Ce soir à la télévision et demain sur les couvertures des journaux, les Français et les bibliophiles du monde francophone découvriront un nouveau visage qui compte dans l’univers de la littérature. À l’âge de 35 ans, la Franco-Marocaine Leïla Slimani a remporté ce jeudi 3 novembre avec son deuxième roman, « Chanson douce », la plus prestigieuse récompense littéraire en France, le prix Goncourt. Portrait.
« Je suis très émue, très bouleversée et très heureuse ». Avec sa tête bien faite, une chevelure débordante et un sourire jusqu’aux oreilles, Leïla Slimani a reçu au restaurant Drouot la traditionnelle récompense des lauréats du Goncourt : le chèque purement symbolique de 10 euros, l’espoir de conquérir des dizaines de milliers de lecteurs et la garantie d’entrer dans l’histoire de la littérature en France.
Habillée d’un pull rouge, Leïla Slimani a visiblement savouré ce moment unique dans la vie d’un écrivain, certainement amplifié du fait qu’elle a seulement 35 ans et qu’elle n’en est qu’à son deuxième roman. Et pourtant, dès le premier tour du scrutin, les membres du jury ont voté pour elle, dont Bernard Pivot, visiblement charmé par le style méticuleux et cinématographique de la lauréate : « Elle n’a écrit que deux romans, mais elle en écrira d’autres. C’est une femme talentueuse. »
Née à Rabat, pendant les « années de plomb » du Maroc
Comme son premier roman, Dans le jardin de l'ogre, Leïla Slimani a dédié le prix Goncourt à ses parents qui « m’ont enseigné l’amour de la littérature et de la liberté ». Car rien ne prédestinait cette femme à décrocher un jour le prix littéraire le plus convoité de France. Elle est née à Rabat, au Maroc, le 3 octobre 1981, à l’époque des « années de plomb ».
Grâce à son père, elle et ses deux sœurs sont restées le plus possible à l’abri des tensions sociales et économiques. Othmane Slimani, d’origine modeste, avait réussi à faire des études en France. De retour dans son pays natal, il fait carrière comme secrétaire d’État aux Affaires économiques avant de diriger une banque qui provoquera plus tard sa chute, emportée par un scandale financier dont il ne s’est jamais remis, jusqu’à sa mort en 2004.
Une mère médecin, libre et indépendante
De sa mère, une femme avec des origines alsaciennes et algériennes, Leïla Slimani a hérité la liberté d’esprit et de parole. Elle est fière de cette médecin ORL, une des premières femmes médecins du Maroc qui lui a montré le chemin d’une vie libre et indépendante. À 18 ans, quand elle avait terminé le lycée français de Rabat, elle part pour Paris, passe par les classes préparatoires littéraires et Sciences Po. Une tentative au cinéma s’avère peu convaincante, alors elle choisit de devenir journaliste, d’abord à l’Express, puis à Jeune Afrique.
Avec son deuxième roman, elle a peut-être trouvé sa voie. En tant qu’écrivaine, elle peut fusionner ses passions et ses rêves. Elle voulait être psychiatre ? Elle se fera un plaisir de travailler l’aspect psychologique de ses personnages. Elle voulait faire du cinéma ? Son premier roman, Dans le jardin de l’ogre, l’histoire d’une bourgeoise nymphomane souffrant terriblement de sa dépendance sexuelle, sera bientôt porté à l’écran.
« Chanson douce », une histoire morbide de tueuse d’enfants
Aujourd’hui, Leïla Slimani est mariée à un banquier et tous les deux profitent de leur fils de 5 ans. Elle est donc bien placée pour creuser le récit d’un couple un peu bobo à la recherche du sens de la vie et passant par une nounou censée les libérer de la corvée quotidienne. Chanson douce, cette histoire morbide de cette tueuse d’enfants provient d’un fait divers qui s’est déroulé à New York, en 2012. Elle l’a transposé à Paris, mais les questions posées dans le livre sont bien universelles : comment concilier la vie privée et professionnelle ? Comment vivre entre la richesse et la pauvreté, entre privilèges et exclusion ?
Les descriptions des faces sombres de la Ville Lumière sont le reflet de la relation entre la nounou et les parents et comptent parmi les meilleurs moments du livre. Dans sa jeunesse, Leïla Slimani adorait Stefan Zweig, l’auteur de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme. Aujourd’hui, sa Chanson douce semble également écrite d’un seul trait et provoquée par la même confusion des sentiments.
Leïla Slimani et le Maroc
Pour le Franco-Marocain Tahar Ben Jelloun, lauréat du Goncourt en 1987 et aujourd’hui membre du jury, Leïla Slimani « a apporté à la langue française une nouvelle facette d’écriture. Autrement dit, la francophonie, ça vit notamment grâce aux métèques », a-t-il affirmé à l’AFP.
Quant à Leïla Slimani, bien enracinée à Paris depuis 17 ans, elle a confié au micro de RFI après l’annonce du prix : « Je crois que les Marocains seront très heureux. Je suis rentrée du Maroc hier. J’ai passé quatre jours au Maroc. En particulier, j’étais très émue par les étudiants et surtout les jeunes étudiantes que j’ai rencontrées, qui ont envie d’écrire, qui ont envie de lire, qui ont envie de liberté, d’une parole libre et franche, et j’espère vraiment être à la hauteur de ce qu’elles attendent de moi. »
Le besoin de reconnaissance et le goût de la provocation risquent de banaliser, légitimer et susciter toutes sortes de réflexes qui si l’on y prend garde. Il risque également d’ébranler le socle de notre société.
Source rfi.fr