Aidé par son compagnon, une dame d’une quarantaine d’années, drapée dans un boubou blanc immaculé, enjambe avec peine les parapets en béton qui bordent la route de l’aéroport. Elle veut passer de l’autre côté, à Ouest-foire. Un exercice incommode et périlleux auquel se soumettent, chaque jour, les piétons et riverains depuis le lancement du programme de réhabilitation de l’autoroute par l’Agence nationale pour l’organisation de la conférence islamique (Anoci). Cela semble aller de soi mais, sur ce tronçon comme sur d’autres, les passerelles prévues et promises pour la traversée des usagers sont inexistantes. Au nombre de cinq, à intervalles réguliers, les escaliers préconçus, sont à la merci du vent et des intempéries. Ces infrastructures sont inachevées, comme la plupart des chantiers engagés sous la houlette de Karim Wade. La raison officielle invoquée est le «non-paiement de l’argent que l’Etat doit aux entreprises».
EXERCICES D’ENJAMBEMENT
Sur ces lieux, seuls les escaliers sont érigés. A hauteur du rond-point, gisent, à terre, des barres de fer et des bétonnières. Pas l’ombre d’un ouvrier. A l’impossible nul n’étant tenu, les populations riveraines ont brisé les parapets en béton pour ouvrir des passages de part et d’autre de la voie. Un acte que justifie un habitant du quartier Ouest-Foire rencontré à un coin de rue. «Les gens veulent nous tuer car la route est très dangereuse, dit-il. C’est pour cette raison que nous avons détruit les parapets.»
Sur l’autoroute, les risques qu’encourent les piétons sont manifestes et latents. Pas toujours conscients des dangers de la circulation sur cette voie rapide très empruntée par les passants, certains automobilistes se croient en compétition de Formule 1. Le danger est très perceptible à hauteur des zones du tronçon où le bitumage reste inachevé, sur la voie qui mène vers Ouest-foire et sur celle qui débouche sur Yoff-Tonghor. Deux cas d’accidents s’y sont produits il y a «quelques mois», faisant deux victimes à l’époque, rappelle Baye Fall, un riverain d’une quarantaine d’années qui tient un commerce sur le trottoir. «C’est en traversant la route que deux jeunes hommes ont été renversés par des véhicules. Une fois les parapets enjambés, ils pensaient être à l’abri, mais ils ont été surpris par une voiture.» Emmitouflé dans un boubou vert, foulard orange autour du cou, il s’alarme : «Cette voie est la plus dangereuse de toutes les routes. Chaque jour que Dieu fait, il y a des risques d’accident. Les véhicules roulent à toute vitesse, les piétons sont imprudents.» Tout le monde est exposé au danger permanent.
De la Patte d’Oie à l’aéroport Léopold Sédar Senghor en passant par l’échangeur de la Foire, la route est jonchée de bosses dues à l’absence d’une dernière couche de goudron. De loin, les énormes rigoles sont visibles et angoissent bon nombre d’automobilistes. L’un d’entre eux nous confie que «même lorsque le véhicule roule à une vitesse moyenne, je roule à gauche, notamment à la nuit tombée, au risque de violer le Code de la route en obligeant les autres véhicules à me doubler par la droite». C’est le cas du tuyau situé au niveau de la cité Bceao qui crée la psychose chez les conducteurs. «Je vous assure qu’il y a plus d’une centaine d’automobilistes qui ont perdu leur pot d’échappement à cause de cette rigole», informe Baye Fall. En «citoyen exemplaire», il s’est substitué à l’autorité compétente en installant des panneaux qui mettent en garde les conducteurs imprudents.
Les griefs sur ce tronçon sont loin d’être exhaustifs. Il est aussi constaté l’inachèvement, par endroit, du dallage de la chaussée. Laissant place au sable qui a fini d’envahir la troisième voie.
