Monsieur le Ministre,
Par la lettre sus-référencée, vous me faites une « Mise en demeure ». Les circonstances font que je ne vous répondrais pas seulement en tant qu’Agent du Ministère de l’Agriculture, mais aussi en tant que citoyen sénégalais, par ce que je voudrais prendre à témoins la population et les Autorités de notre pays, pour que le règlement de notre contentieux puisse servir de jurisprudence.
Voici les termes de votre mise en demeure : « J’ai pris connaissance de la lettre du Chef du Bureau de la Formation Professionnelle Agricole, m’informant de votre départ du Centre Polyvalent de Formation des Producteurs (CPFP) de Sangalkam où vous êtes détaché en qualité d’Expert auprès de la Mission Agricole Chinoise.
J’ai également été informé de vos arguments pour justifier un tel comportement.
Comme suite, je vous demande de reprendre, dans les meilleurs délais, vos fonctions au CPFP de Sangalkam, faute de quoi, votre salaire sera suspendu pour abandon de poste. ».
Monsieur le Ministre,
Vous vous êtes certainement trompés de cible. Et quand une autorité n’arrive même pas à identifier ses propres cibles, la décision la plus sage qu’elle doit prendre, c’est de rendre le tablier. On ne peut pas cultiver de l’arachide et récolter du riz. Rendre le tablier, c’est permettre à d’autres Sénégalais, plus compétents, de pouvoir reprendre le flambeau, avec plus d’efficacité, d’efficience et de responsabilité. La mise en demeure, que vous brandissez, ne me concerne donc pas ; le salaire que vous devez faire suspendre, n’est certainement pas le mien.
Monsieur le Ministre,
Je ne suis pas votre cible. Vous n’avez pas été nommé Ministre, pour venir suspendre le salaire d’un Agent qui a fait sa formation en République Populaire de Chine (RPC), de 1975 à 1980 et obtenu un diplôme d’Ingénieur Hydraulicien avec la mention « Excellente » qui était, à l’époque, la mention académique la plus élevée, équivalent à une notation située entre 90 et 100 sur 100 ; un Agent qui comptabilise déjà trente (30) ans dans la Fonction Publique, dont 16 ans au Ministère de l’Hydraulique et 14 ans au Ministère de l’Agriculture ; un Agent qui se trouve à moins de trois (03) ans de prendre la retraite ; un Agent qui est pratiquement entré dans la catégorie des personnes du troisième âge.
Certes, j’ai toujours et partout été qualifié de récalcitrant et, dans la plupart des services où j’ai été affecté, j’ai invariablement été mis au « frigo », parfois aussi au « congélateur » ; mais c’est parce que j’ai constamment été scandalisé par le fait que, malgré tout le potentiel humain de qualité, que recèle notre pays, l’absence criarde d’une Politique Hydraulique Nationale ou d’une Politique Agricole Nationale, digne de ce nom, exécutée avec brio et menée jusqu’à son terme, est restée une constante et une persistance, de 1960 à nos jours.
C’est en effet frustrant et même très révoltant, pour un Technicien, qui se destinait à servir loyalement et efficacement son pays, de se rendre compte que, depuis 60 ans, des questions aussi vitales que la Politique Nationale de l’Eau ou la Politique Agricole Nationale, dont le règlement effectif ne tient qu’à peu de choses, sont traînées par notre pays, comme les boulets de fer que portaient les esclaves de la période de la Traite des Noirs ; parce qu’en face, des Autorités insouciantes et inconséquentes, n’ont pour préoccupations que des futilités du genre « mise en demeure », « menace de coupure de salaires de fonctionnaires », sans se préoccuper de savoir et en ignorant royalement ce que sont réellement ou ce que font véritablement ces fonctionnaires.
Notre pays a exprimé sa volonté d’ériger le secteur agricole nationale en moteur du développement économique national et principal facteur de bien-être social. Seulement, aucun pays, qui se respecte, ne peut asseoir son économie et le bien-être sa population, sur un secteur agricole tributaire de la pluie ; parce que ce pays s’installerait alors dans une insécurité et une insuffisance, quasi permanentes, de ses productions primaires. Près de 95% de nos terres cultivées, le sont encore sous pluie ; de même, plus de 80% de notre production agricole nationale, sont obtenues sous pluie.
En 50 ans, notre population nationale a plus que quadruplé, passant de 2 500 000 hts (1960) à 13 000 000 hts (2010), alors que la production agricole nationale a stagné, voire reculé, évoluant en dents de scie. Nous nous félicitons d’avoir réalisé une production d’arachide de plus de 1 000 000 T, en 2010, en oubliant que c’était un niveau déjà atteint dès les années 60. La pauvreté est bien installée au Sénégal et elle est même devenue structurelle. Et cela, nous le devons à des autorités du Ministère de l’Agriculture, qui ont brillé ou qui brillent encore par leur incompétence notoire.
Le Président de la République a eu le mérité d’avoir, d’autorité, fixé des objectifs de productions agricoles qui devaient être atteints, que beaucoup de Techniciens du secteur avaient qualifié d’utopiques ; en vérité, ces chiffres étaient même en deçà de ceux dont on était en droit de s’attendre. Cependant, quelque soient les résultats obtenus avec la Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance (GOANA), dès l’instant que les productions sont obtenues sous pluie, ces résultats sont rendus inconsistants par le caractère de leur insécurité évidente.
Cette situation est d’autant plus inacceptable, que le Sénégal dispose, dans la vallée du fleuve Sénégal, de 240 000 ha de terres irrigables, sur un potentiel de 375 000 ha résultant de la mise en œuvre du programme minimal de l’OMVS de régulation du fleuve Sénégal à 300 m3/s. Avec le programme maximum de régulation du fleuve à 700 m3/s, ce sont 1000 000 ha de terres irrigables qui seront disponibles, dont près de 500 000 ha au Sénégal ; nous ne parlons pas encore de la mise en valeur des terres du Djedjegol et du Djeri. Et il n’est même pas fait état des potentialités des zones sud, de la région de Ziguinchor à celle de Tambacounda, en passant par la région de Kolda.
