Originaire de la très pauvre province du Cap-Oriental, la famille Mayengese travaille à la mine de Lonmin, à Marikana, depuis 1987. Plus de vingt ans après la fin de l'apartheid, elle vit toujours dans le bidonville avoisinant de Wonderkop. Une cabane de tôle ondulée à peine plus grande que ne l'était la cellule de Nelson Mandela lorsqu'il était prisonnier. Le père, qui gagne 500 euros par mois, est le seul de la famille à avoir un emploi. Il nourrit cinq enfants et aide ses quatre sœurs, qui vivent au village. Comme 28.000 de ses camarades aujourd'hui en grève, il réclame un salaire de 1250 euros (12.500 rands) par mois.
Les raisons de la colère qui a fait 45 morts en cinq semaines dans les mines sud-africaines sont faciles à comprendre. Mais les conséquences de cette révolte, que même les syndicats traditionnels ne contrôlent plus, sont tous les jours plus difficiles à cerner. Dimanche encore, la police a dispersé une manifestation de mineurs, les empêchant d'entrer dans la ville de Rustenburg, près de Johannesburg. La veille, les forces de l'ordre avaient effectué un raid nocturne pour désarmer les résidents des townships. Le président Jacob Zuma emploie désormais les grands moyens, n'excluant pas d'appeler l'armée pour «restaurer la paix et la stabilité», au risque de perdre sa place de président de l'ANC (Congrès national africain) lors de la grande conférence élective de décembre prochain.
Manipulation
«On peut nous donner n'importe quoi, juste quelque chose…», supplie le chef de la famille Mayengese, un peu gêné par l'attention internationale que le mouvement a créée. Car Thembisa n'est pas un leader. Il n'était pas présent quand des affrontements intersyndicaux ont fait dix morts, début août. Il n'était pas non plus sur la montagne le jour où la police a tué 34 mineurs dans des circonstances encore non élucidées. Mais il suit docilement le mouvement parce qu'il a peur aussi des mineurs, qui menacent avec leurs machettes les briseurs de grève…
Leurs revendications salariales ne datent pas d'hier. Mais l'«effet Marikana» fait boule de neige. La brutalité policière contre les ouvriers de Lonmin, le 16 août dernier, n'a fait que jeter de l'huile sur le feu. Paralysées pendant six semaines au début de l'année 2012, les mines d'Impala Platinum sont de nouveau en grève. Les opérations d'Amplats (Anglo American Platinum) près de Rustenburg ont été interrompues la semaine dernière. Quant à l'australien Aquarius Platinum, quatrième producteur mondial de platine, il a annoncé la suspension jusqu'à dimanche soir de l'activité de sa mine de Kroondal.
«Ce qui nous inquiète vraiment, c'est que le mouvement est en train de s'étendre aux mines d'or», confiait récemment Frans Baleni, secrétaire général de NUM. C'est aujourd'hui fait. Plus de 15.000 travailleurs paralysent la mine KDC de Goldfield.
«C'est de la manipulation. On utilise ces mineurs comme de la chair à canon à des fins politiques», déclare Neil Froneman, directeur exécutif de Goldfield. Car c'est à Goldfield que Julius Malema, l'ex-leader des mouvements de jeunesse de l'ANC exclu après avoir été reconnu coupable d'incitation à la haine contre les Blancs, a appelé la semaine dernière à une grève nationale de cinq jours par mois pour obtenir 12.500 rands de salaire. «C'est une révolution sérieuse, n'abandonnez pas», a-t-il lancé, accusant les syndicats traditionnels d'avoir trahi leur base.
C'est la première fois dans l'Afrique du Sud post-apartheid qu'un mouvement de grève échappe aux leaders syndicaux traditionnels affiliés à la Cosatu (convention des syndicats sud-africains). «Malema joue un jeu dangereux. Il risque d'allumer un feu qu'il ne sera jamais capable d'éteindre», déclarait Patrick Craven, porte-parole de la Cosatu.
À Marikana, les syndicats sont inquiets. L'«accord de paix» signé le 7 septembre à Lonmin par le patronat, les syndicats et le ministère du Travail s'est avéré caduc. Ni l'Amcu, le syndicat dissident des mineurs de la construction, ni les travailleurs eux-mêmes n'ont voulu le ratifier. Samedi, le patronat a doublé la mise en proposant une augmentation d'environ 200 euros par mineur.
«Ce n'est pas l'état d'urgence, mais il faut nous assurer que la paix et la stabilité reviennent dans les zones minières», déclarait, le 14 septembre, à Pretoria, Jeff Radebe. Le ministre de la Justice a fait savoir que le gouvernement ne tolérerait désormais aucune manifestation illégale, aucun port d'armes dangereuses ni aucune forme d'incitation à la violence. Sa police est entrée le lendemain dans les domiciles de mineurs pour confisquer bâtons, armes traditionnelles et machettes. Plus de 1200 soldats étaient déployés dans la zone tout au long du week-end.
Du pain et du Coca-Cola
À Wonderkop, la vie quotidienne était presque normale, dimanche, exception faite des véhicules blindés de l'armée ou de la police positionnés un peu partout dans la township. «On leur avait dit qu'on en avait marre de vivre comme ça. Ils n'ont rien fait. On a continué à voter pour eux. Maintenant, ils tuent nos familles et ils ne font toujours rien. Ça, c'est sûr, on ne vote plus!», explique Primrose Sonti.
