En effet, face à la sensibilité de la problématique de la mendicité des taalibe, les bailleurs de fonds allouent des ressources financières aux organismes qui œuvrent dans la lutte contre ce phénomène. Cela a entrainé, à coté de l’Etat et de ses démembrements, une prolifération d’intervenants, appelés dans le jargon des opérations développementalistes "courtiers" ou "intermédiaires", avec l’unique motivation, le captage de fonds destinés aux enfants démunis. Il s’agit d’Ong, d’Ocb, d’associations religieuses.
Les Ong et les Ocb servent d’intermédiaires entre les bailleurs de fonds occidentaux et les taalibe ; les associations islamiques servent d’intermédiaires entre les pays arabes et les taalibe. La survie des intermédiaires dépend directement de leur insertion dans l'arène développementaliste et ils sont engagés dans des stratégies de captation des ressources allouées aux enfants démunis. Ils se mènent une véritable concurrence et l’Etat se refuse de jouer son rôle dans la régulation et la coordination de ces ressources. Ils amplifient à dessein les conditions de vie déjà drastiques des taalibe et amplifient leur nombre.
Au Sénégal, déjà en 1967, un recensement effectué par le Secrétariat à la promotion humaine chiffre l’effectif des enfants taalibe mendiants, âgés de 6 à 14 ans, à 6.300 pour la ville de Dakar. Au début des années 1980, les recensements effectués par l’Union Nationale des Écoles Coraniques (Unec) estiment l’effectif des taalibe au Sénégal à 60.000. En 1989, la Gouvernance estime qu’il y avait dans la région de Dakar plus de 90.000 mendiants. En octobre 1991, une étude de l’Unicef sur la situation de l’enfant et de la femme au Sénégal évalue de 50.000 à 100.000 le nombre de taalibe mendiants.
De nos jours, une partie des médias reprennent les statistiques données par Pape Tall dans la revue Jeuda 109, dans son analyse de l’économie de la mendicité des taalibe. Il a soutenu que les taalibe sont au nombre de 100.000 et qu’ils reçoivent 100 francs Cfa les jours ordinaires, 500 francs Cfa les jours ordinaires de vendredi, 600 francs Cfa lors des jours de sacrifices et offrandes ordinaires et 1.000 francs Cfa lors des jours de sacrifices et offrandes de vendredi. D’après sa conclusion, la mendicité des taalibe rapporte 2.280.000.000 francs Cfa par mois.
Mais, ce chiffre est contestable puisque rien ne prouve que les taalibe sont au nombre de 100.000 ; même si les taalibe étaient au nombre de 100.000, ils ne se livrent pas tous à la mendicité ; même s’ils se livraient tous à la mendicité, il y en, a sans aucun doute, certains qui ne versent pas d’argent à leurs seriñ-daara. Aucune institution officielle, l’Etat et l’Inspection des daara y compris, ne connait l’effectif des taalibe au Sénégal.
L’Etat, les journalistes et les universitaires etc. doivent savoir que le calcul des revenus de la mendicité réalisé par Pape Tall n’a rien de scientifique et est sans aucun fondement plausible. Il a pour ambitions d’aggraver l’ampleur du phénomène de la mendicité afin d’inciter les bailleurs occidentaux à débloquer davantage de fonds pour la lutte contre ce phénomène. Cette attitude n’est pas seulement spécifique au Sénégal car des chercheurs ont noté dans d’autres pays que, selon les intérêts qui sont en jeu, le processus de sur évaluation, de sous estimation et même de négation de certains phénomènes est très fréquent.
L’impossibilité de déterminer l’effectif et les revenus de taalibe est prouvée par le fait que les chiffres de Pape Tall et des Ong ne précisent pas de quels types de taalibe dont il s’agit. S’agit-il de taalibe-mendiants ou de taalibe-non mendiants ? On ne sait pas non plus sur quelle localité porte les recensements ? Est-elle la ville de Dakar, la région de Dakar, l’ensemble du territoire sénégalais ? Ces chiffres ne dissocient pas les taalibe des enfants de la rue. Il peut s’agir du nombre d’enfants mendiants, du nombre de taalibe-mendiants, du nombre d’enfants de la rue, ou encore du nombre global de taalibe.
