Vous avez sans doute suivi l’affaire Segura, qui continue de défrayer la chronique avec notamment l’avocat Me Sidiki Kaba (émission Grand Jury de Rfm de dimanche) qui demande aux députés de «prendre leur responsabilité» après que la diaspora sénégalaise aux Etats-Unis a organisé une marche samedi pour dénoncer la corruption au haut niveau de l’Etat. Quel commentaire faites-vous de cette affaire ?
En fait dans cette affaire-là, comme vous dites, il faut lever quelques préalables avant de l’aborder dans le fond. On entend beaucoup de choses : «sur le lieu où cela s’est passé, qui a remis, s’il a été arrêté ou pas… », c’est pas important. Mais, ce qui est important et constant aujourd’hui, c’est que plus personne de conteste qu’une forte somme d’argent a été remise au représentant résident du Fmi en partance ; personne ne le conteste ni à Washington au siège du Fmi ni au Sénégal. On nous dit que cette somme est plus moins importante- quelqu’un (le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, NDLR) a été même jusqu’à dire que cela ne peut même pas permettre d’acheter un appartement à Paris, encore que ça dépend – mais pour le Sénégalais normal, cette somme est exorbitante.
Qu’est-ce qui peut motiver le geste de la présidence ?
Sur ce point on a aussi entendu plusieurs versions. On a parlé de corruption, moi je crois que cette thèse ne tient pas la route. Ce monsieur (Alex Segura, NDLR) est déjà parti, et sa position au Fmi, une fois au siège, n’est pas si importante et ne lui donne pas un accès significatif dans les dossiers sénégalais. Donc l’intéressé n’est pas susceptible ni de revenir officiellement au Sénégal, ni d’avoir une influence quelconque dans le futur sur un dossier du Sénégal, vu son niveau, somme toute modeste, dans la hiérarchie du FMI.
D’aucuns ont parlé de piège qui serait tendu au fonctionnaire du Fmi…
Ici encore, même si un calcul aussi machiavélique était fait (on ne prête qu’aux riches), il se retournerait contre ses auteurs et le Sénégal y perdrait gravement dans ses relations avec non seulement le Fmi, mais aussi avec l’ensemble de ses partenaires bi et multilatéraux. Nous deviendrons des pestiférés, des parias. Quant à la «tradition sénégalaise» invoquée et avec beaucoup de gêne, ceux-là qui le disent sont très éloignés du monde économique et financier. Sinon ils comprendraient que cette tradition d’offrir un cadeau à celui qui s’en va (encore faut-il qu’il soit un ami), dont la pertinence dans le corpus des valeurs cardinales du sénégalais reste à démontrer, ne peut s’accommoder de la mission confiée par toute la Communauté Internationale, précisément au Fmi, de promouvoir et de veiller à l’application de pratiques qui s’inscrivent dans la bonne gouvernance économique, la transparence et la lutte contre la corruption, qu’imposent la mondialisation et l’universalisme. C’est clair que c’est une maladresse extraordinaire.
Quel est finalement votre avis sur la finalité de l’acte du pouvoir sénégalais ?
En écartant les thèses de la corruption, de la tradition et du piège, il ne reste plus alors que le remerciement pour services rendus, avec, il faut le reconnaître, toute la charge de naïveté, d’incompétence et d’incohérence que peu de gens lucides peuvent imaginer. Cette thèse est écartée par des observateurs, notamment des médias d’ici et d’ailleurs, avec l’argument que le Représentant Résident aurait le plus souvent été très critique et très dur à l’égard des autorités sénégalais et de la gestion de l’économie en général. Si cela avait été le cas, le fonctionnaire n’aurait fait que remplir son rôle d’être non pas un diplomate comme doit l’être un ambassadeur, mais l’œil, les oreilles, le cerveau et la voix du Fmi à Dakar, en attirant l’attention sur ce qui ne va pas, en prévenant des risques courus, en proposant des correctifs, etc., c’est-à-dire en étant utile sans avoir à jeter des fleurs. Donc s’il a été dur, le peu qu’il a été dur, c’était son devoir. Mais, pour moi tout cela a été une vaste comédie.
