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Les leçons d’outre-tombe de Bongo à ses... "pairs" africains

Rédigé par leral.net le Jeudi 25 Juin 2009 à 16:43 | | 0 commentaire(s)|



NETTALI.NET - Tous les regards des observateurs internationaux sont aujourd’hui braqués sur le continent africain, notamment ceux friands des faits et gestes des décideurs publics qui animent la vie politique de cette partie en pleine évolution démocratique.


Les leçons d’outre-tombe de Bongo à ses... "pairs" africains
A l’annonce de la mort de Omar Bongo Ondimba, de multiples interrogations ont fait surface portant sur les capacités des gabonais, celles de la classe politique particulièrement, à parvenir à conduire vers des lendemains d’après-Bongo aussi tranquilles que durant le "règne" relativement paisible du défunt président. Il y a toutes les raisons de continuer à s’inquiéter même si jusque-là, l’ordre constitutionnel est scrupuleusement respecté, et que le peuple gabonais encore meurtri par la perte douloureuse de celui qui aura marqué incontestablement les esprits et les cœurs pendant quatre décennies, a du mal à sécher les larmes.

Rien dans ce qui se trame en coulisses ne laisse cependant présager une transition en douceur. De partout des camps politiques, on affûte les armes pour se donner les moyens de séduire des populations laborieuses, aujourd’hui partagées entre le regret et la tristesse de la perte d’un dirigeant "charismatique et généreux", et l’espoir d’un avenir plus heureux porté par des hommes et femmes qu’elles n’ont pas encore fini de désigner. Le monde bouge et le Gabon ne peut être en marge de ce mouvement des grandes mutations qui s’opèrent, répondant aux exigences démocratiques de l’heure. Dans les semaines à venir, maintenant que les funérailles et l’inhumation de Bongo, sont derrière nous, les manœuvres se mèneront au grand jour.

Au sortir du premier conseil des ministres extraordinaire d’après-Bongo, présidé par le tout nouveau chef de l’Etat Rose Francine Rogombé, le Premier ministre Jean-Eyeghe Ndong, avait exprimé la volonté du gouvernement de mettre les bouchées doubles afin de respecter la date fixée pour l’organisation de la présidentielle, le 25 juillet 2009. Tous les observateurs et acteurs politiques gabonais conscients de la complexité des enjeux et de la lourdeur du défi, sont unanimes à reconnaître que les conditions sont loin d’être réunies pour une bonne organisation de cette compétition déterminante pour l’avenir du pays. Personne ne trouverait à dire si la transition avait été prolongée de quelques mois. Et tout porte à croire que la Cour constitutionnelle finira par brandir l’argument de "force majeure" pour adopter cette option sage et constructive.

Pour organiser les opérations électorales, il faudra débourser beaucoup d’argent. Or, le gouvernement cherchait juste il y a quelques mois à trouver 268 milliards pour équilibrer son budget et faire face aux urgences sociales. A la flambée des prix du baril de pétrole, l’Assemblée nationale avait été mise à contribution pour vendre à 70 dollars avant qu’une chute vertigineuse ne rapetisse les prétentions financières attendues des recettes. La crise financière qui secoue le monde des affaires et flétrit le trafic des produits de l’or noir, n’est pas pour alléger les charges d’un Etat dont la principale source financière qui l’aide à assurer les besoins des populations est le pétrole. 62,3% du budget national ! C’est dire combien les temps sont durs pour un pays qui ouvre une nouvelle page de son histoire et qui a besoin de payer cher son entrée dans le cercle restreint des grandes démocraties africaines.

Pour 1,3 millions d’habitants, le Gabon compterait 800 000 électeurs pour les uns et… 2 millions selon le chef de l’opposition Pierre Mamboundou, leader de l’UPG (Union du Peuple gabonais). Qu’importe la vérité des chiffres ! La polémique naissante renseigne sur une chose : il n’y a point de consensus sur les règles électorales. La fiabilité du fichier électoral est donc douteuse, et nombreux sont ceux qui exigent sa révision totale pour garantir un scrutin sincère, sans contestations majeures à même d’entacher les résultats. La tâche est dès lors encore plus ardue pour l’intérimaire à la tête de l’Etat appelée à jouer son destin pour pouvoir avoir une Histoire avec sa patrie.