Or, la composition des enfants de la rue est très hétérogène ; il y a : des enfants issus de familles disloquées, des enfants non-reconnus par leurs pères, des enfants abandonnés, des enfants orphelins de père et/ou de mère, des enfants-jumeaux, des enfants maltraités par leurs parents ou par leurs tuteurs, des enfants issus de familles de drogués, des enfants de mendiants, des enfants dont le père et/ou la mère est en prison, des enfants rejetés par leurs familles à cause de leur délinquance, des enfants ayant honte de retourner chez eux après un séjour en prison, des enfants handicapés utilisés comme mendiants, des enfants conducteurs d'aveugles, des fugueurs échappés d'une daara, des exclus du système éducatif, etc.
Egalement, comme l’a noté Khadim Mbacké, rien ne prouve que la majorité des enfants mendiants sont des élèves de l’école coranique. Il est vrai qu’au départ, ce sont ces élèves qui mendiaient, mais on trouve de nos jours beaucoup d’enfants mendiants qui n’appartiennent à aucune école coranique. Ce qui ne les empêche pas de s’arroger le titre de taalibe sachant que seul ce titre peut justifier leur comportement aux yeux des donateurs et susciter leur sympathie.
Au Sénégal, certaines personnes considèrent, à tort, comme taalibe tous les enfants sales qui se livrent à la mendicité. Mais, le taalibe ne se définit nullement à travers la mendicité ; ces deux concepts sont même indépendants l’un de l’autre, car il existe des taalibe qui se livrent à la mendicité, comme il y’en a d’autres qui ne la pratiquent pas. Aussi des aveugles et des handicapés quémandent, mais cette mendicité ne fait pas d’eux des taalibe ; ils sont tout simplement des mendiants et non des taalibe. Si le taalibe se définissait par la mendicité, tous les taalibe seraient des mendiants et tous les mendiants seraient des taalibe.
Pour nous, le taalibe est toute personne confiée à un seriñ d’une daara auprès de qui il étudie le Coran et/ou les sciences islamiques en vue d’une maîtrise du Coran, des connaissances, des valeurs et des pratiques de l’Islaam. Á la lumière de cette définition, nous retenons que tout taalibe est sous la responsabilité d’un seriñ-daara et étudie impérativement le Coran et/ou les sciences islamiques et cette éducation se déroule dans une daara.
Ces taalibe sont de deux ordres : d’un coté, les baydo qui sont les petits taalibe qui apprennent uniquement le Coran ; de l’autre, les sanda qui sont les grands taalibe qui allient l’apprentissage du Coran et des sciences islamiques et littéraires ou qui ont déjà mémorisé le Coran et qui restent dans la daara pour la révision et l’apprentissage des sciences islamiques et littéraires.
Mouhamadou Mansour Dia
Docteur en Sociologie, chercheur à l’Ucad, spécialisé en sociologie des religions
Email : almansourdia@hotmail.com
Les Ong et les Ocb servent d’intermédiaires entre les bailleurs de fonds occidentaux et les taalibe ; les associations islamiques servent d’intermédiaires entre les pays arabes et les taalibe. La survie des intermédiaires dépend directement de leur insertion dans l'arène développementaliste et ils sont engagés dans des stratégies de captation des ressources allouées aux enfants démunis. Ils se mènent une véritable concurrence et l’Etat se refuse de jouer son rôle dans la régulation et la coordination de ces ressources. Ils amplifient à dessein les conditions de vie déjà drastiques des taalibe et amplifient leur nombre.
Au Sénégal, déjà en 1967, un recensement effectué par le Secrétariat à la promotion humaine chiffre l’effectif des enfants taalibe mendiants, âgés de 6 à 14 ans, à 6.300 pour la ville de Dakar. Au début des années 1980, les recensements effectués par l’Union Nationale des Écoles Coraniques (Unec) estiment l’effectif des taalibe au Sénégal à 60.000. En 1989, la Gouvernance estime qu’il y avait dans la région de Dakar plus de 90.000 mendiants. En octobre 1991, une étude de l’Unicef sur la situation de l’enfant et de la femme au Sénégal évalue de 50.000 à 100.000 le nombre de taalibe mendiants.
De nos jours, une partie des médias reprennent les statistiques données par Pape Tall dans la revue Jeuda 109, dans son analyse de l’économie de la mendicité des taalibe. Il a soutenu que les taalibe sont au nombre de 100.000 et qu’ils reçoivent 100 francs Cfa les jours ordinaires, 500 francs Cfa les jours ordinaires de vendredi, 600 francs Cfa lors des jours de sacrifices et offrandes ordinaires et 1.000 francs Cfa lors des jours de sacrifices et offrandes de vendredi. D’après sa conclusion, la mendicité des taalibe rapporte 2.280.000.000 francs Cfa par mois.