Ah bon ?
Oui, je le pense profondément. Parce que le peu qu’il a dénoncé, lui qui était au cœur des dossiers, des gens éloignés étaient déjà au courant ; le problème des dépassements budgétaires sautaient déjà aux yeux quand il s’est mis à les dénoncer. A mon avis, s’il l’a fait de la manière qu’il s’y est pris, c’était plutôt pour se protéger de ses patrons du Fmi qui pourraient dire «Ah il était là, et il n’a rien dit». Si ça ne marche pas, on dira qu’il a mal travaillé. Donc, le représentant résident a intérêt à arrondir les angles pour son propre bien. Et, je le répète c’était une comédie, tout ce qu’il a dénoncé, c’était des choses grosses comme un bœuf et qui crevaient les yeux.
Vous dénoncez donc les agissements de M. Segura ?
Sur ce point, je rappelle que lorsque j’ai été invité le 5 juillet dernier à l’émission « Grand Jury » de la RFM, j’ai eu, sans ambages, à fustiger vertement le comportement du Représentant Résident qui intervenait sur des problèmes sénégalo-sénégalais. Le vase avait «débordé» parce que la veille, la Rts (télévision) nous avait imposé un long publi-reportage réalisé à grands frais par l’ANOCI, dans lequel le Représentant Résident avait été l’un des grands « décerneurs» de satisfécit ; rôle qui n’était pas le sien, sans aucun doute. Il était à côté des patrons du Btp bénéficiaires des marchés exécutés dans le cadre des travaux de l’Anoci, et il a été plus long et trop loin dans son intervention. Le constatant bien tard, il a été amené à tenter, sans succès, une mise au point lamentable pour se disculper.
Il est aussi arrivé au Représentant Résident de se permettre d’être assis aux côtés d’un responsable de l’Etat qui tenait une conférence de presse : ce qui était encore une grave erreur parce que sa présence constituait une caution morale de tout ce qui pouvait se dire, même les plus grandes contrevérités.
En somme, les prises de positions critiques ou dures du représentant résident du Fmi partant relevaient, à mon avis, plus de la comédie, de la mise en scène, que de la réalité : dire haut et fort ce que même ceux qui ne sont pas proches des dossiers savent déjà ; être complaisant voire complice quand il s’agit de choses graves, fondamentales. Cette complicité du reste, dépassait souvent les relations professionnelles.
Vous voulez dire qu’il y avait une sorte d’ambigüité dans les positions de M. Segura ?
Je vais vous faire une confidence qui vaut comme réponse. Des chancelleries installées à Dakar ont déploré cette position ambiguë du représentant résident : un discours critique devant les bailleurs de fonds, mais édulcoré pour les sénégalais.
C’est le lieu de déplorer l’importance démesurée qu’ont conférée à ce fonctionnaire du FMI, les autorités sénégalaises et aussi, il faut le dire, les médiats : ce qu’il disait apparaissait comme parole d’évangile, c’était comme un vice-roi. Et pourtant, dans la hiérarchie de l’administration du Fonds, sa place est relativement modeste : il suffit de se dire que le Fonds a plus d’une centaine de représentants résidents dans le monde, en Afrique, en Asie, dans les pays de l’Est, en Amérique latine. Pourtant, nul n’étant prophète chez soi, c’est sans doute pourquoi on oublie que de nombreux sénégalais ont été représentants résidents du Fmi ou de la Banque mondiale à travers le monde ; et très au dessus d’eux, un fils du Sénégal, Doudou Dia en l’occurrence, a occupé par deux fois, les prestigieuses fonctions de directeur du Département Afrique du Fmi. Je vais vous dire, cela fait plus de 25 ans que le Fmi a un représentant résident à Dakar ; la retenue, la réserve, la discrétion et le professionnalisme des représentants résidents d’alors, Robert Franco, le premier, puis Jean Claude Brou, l’Ivoirien, devenu Directeur de cabinet d’Alassane Ouattara Premier ministre de Côte d’Ivoire, etc., n’ont rien de commun avec le comportement du dernier représentant résident du FMI. C’est sans doute ce qui a ouvert la porte à ce geste d’une naïveté, d’une absurdité, d’une vulgarité et d’une extravagance qui vous laissent sans voix.
