Le théorème d’Arrow
Dans sa thèse Choix social et valeurs individuelles (1951), Arrow généralise un résultat déjà obtenu par Condorcet, en montrant qu’il est impossible de définir l’intérêt général à partir des choix individuels. On ne peut définir de façon cohérente une préférence collective en agrégeant des préférences individuelles. Les décisions d’un état (même démocratique) ne peuvent donc pas être légitimes. Ce « théorème d’impossibilité » s’énonce ainsi (en simplifiant, car il s’agit d’un théorème mathématique de théorie des ensembles qui réclame une démonstration élaborée) :
Il n’existe pas de fonction de choix social (un système de vote) qui puisse convertir des préférences individuelles en une décision agrégée cohérente, hormis dans le cas où la fonction de choix social coïncide avec les choix d’un seul individu (« dictateur »), indépendamment du reste de la population.
Plus précisément, étant données les hypothèses suivantes :
* 1a. hypothèse de rationalité : si un individu préfère une option A à une option B, la présence d’une troisième option C ne doit pas intervertir cette préférence (en particulier, il y a transitivité : si B est préféré à C et C est préféré à A, il est impossible que A soit préféré à B) ;
* 1b. hypothèse d’anonymat (invariance par permutation) : le choix collectif ne dépend pas de qui émet une préférence individuelle ;
* 2. universalité : il existe toujours un choix collectif, quelles que soient les préférences de chaque individu (pas de restriction sur les préférences individuelles) ;
* 3. unanimité (principe de Pareto, ou « non-masochisme du groupe ») : lorsqu’une certaine option est préférée par tous à une certaine autre, la fonction de choix social associe cette même préférence à la société ;
* 4. indépendance des options non-pertinentes (impossibilité de « manipulation ») : le classement relatif de deux options ne doit dépendre que de leur position relative pour les individus et non du classement d’options tierces ;
* 5. non-dictature : il n’existe aucun individu (« dictateur ») pour lequel la liste de ses choix personnels coïncide avec le choix collectif, quelles que soient les préférences des autres.
Le théorème d’Arrow affirme alors qu’il est impossible de satisfaire en même temps aux 5 conditions : si les 4 premières sont satisfaites, la 5e ne l’est pas.
La conséquence de ce théorème est que la prétention de la démocratie (qu’elle soit directe ou représentative) à exprimer une « volonté générale » est une imposture : la « volonté générale » n’existe pas, et les politiciens n’obéissent qu’à leurs intérêts particuliers. On ne peut non plus affirmer que la démocratie soit systématiquement, et par nature, meilleure que la dictature (car il peut y avoir des « despotes éclairés », cas du Rwanda, aussi bien que des « démocrates totalitaires »), cas de la Guinée Conakry: Il s’avère que la démocratie parfaite, à laquelle tant de grands esprits de l’histoire ont rêvé, n’est qu’une chimère logiquement auto-contradictoire. Aujourd’hui, les chercheurs du monde entier, en mathématiques, en politique et en économie, essaient de sauver ce qui peut l’être du « désastre » provoqué par la découverte d’Arrow. (Paul Samuelson)
Il est dès lors tentant d’appliquer ce théorème à l’Afrique où la « Démocratie », réduite à l’organisation tumultueuse d’élections, n’a encore apporté ni bien-être aux populations ni fait reculer la pauvreté.
En effet, nous observons depuis plus de 50 ans, une baisse tendancielle du bien-être des populations africaines. Il arrive même que l’organisation périodique d’élections en Afrique, aboutisse à des coups d’Etat (le cas du Mali) ou à des guerres civiles (le cas de la RDC).
Nous en sommes toujours aux coupures fréquentes d’électricité, au défaut d’enlèvement des ordures ménagères, au chômage massif et chronique des jeunes, à la faillite des systèmes éducatifs et à la répression sournoise ou systématique des oppositions démocratiques.
La Démocratie telle que pratiquée, n’apporte pas grand-chose hélas, aux populations africaines mais entretient une caste politico-affairiste majoritairement corrompue et parasitaire.
« Le patriotisme de parti », nouvel alibi de l’affairisme politique en Afrique.
La Démocratie ne fait pas encore la différence en Afrique entre Etats démocratiques et Etats non démocratiques. La nature des ces Etats est la même. L’expression est de nos jours galvaudée. L’exemple du Sénégal fut patent dans un passé récent: En effet, d’après Transparency International, index 2011, la Gambie fut un pays moins corrompu que le Sénégal ; pourtant, les autorités sénégalaises d’alors bombaient la torse partout pour s’auto-réjouir des « avancées démocratiques ». Rien de fondamental n’a vraiment changé pour les Sénégalais malgré que nous soyons à notre deuxième alternance ! Le statut de l’opposition inscrit dans la Constitution tarde à être formalisé.
La raison en est que les Etats africains en totalité, sont à réformer radicalement. Nous assistons à une patrimonialisation de l’Etat, « loué » à intervalles régulières par un parti politique dominant, dont les membres influents se précipitent à piller les maigres ressources existantes sous la forme de « partage du gâteau ».
La plupart des présidents africains , pas tous, sont assis sur des fortunes colossales car les lois qu’ils se donnent leur permettent de détourner « légalement » des millions d’euros chaque année sous la forme de fonds spéciaux ou de fonds politiques inscrits dans les budgets annuels à travers des « comptes spéciaux » du Trésor.
Au nom du patriotisme de Parti, le parti au pouvoir place ses membres aux postes stratégiques des Etats africains. Le meilleur raccourci pour un chômeur de devenir quelqu’un, est de militer dans un parti politique et de prier que le chef du parti devienne chef de l’Etat. On pille les ressources du pays au nom du Parti, on instrumentalise l’Etat au nom du Parti, le Parti dicte sa loi au Peuple et tout cela se réalise en Afrique dans une opacité totale. Les peuples africains sont pris en otage par une mafia politico-affairiste adossée à un système administratif intangible.
Tant que l’argent public ne sera pas géré dans la transparence absolue, adieu le développement en Afrique.
Pourtant « Le patriotisme de parti » est une noble expression utilisée par les socialistes français en 1926 : De durée réduite – de mai à décembre 1926-, la Correspondance socialiste se créée dans une conjoncture où l’identité énoncée à Tours ne porte plus la SFIO, où les propositions de Léon Blum dégagent un espace conceptuel d’unité du parti, où la droite socialiste conçoit son projet comme avenir pour le Parti socialiste. Face à ce triple défi, le secrétariat, des militants se reconnaissant à gauche, choisissent d’affirmer leurs conceptions ancrées sur la tradition, l’autonomie dans la République. Une expression fixe leur position, le patriotisme de parti. (faure Paul. « Le patriotisme de parti », La Correspondance socialiste, 22 mai 1926 : Maison socialiste, EUD, 2005).
Nous en appelons à des révolutions démocratiques pacifiques de troisième génération en Afrique. Elles passent par la lutte sévère contre la corruption et l’émergence de l’Etat de droit qui place le citoyen au dessus de tout. L’indépendance absolue de la Justice en est la condition sine qua none.
Sénégalais regardez cette carte, en Afrique la démocratie est toujours une denrée très rare!
Seydina Oumar Touré.
Fondateur bonnegouvernance.org