La Voie de dégagement nord (Vdn) se porte à peine mieux, en dépit de l’absence de protubérances. Elle est loin d’être achevée. A hauteur du cimetière Saint-Lazare de Béthanie, des ouvriers s’activent à fixer des signaux lumineux sur le bitume, sous un soleil qui darde ses rayons sur leur crâne. Les artistes-peintres qui étaient préposés à la décoration intérieure des échangeurs, eux, ne vont pas s’exposer au soleil pour achever leur œuvre. Leur doit-on de l’argent ? Tout porterait à le croire au regard de l’esquisse décorative entamée et laissée en l’état. L’énorme terre-plein qui sépare les deux voies, jadis un espace vert peu entretenu mais espace vert tout de même, devient de plus en plus un dépotoir de gravats et de déchets pour riverains égoïstes, charretiers inconscients, maçons peu scrupuleux…
La plus belle corniche d’Afrique, l’arlesienne
Même si elle a contribué à rendre plus fluide la circulation sur la Vdn, la réhabilitation de la voirie cause beaucoup de dommages aux automobilistes et aux populations environnantes. Les premiers sont condamnés à contourner le rond-point situé à hauteur du Sacré-Cœur 3 pour gagner la cité Cpi, Liberté 6 extension, ou la cité Sipres. En provenance de la foire, les seconds éprouvent de grandes difficultés pour traverser la route. Zone très fréquentée et réhabilitée à l’occasion du 11e sommet de l’Oci, la Vdn ne dispose non plus d’aucune passerelle qui protégerait la sécurité des piétons. Sous un arbre à palabres, en train de boire du thé en compagnie d’amis, Moussa Kassé, un habitant de la cité Cpi, témoigne : «Pour traverser, c’est la croix et la bannière pour nos mamans et nos jeunes frères. Ils peuvent mettre plusieurs minutes avant de rejoindre l’autre côté de la route pour prendre un bus. Parfois, ils sont obligés de nous appeler au téléphone pour qu’on les aide à traverser. Quant aux élèves, ils sont souvent en retard à l’école.» Une situation que confirme ce caissier du fast-food Good Rade. Derrière son comptoir, Mamadou Dia, longiligne comme peut le souhaiter tout basketteur, les yeux rivés sur les liasses de billets de banque, exprime ses inquiétudes. «En traversant la route, nous sommes en sursis car, cette Vdn est très dangereuse. Il faut vraiment être attentif et prudent pour ne pas se faire renverser.» Se faire renverser et porter plainte contre les responsables de l’Anoci pour «homicide involontaire» devrait être possible.
En mars… 2008, Abdoulaye Baldé, directeur exécutif de l’Agence, faisait cette révélation à notre confrère du journal Le Populaire : «Nous avons prévu cinq passerelles au niveau de la Vdn. Et, nous sommes en train de voir si elles seront en béton ou en préfabriqué. Une fois montées, elles permettront aux habitants des deux côtés de Sacré-cœur de traverser la Vdn en toute sécurité.» Il ajoutera : «D’ici mi-mai (2008), tout sera livré.» Douze mois après, rien n’est fait ! Rien n’est livré !
Loin d’ici, la tranquillité des populations habitant le long de la Corniche ouest est également toute relative. Comme partout ailleurs, il n’y a pas de passerelle, les «experts et décideurs n’en n’ont pas voulu». Le tunnel de Soumbédioune même s’il a été (ré) ouvert, de l’eau continue d’en ruisseler, malgré tout. L’aménagement paysager annoncé par les responsables de l’Anoci n’a pas eu lieu. De ce fait, «la plus belle Corniche d’Afrique» reste une arlésienne. Des palmiers importés de la Tunisie et de la Casamance et replantés à quelques heures du sommet, ont du mal à éclore. Ils sont dans le même état depuis leur arrivée sur les lieux. D’autres, sans sève, sont en train d’être remplacés.
La porte du Millénaire qui faisait la fierté du pouvoir de l’Alternance tombe peu à peu en ruine car, elle n’a pas été réhabilitée après avoir été sérieusement amochée par les travaux de l’Anoci. Comme qui dirait : les rideaux ne sont pas encore tombés sur le 11e sommet de l’Oci.
le quotidien
EXERCICES D’ENJAMBEMENT
Sur ces lieux, seuls les escaliers sont érigés. A hauteur du rond-point, gisent, à terre, des barres de fer et des bétonnières. Pas l’ombre d’un ouvrier. A l’impossible nul n’étant tenu, les populations riveraines ont brisé les parapets en béton pour ouvrir des passages de part et d’autre de la voie. Un acte que justifie un habitant du quartier Ouest-Foire rencontré à un coin de rue. «Les gens veulent nous tuer car la route est très dangereuse, dit-il. C’est pour cette raison que nous avons détruit les parapets.»
Sur l’autoroute, les risques qu’encourent les piétons sont manifestes et latents. Pas toujours conscients des dangers de la circulation sur cette voie rapide très empruntée par les passants, certains automobilistes se croient en compétition de Formule 1. Le danger est très perceptible à hauteur des zones du tronçon où le bitumage reste inachevé, sur la voie qui mène vers Ouest-foire et sur celle qui débouche sur Yoff-Tonghor. Deux cas d’accidents s’y sont produits il y a «quelques mois», faisant deux victimes à l’époque, rappelle Baye Fall, un riverain d’une quarantaine d’années qui tient un commerce sur le trottoir. «C’est en traversant la route que deux jeunes hommes ont été renversés par des véhicules. Une fois les parapets enjambés, ils pensaient être à l’abri, mais ils ont été surpris par une voiture.» Emmitouflé dans un boubou vert, foulard orange autour du cou, il s’alarme : «Cette voie est la plus dangereuse de toutes les routes. Chaque jour que Dieu fait, il y a des risques d’accident. Les véhicules roulent à toute vitesse, les piétons sont imprudents.» Tout le monde est exposé au danger permanent.
