Depuis mardi, des reporters courent la Californie à la recherche d'un mystérieux Sam Bacile. Qui est donc cet homme dont le nom apparaît sous l'orthographe Sam Bassiel au titre de producteur dans le générique de L'Innocence des musulmans, brûlot islamophobe qui a enflammé le Moyen-Orient après sa traduction en arabe à l'approche du 11 septembre?
Interviewé par l'agence AP et le Wall Street Journal , le dénommé Bacile - qui n'est jamais apparu devant les caméras - a commencé par se présenter comme un «Juif israélo-américain de Californie», travaillant dans l'immobilier, et dont le but était de faire «un film politique» destiné à montrer que «l'islam est le mal». Il a prétendu avoir levé 5 millions de dollars auprès de «100 donateurs juifs», information qui paraissait fort étrange vu le caractère pathétiquement amateur du film. Les autorités israéliennes ont rapidement clarifié qu'aucun citoyen Sam Bacile n'avait pu être retrouvé. Les journalistes américains d'AP et de Reuters ont finalement remonté la trace de l'énigmatique personnage jusqu'à la maison de Nakoula Basseley Nakoula, un militant séparatiste copte, condamné pour fraude bancaire. Mercredi, les services de renseignements américains confirmaient que le dit Nakoula, alias Bacile, était sans doute le même homme que celui qui avait écopé de 21 mois de prison en 2009. Ils ont révélé que l'ancien détenu avait utilisé à plusieurs reprises ce pseudonyme pour différents projets véreux.
Plusieurs équipes de télévision ont immédiatement convergé vers sa maison, à Cerritos en Californie. Mais la porte de Nakoula reste résolument fermée et l'occupant a contacté la police mercredi soir pour se plaindre. Selon l'évêque copte de Los Angeles, Mgr Serapion, Nakoula Basseley l'aurait aussi appelé jeudi, démentant tout lien avec le film. Pourtant, un activiste copte de Virginie, du nom de Maurice Sadek, qui dit avoir été chargé de la promotion du film L'Innocence des musulmans, a communiqué à Reuters le numéro de portable du «réalisateur», menant à l'adresse de Nakoula. Et la porte de la maison ressemble étrangement à celle aperçue dans le film.
Entraînement armé
Il faudra encore du temps pour éclaircir le mystère. Mais il est déjà clair que le film a été monté avec la collaboration de personnages radicaux, liés à des mouvements d'extrême droite chrétienne et se voyant comme des croisés en guerre contre une «invasion» musulmane. Le plus disert d'entre eux, Steve Klein, gros bonhomme à moustache blanche travaillant pour une compagnie d'assurance, qui se présente comme l'auteur du scénario, a expliqué que le cinéaste avait voulu «choquer» les musulmans «en leur faisant comprendre à quel point l'islam est dangereux… Nous savions que cela allait provoquer des frictions».
Un coup d'œil à la page Facebook de Steve Klein - appelée «Altar or Abolish» - en dit long sur le contexte idéologique et psychologique dans lequel vit cette étrange alliance d'évangéliques radicaux et de coptes extrémistes. On y trouve des dizaines de références à des articles délirants, censés prouver l'invasion musulmane en cours en Amérique. Klein est persuadé, par exemple, que le leader conservateur Grover Norquist, connu pour sa lutte contre l'impôt, travaille en réalité… à instaurer la charia! «N'abandonnez pas vos fusils», dit Klein. Dans un autre post, il publie une photo montrant une voiture aménagée en char, avec une petite tourelle. On y voit un jeune garçon de 6 ou 7 ans manœuvrant le canon, tandis que son père en treillis est debout à côté de l'automobile. «Pourriez-vous nous indiquer la mosquée locale?», dit la légende. Dans un autre commentaire, Steve Klein appelle à se rendre dans le centre d'entraînement de California Sequoia Trees pour une formation aux milices armées avec «des fusils et de vrais vétérans». «Nous enseignons comment défaire les cellules de la guerre globale de l'islam», précise-t-il. Cette dernière promesse renvoie sur un site Web montrant le film… La Bataille d'Alger.
