Pourtant, c’est depuis avril 2005 que le Sénégal a adopté la loi 02/2005 qui stipule en son article 3:
«Quiconque organise la mendicité d'autrui en vue d'en tirer profit, embauche, entraîne ou détourne une personne en vue de la livrer à la mendicité ou exerce sur elle une pression pour qu'elle mendie ou continue à le faire est punie d'un emprisonnement de 2 à 5 ans et d'une amende de 500.000 à 2.000.000 de francs. Il n’y aura pas de sursis à l'exécution de la peine lorsque le délit est commis à l'égard d'un mineur, d'une personne particulièrement vulnérable en raison de son âge ou de son état de santé ayant entraîné une déficience physique ou psychique, de plusieurs personnes, de recours ou d'emploi de la contrainte, de violence ou manoeuvres dolosives sur la personne se livrant à la mendicité.»
«Je te demande ses os»
Un groupe de six talibés (élèves des écoles coraniques, en Wolof), âgés de 3 à 15 ans, errent dans les rues de Guédiawaye, la banlieue dakaroise, à la recherche des âmes charitables. Vêtus de haillons, ils marchent pieds nus sous le chaud soleil hivernal. Le regard apeuré de deux d’entre eux en dit long sur le désarroi qui les habitent. Demba et Ibrahima, âgés de 7 et 4 ans, doivent ramener, chacun, la somme de 350 francs CFA (0,5 euro) avant la tombée de la nuit et ils n’ont pas encore récolté un rond. «Si on ne ramène pas l’argent ou son équivalent en nature, le marabout va nous battre», déclare Demba.
Quand on lui demande de décrire les sévices corporels qu’ils subissent en cas de vaches maigres, Ibrahim fond en larmes. Habib, le plus âgé, raconte ses différentes tentatives de fugue.
«Chaque fois que je craignais d’être sévèrement battu, j’allais à la gare routière pour tenter de rentrer à Pout (région de Thiès, à 70 km de Dakar). A chaque fois, mes parents me ramenaient chez le marabout, qui me corrigeait encore plus sévèrement», explique-t-il.
Selon une pratique bien ancrée, les parents de talibés se dégagent de leurs responsabilités dans l’éducation et la prise en charge de leurs enfants en les confiant aux maîtres coraniques. «Je te demande ses os», la formule consacrée dans ce genre de situation, explique leur désengagement. Elle donne au marabout un droit de vie et de mort sur son disciple.
En ces temps de crise économique, la concurrence venue des pays de la sous-région ne facilite pas leurs affaires. Dans un pays où on s’adonne à toutes sortes de superstitions nécessitant le fait de donner l’aumône, la mendicité est devenue une activité florissante pour les étrangers. Des Maliens, des Nigériens, des Guinéens et des Bissau Guinéens ont envahi le business de la mendicité ces dernières années. Après les mesures prises par le gouvernement, plusieurs contingents de mendiants étrangers ont repris le chemin du retour bien malgré eux.
A Hann Bel Air, une famille de gueux maliens rouspète contre la décision d’interdire la mendicité. Le père, amputé des deux jambes, affichait sans complexe son handicap, à l’avenue Lamine Guèye, pour bénéficier de la pitié des passants. Avec l’interdiction de la mendicité, il songe à retourner à Kayes au Mali avec ses deux femmes et leurs nombreux enfants, tous des mendiants dans différentes artères de Dakar.
«Il nous arrivait souvent de récolter jusqu’à 3.000 francs (5 euros) par jour si on additionne nos recettes. Maintenant, avec les rafles de la police, on n’a même plus la moitié de cette somme. Les Sénégalais sont très généreux avec les handicapés, mais je compte rentrer au Mali parce que ça ne marche plus.»
Sous la pression des bailleurs de fonds américains qui ont octroyé plus de 500 millions de dollars au Sénégal dans le cadre du Millenium Challenge Account (MCA), le gouvernement sénégalais est décidé à «nettoyer» les rues de Dakar. Cette décision fait suite à la publication, en avril, du rapport de Human Right Watch sur la situation des 50.000 talibés qui vivent au Sénégal. Ce document, qui décrit les sévices corporels auxquels font face ces enfants, avait révolté les défenseurs des droits de l’enfant comme Khadija Diop de la Fondation des Talibés du Sénégal (Fets).
