Lettre après lettre, la phrase de l'Évangile de Matthieu apparaît sur le parvis du Christ-Sauveur à Moscou: «Blajenny milostivye (bienheureux les miséricordieux).» Cagoulé aux couleurs vives des Pussy Riot, chacun des 18 militants brandit une lettre quelques secondes, le temps pour les blogueurs et présents de relayer l'action, brutalement interrompue par les hommes de la sécurité de la cathédrale. Après avoir appelé, en vain, au respect de la procédure pénale et des droits humains, les soutiens des Pussy Riot viennent maintenant défier l'Église et le Patriarche sur leur propre terrain, celui du pardon. Ils ne sont pas seuls en Russie. De nombreux intellectuels, y compris au sein du clergé, s'élèvent contre l'intransigeance de l'Église orthodoxe russe.
Avant d'être dispersés par des agents de sécurité, une poignée de manifestants a brandi le message «Bienheureux les miséricordieux» sur le parvis du Christ-Sauveur, à Moscou. Crédits photo : Yevgeny Feldman/AP
Organisée jeudi matin, cette «flash mob» a immédiatement trouvé le soutien de l'archiprêtre Viatcheslav Vinnikov. «Bienheureux les miséricordieux», répète-t-il sur son blog en prélude à un texte très sévère: «La réaction de la majorité des orthodoxes est tout simplement hideuse. (…) Ces filles sont en prison, où chaque jour est une souffrance, et les chrétiens orthodoxes s'en réjouissent : “Qu'elles fassent de la prison, c'est bon pour leur âme.” Ceux qui les jugent ainsi ont une pierre à la place de l'âme.»
Selon un sondage du centre indépendant Levada, 47 % des Russes considèrent qu'une condamnation des jeunes femmes à sept ans de camp, le maximum prévu par la loi pour «hooliganisme», serait méritée. «Une paroissienne m'a appelé pour me poser la “question de l'année”: “Que leur serait-il arrivé si elles avaient chanté leur prière punk dans une mosquée ou une synagogue?” La question sous-entend qu'on les aurait tuées ou brûlées. C'est une question pleine de haine: contre les filles, contre les musulmans, contre les juifs», s'indigne encore le père Vinnikov.
«Humeur de pogrom»
Plus mesuré, le père Andreï Kouraïev, professeur à l'Académie de théologie, regrette que cette affaire qui, à l'origine, avait suscité un élan de sympathie envers l'Église, se mue en chasse aux sorcières. «Les représentants de l'Église n'ont pas su trouver en eux la force de se dissocier clairement de cette humeur de pogrom. La voix des extrémistes a ainsi été confondue avec la voix de l'Église», écrit-il sur son blog.
La voix de l'Église, pourtant, s'est fait entendre. Kirill Ier, patriarche de Moscou et de toutes les Russies, a qualifié la performance de «sacrilège», tandis que Vsevolod Tchapline, le porte-parole du patriarcat, dénonçait «un crime pire qu'un meurtre». «Comment concilier cette phrase avec un jugement clément? s'interroge le père Kouraïev. Je ne vois qu'une issue: avant l'énoncé du jugement, appeler à la miséricorde, et dire clairement que nous ne voulons pas la vengeance.»
Mais les autorités religieuses ne parlent plus, laissant libre cours au désarroi des paroissiens. Le débat s'invite partout, débordant la houleuse blogosphère. Dans la boulangerie qui fait face au tribunal, les clients s'apostrophent. «Ce ne serait pas arrivé avec Alexis II(le précédent patriarche, NDLR). Malgré ses liens avec le KGB, c'était un véritable homme d'Église. Kirill est un voyou vautré dans le luxe», lance l'un d'eux, en référence au train de vie luxueux du patriarche, récemment épinglé avec une Breguet au poignet. La boulangère, elle, se sent démunie: «Avant, nous avions l'Église pour nous protéger de la colère des puissants. Aujourd'hui, que reste-t-il?»
Marche de soutien à Varsovie
Les Pussy Riot risquent de faire de l'ombre à la visite «historique» du patriarche Kirill en Pologne. Le verdict attendu vendredi à Moscou coïncide avec le moment fort de ce voyage: la signature, au palais royal de Varsovie, d'un message commun des Églises catholique et orthodoxe appelant les peuples polonais et russe à se réconcilier. Les officiels polonais évoqueront-ils cette affaire avec le patriarche russe? L'intelligentsia s'est en tout cas mobilisée. Une pétition signée par les figures de proue de la culture polonaise, parmi lesquelles les cinéastes Agnieszka Holland et Andrzej Wajda, dénonce «un procès inique digne de l'Union soviétique». Les féministes sont, elles aussi, déterminées à faire entendre leur voix, vendredi après-midi, lors d'une marche qui doit les mener jusqu'à l'ambassade de Russie. Dans un appel publié jeudi par le quotidien Gazeta Wyborcza, elles demandent «à la justice russe de libérer» les trois jeunes femmes et aux responsables de l'Église orthodoxe de «respecter les principes de l'amour et du pardon».
