Mame Maodo (Mame El Hadji Malick Sy) était un éminent intellectuel qui s’était installé à Ndar (Saint Louis) qui fut le plus grand carrefour religieux de la sous-région à l’époque. Il fut à Saint-Louis pour se perfectionner et pour approfondir ses connaissances religieuses. Mame Maodo était un grand leader.
Le leadership c’est la capacité d’un homme à prendre ses responsabilités et à fédérer les énergies du plus grand nombre vers un objectif de bien commun. Mame Maodo était un grand leader et pour mieux apprécier la grandeur de son leadership il faut connaitre ce que représentait Ndar, ce qu’était réellement Ndar (Saint Louis) en 1895 avant son départ.
La grandeur spirituelle de Ndar (Saint Louis) en 1895 était le fruit d’une vague migratoire d’érudits et de saints hommes venant du Fouta, du Walo, du Baol, du Saloum, du Diambour, du Cayor et de la Mauritanie etc. Ce brassage intellectuel et culturel d’origine géographique et ethnique diverses, allait être à l’origine de la naissance du plus grand carrefour islamique de la sous-région. L’effervescence religieuse de Saint Louis en 1895 s’expliquait donc par ce brassage qui avait créé cette synergie de créativité et d’effusion culturelle et mystique provenant d’intellectuels multi-dimensionnels qui avaient eu à marquer de leur empreinte la vie socioreligieuse de Ndar (Saint Louis).
Partout dans le monde, de grands foyers religieux ont été bâtis à partir d’un brassage intellectuel et culturel, à partir d’apports convergents qui ont fécondé l’héritage trouvé sur place. Ndar (Saint Louis) carrefour de civilisation, pont culturel entre l’Afrique noire, l’occident et le Maghreb, n’avait pas échappé à la règle à l’image de Cordoue en Andalousie entre le 6*siecle et le 13*siecle, de Koufa et Basra au 8*siecle, de Bagdad puis du Caire à partir du du 9*siecle, de Kairouan entre le 9* et le 11* siecle, de Fés et de Marrakech entre le 16* et le 18*siecle, de Tombuctou au 16*siecle et de Pire entre le 18* et le 19* siécle, qui ont été des foyers où la science et la foi ont rayonné. Ndar (Saint Louis) au cours des siécles avait gagné la réputation de carrefour de rencontre d’érudits et de saints.
Ses habitants hébergeaient et nourissaient tous ceux qui y venaient pour entamer, compléter ou approfondir leurs connaissances religieuses. Ses visiteurs étaient imam, cadis, maitres coraniques, juristes consultes, théologiens, soufis, guides confrériques, prédicateurs, poètes, écrivains etc…Ils étaient accueillis pour les saints louisiens avides de savoir.
Parmi ces éminents érudits nous pouvons en citer : Diakha Cissé Madior (originaire du Saloum) et grand père de El Hadji Madior Cissé, Mor Massamba Diery Dieng (originaire de Kebemer) tuteur et bienfaiteur de Mame Maodo et qui avait donné ses deux filles à Mame Maodo (Yacine Dieng en 1891) et à Amadou Ndiaye Mabeye (Anta Dieng), la famille Bou El Mogdad père et fils (originaire de Saint Louis), Thierno Malick Kane, Thierno Souleymane Hanne et sa descendance dont son fils Ndiaye Hanne (tous originaire du Fouta), Amadou Ndiaye Mabeye et parmi tant d’autres grands érudits.
C’est de ce bassin de sainteté, lieu de résidence d’éminents érudits, qu’un homme, ayant pris conscience du danger qui guettait le Sénégal (sens de la responsabilité), allait émerger et se détacher en 1895 pour aller mettre en place à Ndiarndé (sens du leadership) l’un des plus grands projets de résistance culturel jamais réalisé en Afrique. Son projet avait pour dessein de contrecarrer le projet d’assimilation culturelle des autorités française.
Mame Maodo était un pédagogue, il s’installa à Ndiarndé après une longue réflexion. Le choix de Ndiarndé n’était pas gratuit, le fait que sa première femme (Mame Rokhaya Ndiaye) l’y précéda aussi n’était pas gratuit, tout répondait à une logique. Au-delà d’être un saint homme, il était un fin stratège, un fin politique doté d’une grande dimension rationnelle, un intellectuel qui était conscient des enjeux de l’époque (assimilation du peuple sénégalais). En 1895 Mame Maodo maîtrisait les enjeux et il avait réfléchi sur une réponse politique efficace pour faire face.
Aujourd’hui le Khalifat de Tivaoune a besoin de ce leadership, il a besoin d’une réincarnation de ce Mame Maodo. Tivaouane a besoin d’un Khalifat conscient des enjeux de l’heure dans ce monde de science et de technique, frappé par des crises diverses (sanitaire, économique et sociale).
