Le président sortant ne regrette rien des années passées à la tête du pays. Ni sa décision de ne pas briguer un nouveau mandat, ni la confiance accordée à Amadou Ba, son dauphin, ni même la solitude du pouvoir ou la virulence des coups portés par ses adversaires, à commencer par le premier d’entre eux, Ousmane Sonko. Interview exclusive.
Macky Sall n’aime pas les interviews. L’auteur de ces lignes, qui le connaît pourtant depuis le mitan des années 2000, époque où l’intéressé était Premier ministre d’Abdoulaye Wade, s’est longtemps heurté à cette réticence. En l’espace de douze ans, nous n’avons pu lui poser des questions en « on » que deux fois, et au prix d’un véritable harcèlement. On parle ici d’un entretien long, en profondeur, et non de réponses glanées à la hussarde, micro à la main à la descente d’un avion ou lors d’une conférence de presse. L’exercice est donc rare et ardu, mais il en vaut la peine.
Débarrassé d’un fardeau
Pour ce qui sera certainement sa dernière grande interview en tant que président, lui qui quittera le palais de la République en avril prochain, le chef de l’État sénégalais a reçu Jeune Afrique comme à l’accoutumée : avec peu d’enthousiasme, mais toujours souriant et affable. Particulièrement détendu depuis qu’il a annoncé, le 3 juillet, qu’il renonçait à briguer un troisième mandat, comme s’il s’était débarrassé d’un lourd fardeau, il a donc accepté de répondre à nos questions.
Sa décision de ne pas être candidat, son choix d’Amadou Ba pour conduire la majorité à la présidentielle du 25 février 2024, la compétition électorale qui s’annonce, son bilan, ses motifs de fierté mais aussi ses frustrations et les critiques qui lui sont adressées, les cas Ousmane Sonko, Karim Wade ou Khalifa Sall, l’exercice du pouvoir, son avenir, les coups d’État qui se multiplient sur le continent, le sentiment antifrançais qui se propage… Il n’a rien éludé, et l’entretien, qui devait durer moins de une heure, agenda chargé oblige, s’est prolongé de une heure. Soucieux de mettre les choses au clair, Macky Sall s’est finalement pris au jeu. Sans langue de bois.
Jeune Afrique : Vous avez annoncé, en juillet, que vous ne brigueriez pas un troisième mandat, sachant que cette hypothèse a longtemps suscité des polémiques. Qu’est-ce qui vous a conduit à prendre cette décision ?
Macky Sall : Ce choix n’était pas simple. J’avais le droit de me représenter – malgré ce que disent mes adversaires, cela ne fait aucun doute. Et mon bilan est plus que positif, même s’il reste des choses à faire ou à améliorer. Mais j’avais indiqué, en 2018, que si j’étais réélu un an plus tard, ce serait mon dernier mandat.
Certains ont fait de cette question leur cheval de bataille, le seul argument pour m’attaquer, prétextant que je me dédierais. Cela a suscité des crispations inutiles, et même de vives tensions. Je ne voulais pas qu’ils m’imposent leur agenda politique ni rentrer dans cette polémique qui ne les honore pas. J’avais un travail à accomplir et de lourdes responsabilités à assumer. J’ai souhaité respecter mon engagement, apaiser les tensions et placer au-dessus de tout la stabilité du Sénégal. Et je l’ai annoncé au moment qui me paraissait opportun.
S’est ensuite posée la question de qui représenterait votre camp à la présidentielle de février prochain. Quels sont les critères qui ont abouti à la désignation de votre Premier ministre, Amadou Ba ?
Les candidatures étaient ouvertes. Il y en a eu au moins une dizaine, principalement dans mon parti, mais aussi parmi nos alliés de la coalition Benno Bokk Yakaar [BBY]. On m’a d’abord demandé de désigner moi-même le dauphin. J’ai réuni la conférence des leaders, je leur ai proposé de se concerter et de parvenir à un consensus. Ils se sont vus, mais il n’y a pas eu d’accord.
Je leur ai alors suggéré une sorte de primaire, consistant à faire voter uniquement les grands électeurs que sont les ministres, les députés, les membres du Haut Conseil des collectivités territoriales [HCCT], ceux du Conseil économique, social et environnemental [CESE], les maires et les présidents de département : un corps électoral pour le moins représentatif. Celui qui serait désigné à l’issue de ce processus serait notre candidat.
