Wal Fadjri : Quel commentaire faites-vous sur le retour annoncé d'Idrissa Seck auprès de Me Wade ?
Macky SALL : C'est son choix. Il est libre d'agir comme il le veut, comme je suis libre d'agir comme je veux. Je constate simplement que le retour pourrait être effectif ou serait effectif. Je ne peux donc pas le commenter.
Wal Fadjri : On sait qu'Idy vous avait contacté pour reconstituer ce qu'on a appelé la grande famille libérale. Qu’en est-il ?
Macky SALL : Lors des élections locales, il avait initié une démarche dans ce sens, parlant de la famille libérale. Mais, évidemment, nous n'avions pas les mêmes opinions là-dessus. Encore une fois, chacun fait ce que bon lui semble et qu'il croit être la bonne voie. Il faut donc accepter que les uns et les autres puissent emprunter leur chemin. Ce que je ne peux pas accepter, par contre, c’est qu’on me refuse le droit d’avoir mon chemin. Mon choix actuel est de faire avancer le Sénégal et j'ai la conscience que nous pouvons bien faire mieux.
Wal Fadjri : Faire mieux, dite-vous, cela voudrait-il dire que la société sénégalaise n'est pas sur de bons rails ?
Macky SALL : Il faut reconnaître que beaucoup de choses utiles ont été faites. Mais, dans la marche d'un système, vous avez, comme on le dit dans le jargon ferroviaire, le déraillement ou les sorties de route pour les véhicules. Il y a eu des déraillements et des sorties de route. Qu'est-ce qui l’a provoqué ? Qui a été à l'origine ? Là-dessus, chacun peut donner son avis. Mais, ce qui se passe aujourd'hui, ne devrait pas se passer. C'est ce qu'il faut rectifier.
Wal Fadjri : Donc, alterner l'alternance ?
Macky SALL : Oui, il faut alterner l'alternance. Il faut rectifier l’alternance pour faire renaître l’espoir. Beaucoup de militants du Pds sont dans cette perspective. Beaucoup pensent que nous devons corriger ce qui est apparu comme des déviations. Je ne lancerai pas un débat idéologique sur la déviation ou autre, mais en tous les cas, le Sopi devrait faire mieux que ce qu'il fait aujourd'hui.
Wal Fadjri : Vous voulez devenir président du Sénégal comme d'autres dans l'opposition. Quel rôle allez-vous personnellement jouer pour renverser Me Wade ?
Macky SALL : Je ne suis pas un révolutionnaire pour renverser qui que ce soit. Il faut faire partir Abdoulaye Wade dans le cadre d'une élection démocratique. Dans une élection où les règles du jeu sont respectées. Bien sûr, je comprends la pression que vivent les Sénégalais. Je comprends également l’empressement avec lequel, ils veulent mettre un terme à son régime, mais nous avons un calendrier républicain. Mon parti s'appelle l'Alliance pour la République. Nous sommes des républicains. De ce point de vue, nous n'avons pas toujours la même terminologie que certains de nos camarades de l'opposition. Je parlerai plutôt d'alterner l'alternance. C'est l’Alternance qui a été le processus de changement du Parti socialiste (Ps) qui a géré le Sénégal pendant quatre décennies. Aujourd'hui, il faut aussi changer le régime du Sopi dans le cadre d'élections libres, démocratiques et transparentes où on ne changerait pas les règles du jeu. Il ne faut pas non plus qu'on modifie la Constitution pour donner la chance au Pds.
Wal Fadjri : Il a été beaucoup question d'ailleurs d'un projet du Pds tendant à la suppression du deuxième tour de l'élection présidentielle. Y êtes-vous favorable ?
Macky SALL : La suppression du deuxième tour ne peut pas se faire. Ce n'est pas acceptable. Je l'ai déjà dit à Touba. Personne ne l’acceptera. Pour moi, ce débat est clos. Je ne crois quand même pas que le président Wade puisse en arriver là. Ce n'est pas possible que le Sénégal recule autant. Il faut sauver le peu qui reste de l'image du Sénégal. Ce sont des esprits excités qui veulent entraîner le président dans cette descente. Ma conviction est qu'il n'acceptera pas de se laisser entraîner à ce niveau. Et s'il était tenté de le faire, le peuple ne l'accepterait pas, de même que les acteurs politiques. Ce serait vraiment créer le désordre dans le pays et nous n'en avons pas besoin.