Quelles conséquences pourraient avoir cette affaire pour le Sénégal et de quel ordre ?
Alors, quand vous parlez de conséquences pour le Sénégal, je dois dire que par-delà les termes imagés que vos confrères et vous-mêmes, vous avez utilisés à satiété et qui sont fort justifiés : «honte, risée, cynisme, maladresse, bêtise, désastre, geste inouï, etc.», j’ajouterai qu’il s’agit là d’un véritable Tsunami qui est en train de déferler sur le Sénégal. Notre pays est devenu un paria, un pestiféré ; il n’est plus fréquentable dans la communauté économique et financière internationale parce que ses interlocuteurs et ses partenaires traditionnels seront suspectés d’être acteurs de telles pratiques et autres contraires à la bonne gouvernance et à la transparence.
Concrètement, est-ce à dire que les représentants des bailleurs de fonds vont être plus sévères vis-à-vis du Sénégal ?
Mais oui. Par exemple, avant même l’affaire du représentant résident partant, le bazardage des terrains de l’aéroport avait suscité de violentes réactions de nos partenaires. Des financements ont été différés voire annulés comme le montre avec éloquence l’exécution du budget pour les 8 premiers mois de l’année 2009 : 247 milliards de recettes externes prévus dans la loi des finances rectificative pour l’année, 84 milliards de francs réalisés pour les 8 premiers mois, soit seulement 34% (voir page 25 projet de budget 2010) ; sur la même période, pour les dons budgétaires, emprunts, programmes etc., 28,65 milliards de francs réalisés en 8 mois sur 241,1 milliards pour l’année soit seulement 11,88% (voir page 25 projet de budget ).
Par ailleurs, nous savions déjà que les dossiers du Sénégal passaient au Conseil d’Administration du Fmi grâce à des coups de pouce et beaucoup de bienveillance de la part des administrateurs représentants des pays amis, mais tous ceux-là useront de sévérité dorénavant avec le Sénégal. Or le Fmi est le passage obligé pour l’accès à tous les financements des pays développés et de nombreuses instituions internationales. En un mot, de chouchou des bailleurs de fonds que le Sénégal a été, il est devenu, un mouton noir, un Etat-voyou à qui rien ne sera, à leurs yeux toléré et encore moins pardonné. Pour illustrer l’importance des appuis que nous apportent nos partenaires, il suffit de mettre en face deux chiffres du projet de budget 2010 : 439,5 milliards et 441 milliards : 439,5 milliards des financements internes des investissements contre 441,1 milliards d’emprunts, dons et dons budgétaires pour les investissements, ce qui veut dire que nos partenaires contribuent pour un peu plus que nous dans nos investissements. Or, dans le même temps et déjà, on constate qu’après 8 mois d’exécution du budget 2009, 26 milliards de dons budgétaires ont été reçus sur 51,2 milliards prévus, soit 51, 25 %, zéro (0) milliard reçu dans le cadre des emprunts- programmes pour 111,9 prévus, 23,76 milliards de dons projet reçus sur 130,844 milliards prévus, soit seulement 18,16%, 60,25 milliards de tirages sur dons et emprunts pour 116,156 milliards prévus, soit 51,88%. Au total, sur 410 milliards attendus, seuls 110 milliards ont été reçus, soit moins de 27%. Alors, on peut deviner ce qu’un scandale comme l’affaire du représentant résident du Fmi peut avoir comme conséquence négative sur ces réalisations déjà si faibles, donc sur notre avenir économique et social immédiat.
