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Les élections contre la démocratie ?


Rédigé par leral.net le Lundi 3 Juillet 2017 à 18:56 | | 0 commentaire(s)|

La démocratie ne se résume pas à des élections libres appliquant le principe une personne, une voix. Mais, même en se cantonnant à une conception aussi restrictive de la démocratie, on peut voir que, dans deux vieux pays démocratiques occidentaux, les États-Unis et la France, les dernières élections n'ont respecté le principe que de façon très formelle. Or, en quelques mois, ces élections ont changé profondément la situation politique. Au niveau intérieur et pour les États-Unis, bien au-delà.
Aux États-Unis, Hillary Clinton a obtenu lors de l'élection présidentielle près de 66 millions de voix (48,03% des suffrages exprimés) et Donald Trump près de 63 (45,94%). Mais du fait du système électoral, c'est Donald Trump avec 304 Grands électeurs contre 227 pour Hillary Clinton (56,5% contre 42,2%), qui a été élu président des États-Unis ! C'est la cinquième fois que le phénomène se produit. En 1824, 1876, 1888, 2000 et 2016, le président élu n'a pas été le candidat qui a recueilli le plus de suffrages exprimés.
Cela tient au fait que quasiment tous les États utilisent la règle du winner takes all, le vainqueur prend tout, qui attribue l'ensemble des Grands électeurs de l'État au candidat ayant reçu la majorité, relative ou absolue, des suffrages. Certains États sont à dominante partisane nette, ou républicaine ou démocrate.

Dans ce cas, que le parti dominant recueille 55 ou 65 % des voix ne change rien, tous les Grands électeurs lui sont attribués. Par contre, dans un swing state, État-charnière, État pivot, les deux partis dominants ont sensiblement à égalité. Il suffit que quelques milliers de voix basculent, passent d'un parti à l'autre pour que tous les délégués de cet État changent de camp.
Ce système explique la victoire de Donald Trump.
Le phénomène est donc connu depuis longtemps. Et accepté.
Les États-Unis d'aujourd'hui, ne sont pas très différents de ceux d'hier mais la politique du dernier président blanc, n'est pas exactement la même que celle du premier président noir ! De la politique d'immigration ou de l'obamacare à l'intérieur aux positions en politique extérieure, sur la Cop 21, les relations avec l'Otan et l'Union européenne ou au Proche-Orient…
Cela semble illustrer le vieux mot d'ordre, élection, piège à cons, qui veut dire, classiquement, que les élections ne servent à rien. Dans le cas précis, certains doivent regretter leur non participation au vote...
Une autre façon d'échapper démocratiquement à la démocratie est, ce qu'on appelle en France , le charcutage électoral des circonscriptions, aux États-Unis gerrymandering : partisan gerrymandering, charcutage à visée partisane quand le but est d'accentuer l'avantage d'un parti politique, et racial gerrymandering pour augmenter ou cantonner le poids politique d'une minorité raciale. Ce terme est né en 1811 quand le gouverneur Elbridge Gerry a dessiné une circonscription en forme de salamandre pour favoriser son parti.
Enfin, le nombre de délégués attribué à chaque État est très variable : de 1,41 en Californie à 5,12 dans le Wyoming, par millions d'habitants.
En France, le système électoral majoritaire à deux tours à l'élection présidentielle et aux élections législatives avec des législatives au décours de la présidentielle, entraîne une distorsion encore plus grande entre les forces politiques dans la population et dans la représentation nationale.
Ainsi Emmanuel Macron, avec 24 % des voix au premier tour de la présidentielle et 28 % au premier tour aux législatives pour son parti et 43 % au second, remporte le poste de président de la République sans aucun contre-pouvoir à l'Assemblée nationale mais au contraire, une majorité absolue forte (308 députés sur 577).