Wal Fadjri : Comment vous situez-vous par rapport au landernau politique sénégalais ?
Macky SALL : Depuis que j’ai quitté la majorité, je suis dans l’opposition. Soit on est dans la majorité, soit on est dans l'opposition. Je me bats pour la conquête démocratique du pouvoir avec l'ensemble des militants et sympathisants de l'Alliance pour la République (Apr), avec les militantes et militants de Bennoo Siggil Senegaal, cette grande coalition de l'opposition, pour justement alterner l'alternance.
Wal Fadjri : Pouvez-vous revenir sur les raisons de votre brouille avec le président Wade ?
Macky SALL : Le 9 novembre, bientôt une année jour pour jour, j’avais expliqué les raisons qui m’ont poussé à quitter le Pds. Il y a des pratiques que je condamne fermement et qui font que je ne pouvais plus continuer le compagnonnage. Là-dessus, toute l'opinion nationale et internationale est édifiée. Je ne voudrais pas, outre mesure, revenir sur les circonstances de cette rupture. Du reste, la vie continue. C’est sans haine que j’ai quitté. Je voudrais me focaliser sur l'avenir du Sénégal et je continue mon chemin.
Wal Fadjri : Mais avec le recul, ne vous dites-vous pas, comme le prétendent certains, que vous avez été évincé à cause du ‘projet monarchique’ prêté à Me Wade qui veut installer son fils Karim au pouvoir ?
Macky SALL : Oui, beaucoup l'ont dit. Mais en tout état de cause, le constat est là, j'ai été évincé, comme vous le dites. Ce qui est fait, mais pour des motifs qui sont à géométrie variable. Tantôt, on m'avait accusé d'avoir convoqué quelqu'un que je ne devais pas convoquer, dans une République. Tantôt, c'est parce que j'étais pressé, semble-t-il, pour m'emparer d'un parti dont le fondateur était encore là. On ne sait pas trop, mais ce n'est pas l'essentiel. Aujourd'hui, je suis dans une autre dynamique et dans une autre perspective, c'est-à-dire celle de travailler pour le Sénégal et de faire en sorte que tout ce qui ne va pas, puisse être mis de côté. Il s'agit d'inventer des solutions nouvelles pour améliorer le quotidien des Sénégalais. C'est cela ma préoccupation fondamentale.
Wal Fadjri : Malgré tout, les spécialistes du Palais ont annoncé que votre retour auprès de Me Wade n'est qu'une question de calendrier...
Macky SALL : Vous savez, on ne peut pas empêcher les gens de dire ce qu'ils veulent. De toutes les manières, il n’a jamais été question d’un quelconque retour. Je vois même à la télévision, parfois, ou dans les journaux, des personnes qui se sont fait spécialistes de débauchage ou, en tous les cas, qui se donnent des missions de médiation, tenir de tels propos. L'ordre du jour, ce n'est pas mon retour au Pds, ni je ne sais où. L'ordre du jour est ailleurs, c'est de travailler à la massification de l'Apr qui compte des centaines de milliers de sympathisants, d'adhérents et de militants. L'ordre du jour enfin est de travailler avec toutes les forces vives, les forces de progrès pour que notre pays sorte des difficultés dans lesquelles il se trouve. C'est cela le plus important et nous nous donnons les moyens d'apporter un renouveau au Sénégal et un changement qualitatif pour un changement véritable des conditions de vie de nos populations.
Wal Fadjri : Parmi ces médiateurs, il y en a un qui ne se cache pas, c'est le Colonel Cissé, qui a déclaré qu’il avait discuté avec vous des contours de votre retour au Pds. A l’en croire, c’est inévitable. Est-ce vrai ?