Selon le Southern Poverty Law Center, qui suit de près les activités des groupes d'extrême droite, Steve Klein, un ancien marine, vétéran du Vietnam, est l'un des piliers de ce centre d'entraînement, qui fonctionne quasiment au grand jour, adossé à l'église évangélique Kaweah. «Cette église est devenue de plus en plus radicale, augmentant ses activités paramilitaires et forgeant des alliances avec toute une panoplie de figures révérées au sein de la droite radicale - parmi elles les milices patriotes, les suprémacistes blancs, les néoconfédérés et les “veilleurs” de la frontière mexicaine et autres “Reconstructionnistes chrétiens”», note le Southern Poverty Law Center.
«Dégoûtant et inacceptable»
Steve Klein semble avoir noué le contact avec Nakoula à travers Joseph Nasrallah, un extrémiste copte dont il a utilisé le site pour lancer sa propre émission, «Réveille-toi Amérique». Le contenu du programme est un salmigondis d'accusations mensongères contre le président Obama et d'appel à la résistance chrétienne… Il n'est pas sans rappeler le site, tout aussi grossier et apocalyptique, du pasteur de Floride Terry Jones, qui avait orchestré «la mise à mort du Coran». Les deux hommes, des marginaux sans véritable audience, vivent dans leur bulle paranoïaque. Mais ils semblent jubiler d'avoir enfin trouvé, via Internet, un public.
C'est bien tout le problème auquel est confronté le pouvoir américain, qui regarde, impuissant, le Moyen-Orient s'embraser par la faute d'un obscur extrémiste de Californie. La secrétaire d'État Hillary Clinton a eu beau expliquer avec force que les États-Unis n'avaient rien à voir avec ce film ; elle a eu beau en dénoncer la teneur «dégoûtante et inacceptable», les attaques contre les ambassades continuent. C'est la logique perverse de la globalisation, qui d'un clic, réunit les extrêmes.
Par Laure Mandeville
Interviewé par l'agence AP et le Wall Street Journal , le dénommé Bacile - qui n'est jamais apparu devant les caméras - a commencé par se présenter comme un «Juif israélo-américain de Californie», travaillant dans l'immobilier, et dont le but était de faire «un film politique» destiné à montrer que «l'islam est le mal». Il a prétendu avoir levé 5 millions de dollars auprès de «100 donateurs juifs», information qui paraissait fort étrange vu le caractère pathétiquement amateur du film. Les autorités israéliennes ont rapidement clarifié qu'aucun citoyen Sam Bacile n'avait pu être retrouvé. Les journalistes américains d'AP et de Reuters ont finalement remonté la trace de l'énigmatique personnage jusqu'à la maison de Nakoula Basseley Nakoula, un militant séparatiste copte, condamné pour fraude bancaire. Mercredi, les services de renseignements américains confirmaient que le dit Nakoula, alias Bacile, était sans doute le même homme que celui qui avait écopé de 21 mois de prison en 2009. Ils ont révélé que l'ancien détenu avait utilisé à plusieurs reprises ce pseudonyme pour différents projets véreux.
Plusieurs équipes de télévision ont immédiatement convergé vers sa maison, à Cerritos en Californie. Mais la porte de Nakoula reste résolument fermée et l'occupant a contacté la police mercredi soir pour se plaindre. Selon l'évêque copte de Los Angeles, Mgr Serapion, Nakoula Basseley l'aurait aussi appelé jeudi, démentant tout lien avec le film. Pourtant, un activiste copte de Virginie, du nom de Maurice Sadek, qui dit avoir été chargé de la promotion du film L'Innocence des musulmans, a communiqué à Reuters le numéro de portable du «réalisateur», menant à l'adresse de Nakoula. Et la porte de la maison ressemble étrangement à celle aperçue dans le film.