Majorité très liée au président, car une bonne partie n'a aucune implantation personnelle dans sa circonscription. Ces candidats ont été désignés par le président lui-même et sa garde rapprochée et ont été élus sur son seul nom. Ce qui lui permet d'exercer une dictature républicaine, en principe pour les 5 prochaines années.
Enfin, le programme d'Emmanuel Macron a été connu partiellement et tardivement, aussi bien par les électeurs que par les personnes qui ont été candidates ou même élues aux législatives.
Cela n'entame en rien la légalité de l'élection d'Emmanuel Macron et de sa majorité. Et la contestation ne peut venir, en aucun cas, de ceux qui ont été au pouvoir jusque là. Ils n'ont pas changé les règles électorales quand ils le pouvaient, aussi bien Nicolas Sarkozy que François Hollande, parce qu'ils en avaient profité et espéraient encore rester au pouvoir bien que minoritaires dans le pays, ce dont témoignaient et les sondages et les résultats de toutes les élections partielles durant leur quinquennat.
Il est aussi de bon ton de contester la légitimité de ces dernières élections par suite de la forte proportion d'abstentionnistes, de votes blancs ou nuls. Mais ceci invalide plus le système et notamment, les majorités précédentes que le président. Les autres candidats ne peuvent se prévaloir de résultats supérieurs.

Il n'empêche que l'étendue des pouvoirs dont dispose le président fait penser au dictateur de la République romaine : un magistrat extraordinaire détenait les pleins pouvoirs pour un mandat qui ne pouvait, à l'origine, excéder six mois. Ce qui n'a pas toujours été le cas. Ici, sauf accident, Emmanuel Macron est au pouvoir pour 5 ans. Quels que soient les résultats des sondages ou des élections partielles ou locales à venir.
Aux États-Unis, Donald Trump n'est élu que pour 4 ans et des élections législatives ont lieu tous les 2 ans, qui peuvent remettre en question la majorité républicaine au Congrès.
Les premières décisions du président de la République montrent sa volonté d'utiliser au maximum les possibilités que lui offre la Constitution et d'augmenter sa liberté de manœuvre : volonté de prendre rapidement des mesures par l'usage des ordonnances, de l'article 49-3, prorogation de l'état d'urgence, intégration de certaines possibilités offertes par l'état d'urgence dans la législation normale, attribution du poste de questeur à l'opposition de sa majesté et non au parti d'opposition (?) le plus important de l'Assemblée nationale, prise de parole devant le parlement réuni en Congrès à Versailles, qui plus est à la veille du discours du Premier ministre devant l'Assemblée nationale, qui semble vouloir rappeler à celui-ci son rôle second dans la conduite de la politique du gouvernement, rattachement au président de la République de la cellule de coordination pour lutter contre le terrorisme, élection-nomination d'un ami comme président de son groupe parlementaire sans concurrence même fictive, contrôle de la parole de ministres et de leurs rapports avec la presse, habile élimination de François Bayrou qui avait créé de menus problèmes au moment des législatives, qui voulait être au gouvernement et garder son droit à une parole indépendante, n'ayant pas suffisamment pris en compte que les voix de son groupe n'étaient pas nécessaires au nouveau président pour avoir une majorité absolue à l'Assemblée nationale…
Emmanuel Macron, comme d'habitude, ne perd pas de temps, assure ses bases, solidifie son pouvoir tant qu'il bénéficie du soutien d'un groupe parlementaire, pour le moment charmé et tenu, de l'opinion publique d'après les sondages avant de mettre en chantier les mesures législatives...

De même, il a entrepris quelques manœuvres pour obtenir une place importante sinon prépondérante au niveau européen. Il n'est pas sûr que cela soit aussi facile. Au niveau symbolique, l'invitation de Donald Trump, les déclarations sur la Cop21 vont dans ce sens.

La poignée de main avec Donald Trump dont on a magnifié la vigueur pour montrer la place que veut avoir le président, a eu probablement une autre interprétation, outre-Rhin, après l'affront de Donald Trump à Angela Merkel lors de leur rencontre... Déjà, de petites phrases commencent à se faire entendre du côté du président de la Bundesbank ou d'Angela Merkel, elle-même, lors de leur conférence de presse…
Mais le président Macron a besoin de résultats concrets au niveau économique et budgétaire pour que ses positions européennes apparaissent comme autre chose que de la suffisance gauloise.
La prise du pouvoir par Emmanuel Macron a été rapidement menée au niveau électoral et institutionnel. Pour le moment, il est sur le nuage post-électoral, adulé par beaucoup malgré les entorses aux pratiques démocratiques traditionnelles, il peut espérer avoir mis de son côté tous les atouts pour s'attaquer aux mesures qu'il veut imposer à la société française.
Reste à savoir quelles seront ses réponses...



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