Chaque année, le Sénégal utilise à peine 5% de ses ressources renouvelables en eaux souterraines et, chaque année, ce sont des centaines de millions, voire des milliards de mètres cubes d’eaux douces qui sont évacuées vers la mer ou qui sont envahies par les eaux marines. En 1994, le Projet des Vallées Fossiles a estimé à 20 milliards de mètres cubes, le volume d’eau douce évacuée en mer.
Comme pour le pétrole, de plus en plus de pays comprenant que la terre s’achemine vers des situations de graves pénuries d’eau douce, élaborent des politiques de Gestion Intégrées des Ressources en Eaux (GIRE) et, surtout, mettent en place des plans d’économie et de conservation de leurs ressources en eaux souterraines ; pendant ce temps, non seulement nous livrons nos eaux douces de surface à la mer et à l’évaporation, mais aussi, nous nous satisfaisons de programmes du genre « construction de trois mille forages par l’UEMOA », là où il fallait (i) préserver nos eaux souterraines de toute dégradation ou surexploitation, (ii) soustraire nos eaux de surface de l’invasion des eaux salées et de l’évaporation, préserver une bonne partie en réalimentant nos nappes souterraines largement éprouvées par les années passées de sécheresse et (iii) protéger et valoriser au mieux nos eaux de surface, par le développement de l’horticulture, de la pêche continentale et du tourisme, entre autres.
Le Sénégal qui dispose, annuellement, de près de 30 milliards de mètres cubes d’eau douce, se targue d’avoir un PIB national de 1 800 milliards de F CFA. Israël, qui dispose, annuellement, de moins de 2 milliards de mètres cubes d’eau douce, fait annuellement, plus de 3 milliards de dollars US de recettes de productions agricoles (soit presque l’équivalent de notre PIB national) et réalise un PIB national de plus de cinquante mille (50 000) milliards de F CFA. Or, Israël est un pays pratiquement désertique et ne représente que 1/20è du territoire sénégalais. Au moment où nous nous bombions le torse, pour avoir atteint un PIB national de cinq cent (500) milliards de F CFA, la Tunisie voisine, sans bruit et sans fioriture, affichait le chiffre de cinq mille cinq cent (5 500) milliards de F CFA de PIB national. Qu’a-t-on donc fait de nos ressources en eau, de nos ressources en sol, de nos ressources humaines ?
Après près de 50 ans de présence dans la Vallée du Fleuve Sénégal, la SAED ne peut même pas se prévaloir d’une mise en valeur agricole effective sur 30 000 ha. Or, nos collègues marocains nous apprennent qu’en 20 ans, ils ont aménagés et mis en valeur, en régis administrative, un (01) million d’ha de terres irriguées. Comparez un rythme d’aménagement de terres irriguées de 500 ha/an (Sénégal) à celui de 50 000 ha/an (Maroc) ? Ce que les Techniciens marocains peuvent faire en un an, leurs homologues sénégalais de la SAED ne peuvent pas le réaliser en 50 ans !
De 1960 à maintenant, notre pays a connu trois grandes politiques agricoles, à savoir (i) le Programme d’Equipement Agricole (PA) de 1960 à 1984, (ii) la Nouvelle Politique Agricole (NPA) de 1984 à 1994 et (iii) le Programme d’Ajustement du Secteur Agricole (PASA) de 1994 à nos jours. Cette dernière, la seule à mériter le nom de Politique Agricole Nationale, quoique incomplète, a été dévoyée à l’exécution. Le PASA était composée de (i) le PSAOP, qui devait assurer la formation et l’organisation des producteurs ruraux, ainsi que la restructuration du Ministère chargée de l’Agriculture pour la rendre apte à conduire le PASA, (ii) le PNIR, qui devait aider à mettre en place les infrastructures de développement du monde rural, (iii) une grappe de projets de développement des cultures irriguées à grande, voire très grande échelle, (iv) le programme d’amélioration et de gestion de la fertilité des sols et (v) le développement de la petite irrigation.
Très vite, les 3è et 4è volets seront mis sous le boisseau ; ensuite le 2è volet sera enlevé du Ministère de l’Agriculture et domicilié au Ministère de la Décentralisation, avant d’être dépouillé de son contenu et mis au rancard ; le 5è volet sera pris en charge par la FAO à travers le PSSA et le PNASA, avant d’être jeté aux oubliettes. Il ne restera du PASA qu’un PSAOP déliquescent, à qui on veut faire supporter tout le poids initial du PASA.
Depuis le PASA, le seul document qui vaille la peine d’être cité, en matière de Politique Agricole, au Sénégal, se trouve être la Loi d’Orientation Agro-Sylvo-Pastorale (LOASP), promulguée en Juin 2004. Cette Loi, pour avoir été mal conçue, ne peut pas et ne pourra pas jouer son rôle d’éclairage et d’orientation du développement du secteur agricole national, pour la période prévue de 20 ans, allant de 2005 à 2025.
L’élaboration d’une LOASP présuppose la définition d’une situation de référence (la réalité exacte du secteur en 2005, ses bonnes et mauvaises performances, ses potentialités et ses contraintes de développement) et d’une situation de vision (ce que devra être la réalité exacte du secteur en 2025, ses aspects saillants, les mutations à opérer et les résultats attendus, de productions quantitatives et qualitatives). Dès lors, le rôle de la LOASP serait d’éclairer et d’orienter le processus du passage de la situation de référence à la situation de vision.
Comment parvenir à valoriser, au mieux, les ressources du pays (i) en agriculture pluviale vivrière et asseoir les conditions de l’autosuffisance et de la souveraineté alimentaire nationale, (ii) en agriculture irriguée de rente et asseoir les conditions de la sécurité alimentaire, ainsi que les bases d’un réel développement économique et social ? Telle est la lancinante question qui se pose à notre secteur agricole depuis 1960, à laquelle nous ne parvenons pas à donner une réponse appropriée, ne serait-ce que théorique. Telle est la cible première du Ministère de l’Agriculture.