Ils m’ont répondu que cela risquait de diviser davantage le parti, ont répété que le mieux était que je choisisse le candidat… Je ne voulais pas porter cette responsabilité seul. Alors, avec l’aide de Moustapha Niasse [chef de l’Alliance des forces de progrès, l’AFP], à qui j’avais demandé de parfois me suppléer pour leur parler, je leur ai expliqué qu’il ne s’agissait pas d’une histoire de personne ou d’ego, que le véritable enjeu était de continuer la politique mise en œuvre depuis 2012, de perpétuer le Plan Sénégal émergent [PSE] et d’assurer la stabilité du pays. Si j’ai pu moi-même renoncer, si j’ai su m’effacer dans l’intérêt général, ils devaient être capables d’en faire autant pour travailler en équipe autour d’un candidat, quel qu’il soit.
Visiblement, vous n’avez pas vraiment été entendu… Comment avez-vous tranché ?
Certes, aucun consensus ne s’était dégagé, mais certains critères ont particulièrement été mis en avant, notamment la capacité à rassembler. Parmi le quatuor de tête – ceux qui sortaient du lot, si je puis dire –, tous étaient à peu près égaux en matière de compétences ou d’expérience de l’État.
Vous parlez d’Amadou Ba, de Mahammed Boun Abdallah Dionne, d’Aly Ngouille Ndiaye et d’Abdoulaye Daouda Diallo ?
Oui. Donc, ce qui a fait la différence, c’est la capacité à pouvoir fédérer, hors du parti et hors de la coalition. D’après toutes les données qui étaient en ma possession, Amadou Ba avait ce profil, un peu devant les autres – et cela ne signifie pas qu’ils n’étaient pas bons, tant s’en faut. Son nom a été proposé à la conférence des leaders de BBY. Ceux-ci sont près de trois cents, et ils l’ont adoubé.
Certains n’ont pourtant pas accepté ce choix et ont décidé de se présenter quand même. C’est le cas de votre ancien chef du gouvernement, Mahammed Boun Abdallah Dionne…
C’est leur droit. Je ne veux pas polémiquer avec ces candidats, même s’ils avaient pris des engagements. Je trouve simplement que, lorsque vous êtes dans une majorité depuis aussi longtemps – une majorité qui vous a confié d’importantes responsabilités et vous a aidé à devenir ce que vous êtes –, vous devez respecter les règles fixées.
Chacun peut légitimement revendiquer sa liberté et son ambition de servir son pays au poste le plus élevé, celui de président de la République. Mais faut-il le faire au risque de fragiliser son propre camp ?
Craignez-vous un éparpillement des voix ?
On verra bien. Il y a déjà une première étape à franchir, celle des parrainages. Au moment où je vous parle, on dénombre déjà plus de deux cents candidats à cette élection présidentielle… Même assoupli à la suite du Dialogue national, ce processus constitue un filtre qui ramènera les choses à leur juste proportion. Il sera alors temps d’analyser les forces en présence, celles qui seront vraiment sur la ligne de départ.
La mission d’Amadou Ba n’a rien d’une sinécure. Pensez-vous réellement qu’il parvienne à se faire connaître des Sénégalais, à leur expliquer son programme et à les convaincre de voter pour lui en si peu de temps ?
Amadou Ba est un acteur politique connu, qui a occupé des fonctions importantes, dont celles de Premier ministre du Sénégal.
Pour le reste, il est le candidat de la majorité ; ce n’est pas sa personne seule qui déterminera le résultat du scrutin. Il fera campagne adossé à la coalition BBY, avec l’appui de plus de 450 maires, des députés, des ministres, etc. Tous doivent s’engager à ses côtés et demeurer soudés s’ils veulent l’emporter et perpétuer notre legs.
Que doit-on, selon vous, préserver en priorité ?
La stabilité du pays. Avant tout et par tous les moyens, malgré les assauts menés par certains aventuriers de la politique et malgré les volontés de déstabilisation. C’est le plus important, inutile de parler de développement sans cela.
Depuis l’indépendance, nous avons rencontré des difficultés et connu des crises majeures. En 1962-1963, puis en 1968 sous [la présidence de] Senghor, en 1988 sous [celle de] Diouf, en 2011 avec Wade, moi-même en 2021 et en 2023… Mais le Sénégal les a toujours dépassées. Il faut absolument préserver cette stabilité en s’appuyant sur l’État de droit, coûte que coûte.
L’autre élément sur lequel j’insiste, c’est la poursuite du PSE. Il a abouti à des résultats probants, que ce soit en matière de transformation structurelle de l’économie, de développement du capital humain, d’inclusion, de protection sociale ou de bonne gouvernance.
La jeunesse doit être la priorité, parce que la question migratoire est devenue une question majeure. Elle n’est pas seulement nationale ou africaine, c’est un problème mondial, un défi impérieux qu’il nous faut relever, sans doute avec davantage de moyens. Amadou Ba maîtrise bien tous ces sujets.