De la Patte d’Oie à l’aéroport Léopold Sédar Senghor en passant par l’échangeur de la Foire, la route est jonchée de bosses dues à l’absence d’une dernière couche de goudron. De loin, les énormes rigoles sont visibles et angoissent bon nombre d’automobilistes. L’un d’entre eux nous confie que «même lorsque le véhicule roule à une vitesse moyenne, je roule à gauche, notamment à la nuit tombée, au risque de violer le Code de la route en obligeant les autres véhicules à me doubler par la droite». C’est le cas du tuyau situé au niveau de la cité Bceao qui crée la psychose chez les conducteurs. «Je vous assure qu’il y a plus d’une centaine d’automobilistes qui ont perdu leur pot d’échappement à cause de cette rigole», informe Baye Fall. En «citoyen exemplaire», il s’est substitué à l’autorité compétente en installant des panneaux qui mettent en garde les conducteurs imprudents.
Les griefs sur ce tronçon sont loin d’être exhaustifs. Il est aussi constaté l’inachèvement, par endroit, du dallage de la chaussée. Laissant place au sable qui a fini d’envahir la troisième voie.
La Voie de dégagement nord (Vdn) se porte à peine mieux, en dépit de l’absence de protubérances. Elle est loin d’être achevée. A hauteur du cimetière Saint-Lazare de Béthanie, des ouvriers s’activent à fixer des signaux lumineux sur le bitume, sous un soleil qui darde ses rayons sur leur crâne. Les artistes-peintres qui étaient préposés à la décoration intérieure des échangeurs, eux, ne vont pas s’exposer au soleil pour achever leur œuvre. Leur doit-on de l’argent ? Tout porterait à le croire au regard de l’esquisse décorative entamée et laissée en l’état. L’énorme terre-plein qui sépare les deux voies, jadis un espace vert peu entretenu mais espace vert tout de même, devient de plus en plus un dépotoir de gravats et de déchets pour riverains égoïstes, charretiers inconscients, maçons peu scrupuleux…
La plus belle corniche d’Afrique, l’arlesienne
Même si elle a contribué à rendre plus fluide la circulation sur la Vdn, la réhabilitation de la voirie cause beaucoup de dommages aux automobilistes et aux populations environnantes. Les premiers sont condamnés à contourner le rond-point situé à hauteur du Sacré-Cœur 3 pour gagner la cité Cpi, Liberté 6 extension, ou la cité Sipres. En provenance de la foire, les seconds éprouvent de grandes difficultés pour traverser la route. Zone très fréquentée et réhabilitée à l’occasion du 11e sommet de l’Oci, la Vdn ne dispose non plus d’aucune passerelle qui protégerait la sécurité des piétons. Sous un arbre à palabres, en train de boire du thé en compagnie d’amis, Moussa Kassé, un habitant de la cité Cpi, témoigne : «Pour traverser, c’est la croix et la bannière pour nos mamans et nos jeunes frères. Ils peuvent mettre plusieurs minutes avant de rejoindre l’autre côté de la route pour prendre un bus. Parfois, ils sont obligés de nous appeler au téléphone pour qu’on les aide à traverser. Quant aux élèves, ils sont souvent en retard à l’école.» Une situation que confirme ce caissier du fast-food Good Rade. Derrière son comptoir, Mamadou Dia, longiligne comme peut le souhaiter tout basketteur, les yeux rivés sur les liasses de billets de banque, exprime ses inquiétudes. «En traversant la route, nous sommes en sursis car, cette Vdn est très dangereuse. Il faut vraiment être attentif et prudent pour ne pas se faire renverser.» Se faire renverser et porter plainte contre les responsables de l’Anoci pour «homicide involontaire» devrait être possible.
En mars… 2008, Abdoulaye Baldé, directeur exécutif de l’Agence, faisait cette révélation à notre confrère du journal Le Populaire : «Nous avons prévu cinq passerelles au niveau de la Vdn. Et, nous sommes en train de voir si elles seront en béton ou en préfabriqué. Une fois montées, elles permettront aux habitants des deux côtés de Sacré-cœur de traverser la Vdn en toute sécurité.» Il ajoutera : «D’ici mi-mai (2008), tout sera livré.» Douze mois après, rien n’est fait ! Rien n’est livré !
Loin d’ici, la tranquillité des populations habitant le long de la Corniche ouest est également toute relative. Comme partout ailleurs, il n’y a pas de passerelle, les «experts et décideurs n’en n’ont pas voulu». Le tunnel de Soumbédioune même s’il a été (ré) ouvert, de l’eau continue d’en ruisseler, malgré tout. L’aménagement paysager annoncé par les responsables de l’Anoci n’a pas eu lieu. De ce fait, «la plus belle Corniche d’Afrique» reste une arlésienne. Des palmiers importés de la Tunisie et de la Casamance et replantés à quelques heures du sommet, ont du mal à éclore. Ils sont dans le même état depuis leur arrivée sur les lieux. D’autres, sans sève, sont en train d’être remplacés.
La porte du Millénaire qui faisait la fierté du pouvoir de l’Alternance tombe peu à peu en ruine car, elle n’a pas été réhabilitée après avoir été sérieusement amochée par les travaux de l’Anoci. Comme qui dirait : les rideaux ne sont pas encore tombés sur le 11e sommet de l’Oci.
le quotidien