Monsieur le Ministre,
Votre second cible, c’est la Coopération. Le Sénégal ne peut pas vivre en autarcie, dans un monde où le bonheur des uns (les pays dominateurs) fait le malheur des autres (les pays dominés). Il s’agit alors de pouvoir bien manœuvrer, de façon (i) à ne pas tomber dans l’escarcelle des spoliateurs et (ii) à coopérer avec les autres. A ce titre, il s’agit de savoir ce que représente pour notre pays, la coopération avec la RPC dans le domaine maraîcher.
Formé en RPC et conscient de ce que ce pays pouvait effectivement apporter au nôtre, dans le domaine agricole, j’avais demandé, en 2007, à être affecté au CPFP de Sangalkam qui devait abriter la Mission Agricole Chinoise, afin de contribuer à mieux concrétiser cette coopération. Même si la Convention de coopération signée entre les deux pays a été établie sous l’égide du Ministère des Affaires Etrangères, il reste que la Mission Chinoise devrait se situer sous la Tutelle du Ministère de l’Agriculture qui devait assumer cette tutelle en toute responsabilité.
En Décembre 2007, deux mois après mon affectation et un mois après ma prise de service, j’ai vite été déçu par le contenu de cette Convention de coopération, qui limitait l’intervention de la Mission Agricole Chinoise à la seule formation, en techniques de cultures maraîchères, des producteurs des Niayes, alors que ceux-ci avaient déjà exprimé leurs besoins en termes de (i) acquisition des facteurs de production (dont la formation en techniques de production, en techniques de gestion des ressources et des revenus, en alphabétisation), (ii) écoulement des productions (transport, stockage, conditionnement, transformation et commercialisation des productions), (iii) articulation agriculture-arboriculture-élevage, pour une meilleure gestion de la fertilité des sols, etc. Par un document intitulé « Note de Conjecture », remis aux Autorités du Ministère, le 24 Décembre 2007, je donnais un avis très critique, mais avec des propositions alternatives, quant au contenu de cette coopération. La « Note » est restée sans suite.
Dans les faits, la Mission Chinoise, non seulement ne s’occupera même pas de la formation des producteurs, mais aura des agissements inadmissibles, qui justifieront la lettre de protestation que j’ai adressée aux Autorités du Ministère, en Avril 2010, qui est restée également sans suite. En quatre ans (2006-2010), deux Mission Chinoises se sont succédées au Centre, ayant bénéficié d’un financement de près d’un milliard de F CFA (800 millions de F CFA des Autorités chinoises et des apports multiformes de la partie sénégalaise) ; or, durant toute cette période, aucun producteur maraîcher n’a été formé au niveau du Centre.
Les Parcelles de démonstration, qui servaient à assurer la formation pratique des producteurs, à l’intérieur du Centre, ont en fait été transformées en parcelles de production dont les produits sont vendus à des sociétés et des individualités chinoises sises à Dakar. Les six ouvriers sénégalais qui géraient ces parcelles, ont été poussés vers le productivisme à outrance, au point que leurs salaires individuels, indexés sur les productions, sont passés d’une moyenne de 40 000 F CFA/mois, à 120 000 F CFA/mois pour certains, 130 000 F CFA pour d’autres, voire à 160 000 F CFA. Et pour chaque kg de produits vendus, les ouvriers percevaient 200 F CFA et la Mission 300 F CFA. Les salaires des ouvriers qui représentaient les deux tiers des recettes, permettent de se faire une idée sur les sommes empochées par les membres de la Mission, à partir des seules parcelles de démonstration devenues parcelles de production. Cette production de ressources financières, devenue l’objectif premier voire exclusif de la Mission, s’est poursuivie, en s’intensifiant, au niveau des terres bordant les habitations des membres de la Mission. Ces terres font l’objet d’une mise en valeur agricole dont les productions et les ventes sont à la seule discrétion des membres de la Mission. Ces productions entrent parfois même en concurrence avec celles des ouvriers qui connaissent alors des invendus et des pertes par pourrissements sur place. La recherche de profits financiers est devenue le leitmotiv du chef de la Mission, qui ne s’occupe plus que de cela.
Les membres de la Mission, qui vivent tous en célibat, occupent abusivement les habitations qui leur sont octroyées, à raison d’une suite de deux chambres à coucher, un salon et une toilette intérieure, par membre ; alors que ce sont ces suites qui permettaient auparavant au Centre de capter plus facilement des opportunités de location de ses infrastructures, qui lui assurent une bonne partie de ses moyens de fonctionnement, faute de budget octroyé par l’Etat du Sénégal. La moitié des six suites aurait pu largement suffire aux membres de la Mission Chinoise qui pourrait ainsi libérer les trois autres.
Dans ma lettre de protestation, je faisais remarquer que la coopération entre la République Populaire de Chine et notre pays, était une coopération à saluer et à magnifier. En atteste la prouesse que la composante de la Mission Chinoise, sise dans la Région du fleuve Sénégal, à Podor, a réussie, par l’introduction de la méthode dite du « repiquage à la volée » du riz (ou repiquage par le lancement). Pays le plus peuplé du monde, confronté au problème paradoxal de pénurie de la main-d’œuvre agricole due à l’exode massif des jeunes ruraux vers les villes, la Chine a initié la méthode dite du « repiquage à la volée » du riz, qui se suffit de la force de travail des personnes âgées, dans la mesure où elle permet (i) de réduire notablement la durée et l’intensité du travail, (ii) d’utiliser moins de semences et peu ou pas d’argent de rémunération de main-d’œuvre et (iii) de tripler les rendements agricoles. Par cette méthode, la Mission a pu obtenir des rendements records de 11 tonnes/ha, avec des semences locales (Sahel 208) ou chinoises qui n’autorisent pas plus de 7 tonnes/ha en Chine même. Avec l’usage de semence de riz hybride F1, il est permis, avec la même méthode, d’atteindre 13 à 15 tonnes/ha, voire 17 tonnes/ha avec l’usage de semence du super riz hybride. Ma lettre de protestation est également restée sans suite.