Inciter financièrement les marabouts
Elle approuve l’interdiction de la mendicité mais exhorte le gouvernement à collaborer avec les maîtres coraniques. «Nous applaudissons des deux mains car notre principale vocation est de sortir les enfants de la rue», déclare-t-elle. Par ailleurs, elle demande à l’Etat sénégalais de subventionner les marabouts pour éviter qu’ils envoient les enfants dans les rues.
«Nous sommes convaincus que l’Etat ne peut rien faire sans la collaboration des marabouts. Il faut que le gouvernement professionnalise les écoles coraniques. On ne peut pas interdire la mendicité sans des mesures d’accompagnement.»
Abdoulaye Wilane, le porte-parole du Parti socialiste (opposition) trouve, pour sa part, que l’interdiction de la mendicité consacre l’échec de la politique de solidarité nationale du gouvernement d’Abdoulaye Wade.
«La mendicité est une plaie sociale et morale parce qu’étant la manifestation dégradante de l’indigence. Le gouvernement aurait dû procéder à des séances d’explication, de concertation et de négociation avec les concernés et les intéressés pour éviter des conséquences fâcheuses.»
Abdoulaye Wilane ajoute que le Parti socialiste aurait souhaité que cette décision ne soit pas le diktat des partenaires étrangers même sous le prétexte d’une aide contre la réduction de la pauvreté. Thierno Ousmane Bah, maître coranique établi dans la banlieue dakaroise juge cette décision contraire aux préceptes islamiques:
«C’est la victoire des ennemies de l’islam. On ne peut pas interdire la mendicité dans un pays majoritairement peuplé de musulmans. Nous allons nous battre pour préserver nos acquis. Sinon ce sont des milliers d’enfants qui sont condamnés à la famine.»
Pourtant, certains chefs religieux sénégalais approuvent l’interdiction de la mendicité et soutiennent que l’islam est contre toute forme d’exploitation. Abdoul Aziz Al Amine, porte-parole de la confrérie des Tidianes, estime que les talibés ne doivent pas servir à enrichir les maîtres coraniques.
«La mendicité ne fait pas partie de l'apprentissage coranique. Les sages de la religion musulmane la pratiquaient pour inculquer l'humilité et le sens du partage à leurs disciples. Aujourd'hui, les “daaras” modernes constituent une bonne solution face au fléau de la mendicité», déclare le guide Tidiane.
Ndèye Khady LO (Pour Slate)
«Quiconque organise la mendicité d'autrui en vue d'en tirer profit, embauche, entraîne ou détourne une personne en vue de la livrer à la mendicité ou exerce sur elle une pression pour qu'elle mendie ou continue à le faire est punie d'un emprisonnement de 2 à 5 ans et d'une amende de 500.000 à 2.000.000 de francs. Il n’y aura pas de sursis à l'exécution de la peine lorsque le délit est commis à l'égard d'un mineur, d'une personne particulièrement vulnérable en raison de son âge ou de son état de santé ayant entraîné une déficience physique ou psychique, de plusieurs personnes, de recours ou d'emploi de la contrainte, de violence ou manoeuvres dolosives sur la personne se livrant à la mendicité.»
«Je te demande ses os»
Un groupe de six talibés (élèves des écoles coraniques, en Wolof), âgés de 3 à 15 ans, errent dans les rues de Guédiawaye, la banlieue dakaroise, à la recherche des âmes charitables. Vêtus de haillons, ils marchent pieds nus sous le chaud soleil hivernal. Le regard apeuré de deux d’entre eux en dit long sur le désarroi qui les habitent. Demba et Ibrahima, âgés de 7 et 4 ans, doivent ramener, chacun, la somme de 350 francs CFA (0,5 euro) avant la tombée de la nuit et ils n’ont pas encore récolté un rond. «Si on ne ramène pas l’argent ou son équivalent en nature, le marabout va nous battre», déclare Demba.
Quand on lui demande de décrire les sévices corporels qu’ils subissent en cas de vaches maigres, Ibrahim fond en larmes. Habib, le plus âgé, raconte ses différentes tentatives de fugue.
«Chaque fois que je craignais d’être sévèrement battu, j’allais à la gare routière pour tenter de rentrer à Pout (région de Thiès, à 70 km de Dakar). A chaque fois, mes parents me ramenaient chez le marabout, qui me corrigeait encore plus sévèrement», explique-t-il.
Selon une pratique bien ancrée, les parents de talibés se dégagent de leurs responsabilités dans l’éducation et la prise en charge de leurs enfants en les confiant aux maîtres coraniques. «Je te demande ses os», la formule consacrée dans ce genre de situation, explique leur désengagement. Elle donne au marabout un droit de vie et de mort sur son disciple.