Dans la famille politique du défunt président, le PDG, plusieurs prétendants frappent à la porte du palais. Les manières de l’exprimer sont certes différentes mais l’ambition reste la même pour tous : succéder à leur mentor de toujours dont ils peuvent réclament légitimement l’héritage. Ali Ben Bongo, fils ainé d’Omar, ancien ministre des Affaires étrangères, ministre de la défense depuis une dizaine d’années et n° 2 du PDG (Parti démocratique gabonais), principale formation politique du pays, dispose d’atouts importants dans la course. De même que sa sœur Pascaline qui a longtemps géré le cabinet présidentiel et dont on dit qu’elle contrôle également la fortune colossale laissée par leur père.

Son compagnon Paul Toungui ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères n’est pas en reste. Il a longtemps géré le département de l’Economie et des Finances avant d’être propulsé à la tête de la diplomatie gabonaise au départ d’une autre figure emblématique régulièrement citée dans le cercle des sérieux prétendants, Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine. Ce dernier a eu deux enfants avec son ex-compagne qui se trouve être la même… Pascaline Bongo ! A défaut de se présenter, les deux "amours" de la fille du défunt président pourraient lui être d’un grand apport et vice-versa. Eh oui, il arrive que le coeur et la raison trouvent des plages de convergences. Les voies du pouvoir sont elles aussi insondables. Jean Ping, considéré comme un homme de consensus et bénéficiant d’un réseau international extrêmement riche, pourrait éviter le feu à la famille présidentielle menacée d’une guerre fratricide. Le choix du candidat du Pdg est donc loin d’être réglé.

L’Opposition n’en est pas pour autant mieux lotie même s’il y a de fortes chances que la bataille de leadership ne résume qu’à deux ou trois personnalités dont Pierre Mamboundou, le plus en vue ces dernières années, a été candidat à deux reprises face à Omar Bongo Ondimba, sous la bannière de sa formation politique, l’UPG (Union du peuple gabonais) créée en 1988. D’abord en 1998 avec 25% des suffrages et puis en 2005 avec un score ayant chuté de dix points.

Député de 1996 à nos jours, et maire de Ndende en 2002, cet ancien réfugié politique au Sénégal (1990-1993) et dans l’Ambassade d’Afrique du Sud à Libreville le 21 mars 2006, suite à "l’attaque du siège du parti par les Forces de Sécurité et de Défense Gabonaises", jouit d’une riche expérience professionnelle internationale comme ingénieur des télécommunications. Il était le seul candidat face au président Bongo lors des dernières élections présidentielles. Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de l’Opposition. Le chef historique Mba Abessole, nommé vice-Premier ministre, a rejoint la mouvance présidentielle. Il aura du mal à se départir du bilan mitigé du pouvoir durant ces dix dernières années. Cette position inconfortable, il la partage avec l’ancien Premier ministre Jean-François Ntoutoumane et le maire de Libreville Zacharie Myboto passé depuis huit ans à l’opposition radicale après avoir servi Bongo durant trois décennies.

Du reste des candidats potentiels pouvant jouer le rôle d’outsiders, un seul nom émerge et dispose de moyens suffisamment caudataires pour créer la surprise et bouleverser l’ordre établi des professionnels de la politique : il s’agit de Marcel Abeké, Pdg de la COMILOG (Compagnie minière de l’Ogooué), ancien Conseiller spécial du défunt président. De la convention du Parti démocratique gaboanis devant se tenir incessamment dépendra en grande partie la bonne lisibilité du jeu dans cette perspective de recomposition du paysage politique d’après-Bongo. Les cartes sont donc loin d’être battues.