Mais, ce n’était pas tout. Afin de permettre au Centre de disposer de plus de ressources propres pour assurer (i) son fonctionnement et (ii) la formation des producteurs maraîchers, trois hectares de terres du Centre avait été aménagés pour faire des cultures irriguées, sur ma propre initiative et en collaboration avec un privé sénégalais. Pour éviter que le Centre put disposer de moyens lui permettant d’effectuer la formation des producteurs à laquelle elle avait résolument tourné le dos, la Mission Chinoise s’est attelée à saboter la mise en valeur du périmètre.
En Septembre 2010, j’ai déposé une plainte, au niveau de la Brigade de la Gendarmerie de Sangalkam, à l’encontre des membres de la Mission chinoise, pour avoir (i) délibérément privé d’eau l’exploitation agricole du Centre, pendant près d’une semaine et (ii) saboté ensuite la source d’alimentation électrique des pompes, dans le but d’endommager ces dernières. Ma plainte est restée sans suite. Ayant obtenu la certitude selon laquelle la Brigade n’agirait pas, pour cause d’intervention des autorités locales, qui avaient pris faits et gestes pour les Chinois, j’ai déposé une seconde plainte, en Novembre 2010, auprès du Procureur du Département de Rufisque, toujours à l’encontre des membres de la Mission chinoise. Cette seconde plainte est également restée sans suite.
J’ai demandé au Ministère la constitution d’une Commission chargée de venir enquêter sur les réalités du Centre, en vain. De guerre lasse, j’ai demandé, au début du mois de Décembre 2010, à être affecté à la Direction Régionale du Développement Rural (DRDR) de Kolda, en complément d’effectifs. J’étais arrivé à la certitude selon laquelle, au rythme où s’amoncellent les chantiers que nos partenaires chinois étaient en train d’ouvrir un peu partout, dans notre pays, personne n’était disposée à les indisposer. D’ailleurs, au cours d’une réunion de réconciliation entre les ouvriers du Centre et les membres de la Mission chinoise, au sujet d’un contentieux qui les opposaient, l’adjoint du Sous-préfet, ne s’était pas gêné à avouer publiquement que, pour les intérêts des ouvriers ou du Centre, le Sénégal n’était certainement pas disposé à remettre en cause ses bonnes relations avec la Chine. Ma demande d’affectation est également restée sans suite.
Face à mes collègues sénégalais du Centre, qui ont également pris fait et cause pour l’Equipe chinoise, alors que j’étais le seul Sénégalais, parmi eux, à comprendre la langue chinoise et à bien connaître les Chinois, je me devais de quitter le Centre, pour garantir ma propre sécurité, étant seul contre tous, jusqu’à ce que les autorités du Ministère, qui m’y avaient affecté, se soient décidées à réagir. En Mars 2011, j’ai renouvelé ma demande d’être affecté à la DRDR de Kolda. J’étais toujours dans l’attente d’une suite favorable, lorsque j’ai reçu la lettre de mise en demeure et de menace de coupure de salaire.
Monsieur le Ministre,
Votre troisième cible, c’est vous-même, c’est-à-dire, une Autorité qui considère que toute décision prise, de sa part, est sans appel et doit être suivie d’effet, même si cette Autorité a été abusée, pour n’avoir pas reçu toutes les informations requises. Même le Bon Dieu, Lui-même, revient parfois sur ses décisions ; car, les Musulmans apprennent que la Prière, le seul pilier qui n’a pas été donné sur terre, comprenait des milliers de fois à faire quotidiennement ; qu’il a fallu l’intervention du Prophète Muhamed, sur insistance du Prophète Moussa, pour que le Bon Dieu se décidât à revenir sur sa décision et à ramener les prières à cinq (en fait, à sept dont cinq obligatoires et deux vivement recommandées). Quid alors, d’une Autorité qui a au-dessus d’elle, un Premier Ministre, un Président de la République et, surtout, le Peuple du Sénégal ?
Même si je retournais au CPFP, je ne pourrais et ne devrais que continuer le combat que je mène seul depuis quatre ans, contre la Mission Chinoise, un combat certes du genre « David et Goliath », mais que je mènerais jusqu’au bout. A la longue, soit cette situation finira par déteindre sur les relations entre nos deux pays, soit que je finirai par être transformé en « agneau de sacrifice » à l’autel des relations sino-sénégalaises. La décision, de me faire retourner au CPFP, apparaît ainsi pour ce qu’elle est, inopportune et dangereuse.
Si les Chinois sont officiellement dans notre pays, ce n’est certainement pas pour les beaux yeux des Sénégalais. L’Homme d’Etat américain l’a dit et d’autres Hommes d’Etat l’ont rappelé, après lui, que « les Etats n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts ». Autrement dit, « peut importe qu’un chat soit noir ou blanc, l’essentiel est qu’il puisse attraper des souris ». Seulement, il se trouve nous autres Sénégalais, en particuliers, nous autres Africains en général, ne sont pas des souris et ne sommes pas prêts de l’être. S’il y a quelque chose que j’ai appris et vraiment bien appris en République Populaire de Chine, c’est l’amour de mon pays et de mon Contient.
Espérant que les Autorités du Ministère de l’Agriculture sauront ramener les membres de la Mission Agricole Chinoise du CPFP de Sangalkam à des comportements plus responsables et respectueux de leurs engagements, notamment à cesser de détourner les ressources du Centres et à s’atteler à appuyer le Centre dans la formation des producteurs maraîchers des Niayes et, dans l’attente des suites réservées à la présente, je vous pries d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments patriotiques.