Justement, comment entrevoyez-vous la situation économique et sociale du pays à proche terme ?
Les effets de cette affaire du représentant résident, ajoutés aux effets de la crise économique qui se poursuivent chez nous et à nos relations diplomatiques difficiles avec bien de pays, me fait dire que le Sénégal, malheureusement, va connaître des lendemains plus difficiles encore. Cette situation ne doit pas être lue avec une fenêtre de tir sectorielle. A mon avis, nous nous trouvons en face d’un puzzle très complexe, dont tous les éléments sont donc fortement imbriqués les uns dans les autres et agissent les uns sur les autres. Il se trouve malheureusement qu’il n’y a pas un seul élément dans une situation favorable qui puisse influer sur les autres et sur l’ensemble. Bien au contraire, il apparait que chaque élément tire les autres vers le bas.
Est-ce que dans cette perspective le projet de budget 2010 est réaliste ?
Déjà si on remonte à la loi de finances rectificative voté en juin dernier, parce qu’il y avait des moins-values, c’est-à-dire que les recettes attendues ne sont pas rentrées. Aujourd’hui, on est à 52% de rentrée des recettes prévues pour 2009. Et si on projette pour le temps restant, on va arriver à moins de 80 %. Au regard de cela et de beaucoup d’autres choses, il y a quand même un réalisme à avoir. Dans la loi de finances rectificative 2009, on projette une baisse de recettes de 4,2 %, par rapport à 2008. Pour 2010, on projette une augmentation des recettes internes de l’ordre de 7,33 %, ce n’est pas réaliste.
Donc, alors que tout milite pour une baisse de recettes internes, le gouvernement les revoit à la hausse les budgets de certaines institutions. Comment l’expliquez-vous ?
Ce qui va se passer, c’est que les investissements qui devraient faits vers la santé, les infrastructures, l’éducation, l’agriculture qui vont être diminués pour être transférés ailleurs. Et comme cela s’est passé dans la loi de finance rectificative 2009, alors même que les recettes baissent, on a augmenté les budgets de certaines institutions dont la présidence de la République.
Mais, l’espoir d’une campagne agricole suscité par la bonne pluviométrie n’est-il pas pour rendre optimiste le gouvernement quant à un redressement de la situation économique ?
On aura de bonnes récoltes certes, mais les circuits de commercialisation agricole ont été tellement perturbés que notre production va en Gambie et ailleurs, parce que elle est mieux rémunérée. Ensuite, lorsque même si vous faites 1 million de tonnes de récolte, et que la Suneor ne peut en prendre que 200 000 tonnes, comment peut-on alors parler d’une bonne campagne agricole. C’est lorsque l’essentiel de la production était acheté et que les paysans encaissent des revenus, qu’ils aient un pouvoir d’achat et consomment, que cela faisait tourner l’économie ; maintenant ce n’est plus le cas. Au contraire, les gens bradent leur production puisque tout n’est pas acheté par la société des oléagineux. Cela ne fait pas tourner une économie. Cela voudrait dire que la croissance, projetée avant la loi de finance à 5,2%, après à 1,5 % de prévision. Et, si nous avons 1% en fin 2009 de croissance il faudra s’estimer heureux. Dans ce dernier cas de figure, on voit que pendant ce temps la population augmente de 2,3 à 2,5 %, cela veut dire que chaque Sénégalais aura 2 % de moins dans ses revenus. Cela veut dire que le taux de croissance réel est négatif, car statistiquement, c’est 2 à 1,7 % d’appauvrissement pour chaque Sénégalais. Ce budget 2010 aurait dû être de rigueur par rapport aux contreperformances de 2009, mais au contraire, on assiste à une fuite en avant, parce qu’on fait augmenter les crédits de 7,33 %, on va dépenser plus surtout en fonctionnement -comme avec la présidence qui a 3,6 milliards d’augmentation de fonctionnement. Et quand on est sourd aux signaux rouges, on va droit au mur.
