identifiée", la France souhaite prioritairement renforcer la solidarité et l’union économique. L‘Allemagne au contraire ne jure que par la responsabilité de chaque pays-membre et veut un accord politique préalable sur l’union politique pour contrôler toute forme d’intégration économique, financière, monétaire.
Dialogue de sourd ? Plutôt conversation entre deux malentendants. La France qui au dernier sommet a soutenu le bras de fer de Rome et de Madrid, menacés à court terme d’ un AVC, feint d’ignorer les raisons du "nein" de Berlin à une mutualisation de la dette européenne.
Elle sait pourtant parfaitement que l’Allemagne a déjà contribué massivement (pour environ 500 milliards aux différents plans de sauvetage européen) et qu’au nom du "risque moral" ( moral hazard) elle a de bonnes raisons de refuser un renflouement permanent des pays du "club Med" qui n’auraient dès lors aucune incitation à modifier leur comportement laxiste.
La France et la peur de la mondialisation
En sens inverse, l’Allemagne sous-estime les difficultés en France d’un "saut fédéral". L’élection présidentielle a révélé en effet que 30% au moins des électeurs, dans un pays historiquement unitaire et centralisé, étaient hostiles à de nouvelles délégations de souveraineté à une entité qui ne les a protégé ni contre la mondialisation, ni contre la crise.
Les divergences politiques sont plus graves encore. Car cette "globalisation" que la France redoute et qu'elle ne parvient même pas à penser est précisément le nouveau terrain de jeu de son puissant voisin. Plus de vingt ans après sa réunification, décomplexée et fière d’une force de frappe économique retrouvée, l’Allemagne naguère aux avant porte de l’Union européenne regarde de plus en plus vers le grand large pour asseoir son imperium.
Sans doute a-t-elle encore besoin des débouchés de l’Union pour ses exportations (60%). Mais ceux-ci diminuent régulièrement au profit des pays dits du "BRIC" ( Brésil, Russie, Inde et Chine), gros consommateurs d’automobiles ou de biens d’équipements "made in Germany".
Petite Chine ou grande Suisse, l’Allemagne libre échangiste supporte dès lors de moins en moins d’être le bouc émissaire d’une crise économique qui s’éternise alors que la France, en ignorant superbement l’affaissement de sa compétitivité et de sa base productrice, se condamne à devenir structurellement l’homme malade de l’Europe.
Usé, poussif, confronté à des pannes récurrentes, le moteur franco-allemand est-il condamné ? La volonté- partagée- de sortir du tête à tête exclusif ne signifie pas pour autant le divorce. Si l’Europe ne peut fonctionner sur la base d’un condominium franco-allemand décidant pour les autres, l’axe Paris-Berlin reste vital dans la construction d’un ensemble de taille capable de faire pièce aux nouveaux empires. "Le couple n’a jamais reposée sur une communauté de vues mais sur la volonté de dégager un compromis sur la base de positions divergentes pour le faire entériner ensuite au niveau européen", explique un expert du Centre de réflexion européen Le mariage est coûteux ? D’accord, mais pensons à celui d’un divorce !
Jean-Gabriel Fredet - Le Nouvel Observateur