Cheikhou GASSAMA
Cheikhou GASSAMA
Ingénieur du Génie Rural
Expert détaché auprès de
la Mission Agricole Chinoise
du CPFP de Sangalkam
Tel : 77 010 83 95 / 76 384 73 92
Par la lettre sus-référencée, vous me faites une « Mise en demeure ». Les circonstances font que je ne vous répondrais pas seulement en tant qu’Agent du Ministère de l’Agriculture, mais aussi en tant que citoyen sénégalais, par ce que je voudrais prendre à témoins la population et les Autorités de notre pays, pour que le règlement de notre contentieux puisse servir de jurisprudence.
Voici les termes de votre mise en demeure : « J’ai pris connaissance de la lettre du Chef du Bureau de la Formation Professionnelle Agricole, m’informant de votre départ du Centre Polyvalent de Formation des Producteurs (CPFP) de Sangalkam où vous êtes détaché en qualité d’Expert auprès de la Mission Agricole Chinoise.
J’ai également été informé de vos arguments pour justifier un tel comportement.
Comme suite, je vous demande de reprendre, dans les meilleurs délais, vos fonctions au CPFP de Sangalkam, faute de quoi, votre salaire sera suspendu pour abandon de poste. ».
Monsieur le Ministre,
Vous vous êtes certainement trompés de cible. Et quand une autorité n’arrive même pas à identifier ses propres cibles, la décision la plus sage qu’elle doit prendre, c’est de rendre le tablier. On ne peut pas cultiver de l’arachide et récolter du riz. Rendre le tablier, c’est permettre à d’autres Sénégalais, plus compétents, de pouvoir reprendre le flambeau, avec plus d’efficacité, d’efficience et de responsabilité. La mise en demeure, que vous brandissez, ne me concerne donc pas ; le salaire que vous devez faire suspendre, n’est certainement pas le mien.
Monsieur le Ministre,
Je ne suis pas votre cible. Vous n’avez pas été nommé Ministre, pour venir suspendre le salaire d’un Agent qui a fait sa formation en République Populaire de Chine (RPC), de 1975 à 1980 et obtenu un diplôme d’Ingénieur Hydraulicien avec la mention « Excellente » qui était, à l’époque, la mention académique la plus élevée, équivalent à une notation située entre 90 et 100 sur 100 ; un Agent qui comptabilise déjà trente (30) ans dans la Fonction Publique, dont 16 ans au Ministère de l’Hydraulique et 14 ans au Ministère de l’Agriculture ; un Agent qui se trouve à moins de trois (03) ans de prendre la retraite ; un Agent qui est pratiquement entré dans la catégorie des personnes du troisième âge.
Certes, j’ai toujours et partout été qualifié de récalcitrant et, dans la plupart des services où j’ai été affecté, j’ai invariablement été mis au « frigo », parfois aussi au « congélateur » ; mais c’est parce que j’ai constamment été scandalisé par le fait que, malgré tout le potentiel humain de qualité, que recèle notre pays, l’absence criarde d’une Politique Hydraulique Nationale ou d’une Politique Agricole Nationale, digne de ce nom, exécutée avec brio et menée jusqu’à son terme, est restée une constante et une persistance, de 1960 à nos jours.
C’est en effet frustrant et même très révoltant, pour un Technicien, qui se destinait à servir loyalement et efficacement son pays, de se rendre compte que, depuis 60 ans, des questions aussi vitales que la Politique Nationale de l’Eau ou la Politique Agricole Nationale, dont le règlement effectif ne tient qu’à peu de choses, sont traînées par notre pays, comme les boulets de fer que portaient les esclaves de la période de la Traite des Noirs ; parce qu’en face, des Autorités insouciantes et inconséquentes, n’ont pour préoccupations que des futilités du genre « mise en demeure », « menace de coupure de salaires de fonctionnaires », sans se préoccuper de savoir et en ignorant royalement ce que sont réellement ou ce que font véritablement ces fonctionnaires.
Notre pays a exprimé sa volonté d’ériger le secteur agricole nationale en moteur du développement économique national et principal facteur de bien-être social. Seulement, aucun pays, qui se respecte, ne peut asseoir son économie et le bien-être sa population, sur un secteur agricole tributaire de la pluie ; parce que ce pays s’installerait alors dans une insécurité et une insuffisance, quasi permanentes, de ses productions primaires. Près de 95% de nos terres cultivées, le sont encore sous pluie ; de même, plus de 80% de notre production agricole nationale, sont obtenues sous pluie.
En 50 ans, notre population nationale a plus que quadruplé, passant de 2 500 000 hts (1960) à 13 000 000 hts (2010), alors que la production agricole nationale a stagné, voire reculé, évoluant en dents de scie. Nous nous félicitons d’avoir réalisé une production d’arachide de plus de 1 000 000 T, en 2010, en oubliant que c’était un niveau déjà atteint dès les années 60. La pauvreté est bien installée au Sénégal et elle est même devenue structurelle. Et cela, nous le devons à des autorités du Ministère de l’Agriculture, qui ont brillé ou qui brillent encore par leur incompétence notoire.
Le Président de la République a eu le mérité d’avoir, d’autorité, fixé des objectifs de productions agricoles qui devaient être atteints, que beaucoup de Techniciens du secteur avaient qualifié d’utopiques ; en vérité, ces chiffres étaient même en deçà de ceux dont on était en droit de s’attendre. Cependant, quelque soient les résultats obtenus avec la Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance (GOANA), dès l’instant que les productions sont obtenues sous pluie, ces résultats sont rendus inconsistants par le caractère de leur insécurité évidente.
Cette situation est d’autant plus inacceptable, que le Sénégal dispose, dans la vallée du fleuve Sénégal, de 240 000 ha de terres irrigables, sur un potentiel de 375 000 ha résultant de la mise en œuvre du programme minimal de l’OMVS de régulation du fleuve Sénégal à 300 m3/s. Avec le programme maximum de régulation du fleuve à 700 m3/s, ce sont 1000 000 ha de terres irrigables qui seront disponibles, dont près de 500 000 ha au Sénégal ; nous ne parlons pas encore de la mise en valeur des terres du Djedjegol et du Djeri. Et il n’est même pas fait état des potentialités des zones sud, de la région de Ziguinchor à celle de Tambacounda, en passant par la région de Kolda.
