Le général Olivier de Bavinchove est le chef d'état-major de l'Isaf, le bras armé de l'Otan en Afghanistan. Il commande également l'Eurocorps et les forces françaises en Afghanistan. À ce titre, il supervise le retrait français.
LE FIGARO. - Quel bilan tirez-vous des onze ans de présence de l'Otan en Afghanistan?
Général de BAVINCHOVE. - Nous avons apporté à ce pays un changement radical. C'était un monde hostile, replié sur lui-même, parfois moyenâgeux, auquel nous avons donné une ouverture, de nouveaux modes de fonctionnement, un système éducatif en construction et une bien plus grande sécurité.
Des soldats américains vont remplacer les soldats français en Kapissa: la France part-elle avant d'avoir achevé le travail?
Entre 200 à 250 Américains seulement vont succéder aux Français, c'est donc que la situation s'est nettement améliorée en Kapissa. En outre, ils ne seront pas chargés de mener les opérations mais d'aider les Afghans à accomplir leurs missions sécuritaires.
Dans d'autres provinces transférées, l'armée afghane combat sans l'aide de la coalition. La Kapissa est-elle particulièrement problématique ou stratégique?
La vraie différence, c'est que la Kapissa est très proche de la capitale. Et ce qui se passe dans le grand Kaboul résonne dans le monde entier. Dans des provinces plus éloignées des centres urbains, nous pouvons prendre certains risques parce que nous considérons que la menace est faible ou qu'elle ne remettra pas en question le processus de transition. En revanche, pour tout ce qui touche au grand Kaboul, nous ne sommes pas prêts à prendre de risque. Ce sont donc des mesures de prudence.
Depuis la mort de 11 soldats français l'été dernier, nos troupes ne sortent presque plus de leurs bases. Avez-vous eu des directives en ce sens?
Le devoir de tout chef, en tout temps et en tout lieu, est de préserver la vie de ses soldats. Jamais nous n'avons imaginé prendre des risques inconsidérés. Il se trouve que la décision de l'Isaf de démarrer le processus de transition au printemps 2011 a coïncidé avec les décisions prises en France. Nous sommes en Afghanistan depuis presque onze ans, deux fois la durée de la Première Guerre mondiale. Il existe dans nos pays une lassitude vis-à-vis de l'Afghanistan parce que nous avons fait énormément pour ce pays, plus que pour aucun autre pays au monde. Il est temps que les Afghans prennent leurs responsabilités.
La France a passé des accords avec les pays du Nord pour faire transiter le matériel militaire rapatrié. Pourquoi n'empruntons-nous pas ces voies de sortie?
Il reste des détails techniques à régler - taxes, horaires de passage, type de matériel. Cela prend du temps, mais je pense qu'au début de l'an prochain, nous aurons à la fois résorbé l'embouteillage à Karachi - qui nous empêche pour le moment de faire transiter du matériel par le Pakistan - et ces détails techniques avec les pays du Nord. Nous pourrons ainsi accélérer l'évacuation du matériel.
Les attaques «green on blue», de soldats afghans contre les forces de la coalition, se multiplient: comment analysez-vous cette «menace de l'intérieur»?
La menace de l'intérieur est réelle. Le général Allen a d'ailleurs dit au président Karzaï: «Nous sommes prêts à mourir pour votre pays parce que c'est la mission qui nous a été confiée par nos chefs. Mais nous ne sommes pas prêts à être assassinés par vos propres soldats.» Ces soldats qui s'en prennent à nos forces sont très souvent non éduqués, illettrés. Nous avons eu 45 morts dans ces incidents depuis le début de l'année et à peu près un quart de ces pertes sont attribuables aux talibans. Dans les autres cas, certains n'avaient pas eu leur solde depuis deux mois ou avaient vu une permission refusée…
L'Otan a voulu bâtir une armée de 352.000 hommes en cinq ans. N'a-t-elle pas recruté un peu n'importe qui?
Avions-nous le choix? Il est clair que si nous voulons rendre le maximum de souveraineté à l'État afghan, nous devons nous retirer. Mais encore faut-il que les forces de sécurité soient à la hauteur des défis qui subsistent dans ce pays. Après 2014, les forces afghanes devront encore faire face à des situations assez difficiles. Alors oui, nous avons fait beaucoup de recrutements à bride abattue. Mais nous avons aussi pris des mesures pour éviter que des infiltrations ne menacent nos forces.
La France pourrait-elle renoncer à maintenir des instructeurs après 2014?
Nos formateurs travaillent avec des recrues sans munitions. Nous sommes dans la formation académique et non avec des unités de combat, le risque est donc moindre.
N'êtes-vous pas inquiet de voir les insurgés continuer leurs attaques tous azimuts?
Il s'agit le plus souvent d'attaques à portée médiatique, mais sans portée militaire et stratégique. Cela démontre une capacité à harceler, mais il n'y a pas de reprise du terrain, ce sont des actions sans lendemain. Plus de 80% des Afghans vivent désormais dans des régions stabilisées.
Pourtant, l'Otan mène actuellement une vaste offensive contre-insurrectionnelle près de la frontière du Pakistan?
L'objectif de cette campagne est de repousser l'insurrection loin de la route no 1, pour permettre la libre circulation entre Kandahar et Kaboul. Mais les talibans ont perdu la main. Ils ont perdu le soutien de la population. Ils se sont réfugiés dans des actions localisées et presque toujours suicidaires. À Ghazni et aux alentours de Kaboul, la population est excédée car elle souffre bien plus que nous de ces attaques. On la voit même se révolter. Il n'y avait pas ce genre de manifestations l'année dernière. Les Afghans se prennent en charge. Ils ont compris que c'était à eux de choisir et ils ne sont pas décidés à retomber dans le régime de la terreur.