Entraînement armé
Il faudra encore du temps pour éclaircir le mystère. Mais il est déjà clair que le film a été monté avec la collaboration de personnages radicaux, liés à des mouvements d'extrême droite chrétienne et se voyant comme des croisés en guerre contre une «invasion» musulmane. Le plus disert d'entre eux, Steve Klein, gros bonhomme à moustache blanche travaillant pour une compagnie d'assurance, qui se présente comme l'auteur du scénario, a expliqué que le cinéaste avait voulu «choquer» les musulmans «en leur faisant comprendre à quel point l'islam est dangereux… Nous savions que cela allait provoquer des frictions».
Un coup d'œil à la page Facebook de Steve Klein - appelée «Altar or Abolish» - en dit long sur le contexte idéologique et psychologique dans lequel vit cette étrange alliance d'évangéliques radicaux et de coptes extrémistes. On y trouve des dizaines de références à des articles délirants, censés prouver l'invasion musulmane en cours en Amérique. Klein est persuadé, par exemple, que le leader conservateur Grover Norquist, connu pour sa lutte contre l'impôt, travaille en réalité… à instaurer la charia! «N'abandonnez pas vos fusils», dit Klein. Dans un autre post, il publie une photo montrant une voiture aménagée en char, avec une petite tourelle. On y voit un jeune garçon de 6 ou 7 ans manœuvrant le canon, tandis que son père en treillis est debout à côté de l'automobile. «Pourriez-vous nous indiquer la mosquée locale?», dit la légende. Dans un autre commentaire, Steve Klein appelle à se rendre dans le centre d'entraînement de California Sequoia Trees pour une formation aux milices armées avec «des fusils et de vrais vétérans». «Nous enseignons comment défaire les cellules de la guerre globale de l'islam», précise-t-il. Cette dernière promesse renvoie sur un site Web montrant le film… La Bataille d'Alger.
Selon le Southern Poverty Law Center, qui suit de près les activités des groupes d'extrême droite, Steve Klein, un ancien marine, vétéran du Vietnam, est l'un des piliers de ce centre d'entraînement, qui fonctionne quasiment au grand jour, adossé à l'église évangélique Kaweah. «Cette église est devenue de plus en plus radicale, augmentant ses activités paramilitaires et forgeant des alliances avec toute une panoplie de figures révérées au sein de la droite radicale - parmi elles les milices patriotes, les suprémacistes blancs, les néoconfédérés et les “veilleurs” de la frontière mexicaine et autres “Reconstructionnistes chrétiens”», note le Southern Poverty Law Center.
«Dégoûtant et inacceptable»
Steve Klein semble avoir noué le contact avec Nakoula à travers Joseph Nasrallah, un extrémiste copte dont il a utilisé le site pour lancer sa propre émission, «Réveille-toi Amérique». Le contenu du programme est un salmigondis d'accusations mensongères contre le président Obama et d'appel à la résistance chrétienne… Il n'est pas sans rappeler le site, tout aussi grossier et apocalyptique, du pasteur de Floride Terry Jones, qui avait orchestré «la mise à mort du Coran». Les deux hommes, des marginaux sans véritable audience, vivent dans leur bulle paranoïaque. Mais ils semblent jubiler d'avoir enfin trouvé, via Internet, un public.
C'est bien tout le problème auquel est confronté le pouvoir américain, qui regarde, impuissant, le Moyen-Orient s'embraser par la faute d'un obscur extrémiste de Californie. La secrétaire d'État Hillary Clinton a eu beau expliquer avec force que les États-Unis n'avaient rien à voir avec ce film ; elle a eu beau en dénoncer la teneur «dégoûtante et inacceptable», les attaques contre les ambassades continuent. C'est la logique perverse de la globalisation, qui d'un clic, réunit les extrêmes.
Par Laure Mandeville