Macky SALL : Permettez-moi de ne pas répondre sur ce type d'arguments. C’est très loin de la réalité. Le Colonel Cissé, depuis que j'ai quitté la majorité, je ne l’ai rencontré qu'une seule fois et à sa demande faite avec beaucoup d'insistance. Et nous étions très loin de ce qu'il a dit. Peut-être qu'il songe à cela ou c'est un rêve. Il est libre, mais cela ne peut pas m'engager.
Wal Fadjri : L'ordre du jour, c'est donc de massifier l'Apr. Est-ce la raison pour laquelle vous entamez une tournée en Europe ?
Macky SALL : Ah oui, cela a été une très forte demande de la communauté sénégalaise vivant à l'extérieur, particulièrement en Europe. Le 1er décembre prochain, nous allons fêter le premier anniversaire de l’Apr. C'est un parti très jeune mais, en une année, il s'est passé beaucoup de choses et beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Je vais donc me rendre sur la demande de la diaspora, à la fin du Symposium de Tunis, dans différents pays européens. Je me rends ainsi en Espagne du 5 au 10 novembre. J'aurai beaucoup de rencontres avec la communauté et des partenaires espagnols. Ensuite, du 10 au 15 novembre, je visiterai une vingtaine de villes en Italie. Nous allons y échanger et discuter avec la communauté sénégalaise. Il y a une grande effervescence. Ce qui montre le soutien de nos compatriotes basés dans ces pays à mon action. Je serai également en France du 15 au 22 novembre pour visiter un certain nombre de localités.
Wal Fadjri : Et l'Afrique ?
Macky SALL : Rappelez-vous également que j'ai sillonné quelques pays africains. Parmi lesquels le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, etc. Il me reste à faire certains pays comme la Mauritanie, la Gambie, le Gabon, le Congo... Je me rendrai aussi aux Etats-Unis d'Amérique. Les migrations apportent énormément au Sénégal, non seulement en termes de devises, mais aussi, d'équilibre dans la vie sociale de notre pays. N’eût été l’argent des émigrés, il y aurait eu beaucoup de drames. Les émigrés constituent une catégorie de citoyens qui, par leur contribution, méritent une prise en charge plus forte, méritent une considération plus importante, car agissant plus que l’aide publique au développement. On ne peut pas ne pas en tenir compte. C'est pour cette raison que, dans le programme que l'Apr proposera, les émigrés auront une place de choix. Non pas seulement pour des raisons politiques, mais c'est une conviction. Avec les jeunes et les femmes, les émigrés constitueront les leviers sur lesquels nous allons bâtir le moteur de développement du Sénégal.
Wal Fadjri : Pouvez-vous nous parler de l'intérêt du symposium du Rcd sur la crise économique ?
Macky SALL : Le Rcd organise annuellement, en marge de la célébration de l'anniversaire du Changement survenu le 7 novembre, un symposium autour d’une thématique majeure qui intéresse le monde. Je voudrais remercier le président Ben Ali, président du Rcd, et son secrétaire général qui m’ont fait l’amitié de m’inviter. Je suis donc ici pour échanger sur l'actualité mondiale, sur des sujets qui touchent à la fois à l’économie, au social, à la globalisation mais, également, à la nécessaire solidarité entre les peuples pour assurer une harmonie dans la marche du monde. Pour un monde plus compétitif, mais aussi plus social afin que la stabilité du monde soit garantie et que la solidarité entre les peuples soit une réalité. C'est dans ce contexte que j'ai présenté une contribution sur le sujet pour dire que les peuples ont un droit au développement et que le système global tel qu'il est vécu, présente une asymétrie très grave entre les pays du Nord qui, en tous les cas, tirent leur épingle du jeu, et les pays du Sud qui sont plus ou moins victimes du mécanisme de la mondialisation. C'est dire que nous devons réinventer l’humanisme et recentrer l'homme au cœur de l'activité humaine. Nous devons, également, agir pour les générations futures. Comme le disait un certain penseur, faire l’Histoire, c'est surtout faire l'histoire du futur. Il s'agit pour ce qui concerne l'Afrique d'assurer une contribution dans la marche du monde. Oui, pour une économie libéralisée et compétitive mais nous sommes pour une compétition saine et régulée, et sur une base sociale. Quarante pour cent des Africains et 30 % des Asiatiques vivent avec moins d’un dollar par jour. Au même moment, ce sont des milliards de dollars qui transitent dans les télématiques de façon instantanée et permanente, alors que plus de la moitié de l'Humanité vit dans la pauvreté et dans une situation précaire.