Par Maeva Bambuck
LE FIGARO. - Quel bilan tirez-vous des onze ans de présence de l'Otan en Afghanistan?
Général de BAVINCHOVE. - Nous avons apporté à ce pays un changement radical. C'était un monde hostile, replié sur lui-même, parfois moyenâgeux, auquel nous avons donné une ouverture, de nouveaux modes de fonctionnement, un système éducatif en construction et une bien plus grande sécurité.
Des soldats américains vont remplacer les soldats français en Kapissa: la France part-elle avant d'avoir achevé le travail?
Entre 200 à 250 Américains seulement vont succéder aux Français, c'est donc que la situation s'est nettement améliorée en Kapissa. En outre, ils ne seront pas chargés de mener les opérations mais d'aider les Afghans à accomplir leurs missions sécuritaires.
Dans d'autres provinces transférées, l'armée afghane combat sans l'aide de la coalition. La Kapissa est-elle particulièrement problématique ou stratégique?
La vraie différence, c'est que la Kapissa est très proche de la capitale. Et ce qui se passe dans le grand Kaboul résonne dans le monde entier. Dans des provinces plus éloignées des centres urbains, nous pouvons prendre certains risques parce que nous considérons que la menace est faible ou qu'elle ne remettra pas en question le processus de transition. En revanche, pour tout ce qui touche au grand Kaboul, nous ne sommes pas prêts à prendre de risque. Ce sont donc des mesures de prudence.
Depuis la mort de 11 soldats français l'été dernier, nos troupes ne sortent presque plus de leurs bases. Avez-vous eu des directives en ce sens?
Le devoir de tout chef, en tout temps et en tout lieu, est de préserver la vie de ses soldats. Jamais nous n'avons imaginé prendre des risques inconsidérés. Il se trouve que la décision de l'Isaf de démarrer le processus de transition au printemps 2011 a coïncidé avec les décisions prises en France. Nous sommes en Afghanistan depuis presque onze ans, deux fois la durée de la Première Guerre mondiale. Il existe dans nos pays une lassitude vis-à-vis de l'Afghanistan parce que nous avons fait énormément pour ce pays, plus que pour aucun autre pays au monde. Il est temps que les Afghans prennent leurs responsabilités.
La France a passé des accords avec les pays du Nord pour faire transiter le matériel militaire rapatrié. Pourquoi n'empruntons-nous pas ces voies de sortie?
Il reste des détails techniques à régler - taxes, horaires de passage, type de matériel. Cela prend du temps, mais je pense qu'au début de l'an prochain, nous aurons à la fois résorbé l'embouteillage à Karachi - qui nous empêche pour le moment de faire transiter du matériel par le Pakistan - et ces détails techniques avec les pays du Nord. Nous pourrons ainsi accélérer l'évacuation du matériel.
Les attaques «green on blue», de soldats afghans contre les forces de la coalition, se multiplient: comment analysez-vous cette «menace de l'intérieur»?
La menace de l'intérieur est réelle. Le général Allen a d'ailleurs dit au président Karzaï: «Nous sommes prêts à mourir pour votre pays parce que c'est la mission qui nous a été confiée par nos chefs. Mais nous ne sommes pas prêts à être assassinés par vos propres soldats.» Ces soldats qui s'en prennent à nos forces sont très souvent non éduqués, illettrés. Nous avons eu 45 morts dans ces incidents depuis le début de l'année et à peu près un quart de ces pertes sont attribuables aux talibans. Dans les autres cas, certains n'avaient pas eu leur solde depuis deux mois ou avaient vu une permission refusée…
L'Otan a voulu bâtir une armée de 352.000 hommes en cinq ans. N'a-t-elle pas recruté un peu n'importe qui?
Avions-nous le choix? Il est clair que si nous voulons rendre le maximum de souveraineté à l'État afghan, nous devons nous retirer. Mais encore faut-il que les forces de sécurité soient à la hauteur des défis qui subsistent dans ce pays. Après 2014, les forces afghanes devront encore faire face à des situations assez difficiles. Alors oui, nous avons fait beaucoup de recrutements à bride abattue. Mais nous avons aussi pris des mesures pour éviter que des infiltrations ne menacent nos forces.
La France pourrait-elle renoncer à maintenir des instructeurs après 2014?
Nos formateurs travaillent avec des recrues sans munitions. Nous sommes dans la formation académique et non avec des unités de combat, le risque est donc moindre.
N'êtes-vous pas inquiet de voir les insurgés continuer leurs attaques tous azimuts?
Il s'agit le plus souvent d'attaques à portée médiatique, mais sans portée militaire et stratégique. Cela démontre une capacité à harceler, mais il n'y a pas de reprise du terrain, ce sont des actions sans lendemain. Plus de 80% des Afghans vivent désormais dans des régions stabilisées.
Pourtant, l'Otan mène actuellement une vaste offensive contre-insurrectionnelle près de la frontière du Pakistan?
L'objectif de cette campagne est de repousser l'insurrection loin de la route no 1, pour permettre la libre circulation entre Kandahar et Kaboul. Mais les talibans ont perdu la main. Ils ont perdu le soutien de la population. Ils se sont réfugiés dans des actions localisées et presque toujours suicidaires. À Ghazni et aux alentours de Kaboul, la population est excédée car elle souffre bien plus que nous de ces attaques. On la voit même se révolter. Il n'y avait pas ce genre de manifestations l'année dernière. Les Afghans se prennent en charge. Ils ont compris que c'était à eux de choisir et ils ne sont pas décidés à retomber dans le régime de la terreur.
Par Maeva Bambuck