Chaque année, le Sénégal utilise à peine 5% de ses ressources renouvelables en eaux souterraines et, chaque année, ce sont des centaines de millions, voire des milliards de mètres cubes d’eaux douces qui sont évacuées vers la mer ou qui sont envahies par les eaux marines. En 1994, le Projet des Vallées Fossiles a estimé à 20 milliards de mètres cubes, le volume d’eau douce évacuée en mer.
Comme pour le pétrole, de plus en plus de pays comprenant que la terre s’achemine vers des situations de graves pénuries d’eau douce, élaborent des politiques de Gestion Intégrées des Ressources en Eaux (GIRE) et, surtout, mettent en place des plans d’économie et de conservation de leurs ressources en eaux souterraines ; pendant ce temps, non seulement nous livrons nos eaux douces de surface à la mer et à l’évaporation, mais aussi, nous nous satisfaisons de programmes du genre « construction de trois mille forages par l’UEMOA », là où il fallait (i) préserver nos eaux souterraines de toute dégradation ou surexploitation, (ii) soustraire nos eaux de surface de l’invasion des eaux salées et de l’évaporation, préserver une bonne partie en réalimentant nos nappes souterraines largement éprouvées par les années passées de sécheresse et (iii) protéger et valoriser au mieux nos eaux de surface, par le développement de l’horticulture, de la pêche continentale et du tourisme, entre autres.
Le Sénégal qui dispose, annuellement, de près de 30 milliards de mètres cubes d’eau douce, se targue d’avoir un PIB national de 1 800 milliards de F CFA. Israël, qui dispose, annuellement, de moins de 2 milliards de mètres cubes d’eau douce, fait annuellement, plus de 3 milliards de dollars US de recettes de productions agricoles (soit presque l’équivalent de notre PIB national) et réalise un PIB national de plus de cinquante mille (50 000) milliards de F CFA. Or, Israël est un pays pratiquement désertique et ne représente que 1/20è du territoire sénégalais. Au moment où nous nous bombions le torse, pour avoir atteint un PIB national de cinq cent (500) milliards de F CFA, la Tunisie voisine, sans bruit et sans fioriture, affichait le chiffre de cinq mille cinq cent (5 500) milliards de F CFA de PIB national. Qu’a-t-on donc fait de nos ressources en eau, de nos ressources en sol, de nos ressources humaines ?
Après près de 50 ans de présence dans la Vallée du Fleuve Sénégal, la SAED ne peut même pas se prévaloir d’une mise en valeur agricole effective sur 30 000 ha. Or, nos collègues marocains nous apprennent qu’en 20 ans, ils ont aménagés et mis en valeur, en régis administrative, un (01) million d’ha de terres irriguées. Comparez un rythme d’aménagement de terres irriguées de 500 ha/an (Sénégal) à celui de 50 000 ha/an (Maroc) ? Ce que les Techniciens marocains peuvent faire en un an, leurs homologues sénégalais de la SAED ne peuvent pas le réaliser en 50 ans !
De 1960 à maintenant, notre pays a connu trois grandes politiques agricoles, à savoir (i) le Programme d’Equipement Agricole (PA) de 1960 à 1984, (ii) la Nouvelle Politique Agricole (NPA) de 1984 à 1994 et (iii) le Programme d’Ajustement du Secteur Agricole (PASA) de 1994 à nos jours. Cette dernière, la seule à mériter le nom de Politique Agricole Nationale, quoique incomplète, a été dévoyée à l’exécution. Le PASA était composée de (i) le PSAOP, qui devait assurer la formation et l’organisation des producteurs ruraux, ainsi que la restructuration du Ministère chargée de l’Agriculture pour la rendre apte à conduire le PASA, (ii) le PNIR, qui devait aider à mettre en place les infrastructures de développement du monde rural, (iii) une grappe de projets de développement des cultures irriguées à grande, voire très grande échelle, (iv) le programme d’amélioration et de gestion de la fertilité des sols et (v) le développement de la petite irrigation.
Très vite, les 3è et 4è volets seront mis sous le boisseau ; ensuite le 2è volet sera enlevé du Ministère de l’Agriculture et domicilié au Ministère de la Décentralisation, avant d’être dépouillé de son contenu et mis au rancard ; le 5è volet sera pris en charge par la FAO à travers le PSSA et le PNASA, avant d’être jeté aux oubliettes. Il ne restera du PASA qu’un PSAOP déliquescent, à qui on veut faire supporter tout le poids initial du PASA.
Depuis le PASA, le seul document qui vaille la peine d’être cité, en matière de Politique Agricole, au Sénégal, se trouve être la Loi d’Orientation Agro-Sylvo-Pastorale (LOASP), promulguée en Juin 2004. Cette Loi, pour avoir été mal conçue, ne peut pas et ne pourra pas jouer son rôle d’éclairage et d’orientation du développement du secteur agricole national, pour la période prévue de 20 ans, allant de 2005 à 2025.
L’élaboration d’une LOASP présuppose la définition d’une situation de référence (la réalité exacte du secteur en 2005, ses bonnes et mauvaises performances, ses potentialités et ses contraintes de développement) et d’une situation de vision (ce que devra être la réalité exacte du secteur en 2025, ses aspects saillants, les mutations à opérer et les résultats attendus, de productions quantitatives et qualitatives). Dès lors, le rôle de la LOASP serait d’éclairer et d’orienter le processus du passage de la situation de référence à la situation de vision.
Comment parvenir à valoriser, au mieux, les ressources du pays (i) en agriculture pluviale vivrière et asseoir les conditions de l’autosuffisance et de la souveraineté alimentaire nationale, (ii) en agriculture irriguée de rente et asseoir les conditions de la sécurité alimentaire, ainsi que les bases d’un réel développement économique et social ? Telle est la lancinante question qui se pose à notre secteur agricole depuis 1960, à laquelle nous ne parvenons pas à donner une réponse appropriée, ne serait-ce que théorique. Telle est la cible première du Ministère de l’Agriculture.