En ces temps de crise économique, la concurrence venue des pays de la sous-région ne facilite pas leurs affaires. Dans un pays où on s’adonne à toutes sortes de superstitions nécessitant le fait de donner l’aumône, la mendicité est devenue une activité florissante pour les étrangers. Des Maliens, des Nigériens, des Guinéens et des Bissau Guinéens ont envahi le business de la mendicité ces dernières années. Après les mesures prises par le gouvernement, plusieurs contingents de mendiants étrangers ont repris le chemin du retour bien malgré eux.
A Hann Bel Air, une famille de gueux maliens rouspète contre la décision d’interdire la mendicité. Le père, amputé des deux jambes, affichait sans complexe son handicap, à l’avenue Lamine Guèye, pour bénéficier de la pitié des passants. Avec l’interdiction de la mendicité, il songe à retourner à Kayes au Mali avec ses deux femmes et leurs nombreux enfants, tous des mendiants dans différentes artères de Dakar.
«Il nous arrivait souvent de récolter jusqu’à 3.000 francs (5 euros) par jour si on additionne nos recettes. Maintenant, avec les rafles de la police, on n’a même plus la moitié de cette somme. Les Sénégalais sont très généreux avec les handicapés, mais je compte rentrer au Mali parce que ça ne marche plus.»
Sous la pression des bailleurs de fonds américains qui ont octroyé plus de 500 millions de dollars au Sénégal dans le cadre du Millenium Challenge Account (MCA), le gouvernement sénégalais est décidé à «nettoyer» les rues de Dakar. Cette décision fait suite à la publication, en avril, du rapport de Human Right Watch sur la situation des 50.000 talibés qui vivent au Sénégal. Ce document, qui décrit les sévices corporels auxquels font face ces enfants, avait révolté les défenseurs des droits de l’enfant comme Khadija Diop de la Fondation des Talibés du Sénégal (Fets).
Inciter financièrement les marabouts
Elle approuve l’interdiction de la mendicité mais exhorte le gouvernement à collaborer avec les maîtres coraniques. «Nous applaudissons des deux mains car notre principale vocation est de sortir les enfants de la rue», déclare-t-elle. Par ailleurs, elle demande à l’Etat sénégalais de subventionner les marabouts pour éviter qu’ils envoient les enfants dans les rues.
«Nous sommes convaincus que l’Etat ne peut rien faire sans la collaboration des marabouts. Il faut que le gouvernement professionnalise les écoles coraniques. On ne peut pas interdire la mendicité sans des mesures d’accompagnement.»
Abdoulaye Wilane, le porte-parole du Parti socialiste (opposition) trouve, pour sa part, que l’interdiction de la mendicité consacre l’échec de la politique de solidarité nationale du gouvernement d’Abdoulaye Wade.
«La mendicité est une plaie sociale et morale parce qu’étant la manifestation dégradante de l’indigence. Le gouvernement aurait dû procéder à des séances d’explication, de concertation et de négociation avec les concernés et les intéressés pour éviter des conséquences fâcheuses.»
Abdoulaye Wilane ajoute que le Parti socialiste aurait souhaité que cette décision ne soit pas le diktat des partenaires étrangers même sous le prétexte d’une aide contre la réduction de la pauvreté. Thierno Ousmane Bah, maître coranique établi dans la banlieue dakaroise juge cette décision contraire aux préceptes islamiques:
«C’est la victoire des ennemies de l’islam. On ne peut pas interdire la mendicité dans un pays majoritairement peuplé de musulmans. Nous allons nous battre pour préserver nos acquis. Sinon ce sont des milliers d’enfants qui sont condamnés à la famine.»
Pourtant, certains chefs religieux sénégalais approuvent l’interdiction de la mendicité et soutiennent que l’islam est contre toute forme d’exploitation. Abdoul Aziz Al Amine, porte-parole de la confrérie des Tidianes, estime que les talibés ne doivent pas servir à enrichir les maîtres coraniques.
«La mendicité ne fait pas partie de l'apprentissage coranique. Les sages de la religion musulmane la pratiquaient pour inculquer l'humilité et le sens du partage à leurs disciples. Aujourd'hui, les “daaras” modernes constituent une bonne solution face au fléau de la mendicité», déclare le guide Tidiane.
Ndèye Khady LO (Pour Slate)