La confrérie Tidjiane au-delà d’être une structure confessionnelle est avant tout une structure politique et organisationnelle. Sa légitimité ne se limite pas à un rôle spirituel (sauvegarde d’un leg religieux (khalifat) et accompagnement spirituel des talibés) mais elle englobe un rôle politique de management d’une Tarikha.
Le prophète Mouhammed PSL n’était pas venu uniquement dans ce monde pour bâtir une nouvelle religion mais il était là aussi pour bâtir un projet de société, une nouvelle organisation politique, sociale et économique. Il devait installer les bases d’une société juste, égalitaire, équitable et prospère. Mame Maodo avait hérité de ces dispositions du prophète et comme l’avait fait à prophète à Médine, il allait transformer Tivaoune et reconcilier les cœurs avec l’islam.
Les cités de Médine et de Tivaoune avaient accueilli le prophète Mouhammed et Mame Maodo. Ils furent des terres qui n’étaient pas éclairées par la pratique islamique avant leur installation, des terres à conquérir. Que cela soit à Médine ou à Tivaoune il y avait des communautés à islamiser, une fraternité à installer entre elles et au final des cités à métamorphoser pour en faire une base de l’islam pure. Ce travail dans ces deux cités nécessitait une volonté, une organisation, des consensus, de la tolérance donc un savoir faire politique et organisationnel. Ils réussiront à faire de ces cités des bastions de l’islam pur.
Le prophète Mouhammed avait reçu un leg, l’islam, un leg qui était passé entre les mains de plus de 100.000 prophètes et de plus de 300 rassouls. Il fut le dernier à l’avoir reçu et à l’avoir propagé sous la forme voulue par Dieu. Mame Maodo avait aussi reçu un leg, la Tidjiania, un leg qui était passé entre les mains de trois khalifes : Cheikh Ahmed Tidiane Chérif, Mouhammed Al Ghaly et El Hadji Omar Tall. Il fut le dernier à en avoir hérité après d’énormes sacrifices.
Cheikh Ahmed Tidjiane Cherif (Maghreb) et Mouhammad Al Ghaly (Moyen Orient) avaient évolué dans un environnement islamique propice à l’épanouissement de la Tarikha Tidjiane. C’était tout le contraire de Mame Maodo qui avait évolué dans un environnement colonial hostile.
Le Sénégal de Mame Maodo fut un Sénégal où l’islam n’était pas très bien connu, ni très bien pratiqué contrairement au Maghreb de Cheikh Ahmed Tidjiane Cherif ou au Moyen Orient de Mouhammed Al Ghaly. Il fut aussi un Sénégal où tous les résistants (marabouts guerriers ou rois de provinces) avaient été tous tués. Il fut un Sénégal sous l’emprise totale des puissants colons français, un Sénégal dangereux pour toute personne défendant ou promouvant un projet horizontal ou des idées contraires à l’idéal politique et social des colons. Face à toutes les puissances et forces dévastatrices et face au plus grand projet d’anéantissement des valeurs de l’islam (projet AOF), Mame Maodo avait trouvé une réponse pour contrer le projet d’acculturation et d’assimilation du peuple sénégalais.
Cette réponse, il ne le tirera pas de son Batine ou de sa dimension spirituelle mais de sa dimension rationnelle. Mame Maodo fut un stratège, un pédagogue, une intelligence, des aptitudes qui lui avaient permis de trouver des solutions à d’épiques problèmes.
Mame Maodo en parfaite intelligence avec l’environnement colonial de l’époque avait su trouver des solutions pour résister culturellement. A partir de Ndar (Saint Louis) il avait dégagé une stratégie qui avait abouti sur le choix de Ndiarndé et plus tard sur le choix de Tivaoune. Tout répondait à une stratégie. Le management stratégique dans un environnement hostile et en perpétuel mutation était une des forces de Mame Maodo. Sa puissance résidait dans sa dimension rationnelle (Zahir) c’est-à-dire sa capacité à comprendre, à anticiper et à agir dans un environnement hostile et mouvant.
Mame Maodo maitrisait les enjeux de son époque. C’est parce qu’il maitrisait ces enjeux (enjeux de la colonisation) qu’un choc d’ambition s’est passé entre lui et les colons : chacun voulait conquérir les consciences des populations. Mame Maodo fut obligé de quitter Ndar (Saint Louis) en 1895, un territoire hostile à ses ambitions, pour s’installer à Ndiarndé pendant sept (7) ans afin d’y développer sa stratégie.
La Tarikha Tidjiane, à l’image de Mame Maoda, doit avoir cette capacité à anticiper, à agir et à s’adapter aux environnements mouvants si elle veut continuer à faire vibrer les cœurs de cette jeunesse ouverte culturellement au monde entier. A chaque époque ses enjeux et aujourd’hui en 2020 l’enjeu se trouve dans la façon de manager la tarikha Tidjiane : savoir utiliser des techniques et styles de communication adaptés, savoir faire des choix consensuels, savoir utiliser des méthodes de travail inclusifs et savoir prendre des décisions courageuses et stratégiques. Tout cela nécessitera une organisation politique et organisationnelle autour du Khalife.