source; l'observateur
En fait dans cette affaire-là, comme vous dites, il faut lever quelques préalables avant de l’aborder dans le fond. On entend beaucoup de choses : «sur le lieu où cela s’est passé, qui a remis, s’il a été arrêté ou pas… », c’est pas important. Mais, ce qui est important et constant aujourd’hui, c’est que plus personne de conteste qu’une forte somme d’argent a été remise au représentant résident du Fmi en partance ; personne ne le conteste ni à Washington au siège du Fmi ni au Sénégal. On nous dit que cette somme est plus moins importante- quelqu’un (le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye, NDLR) a été même jusqu’à dire que cela ne peut même pas permettre d’acheter un appartement à Paris, encore que ça dépend – mais pour le Sénégalais normal, cette somme est exorbitante.
Qu’est-ce qui peut motiver le geste de la présidence ?
Sur ce point on a aussi entendu plusieurs versions. On a parlé de corruption, moi je crois que cette thèse ne tient pas la route. Ce monsieur (Alex Segura, NDLR) est déjà parti, et sa position au Fmi, une fois au siège, n’est pas si importante et ne lui donne pas un accès significatif dans les dossiers sénégalais. Donc l’intéressé n’est pas susceptible ni de revenir officiellement au Sénégal, ni d’avoir une influence quelconque dans le futur sur un dossier du Sénégal, vu son niveau, somme toute modeste, dans la hiérarchie du FMI.
D’aucuns ont parlé de piège qui serait tendu au fonctionnaire du Fmi…
Ici encore, même si un calcul aussi machiavélique était fait (on ne prête qu’aux riches), il se retournerait contre ses auteurs et le Sénégal y perdrait gravement dans ses relations avec non seulement le Fmi, mais aussi avec l’ensemble de ses partenaires bi et multilatéraux. Nous deviendrons des pestiférés, des parias. Quant à la «tradition sénégalaise» invoquée et avec beaucoup de gêne, ceux-là qui le disent sont très éloignés du monde économique et financier. Sinon ils comprendraient que cette tradition d’offrir un cadeau à celui qui s’en va (encore faut-il qu’il soit un ami), dont la pertinence dans le corpus des valeurs cardinales du sénégalais reste à démontrer, ne peut s’accommoder de la mission confiée par toute la Communauté Internationale, précisément au Fmi, de promouvoir et de veiller à l’application de pratiques qui s’inscrivent dans la bonne gouvernance économique, la transparence et la lutte contre la corruption, qu’imposent la mondialisation et l’universalisme. C’est clair que c’est une maladresse extraordinaire.
Quel est finalement votre avis sur la finalité de l’acte du pouvoir sénégalais ?
En écartant les thèses de la corruption, de la tradition et du piège, il ne reste plus alors que le remerciement pour services rendus, avec, il faut le reconnaître, toute la charge de naïveté, d’incompétence et d’incohérence que peu de gens lucides peuvent imaginer. Cette thèse est écartée par des observateurs, notamment des médias d’ici et d’ailleurs, avec l’argument que le Représentant Résident aurait le plus souvent été très critique et très dur à l’égard des autorités sénégalais et de la gestion de l’économie en général. Si cela avait été le cas, le fonctionnaire n’aurait fait que remplir son rôle d’être non pas un diplomate comme doit l’être un ambassadeur, mais l’œil, les oreilles, le cerveau et la voix du Fmi à Dakar, en attirant l’attention sur ce qui ne va pas, en prévenant des risques courus, en proposant des correctifs, etc., c’est-à-dire en étant utile sans avoir à jeter des fleurs. Donc s’il a été dur, le peu qu’il a été dur, c’était son devoir. Mais, pour moi tout cela a été une vaste comédie.