Mais, ce chiffre est contestable puisque rien ne prouve que les taalibe sont au nombre de 100.000 ; même si les taalibe étaient au nombre de 100.000, ils ne se livrent pas tous à la mendicité ; même s’ils se livraient tous à la mendicité, il y en, a sans aucun doute, certains qui ne versent pas d’argent à leurs seriñ-daara. Aucune institution officielle, l’Etat et l’Inspection des daara y compris, ne connait l’effectif des taalibe au Sénégal.
L’Etat, les journalistes et les universitaires etc. doivent savoir que le calcul des revenus de la mendicité réalisé par Pape Tall n’a rien de scientifique et est sans aucun fondement plausible. Il a pour ambitions d’aggraver l’ampleur du phénomène de la mendicité afin d’inciter les bailleurs occidentaux à débloquer davantage de fonds pour la lutte contre ce phénomène. Cette attitude n’est pas seulement spécifique au Sénégal car des chercheurs ont noté dans d’autres pays que, selon les intérêts qui sont en jeu, le processus de sur évaluation, de sous estimation et même de négation de certains phénomènes est très fréquent.
L’impossibilité de déterminer l’effectif et les revenus de taalibe est prouvée par le fait que les chiffres de Pape Tall et des Ong ne précisent pas de quels types de taalibe dont il s’agit. S’agit-il de taalibe-mendiants ou de taalibe-non mendiants ? On ne sait pas non plus sur quelle localité porte les recensements ? Est-elle la ville de Dakar, la région de Dakar, l’ensemble du territoire sénégalais ? Ces chiffres ne dissocient pas les taalibe des enfants de la rue. Il peut s’agir du nombre d’enfants mendiants, du nombre de taalibe-mendiants, du nombre d’enfants de la rue, ou encore du nombre global de taalibe.
Or, la composition des enfants de la rue est très hétérogène ; il y a : des enfants issus de familles disloquées, des enfants non-reconnus par leurs pères, des enfants abandonnés, des enfants orphelins de père et/ou de mère, des enfants-jumeaux, des enfants maltraités par leurs parents ou par leurs tuteurs, des enfants issus de familles de drogués, des enfants de mendiants, des enfants dont le père et/ou la mère est en prison, des enfants rejetés par leurs familles à cause de leur délinquance, des enfants ayant honte de retourner chez eux après un séjour en prison, des enfants handicapés utilisés comme mendiants, des enfants conducteurs d'aveugles, des fugueurs échappés d'une daara, des exclus du système éducatif, etc.
Egalement, comme l’a noté Khadim Mbacké, rien ne prouve que la majorité des enfants mendiants sont des élèves de l’école coranique. Il est vrai qu’au départ, ce sont ces élèves qui mendiaient, mais on trouve de nos jours beaucoup d’enfants mendiants qui n’appartiennent à aucune école coranique. Ce qui ne les empêche pas de s’arroger le titre de taalibe sachant que seul ce titre peut justifier leur comportement aux yeux des donateurs et susciter leur sympathie.
Au Sénégal, certaines personnes considèrent, à tort, comme taalibe tous les enfants sales qui se livrent à la mendicité. Mais, le taalibe ne se définit nullement à travers la mendicité ; ces deux concepts sont même indépendants l’un de l’autre, car il existe des taalibe qui se livrent à la mendicité, comme il y’en a d’autres qui ne la pratiquent pas. Aussi des aveugles et des handicapés quémandent, mais cette mendicité ne fait pas d’eux des taalibe ; ils sont tout simplement des mendiants et non des taalibe. Si le taalibe se définissait par la mendicité, tous les taalibe seraient des mendiants et tous les mendiants seraient des taalibe.
Pour nous, le taalibe est toute personne confiée à un seriñ d’une daara auprès de qui il étudie le Coran et/ou les sciences islamiques en vue d’une maîtrise du Coran, des connaissances, des valeurs et des pratiques de l’Islaam. Á la lumière de cette définition, nous retenons que tout taalibe est sous la responsabilité d’un seriñ-daara et étudie impérativement le Coran et/ou les sciences islamiques et cette éducation se déroule dans une daara.
Ces taalibe sont de deux ordres : d’un coté, les baydo qui sont les petits taalibe qui apprennent uniquement le Coran ; de l’autre, les sanda qui sont les grands taalibe qui allient l’apprentissage du Coran et des sciences islamiques et littéraires ou qui ont déjà mémorisé le Coran et qui restent dans la daara pour la révision et l’apprentissage des sciences islamiques et littéraires.
Mouhamadou Mansour Dia
Docteur en Sociologie, chercheur à l’Ucad, spécialisé en sociologie des religions
Email : almansourdia@hotmail.com