Monsieur le Ministre,
Votre second cible, c’est la Coopération. Le Sénégal ne peut pas vivre en autarcie, dans un monde où le bonheur des uns (les pays dominateurs) fait le malheur des autres (les pays dominés). Il s’agit alors de pouvoir bien manœuvrer, de façon (i) à ne pas tomber dans l’escarcelle des spoliateurs et (ii) à coopérer avec les autres. A ce titre, il s’agit de savoir ce que représente pour notre pays, la coopération avec la RPC dans le domaine maraîcher.
Formé en RPC et conscient de ce que ce pays pouvait effectivement apporter au nôtre, dans le domaine agricole, j’avais demandé, en 2007, à être affecté au CPFP de Sangalkam qui devait abriter la Mission Agricole Chinoise, afin de contribuer à mieux concrétiser cette coopération. Même si la Convention de coopération signée entre les deux pays a été établie sous l’égide du Ministère des Affaires Etrangères, il reste que la Mission Chinoise devrait se situer sous la Tutelle du Ministère de l’Agriculture qui devait assumer cette tutelle en toute responsabilité.
En Décembre 2007, deux mois après mon affectation et un mois après ma prise de service, j’ai vite été déçu par le contenu de cette Convention de coopération, qui limitait l’intervention de la Mission Agricole Chinoise à la seule formation, en techniques de cultures maraîchères, des producteurs des Niayes, alors que ceux-ci avaient déjà exprimé leurs besoins en termes de (i) acquisition des facteurs de production (dont la formation en techniques de production, en techniques de gestion des ressources et des revenus, en alphabétisation), (ii) écoulement des productions (transport, stockage, conditionnement, transformation et commercialisation des productions), (iii) articulation agriculture-arboriculture-élevage, pour une meilleure gestion de la fertilité des sols, etc. Par un document intitulé « Note de Conjecture », remis aux Autorités du Ministère, le 24 Décembre 2007, je donnais un avis très critique, mais avec des propositions alternatives, quant au contenu de cette coopération. La « Note » est restée sans suite.
Dans les faits, la Mission Chinoise, non seulement ne s’occupera même pas de la formation des producteurs, mais aura des agissements inadmissibles, qui justifieront la lettre de protestation que j’ai adressée aux Autorités du Ministère, en Avril 2010, qui est restée également sans suite. En quatre ans (2006-2010), deux Mission Chinoises se sont succédées au Centre, ayant bénéficié d’un financement de près d’un milliard de F CFA (800 millions de F CFA des Autorités chinoises et des apports multiformes de la partie sénégalaise) ; or, durant toute cette période, aucun producteur maraîcher n’a été formé au niveau du Centre.
Les Parcelles de démonstration, qui servaient à assurer la formation pratique des producteurs, à l’intérieur du Centre, ont en fait été transformées en parcelles de production dont les produits sont vendus à des sociétés et des individualités chinoises sises à Dakar. Les six ouvriers sénégalais qui géraient ces parcelles, ont été poussés vers le productivisme à outrance, au point que leurs salaires individuels, indexés sur les productions, sont passés d’une moyenne de 40 000 F CFA/mois, à 120 000 F CFA/mois pour certains, 130 000 F CFA pour d’autres, voire à 160 000 F CFA. Et pour chaque kg de produits vendus, les ouvriers percevaient 200 F CFA et la Mission 300 F CFA. Les salaires des ouvriers qui représentaient les deux tiers des recettes, permettent de se faire une idée sur les sommes empochées par les membres de la Mission, à partir des seules parcelles de démonstration devenues parcelles de production. Cette production de ressources financières, devenue l’objectif premier voire exclusif de la Mission, s’est poursuivie, en s’intensifiant, au niveau des terres bordant les habitations des membres de la Mission. Ces terres font l’objet d’une mise en valeur agricole dont les productions et les ventes sont à la seule discrétion des membres de la Mission. Ces productions entrent parfois même en concurrence avec celles des ouvriers qui connaissent alors des invendus et des pertes par pourrissements sur place. La recherche de profits financiers est devenue le leitmotiv du chef de la Mission, qui ne s’occupe plus que de cela.
Les membres de la Mission, qui vivent tous en célibat, occupent abusivement les habitations qui leur sont octroyées, à raison d’une suite de deux chambres à coucher, un salon et une toilette intérieure, par membre ; alors que ce sont ces suites qui permettaient auparavant au Centre de capter plus facilement des opportunités de location de ses infrastructures, qui lui assurent une bonne partie de ses moyens de fonctionnement, faute de budget octroyé par l’Etat du Sénégal. La moitié des six suites aurait pu largement suffire aux membres de la Mission Chinoise qui pourrait ainsi libérer les trois autres.
Dans ma lettre de protestation, je faisais remarquer que la coopération entre la République Populaire de Chine et notre pays, était une coopération à saluer et à magnifier. En atteste la prouesse que la composante de la Mission Chinoise, sise dans la Région du fleuve Sénégal, à Podor, a réussie, par l’introduction de la méthode dite du « repiquage à la volée » du riz (ou repiquage par le lancement). Pays le plus peuplé du monde, confronté au problème paradoxal de pénurie de la main-d’œuvre agricole due à l’exode massif des jeunes ruraux vers les villes, la Chine a initié la méthode dite du « repiquage à la volée » du riz, qui se suffit de la force de travail des personnes âgées, dans la mesure où elle permet (i) de réduire notablement la durée et l’intensité du travail, (ii) d’utiliser moins de semences et peu ou pas d’argent de rémunération de main-d’œuvre et (iii) de tripler les rendements agricoles. Par cette méthode, la Mission a pu obtenir des rendements records de 11 tonnes/ha, avec des semences locales (Sahel 208) ou chinoises qui n’autorisent pas plus de 7 tonnes/ha en Chine même. Avec l’usage de semence de riz hybride F1, il est permis, avec la même méthode, d’atteindre 13 à 15 tonnes/ha, voire 17 tonnes/ha avec l’usage de semence du super riz hybride. Ma lettre de protestation est également restée sans suite.