On avait prêté pourtant au président ondimba, de son vivant, l’intention de demander un nouveau mandat. On peut le croire, lui qui disait, qu’"en Afrique, le pouvoir ça se prend et ça ne se rend pas." A la lecture de l’évolution du continent africain depuis l’aube des indépendances, cette vérité recouvre plein de sens. Sauf qu’avec lui et bien de ses "ex-pairs", la fin de l’histoire sent toujours les miasmes funetes des destins tragiques. Du fond de sa tombe, il médite certainement sur son sort et celui de son peuple auquel il a présidé les destinées durant quarante longues années. Une prouesse, une performance à la fois inédite et quelque peu grossière pour une démocratie. Il griffonne des notes, en guise de feuille de route, sur un certain nombre de valeurs qu’il aurait aimé inculquer aux décideurs africains sur la base de son expérience si riche et variée, pour une meilleure prise en charge des intérêts collectifs et un partage plus juste des richesses nationales. Il exprime incontestablement son regret de n’avoir pas su allier la sagesse de son mentor éternel Houphouët Boigny à l’intelligence de Senghor qui a su gérer avec doigté les dernières heures de son magistère en organisant une douce passation du pouvoir sans déstabiliser les équilibres fragiles d’un État en construction et d’une démocratie balbutiante.

Même s’il n’a pas brillé sur le continent par son exemplarité en actes absolument démocratiques, l’ex-président gabonais a tout de même, le mérite de ne pas s’adonner au jeu dangereux et dégradant de la succession familiale en tripatouillant la Loi fondamentale pour confectionner des oripeaux de dauphin à son enfant. Comme ça fait tendance par les temps qui courent en Afrique. Il avait l’armée, le pouvoir, une opposition indolente, et les... pétrodollards pour "imposer" son homme ou son fils ! Il ne l’a pas fait. Les jeux sont maintenant ouverts. Et contrairement à une idée largement répandue, les dés ne sont pas tout à fait pipés.

C’est l’occasion ici de rendre un vibrant hommage aux magiatrats de la Cour constitutionnelle nigérienne qui ont mis fin (provisoirement ?) à l’ambition démesurée du Président Mamadou Tandja de se doter un troisième mandat foulant au pied la Loi Fondamentale par l’organisation d’un référendum le 04 août prochain. Avec comme seul argument brandi, "le désir profond du peuple nigérien de (le) voir achever (ses) chantiers" (sic).

En décidant le 12 juin de rendre l’arrêté annulant le décret présidentiel qui avait appelé le corps électoral à se rendre aux urnes pour légitimer sa volonté pouvoiriste de se maintenir à la tête de ce pays, l’un des plus pauvres au monde, les juges ont administré à la face du monde, une grande leçon de justice et de courage.

On espère seulement qu’ils inspireront leurs collègues du continent. Par souci de sauvegarder des positions privilégiées, beaucoup d’entre eux, en de pareilles circonstances, se réfugient derrière les arguties trop simplistes "d’incompétence", pour passer le droit et la vérité sous les fourches caudines de "la raison d’État" et bénir les initiatives du prince dont les soubassements s’inscrivent dans une logique politicienne voire... monarchique. Suivez mon regard !

Au Sénégal, on n’a pas souvenir, durant cette décennie finissante, d’une quelconque décision rendue par l’ex-Conseil constitutionnel re-devenu Cour suprême, allant dans le sens contraire aux desiderata du tout puissant président du Conseil supérieur de la Magistrature. Platon disait "qui veut contrôler le peuple, commence par contrôler sa musique". Comme la musique également, le droit est de plus en plus "la langue des émotions" et s’éloigne de la raison qui fonde son caractère impersonnel, absolument impartial.

De ce qui se passe au Gabon, il n’y a qu’une seule leçon, majeure, à retenir : rien ne sera plus comme avant dans la conduite des peuples africains. Le départ apparemment précipité d’Omar Bongo de ce bas-monde et du paysage politique du continent, laissant derrière lui un riche "émirat pétrolier" orphelin qu’une guerre de succession difficilement contenue menace ; l’attitude responsable des juges nigériens qui ont tiré de son olympe le dieu Tandja ; le refus du président malien Amadou Toumani Touré de suivre ceux qui le poussaient à modifier la Constitution pour rester sur les cimes du Koulouba ; les actes de ces millions d’anonymes qui se battent, la plupart au prix de leurs vies, pour le triomphe d’une Afrique démocratique et prospère : tout cela permet de garder espoir et de comprendre qu’un soleil nouveau pointe déjà ses dards sur notre continent.

N’y trouveront point leur salut les assoiffés de pouvoirs et d’honneurs, et ceux qui n’ont pas le sens de l’histoire.

- Par OUSMANE KEBE DIOP -