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Les mouvements citoyens au Sénégal : les dessous du nouveau positionnement des acteurs

Le jeu politique en cours au Sénégal est devenu complexe. En effet, le paysage politique est en train d’être recomposé, sinon brouillé par un positionnement de multiples acteurs. Les postures de ces derniers portés par des mouvements dits citoyens sont en réalité profilées par des ambitions et des intérêts personnels pudiquement enrobés dans un discours « aux allures nationalistes et citoyennes ». Ainsi dans sa subtile présentation, ce discours est censé être uniquement guidé par la cause nationale. Des acteurs connus de l’espace public et d’autres, qui y effectuent leur baptême de feu, se mettent subitement dans une posture de « nouveaux opposants ». Le label « citoyen » devient le cheval de Troie d’un positionnement dans l’espace public ou plutôt politique.


Rédigé par leral.net le Samedi 29 Mai 2010 à 17:02 | | 2 commentaire(s)|

Ambigüités des mouvements citoyens

L’analyse des profils des chefs de file de ces mouvements montre que leurs leaders ne sont pas n’importe qui. La plupart d’entre eux sont des gens qui ont acquis une certaine célébrité dans des domaines aussi divers que la musique, le religieux, les affaires, les organisations internationales, etc. Ils essaient donc de réinvestir ce capital de célébrité en gains politiques pour asseoir leur positionnement au sein de l’espace public. Particulièrement, ces mouvements citoyens portent dans leurs flancs des frustrations avouées ou inavouées et des ambitions personnelles.

Le mouvement Fekke Maci Bole, de Youssou Ndour entretient le flou total dans sa logique et ses réelles finalités. Selon son initiateur, il s’agit « d’un mouvement de réflexion où les gens vont réfléchir et échanger et choisir le meilleur. Il n’est ni contre le régime ni pour l’opposition » (sic)

Cette position est plus qu’éclectique. Et les Sénégalais avertis auront du mal à croire que ce subit réveil patriotique est uniquement destiné à défendre la cause nationale. D’ailleurs, Talla Sylla a raison de suggérer à son initiateur, « après sa télé, de se mobiliser pour les populations ».

Finalement, l’Etat a accordé à son initiateur la fréquence de télévision qui était sa revendication. Maintenant on s’interroge sur le contenu que son leader va mettre désormais dans son mouvement. En tout cas, il serait peu probable, car piqué dans son amour-propre et après avoir fait monter la pression jusqu’à son point d’ébullition qu’il dissolve son mouvement sous peine d’être accusé d’opportunisme. Du reste, sa jonction avec d’autres mouvements citoyens qui semblent plus radicaux ne lui donne pas d’autres options que de continuer…Mais le fera t’il avec le même enthousiasme ?

Quant au leader du Manifeste citoyen pour la refondation nationale, au moment il occupait des fonctions dans les organisations internationales, le pays sombrait dans le gouffre sur tous les plans. Pourtant, personne n’a jamais senti son « engagement citoyen »

Le premier secrétaire du PS n’a pas tout à fait tort, dans la stratégie de conquête du pouvoir par l’opposition, de se féliciter de la multiplication de ces « mécontents du régime » et de leur adresser un appel du pied dans le cadre d’une union sacrée. Mais ce qu’il ne prend pas en compte est que la prolifération de ces « mouvements citoyens » est un désaveu de l’opposition politique classique. Elle contribuera à brouiller davantage le jeu d’une opposition confrontée à une crise de leadership en son sein. La confusion et le brouillage se corsent lorsque des politiciens endurcis en quête d’une nouvelle crédibilité dans l’espace public recourent à la bannière du « combat citoyen », d’autant plus que la frontière entre l’espace politique et l’espace citoyen n’est pas étanche.

Dans bien des cas, un discours incendiaire est servi par des gens qui ont participé à l’exercice du pouvoir de l’alternance, donc comptables de la gestion des affaires du pays. Probablement, les fibres patriotiques longtemps inhibées par les privilèges dont ils bénéficiaient ne sont réactivées que lorsque les dits privilèges ont été perdus ou menacés. Le courage est un sacerdoce. Il impose d’assumer ses responsabilités en dehors de tout calcul politique. Sinon, la radicalité de certains discours « dits engagés » et dopés à grand renfort de tapage médiatique, quelles que soient les précautions sémantiques prises par leurs auteurs paraîtra toujours suspecte aux yeux d’une opinion avertie et est à verser dans le registre des règlements de comptes et des calculs politiques, le plus souvent sous-tendus par des intérêts purement personnels.