Il faut donc que l'on réinvente des mécanismes qui permettent au monde globalisé de vivre une harmonie et surtout une stabilité. Il ne saurait y avoir de stabilité lorsque l'écrasante majorité vit dans la pauvreté. Cela est encore plus criard dans nos Etats, puisque là aussi, les disparités sont énormes. Vous avez toujours une minorité qui a accès à tout (soins, éducation, crédit) et une écrasante majorité qui n'a accès à rien (ni eau, ni électricité, ni système sanitaire adéquat, ni éducation pour leurs enfants). C'est dire que devant de telles fractures, les risques de confrontation sont réels.
Wal Fadjri : En attendant de réinventer l'humanisme, comment expliquez-vous le fait que certains pays d'Afrique s'en sortent mieux que d'autres ?
Macky SALL : Il n'y a pas de secret. Dans la vie, seul le travail paie. Ceux qui s'en sortent mieux que d'autres, ont été plus entreprenants. Ce sont des pays qui ont pu anticiper la crise et qui ont défini des mécanismes qui leur ont permis d'amortir les chocs. Ce sont des pays, en un mot, actifs et dynamiques. De l'autre côté, les pays qui ont été passifs, qui n'ont pas eu, malheureusement, des actions appropriées ou qui ont passé leur temps dans des gesticulations, subissent de plein fouet les effets de la crise, conjugués naturellement aux effets endogènes. C'est-à-dire ceux ne relevant pas de la mondialisation et qui dépendent de nous-mêmes, de notre capacité à gérer les deniers publics et anticiper sur les chocs exogènes.
Propos recueillis à Gammarth (Tunisie) par El Hadji Gorgui Wade NDOYE (ContinentPremier.Com)
walfadjri
Macky SALL : C'est son choix. Il est libre d'agir comme il le veut, comme je suis libre d'agir comme je veux. Je constate simplement que le retour pourrait être effectif ou serait effectif. Je ne peux donc pas le commenter.
Wal Fadjri : On sait qu'Idy vous avait contacté pour reconstituer ce qu'on a appelé la grande famille libérale. Qu’en est-il ?
Macky SALL : Lors des élections locales, il avait initié une démarche dans ce sens, parlant de la famille libérale. Mais, évidemment, nous n'avions pas les mêmes opinions là-dessus. Encore une fois, chacun fait ce que bon lui semble et qu'il croit être la bonne voie. Il faut donc accepter que les uns et les autres puissent emprunter leur chemin. Ce que je ne peux pas accepter, par contre, c’est qu’on me refuse le droit d’avoir mon chemin. Mon choix actuel est de faire avancer le Sénégal et j'ai la conscience que nous pouvons bien faire mieux.
Wal Fadjri : Faire mieux, dite-vous, cela voudrait-il dire que la société sénégalaise n'est pas sur de bons rails ?
Macky SALL : Il faut reconnaître que beaucoup de choses utiles ont été faites. Mais, dans la marche d'un système, vous avez, comme on le dit dans le jargon ferroviaire, le déraillement ou les sorties de route pour les véhicules. Il y a eu des déraillements et des sorties de route. Qu'est-ce qui l’a provoqué ? Qui a été à l'origine ? Là-dessus, chacun peut donner son avis. Mais, ce qui se passe aujourd'hui, ne devrait pas se passer. C'est ce qu'il faut rectifier.
Wal Fadjri : Donc, alterner l'alternance ?
Macky SALL : Oui, il faut alterner l'alternance. Il faut rectifier l’alternance pour faire renaître l’espoir. Beaucoup de militants du Pds sont dans cette perspective. Beaucoup pensent que nous devons corriger ce qui est apparu comme des déviations. Je ne lancerai pas un débat idéologique sur la déviation ou autre, mais en tous les cas, le Sopi devrait faire mieux que ce qu'il fait aujourd'hui.