Ah bon ?
Oui, je le pense profondément. Parce que le peu qu’il a dénoncé, lui qui était au cœur des dossiers, des gens éloignés étaient déjà au courant ; le problème des dépassements budgétaires sautaient déjà aux yeux quand il s’est mis à les dénoncer. A mon avis, s’il l’a fait de la manière qu’il s’y est pris, c’était plutôt pour se protéger de ses patrons du Fmi qui pourraient dire «Ah il était là, et il n’a rien dit». Si ça ne marche pas, on dira qu’il a mal travaillé. Donc, le représentant résident a intérêt à arrondir les angles pour son propre bien. Et, je le répète c’était une comédie, tout ce qu’il a dénoncé, c’était des choses grosses comme un bœuf et qui crevaient les yeux.
Vous dénoncez donc les agissements de M. Segura ?
Sur ce point, je rappelle que lorsque j’ai été invité le 5 juillet dernier à l’émission « Grand Jury » de la RFM, j’ai eu, sans ambages, à fustiger vertement le comportement du Représentant Résident qui intervenait sur des problèmes sénégalo-sénégalais. Le vase avait «débordé» parce que la veille, la Rts (télévision) nous avait imposé un long publi-reportage réalisé à grands frais par l’ANOCI, dans lequel le Représentant Résident avait été l’un des grands « décerneurs» de satisfécit ; rôle qui n’était pas le sien, sans aucun doute. Il était à côté des patrons du Btp bénéficiaires des marchés exécutés dans le cadre des travaux de l’Anoci, et il a été plus long et trop loin dans son intervention. Le constatant bien tard, il a été amené à tenter, sans succès, une mise au point lamentable pour se disculper.
Il est aussi arrivé au Représentant Résident de se permettre d’être assis aux côtés d’un responsable de l’Etat qui tenait une conférence de presse : ce qui était encore une grave erreur parce que sa présence constituait une caution morale de tout ce qui pouvait se dire, même les plus grandes contrevérités.
En somme, les prises de positions critiques ou dures du représentant résident du Fmi partant relevaient, à mon avis, plus de la comédie, de la mise en scène, que de la réalité : dire haut et fort ce que même ceux qui ne sont pas proches des dossiers savent déjà ; être complaisant voire complice quand il s’agit de choses graves, fondamentales. Cette complicité du reste, dépassait souvent les relations professionnelles.
Vous voulez dire qu’il y avait une sorte d’ambigüité dans les positions de M. Segura ?
Je vais vous faire une confidence qui vaut comme réponse. Des chancelleries installées à Dakar ont déploré cette position ambiguë du représentant résident : un discours critique devant les bailleurs de fonds, mais édulcoré pour les sénégalais.
C’est le lieu de déplorer l’importance démesurée qu’ont conférée à ce fonctionnaire du FMI, les autorités sénégalaises et aussi, il faut le dire, les médiats : ce qu’il disait apparaissait comme parole d’évangile, c’était comme un vice-roi. Et pourtant, dans la hiérarchie de l’administration du Fonds, sa place est relativement modeste : il suffit de se dire que le Fonds a plus d’une centaine de représentants résidents dans le monde, en Afrique, en Asie, dans les pays de l’Est, en Amérique latine. Pourtant, nul n’étant prophète chez soi, c’est sans doute pourquoi on oublie que de nombreux sénégalais ont été représentants résidents du Fmi ou de la Banque mondiale à travers le monde ; et très au dessus d’eux, un fils du Sénégal, Doudou Dia en l’occurrence, a occupé par deux fois, les prestigieuses fonctions de directeur du Département Afrique du Fmi. Je vais vous dire, cela fait plus de 25 ans que le Fmi a un représentant résident à Dakar ; la retenue, la réserve, la discrétion et le professionnalisme des représentants résidents d’alors, Robert Franco, le premier, puis Jean Claude Brou, l’Ivoirien, devenu Directeur de cabinet d’Alassane Ouattara Premier ministre de Côte d’Ivoire, etc., n’ont rien de commun avec le comportement du dernier représentant résident du FMI. C’est sans doute ce qui a ouvert la porte à ce geste d’une naïveté, d’une absurdité, d’une vulgarité et d’une extravagance qui vous laissent sans voix.