Si Mame Maodo avait, à coté de tous ces grands érudits de Ndar, réussi à devenir le porte étendard de la Tarikha à l’époque c’était uniquement à cause du choix politique qu’il avait fait en 1895 (quitter le confort de Saint Louis pour s’installer dans la précarité de Ndiarndé) afin de former des personnes qui diffuseront les valeurs de l’islam à travers la Tidjiania partout au Sénégal et dans la sous-région. C’était un choix politique qui convoquait une stratégie de planification, de ciblage et d’organisation mais aussi un choix qui nécessitait des attitudes de psychologue et de sociologue.
Aujourd’hui le Khalifat a besoin d’une réincarnation de ce Mame Maodo dans ce nouveau monde de science et de technique, traversé par des crises sanitaires, économiques, politiques et sociales. Cette réincarnation de Mame Maodo passera nécessairement par la modernisation de la Tarikha.
L’imam Khomeiny de la république islamique d’Iran, faisait la différence entre modernisation et modernisme. Il disait Oui à la modernisation de l’Iran et non au modernisme. La modernisation renvoie à cette capacité d’une organisation ou d’une communauté à se transformer de l’intérieur, à puiser de son intérieur les forces qui lui permettent de se transformer et de se projeter vers un avenir meilleur. Alors que le modernisme est cette capacité à se transformer culturellement, politiquement et socialement à partir de l’extérieur par l’envahissement d’idéaux et valeurs étrangères. La Tarikha a besoin de se moderniser c’est-à-dire de puiser de son intérieur toutes les forces qui lui permettent de se transformer et d’anticiper aux évènements et pour cela il faut autour du Khalifat, un leadership fort capable de fédérer toutes les énergies de la Tarikha.
Mame Maodo doit être notre point de départ et non notre point d’arrivée. Le problème ce n’est pas de dire Mame Maodo l’avait fait comme ça ou Mame Maodo l’avait dit comme ça. Mais il est de nous baser sur sa lettre, son action et son esprit pour aller conquérir le monde. L’objectif n’est pas d’arriver à Mame Maoda mais de partir de Mame Maodo, de nous armer de Mame Maodo pour trouver des solutions aux problèmes de notre temps. Le Khalife Omar Ibn Khattab n’avait pas comme point d’arrivée le prophète contrairement à Aboubakr Sadikh mais c’était son point de départ. Quand Aboubakr Sadikh disait à Omar Ibn Khattab qu’ils doivent faire attention car le prophète n’avait jamais dit ça ou n’avait jamais fait ça, ce dernier lui disait qu’il était d’accord mais qu’il fallait partir de l’esprit et de la lettre du coran et des faits et gestes du prophète pour adapter tout au contexte actuel. L’islam avait le Khalife Omar qui connaissait très bien le prophète et qui maitrisait la lettre et l’esprit du coran, c’est pourquoi il pouvait partir du prophète. Mais est ce que nous connaissons Mame Maodo, est ce que nous maitrisons son projet, son ambition pour l’être humain et pour la société à travers la tarikha tidiane.
Aujourd’hui presque toute la communication tourne autour de l’hagiographie, alors qu’on peut tellement développer des concepts ou des idées autour de MGOUMBA THILLE, autour de SON DEPART DE NDAR EN 1895 ALORS QU’IL VIVAIT DANS L’OPULENCE ou autour de NDIARNDE, des choix qui furent déterminants et qui ont fait de Mame Maodo ce qu’il représente aujourd’hui dans nos vies et dans ce Sénégal. Sans ces choix que serait Mame Maodo ?. Si nous ne maitrisons pas tout ça, nous aurons du mal à partir de Mame Maodo pour relever les défis du futur et pour faire de lui une solution pour le développement du Sénégal. Une certaine forme de communication résumera (limitera) Mame Maodo à un « objet » d’admiration et de comptemplation alors qu’il doit être pour l’être humain un « objet » de méditation et de réflexion à l’image du coran pour nous apporter des solutions.
Nous espérons que le Khalifat de Serigne Babacar Sy Mansour sera la transition entre un Khalifat traditionnellement géré et un Khalifat qui se modernise et qui va se donner les moyens de son ambition, un Khalifat qui fera de Mame Maodo une des grandes solutions aux problèmes de ce pays. Le gamou 2021 devra être, inchallah, un moment fort dans cette action de modernisation.
Aujourd’hui au-delà de l’hagiographie chanté tout le temps, le Khalifat de Tivaoune a besoin de trouver dans l’immense leg de Mame Maodo tout ce qui est suffisamment actualisable pour que grâce à sa contribution, Tivaoune puisse y voir plus claire dans ce monde en crise et dans les nombreux défis qui attendent la tarikha dans son projet de développement.
Source : http://www.senemedia.com/annonce-32071-lettre-au-k...