Par Madeleine Leroyer
Avant d'être dispersés par des agents de sécurité, une poignée de manifestants a brandi le message «Bienheureux les miséricordieux» sur le parvis du Christ-Sauveur, à Moscou. Crédits photo : Yevgeny Feldman/AP
Organisée jeudi matin, cette «flash mob» a immédiatement trouvé le soutien de l'archiprêtre Viatcheslav Vinnikov. «Bienheureux les miséricordieux», répète-t-il sur son blog en prélude à un texte très sévère: «La réaction de la majorité des orthodoxes est tout simplement hideuse. (…) Ces filles sont en prison, où chaque jour est une souffrance, et les chrétiens orthodoxes s'en réjouissent : “Qu'elles fassent de la prison, c'est bon pour leur âme.” Ceux qui les jugent ainsi ont une pierre à la place de l'âme.»
Selon un sondage du centre indépendant Levada, 47 % des Russes considèrent qu'une condamnation des jeunes femmes à sept ans de camp, le maximum prévu par la loi pour «hooliganisme», serait méritée. «Une paroissienne m'a appelé pour me poser la “question de l'année”: “Que leur serait-il arrivé si elles avaient chanté leur prière punk dans une mosquée ou une synagogue?” La question sous-entend qu'on les aurait tuées ou brûlées. C'est une question pleine de haine: contre les filles, contre les musulmans, contre les juifs», s'indigne encore le père Vinnikov.
«Humeur de pogrom»
Plus mesuré, le père Andreï Kouraïev, professeur à l'Académie de théologie, regrette que cette affaire qui, à l'origine, avait suscité un élan de sympathie envers l'Église, se mue en chasse aux sorcières. «Les représentants de l'Église n'ont pas su trouver en eux la force de se dissocier clairement de cette humeur de pogrom. La voix des extrémistes a ainsi été confondue avec la voix de l'Église», écrit-il sur son blog.
La voix de l'Église, pourtant, s'est fait entendre. Kirill Ier, patriarche de Moscou et de toutes les Russies, a qualifié la performance de «sacrilège», tandis que Vsevolod Tchapline, le porte-parole du patriarcat, dénonçait «un crime pire qu'un meurtre». «Comment concilier cette phrase avec un jugement clément? s'interroge le père Kouraïev. Je ne vois qu'une issue: avant l'énoncé du jugement, appeler à la miséricorde, et dire clairement que nous ne voulons pas la vengeance.»
Mais les autorités religieuses ne parlent plus, laissant libre cours au désarroi des paroissiens. Le débat s'invite partout, débordant la houleuse blogosphère. Dans la boulangerie qui fait face au tribunal, les clients s'apostrophent. «Ce ne serait pas arrivé avec Alexis II(le précédent patriarche, NDLR). Malgré ses liens avec le KGB, c'était un véritable homme d'Église. Kirill est un voyou vautré dans le luxe», lance l'un d'eux, en référence au train de vie luxueux du patriarche, récemment épinglé avec une Breguet au poignet. La boulangère, elle, se sent démunie: «Avant, nous avions l'Église pour nous protéger de la colère des puissants. Aujourd'hui, que reste-t-il?»
Marche de soutien à Varsovie
Les Pussy Riot risquent de faire de l'ombre à la visite «historique» du patriarche Kirill en Pologne. Le verdict attendu vendredi à Moscou coïncide avec le moment fort de ce voyage: la signature, au palais royal de Varsovie, d'un message commun des Églises catholique et orthodoxe appelant les peuples polonais et russe à se réconcilier. Les officiels polonais évoqueront-ils cette affaire avec le patriarche russe? L'intelligentsia s'est en tout cas mobilisée. Une pétition signée par les figures de proue de la culture polonaise, parmi lesquelles les cinéastes Agnieszka Holland et Andrzej Wajda, dénonce «un procès inique digne de l'Union soviétique». Les féministes sont, elles aussi, déterminées à faire entendre leur voix, vendredi après-midi, lors d'une marche qui doit les mener jusqu'à l'ambassade de Russie. Dans un appel publié jeudi par le quotidien Gazeta Wyborcza, elles demandent «à la justice russe de libérer» les trois jeunes femmes et aux responsables de l'Église orthodoxe de «respecter les principes de l'amour et du pardon».
Par Madeleine Leroyer