Wal Fadjri : Vous voulez devenir président du Sénégal comme d'autres dans l'opposition. Quel rôle allez-vous personnellement jouer pour renverser Me Wade ?
Macky SALL : Je ne suis pas un révolutionnaire pour renverser qui que ce soit. Il faut faire partir Abdoulaye Wade dans le cadre d'une élection démocratique. Dans une élection où les règles du jeu sont respectées. Bien sûr, je comprends la pression que vivent les Sénégalais. Je comprends également l’empressement avec lequel, ils veulent mettre un terme à son régime, mais nous avons un calendrier républicain. Mon parti s'appelle l'Alliance pour la République. Nous sommes des républicains. De ce point de vue, nous n'avons pas toujours la même terminologie que certains de nos camarades de l'opposition. Je parlerai plutôt d'alterner l'alternance. C'est l’Alternance qui a été le processus de changement du Parti socialiste (Ps) qui a géré le Sénégal pendant quatre décennies. Aujourd'hui, il faut aussi changer le régime du Sopi dans le cadre d'élections libres, démocratiques et transparentes où on ne changerait pas les règles du jeu. Il ne faut pas non plus qu'on modifie la Constitution pour donner la chance au Pds.
Wal Fadjri : Il a été beaucoup question d'ailleurs d'un projet du Pds tendant à la suppression du deuxième tour de l'élection présidentielle. Y êtes-vous favorable ?
Macky SALL : La suppression du deuxième tour ne peut pas se faire. Ce n'est pas acceptable. Je l'ai déjà dit à Touba. Personne ne l’acceptera. Pour moi, ce débat est clos. Je ne crois quand même pas que le président Wade puisse en arriver là. Ce n'est pas possible que le Sénégal recule autant. Il faut sauver le peu qui reste de l'image du Sénégal. Ce sont des esprits excités qui veulent entraîner le président dans cette descente. Ma conviction est qu'il n'acceptera pas de se laisser entraîner à ce niveau. Et s'il était tenté de le faire, le peuple ne l'accepterait pas, de même que les acteurs politiques. Ce serait vraiment créer le désordre dans le pays et nous n'en avons pas besoin.
Wal Fadjri : Comment vous situez-vous par rapport au landernau politique sénégalais ?
Macky SALL : Depuis que j’ai quitté la majorité, je suis dans l’opposition. Soit on est dans la majorité, soit on est dans l'opposition. Je me bats pour la conquête démocratique du pouvoir avec l'ensemble des militants et sympathisants de l'Alliance pour la République (Apr), avec les militantes et militants de Bennoo Siggil Senegaal, cette grande coalition de l'opposition, pour justement alterner l'alternance.
Wal Fadjri : Pouvez-vous revenir sur les raisons de votre brouille avec le président Wade ?
Macky SALL : Le 9 novembre, bientôt une année jour pour jour, j’avais expliqué les raisons qui m’ont poussé à quitter le Pds. Il y a des pratiques que je condamne fermement et qui font que je ne pouvais plus continuer le compagnonnage. Là-dessus, toute l'opinion nationale et internationale est édifiée. Je ne voudrais pas, outre mesure, revenir sur les circonstances de cette rupture. Du reste, la vie continue. C’est sans haine que j’ai quitté. Je voudrais me focaliser sur l'avenir du Sénégal et je continue mon chemin.
Wal Fadjri : Mais avec le recul, ne vous dites-vous pas, comme le prétendent certains, que vous avez été évincé à cause du ‘projet monarchique’ prêté à Me Wade qui veut installer son fils Karim au pouvoir ?