La voisine de la famille Mayengese a vu des amis tomber sous les balles de la police sud-africaine. Son fils aussi a été arrêté. Elle soutient sans faillir un mouvement qui l'appauvrit de jour en jour. Comme la famille Mayengese, elle se nourrit désormais de pain et de Coca-Cola. À Marikana, aujourd'hui plus qu'hier, l'important, c'est de tenir.
Par Caroline Dumay
Les raisons de la colère qui a fait 45 morts en cinq semaines dans les mines sud-africaines sont faciles à comprendre. Mais les conséquences de cette révolte, que même les syndicats traditionnels ne contrôlent plus, sont tous les jours plus difficiles à cerner. Dimanche encore, la police a dispersé une manifestation de mineurs, les empêchant d'entrer dans la ville de Rustenburg, près de Johannesburg. La veille, les forces de l'ordre avaient effectué un raid nocturne pour désarmer les résidents des townships. Le président Jacob Zuma emploie désormais les grands moyens, n'excluant pas d'appeler l'armée pour «restaurer la paix et la stabilité», au risque de perdre sa place de président de l'ANC (Congrès national africain) lors de la grande conférence élective de décembre prochain.
Manipulation
«On peut nous donner n'importe quoi, juste quelque chose…», supplie le chef de la famille Mayengese, un peu gêné par l'attention internationale que le mouvement a créée. Car Thembisa n'est pas un leader. Il n'était pas présent quand des affrontements intersyndicaux ont fait dix morts, début août. Il n'était pas non plus sur la montagne le jour où la police a tué 34 mineurs dans des circonstances encore non élucidées. Mais il suit docilement le mouvement parce qu'il a peur aussi des mineurs, qui menacent avec leurs machettes les briseurs de grève…
Leurs revendications salariales ne datent pas d'hier. Mais l'«effet Marikana» fait boule de neige. La brutalité policière contre les ouvriers de Lonmin, le 16 août dernier, n'a fait que jeter de l'huile sur le feu. Paralysées pendant six semaines au début de l'année 2012, les mines d'Impala Platinum sont de nouveau en grève. Les opérations d'Amplats (Anglo American Platinum) près de Rustenburg ont été interrompues la semaine dernière. Quant à l'australien Aquarius Platinum, quatrième producteur mondial de platine, il a annoncé la suspension jusqu'à dimanche soir de l'activité de sa mine de Kroondal.
«Ce qui nous inquiète vraiment, c'est que le mouvement est en train de s'étendre aux mines d'or», confiait récemment Frans Baleni, secrétaire général de NUM. C'est aujourd'hui fait. Plus de 15.000 travailleurs paralysent la mine KDC de Goldfield.
«C'est de la manipulation. On utilise ces mineurs comme de la chair à canon à des fins politiques», déclare Neil Froneman, directeur exécutif de Goldfield. Car c'est à Goldfield que Julius Malema, l'ex-leader des mouvements de jeunesse de l'ANC exclu après avoir été reconnu coupable d'incitation à la haine contre les Blancs, a appelé la semaine dernière à une grève nationale de cinq jours par mois pour obtenir 12.500 rands de salaire. «C'est une révolution sérieuse, n'abandonnez pas», a-t-il lancé, accusant les syndicats traditionnels d'avoir trahi leur base.
C'est la première fois dans l'Afrique du Sud post-apartheid qu'un mouvement de grève échappe aux leaders syndicaux traditionnels affiliés à la Cosatu (convention des syndicats sud-africains). «Malema joue un jeu dangereux. Il risque d'allumer un feu qu'il ne sera jamais capable d'éteindre», déclarait Patrick Craven, porte-parole de la Cosatu.
À Marikana, les syndicats sont inquiets. L'«accord de paix» signé le 7 septembre à Lonmin par le patronat, les syndicats et le ministère du Travail s'est avéré caduc. Ni l'Amcu, le syndicat dissident des mineurs de la construction, ni les travailleurs eux-mêmes n'ont voulu le ratifier. Samedi, le patronat a doublé la mise en proposant une augmentation d'environ 200 euros par mineur.
«Ce n'est pas l'état d'urgence, mais il faut nous assurer que la paix et la stabilité reviennent dans les zones minières», déclarait, le 14 septembre, à Pretoria, Jeff Radebe. Le ministre de la Justice a fait savoir que le gouvernement ne tolérerait désormais aucune manifestation illégale, aucun port d'armes dangereuses ni aucune forme d'incitation à la violence. Sa police est entrée le lendemain dans les domiciles de mineurs pour confisquer bâtons, armes traditionnelles et machettes. Plus de 1200 soldats étaient déployés dans la zone tout au long du week-end.
Du pain et du Coca-Cola
À Wonderkop, la vie quotidienne était presque normale, dimanche, exception faite des véhicules blindés de l'armée ou de la police positionnés un peu partout dans la township. «On leur avait dit qu'on en avait marre de vivre comme ça. Ils n'ont rien fait. On a continué à voter pour eux. Maintenant, ils tuent nos familles et ils ne font toujours rien. Ça, c'est sûr, on ne vote plus!», explique Primrose Sonti.
La voisine de la famille Mayengese a vu des amis tomber sous les balles de la police sud-africaine. Son fils aussi a été arrêté. Elle soutient sans faillir un mouvement qui l'appauvrit de jour en jour. Comme la famille Mayengese, elle se nourrit désormais de pain et de Coca-Cola. À Marikana, aujourd'hui plus qu'hier, l'important, c'est de tenir.
Par Caroline Dumay