Quelles conséquences pourraient avoir cette affaire pour le Sénégal et de quel ordre ?
Alors, quand vous parlez de conséquences pour le Sénégal, je dois dire que par-delà les termes imagés que vos confrères et vous-mêmes, vous avez utilisés à satiété et qui sont fort justifiés : «honte, risée, cynisme, maladresse, bêtise, désastre, geste inouï, etc.», j’ajouterai qu’il s’agit là d’un véritable Tsunami qui est en train de déferler sur le Sénégal. Notre pays est devenu un paria, un pestiféré ; il n’est plus fréquentable dans la communauté économique et financière internationale parce que ses interlocuteurs et ses partenaires traditionnels seront suspectés d’être acteurs de telles pratiques et autres contraires à la bonne gouvernance et à la transparence.
Concrètement, est-ce à dire que les représentants des bailleurs de fonds vont être plus sévères vis-à-vis du Sénégal ?
Mais oui. Par exemple, avant même l’affaire du représentant résident partant, le bazardage des terrains de l’aéroport avait suscité de violentes réactions de nos partenaires. Des financements ont été différés voire annulés comme le montre avec éloquence l’exécution du budget pour les 8 premiers mois de l’année 2009 : 247 milliards de recettes externes prévus dans la loi des finances rectificative pour l’année, 84 milliards de francs réalisés pour les 8 premiers mois, soit seulement 34% (voir page 25 projet de budget 2010) ; sur la même période, pour les dons budgétaires, emprunts, programmes etc., 28,65 milliards de francs réalisés en 8 mois sur 241,1 milliards pour l’année soit seulement 11,88% (voir page 25 projet de budget ).
Par ailleurs, nous savions déjà que les dossiers du Sénégal passaient au Conseil d’Administration du Fmi grâce à des coups de pouce et beaucoup de bienveillance de la part des administrateurs représentants des pays amis, mais tous ceux-là useront de sévérité dorénavant avec le Sénégal. Or le Fmi est le passage obligé pour l’accès à tous les financements des pays développés et de nombreuses instituions internationales. En un mot, de chouchou des bailleurs de fonds que le Sénégal a été, il est devenu, un mouton noir, un Etat-voyou à qui rien ne sera, à leurs yeux toléré et encore moins pardonné. Pour illustrer l’importance des appuis que nous apportent nos partenaires, il suffit de mettre en face deux chiffres du projet de budget 2010 : 439,5 milliards et 441 milliards : 439,5 milliards des financements internes des investissements contre 441,1 milliards d’emprunts, dons et dons budgétaires pour les investissements, ce qui veut dire que nos partenaires contribuent pour un peu plus que nous dans nos investissements. Or, dans le même temps et déjà, on constate qu’après 8 mois d’exécution du budget 2009, 26 milliards de dons budgétaires ont été reçus sur 51,2 milliards prévus, soit 51, 25 %, zéro (0) milliard reçu dans le cadre des emprunts- programmes pour 111,9 prévus, 23,76 milliards de dons projet reçus sur 130,844 milliards prévus, soit seulement 18,16%, 60,25 milliards de tirages sur dons et emprunts pour 116,156 milliards prévus, soit 51,88%. Au total, sur 410 milliards attendus, seuls 110 milliards ont été reçus, soit moins de 27%. Alors, on peut deviner ce qu’un scandale comme l’affaire du représentant résident du Fmi peut avoir comme conséquence négative sur ces réalisations déjà si faibles, donc sur notre avenir économique et social immédiat.
Justement, comment entrevoyez-vous la situation économique et sociale du pays à proche terme ?