Macky SALL : Oui, beaucoup l'ont dit. Mais en tout état de cause, le constat est là, j'ai été évincé, comme vous le dites. Ce qui est fait, mais pour des motifs qui sont à géométrie variable. Tantôt, on m'avait accusé d'avoir convoqué quelqu'un que je ne devais pas convoquer, dans une République. Tantôt, c'est parce que j'étais pressé, semble-t-il, pour m'emparer d'un parti dont le fondateur était encore là. On ne sait pas trop, mais ce n'est pas l'essentiel. Aujourd'hui, je suis dans une autre dynamique et dans une autre perspective, c'est-à-dire celle de travailler pour le Sénégal et de faire en sorte que tout ce qui ne va pas, puisse être mis de côté. Il s'agit d'inventer des solutions nouvelles pour améliorer le quotidien des Sénégalais. C'est cela ma préoccupation fondamentale.
Wal Fadjri : Malgré tout, les spécialistes du Palais ont annoncé que votre retour auprès de Me Wade n'est qu'une question de calendrier...
Macky SALL : Vous savez, on ne peut pas empêcher les gens de dire ce qu'ils veulent. De toutes les manières, il n’a jamais été question d’un quelconque retour. Je vois même à la télévision, parfois, ou dans les journaux, des personnes qui se sont fait spécialistes de débauchage ou, en tous les cas, qui se donnent des missions de médiation, tenir de tels propos. L'ordre du jour, ce n'est pas mon retour au Pds, ni je ne sais où. L'ordre du jour est ailleurs, c'est de travailler à la massification de l'Apr qui compte des centaines de milliers de sympathisants, d'adhérents et de militants. L'ordre du jour enfin est de travailler avec toutes les forces vives, les forces de progrès pour que notre pays sorte des difficultés dans lesquelles il se trouve. C'est cela le plus important et nous nous donnons les moyens d'apporter un renouveau au Sénégal et un changement qualitatif pour un changement véritable des conditions de vie de nos populations.
Wal Fadjri : Parmi ces médiateurs, il y en a un qui ne se cache pas, c'est le Colonel Cissé, qui a déclaré qu’il avait discuté avec vous des contours de votre retour au Pds. A l’en croire, c’est inévitable. Est-ce vrai ?
Macky SALL : Permettez-moi de ne pas répondre sur ce type d'arguments. C’est très loin de la réalité. Le Colonel Cissé, depuis que j'ai quitté la majorité, je ne l’ai rencontré qu'une seule fois et à sa demande faite avec beaucoup d'insistance. Et nous étions très loin de ce qu'il a dit. Peut-être qu'il songe à cela ou c'est un rêve. Il est libre, mais cela ne peut pas m'engager.
Wal Fadjri : L'ordre du jour, c'est donc de massifier l'Apr. Est-ce la raison pour laquelle vous entamez une tournée en Europe ?
Macky SALL : Ah oui, cela a été une très forte demande de la communauté sénégalaise vivant à l'extérieur, particulièrement en Europe. Le 1er décembre prochain, nous allons fêter le premier anniversaire de l’Apr. C'est un parti très jeune mais, en une année, il s'est passé beaucoup de choses et beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Je vais donc me rendre sur la demande de la diaspora, à la fin du Symposium de Tunis, dans différents pays européens. Je me rends ainsi en Espagne du 5 au 10 novembre. J'aurai beaucoup de rencontres avec la communauté et des partenaires espagnols. Ensuite, du 10 au 15 novembre, je visiterai une vingtaine de villes en Italie. Nous allons y échanger et discuter avec la communauté sénégalaise. Il y a une grande effervescence. Ce qui montre le soutien de nos compatriotes basés dans ces pays à mon action. Je serai également en France du 15 au 22 novembre pour visiter un certain nombre de localités.
Wal Fadjri : Et l'Afrique ?
Macky SALL : Rappelez-vous également que j'ai sillonné quelques pays africains. Parmi lesquels le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, etc. Il me reste à faire certains pays comme la Mauritanie, la Gambie, le Gabon, le Congo... Je me rendrai aussi aux Etats-Unis d'Amérique. Les migrations apportent énormément au Sénégal, non seulement en termes de devises, mais aussi, d'équilibre dans la vie sociale de notre pays. N’eût été l’argent des émigrés, il y aurait eu beaucoup de drames. Les émigrés constituent une catégorie de citoyens qui, par leur contribution, méritent une prise en charge plus forte, méritent une considération plus importante, car agissant plus que l’aide publique au développement. On ne peut pas ne pas en tenir compte. C'est pour cette raison que, dans le programme que l'Apr proposera, les émigrés auront une place de choix. Non pas seulement pour des raisons politiques, mais c'est une conviction. Avec les jeunes et les femmes, les émigrés constitueront les leviers sur lesquels nous allons bâtir le moteur de développement du Sénégal.