Une société civile en crise d’identité et de repères

L’émergence de ces mouvements citoyens témoigne également d’une disqualification de la société civile qui semble avoir perdu ses repères et son identité. Chevillée aux logiques de leurs bailleurs de fonds occidentaux qui assurent leur survie financière, elle n’est plus maîtresse de ses initiatives. Nous l’avons vue porter des combats pour la légitimation de pratiques aux antipodes de nos valeurs et de notre culture comme l’homosexualité.

Paradoxalement, la bonne gouvernance qui est devenue le cheval de bataille de la société civile et qui devrait d’abord être pratiquée en son sein suivant la logique de la pédagogie par l’exemple ne l’est pas. Au contraire, le fonctionnement de nombreuses organisations de la société civile continue d’être caractérisé par l’absence de démocratie interne. Le copinage, l’opacité, le détournement d’objectifs à des fins d’enrichissement personnel, les manœuvres souterraines et des systèmes de verrouillage pour s’éterniser aux postes-clé sont des tares qui minent la plupart des organisations de la société civile, pourtant promptes à jeter bruyamment l’anathème sur le pouvoir.

Pendant les joutes électorales, on se demande ce qui différencie réellement le personnel de la société civile du personnel politique. En effet, certaines personnes qui se réclament de la société civile sont carrément cooptées sur la liste des candidats des partis politiques tandis que d’autres dressent des listes en coalition ou en concurrence avec celles des partis politiques.

Mouvements citoyens : une autre manière subtile de faire la politique

Pour certains intellectuels et des personnes dopées par leur « célébrité », et soucieuses de réinvestir cette popularité en gains politiques, le mouvement citoyen est un moyen, un raccourci pour entrer dans le champ politique sans apparaître comme un politicien et sans grand frais. Par sa souplesse organisationnelle, Il permet également de faire l’économie de lourdeurs liées à la gestion des partis politiques.

Même s’ils s’en défendent, ces mouvements citoyens sont en réalité des mouvements politiques d’autant plus que non seulement les actes qu’ils posent sont politiques mais aussi l’espace qu’ils occupent est purement politique, les acteurs qu’ils interpellent sont également politiques de même que leur agenda est politique.

L’approche éthique qui structure leur vision manichéenne des acteurs politiques et leurs sorties au vitriol contre le pouvoir médiatiquement amplifiées sont uniquement destinées à se donner une bonne conscience et apparaître aux yeux de l’opinion comme les nouveaux porte-voix d’alternatives messianiques douteuses.

Une menace contre la démocratie

Sous ce rapport, le mouvement citoyen risque d’être un instrument de chantage face au pouvoir en place pour monnayer sournoisement des positionnements, un outil de promotion individuelle et un moyen de solder des comptes personnels. Ainsi des scénarii subtils se trament à l’insu du citoyen qui, emporté par ses sentiments d’émotion affective et de compassion, comme au sein d’un groupe de fans n’use plus de son exercice de critique. Sous cet angle, n’importe quelle « célébrité » et peu importent le domaine dans lequel elle évolue et ses compétences, grâce uniquement au capital de sympathie dont elle bénéficie pourrait un jour décider de nos destins, exercer selon ses intérêts personnels une influence sur le pouvoir et régler ses contentieux avec ce dernier en snobant royalement la justice. « L’effet presse » et les coups médiatiques servant d’amplificateur aux « forces » réelles ou supposées du mouvement dans le jeu politique.

A y regarder de près, la prolifération tous azimuts de ces mouvements dits citoyens constitue même une menace contre la démocratie. Car personne ne pourra maîtriser avec certitude les formes qu’ils pourront revêtir encore moins la nature réelle des revendications qui seront portées par ces mouvements.

La fin ne doit pas justifier les moyens. Le combat et le débat démocratiques doivent être menés avec sérénité et lucidité, loin des rancœurs partisanes sinon, aveuglés par nos objectifs à court terme, nous n’aurons pas le recul critique nécessaire avant de cautionner certains phénomènes porteurs de potentiels risques dans le jeu démocratique et qui sait, pour la stabilité de notre pays ?

Mamadou Khouma professeur au LEG Diourbel

Wkhouma@yahoo.fr

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1.Posté par le solitaire le 30/05/2010 18:58 | Alerter
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Excellent article. Très bonne analyse. Félicitations Mr Khouma. vous êtes un GRAND.

2.Posté par nureini le 31/05/2010 14:04 | Alerter
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vous avez appris aux journalistes comment faire une analyse neutre et pertinente!!!
bravo mr khouma!!!

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