Les effets de cette affaire du représentant résident, ajoutés aux effets de la crise économique qui se poursuivent chez nous et à nos relations diplomatiques difficiles avec bien de pays, me fait dire que le Sénégal, malheureusement, va connaître des lendemains plus difficiles encore. Cette situation ne doit pas être lue avec une fenêtre de tir sectorielle. A mon avis, nous nous trouvons en face d’un puzzle très complexe, dont tous les éléments sont donc fortement imbriqués les uns dans les autres et agissent les uns sur les autres. Il se trouve malheureusement qu’il n’y a pas un seul élément dans une situation favorable qui puisse influer sur les autres et sur l’ensemble. Bien au contraire, il apparait que chaque élément tire les autres vers le bas.
Est-ce que dans cette perspective le projet de budget 2010 est réaliste ?
Déjà si on remonte à la loi de finances rectificative voté en juin dernier, parce qu’il y avait des moins-values, c’est-à-dire que les recettes attendues ne sont pas rentrées. Aujourd’hui, on est à 52% de rentrée des recettes prévues pour 2009. Et si on projette pour le temps restant, on va arriver à moins de 80 %. Au regard de cela et de beaucoup d’autres choses, il y a quand même un réalisme à avoir. Dans la loi de finances rectificative 2009, on projette une baisse de recettes de 4,2 %, par rapport à 2008. Pour 2010, on projette une augmentation des recettes internes de l’ordre de 7,33 %, ce n’est pas réaliste.
Donc, alors que tout milite pour une baisse de recettes internes, le gouvernement les revoit à la hausse les budgets de certaines institutions. Comment l’expliquez-vous ?
Ce qui va se passer, c’est que les investissements qui devraient faits vers la santé, les infrastructures, l’éducation, l’agriculture qui vont être diminués pour être transférés ailleurs. Et comme cela s’est passé dans la loi de finance rectificative 2009, alors même que les recettes baissent, on a augmenté les budgets de certaines institutions dont la présidence de la République.
Mais, l’espoir d’une campagne agricole suscité par la bonne pluviométrie n’est-il pas pour rendre optimiste le gouvernement quant à un redressement de la situation économique ?
On aura de bonnes récoltes certes, mais les circuits de commercialisation agricole ont été tellement perturbés que notre production va en Gambie et ailleurs, parce que elle est mieux rémunérée. Ensuite, lorsque même si vous faites 1 million de tonnes de récolte, et que la Suneor ne peut en prendre que 200 000 tonnes, comment peut-on alors parler d’une bonne campagne agricole. C’est lorsque l’essentiel de la production était acheté et que les paysans encaissent des revenus, qu’ils aient un pouvoir d’achat et consomment, que cela faisait tourner l’économie ; maintenant ce n’est plus le cas. Au contraire, les gens bradent leur production puisque tout n’est pas acheté par la société des oléagineux. Cela ne fait pas tourner une économie. Cela voudrait dire que la croissance, projetée avant la loi de finance à 5,2%, après à 1,5 % de prévision. Et, si nous avons 1% en fin 2009 de croissance il faudra s’estimer heureux. Dans ce dernier cas de figure, on voit que pendant ce temps la population augmente de 2,3 à 2,5 %, cela veut dire que chaque Sénégalais aura 2 % de moins dans ses revenus. Cela veut dire que le taux de croissance réel est négatif, car statistiquement, c’est 2 à 1,7 % d’appauvrissement pour chaque Sénégalais. Ce budget 2010 aurait dû être de rigueur par rapport aux contreperformances de 2009, mais au contraire, on assiste à une fuite en avant, parce qu’on fait augmenter les crédits de 7,33 %, on va dépenser plus surtout en fonctionnement -comme avec la présidence qui a 3,6 milliards d’augmentation de fonctionnement. Et quand on est sourd aux signaux rouges, on va droit au mur.
source; l'observateur