Mais, ce n’était pas tout. Afin de permettre au Centre de disposer de plus de ressources propres pour assurer (i) son fonctionnement et (ii) la formation des producteurs maraîchers, trois hectares de terres du Centre avait été aménagés pour faire des cultures irriguées, sur ma propre initiative et en collaboration avec un privé sénégalais. Pour éviter que le Centre put disposer de moyens lui permettant d’effectuer la formation des producteurs à laquelle elle avait résolument tourné le dos, la Mission Chinoise s’est attelée à saboter la mise en valeur du périmètre.
En Septembre 2010, j’ai déposé une plainte, au niveau de la Brigade de la Gendarmerie de Sangalkam, à l’encontre des membres de la Mission chinoise, pour avoir (i) délibérément privé d’eau l’exploitation agricole du Centre, pendant près d’une semaine et (ii) saboté ensuite la source d’alimentation électrique des pompes, dans le but d’endommager ces dernières. Ma plainte est restée sans suite. Ayant obtenu la certitude selon laquelle la Brigade n’agirait pas, pour cause d’intervention des autorités locales, qui avaient pris faits et gestes pour les Chinois, j’ai déposé une seconde plainte, en Novembre 2010, auprès du Procureur du Département de Rufisque, toujours à l’encontre des membres de la Mission chinoise. Cette seconde plainte est également restée sans suite.
J’ai demandé au Ministère la constitution d’une Commission chargée de venir enquêter sur les réalités du Centre, en vain. De guerre lasse, j’ai demandé, au début du mois de Décembre 2010, à être affecté à la Direction Régionale du Développement Rural (DRDR) de Kolda, en complément d’effectifs. J’étais arrivé à la certitude selon laquelle, au rythme où s’amoncellent les chantiers que nos partenaires chinois étaient en train d’ouvrir un peu partout, dans notre pays, personne n’était disposée à les indisposer. D’ailleurs, au cours d’une réunion de réconciliation entre les ouvriers du Centre et les membres de la Mission chinoise, au sujet d’un contentieux qui les opposaient, l’adjoint du Sous-préfet, ne s’était pas gêné à avouer publiquement que, pour les intérêts des ouvriers ou du Centre, le Sénégal n’était certainement pas disposé à remettre en cause ses bonnes relations avec la Chine. Ma demande d’affectation est également restée sans suite.
Face à mes collègues sénégalais du Centre, qui ont également pris fait et cause pour l’Equipe chinoise, alors que j’étais le seul Sénégalais, parmi eux, à comprendre la langue chinoise et à bien connaître les Chinois, je me devais de quitter le Centre, pour garantir ma propre sécurité, étant seul contre tous, jusqu’à ce que les autorités du Ministère, qui m’y avaient affecté, se soient décidées à réagir. En Mars 2011, j’ai renouvelé ma demande d’être affecté à la DRDR de Kolda. J’étais toujours dans l’attente d’une suite favorable, lorsque j’ai reçu la lettre de mise en demeure et de menace de coupure de salaire.
Monsieur le Ministre,
Votre troisième cible, c’est vous-même, c’est-à-dire, une Autorité qui considère que toute décision prise, de sa part, est sans appel et doit être suivie d’effet, même si cette Autorité a été abusée, pour n’avoir pas reçu toutes les informations requises. Même le Bon Dieu, Lui-même, revient parfois sur ses décisions ; car, les Musulmans apprennent que la Prière, le seul pilier qui n’a pas été donné sur terre, comprenait des milliers de fois à faire quotidiennement ; qu’il a fallu l’intervention du Prophète Muhamed, sur insistance du Prophète Moussa, pour que le Bon Dieu se décidât à revenir sur sa décision et à ramener les prières à cinq (en fait, à sept dont cinq obligatoires et deux vivement recommandées). Quid alors, d’une Autorité qui a au-dessus d’elle, un Premier Ministre, un Président de la République et, surtout, le Peuple du Sénégal ?
Même si je retournais au CPFP, je ne pourrais et ne devrais que continuer le combat que je mène seul depuis quatre ans, contre la Mission Chinoise, un combat certes du genre « David et Goliath », mais que je mènerais jusqu’au bout. A la longue, soit cette situation finira par déteindre sur les relations entre nos deux pays, soit que je finirai par être transformé en « agneau de sacrifice » à l’autel des relations sino-sénégalaises. La décision, de me faire retourner au CPFP, apparaît ainsi pour ce qu’elle est, inopportune et dangereuse.
Si les Chinois sont officiellement dans notre pays, ce n’est certainement pas pour les beaux yeux des Sénégalais. L’Homme d’Etat américain l’a dit et d’autres Hommes d’Etat l’ont rappelé, après lui, que « les Etats n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts ». Autrement dit, « peut importe qu’un chat soit noir ou blanc, l’essentiel est qu’il puisse attraper des souris ». Seulement, il se trouve nous autres Sénégalais, en particuliers, nous autres Africains en général, ne sont pas des souris et ne sommes pas prêts de l’être. S’il y a quelque chose que j’ai appris et vraiment bien appris en République Populaire de Chine, c’est l’amour de mon pays et de mon Contient.
Espérant que les Autorités du Ministère de l’Agriculture sauront ramener les membres de la Mission Agricole Chinoise du CPFP de Sangalkam à des comportements plus responsables et respectueux de leurs engagements, notamment à cesser de détourner les ressources du Centres et à s’atteler à appuyer le Centre dans la formation des producteurs maraîchers des Niayes et, dans l’attente des suites réservées à la présente, je vous pries d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments patriotiques.
Cheikhou GASSAMA
Cheikhou GASSAMA
Ingénieur du Génie Rural
Expert détaché auprès de
la Mission Agricole Chinoise
du CPFP de Sangalkam
Tel : 77 010 83 95 / 76 384 73 92