Wal Fadjri : Pouvez-vous nous parler de l'intérêt du symposium du Rcd sur la crise économique ?
Macky SALL : Le Rcd organise annuellement, en marge de la célébration de l'anniversaire du Changement survenu le 7 novembre, un symposium autour d’une thématique majeure qui intéresse le monde. Je voudrais remercier le président Ben Ali, président du Rcd, et son secrétaire général qui m’ont fait l’amitié de m’inviter. Je suis donc ici pour échanger sur l'actualité mondiale, sur des sujets qui touchent à la fois à l’économie, au social, à la globalisation mais, également, à la nécessaire solidarité entre les peuples pour assurer une harmonie dans la marche du monde. Pour un monde plus compétitif, mais aussi plus social afin que la stabilité du monde soit garantie et que la solidarité entre les peuples soit une réalité. C'est dans ce contexte que j'ai présenté une contribution sur le sujet pour dire que les peuples ont un droit au développement et que le système global tel qu'il est vécu, présente une asymétrie très grave entre les pays du Nord qui, en tous les cas, tirent leur épingle du jeu, et les pays du Sud qui sont plus ou moins victimes du mécanisme de la mondialisation. C'est dire que nous devons réinventer l’humanisme et recentrer l'homme au cœur de l'activité humaine. Nous devons, également, agir pour les générations futures. Comme le disait un certain penseur, faire l’Histoire, c'est surtout faire l'histoire du futur. Il s'agit pour ce qui concerne l'Afrique d'assurer une contribution dans la marche du monde. Oui, pour une économie libéralisée et compétitive mais nous sommes pour une compétition saine et régulée, et sur une base sociale. Quarante pour cent des Africains et 30 % des Asiatiques vivent avec moins d’un dollar par jour. Au même moment, ce sont des milliards de dollars qui transitent dans les télématiques de façon instantanée et permanente, alors que plus de la moitié de l'Humanité vit dans la pauvreté et dans une situation précaire.
Il faut donc que l'on réinvente des mécanismes qui permettent au monde globalisé de vivre une harmonie et surtout une stabilité. Il ne saurait y avoir de stabilité lorsque l'écrasante majorité vit dans la pauvreté. Cela est encore plus criard dans nos Etats, puisque là aussi, les disparités sont énormes. Vous avez toujours une minorité qui a accès à tout (soins, éducation, crédit) et une écrasante majorité qui n'a accès à rien (ni eau, ni électricité, ni système sanitaire adéquat, ni éducation pour leurs enfants). C'est dire que devant de telles fractures, les risques de confrontation sont réels.
Wal Fadjri : En attendant de réinventer l'humanisme, comment expliquez-vous le fait que certains pays d'Afrique s'en sortent mieux que d'autres ?
Macky SALL : Il n'y a pas de secret. Dans la vie, seul le travail paie. Ceux qui s'en sortent mieux que d'autres, ont été plus entreprenants. Ce sont des pays qui ont pu anticiper la crise et qui ont défini des mécanismes qui leur ont permis d'amortir les chocs. Ce sont des pays, en un mot, actifs et dynamiques. De l'autre côté, les pays qui ont été passifs, qui n'ont pas eu, malheureusement, des actions appropriées ou qui ont passé leur temps dans des gesticulations, subissent de plein fouet les effets de la crise, conjugués naturellement aux effets endogènes. C'est-à-dire ceux ne relevant pas de la mondialisation et qui dépendent de nous-mêmes, de notre capacité à gérer les deniers publics et anticiper sur les chocs exogènes.
Propos recueillis à Gammarth (Tunisie) par El Hadji Gorgui Wade NDOYE (ContinentPremier.Com)
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