Avant cela, il lui faudra remporter l’élection. Comment analysez-vous la compétition électorale à venir ? Elle s’annonce particulièrement ouverte…
C’est sans doute l’élection la plus ouverte que nous aurons jamais eue puisque le président en exercice ne se représente pas. Cela dit, en toute objectivité, je pense que le candidat de la majorité part quand même favori.
Ne craignez-vous pas un second tour aux allures de « tous contre Amadou Ba » ?
Premier tour ou second tour, c’est le choix du peuple. S’ils portent une appréciation favorable sur mon action, les électeurs choisiront la continuité, pour la stabilité, la croissance et l’émergence, et ce dès le premier tour.
Sinon, ce sera l’aventure, avec des combinaisons politiciennes qui feront que la gouvernance sera très difficile. Mais les Sénégalais savent faire des choix très cohérents, j’ai confiance en eux et en leur intuition.
Vous n’aimez pas en parler, mais, au-delà du personnage, il y a un phénomène Ousmane Sonko : une figure politique qui a émergé rapidement, qui a réalisé des scores importants, notamment lors de la présidentielle de 2019, qui cristallise les espoirs d’une partie de la jeunesse et qui est allée très loin contre vous. Il vous a critiqué, menacé, et il est inculpé pour avoir appelé à l’insurrection contre votre régime. Comment avez-vous vécu tout cela, et que pensez-vous de ceux qui se mobilisent en son nom ?
Je suis un acteur politique qui s’est forgé dans l’adversité, mais la politique ne doit pas être une affaire de haine. Les protagonistes ne sont pas des ennemis, mais des adversaires. Je considère que tous ceux qui ne sont pas avec moi sont des adversaires politiques, rien de plus. Même quand ils dérapent, m’insultent – dans la limite du raisonnable en tout cas. La seule chose sur laquelle je reste intraitable, c’est quand on veut faire basculer le pays dans le chaos, qu’on incite à la violence.
En politique, il y a effectivement des phénomènes qui apparaissent. Certains disparaissent comme ils étaient venus, d’autres sont plus durables, c’est ainsi.
Aujourd’hui, au Sénégal, l’âge médian est de 19 ans. Il est logique que ceux qui parlent aux jeunes et qui agissent comme eux mobilisent davantage, surtout dans la rue. C’est ainsi que se manifeste la jeunesse, et sa vitalité. Mais la rue, ce n’est pas les urnes. Quand vous analysez le fichier électoral sénégalais, d’ailleurs, les plus de 40 ans sont majoritaires.
Je crois, pour ma part, au travail et au respect de la parole donnée. C’est peut-être old fashion, mais cela m’a réussi jusque-là et je ne vois pas pourquoi je devrais changer ma nature.
Parmi les critiques qui sont formulées à votre endroit, les atteintes à la démocratie et aux libertés. Notamment les condamnations judiciaires de vos opposants, Ousmane Sonko, mais aussi Khalifa Sall et Karim Wade…
Les opposants, ou les hommes politiques de façon générale, ne seraient pas justiciables ? Vous-mêmes avez évoqué les menaces de mort, les appels à me destituer ou à l’insurrection lancés par l’un de mes adversaires [Ousmane Sonko]. Si le Sénégal était une dictature, comme certains veulent le faire croire, pensez-vous sincèrement qu’il aurait pu passer une seule journée à m’insulter en boucle ?
Ceux qui veulent l’anarchie et le chaos pour assouvir leurs ambitions me trouveront sur leur chemin. De soi-disant militants de son parti ont tué des femmes innocentes en lançant des cocktails Molotov contre un bus de transport public dont ils avaient bloqué la porte. Et on va manifester pour la libération de personnes qui ont commis ces atrocités ? Vraiment, je n’ai aucun regret : tout ce qui a été fait l’a été selon les normes démocratiques les plus élevées. Force doit rester à la loi.
Ce n’était pas le cas de Karim Wade ni de Khalifa Sall…
Non, il s’agissait dans leur cas de délits économiques. Comme dans toutes les démocraties du monde, il ne saurait y avoir d’impunité au prétexte que vous faites de la politique.
Le deuxième reproche que l’on vous fait concerne l’endettement du Sénégal. Personne ne conteste vraiment le volet concret de votre bilan, la construction d’infrastructures notamment. Mais la question qui revient souvent est : « à quel prix ? »
L’endettement du Sénégal est connu, ce n’est pas un sujet tabou. Nos pays sont sous la surveillance des institutions financières internationales. Le Sénégal ne figure pas parmi les pays à risque, il n’a jamais été pris en défaut. Et notre endettement n’a pas servi à financer le train de vie de l’État ou à payer les fonctionnaires, mais à construire des routes, des ponts, des hôpitaux, des écoles, à mettre en place des moyens de transport indispensables, à protéger les populations les plus démunies, à développer notre agriculture, à absorber des crises gravissimes comme celle liée à la pandémie de Covid-19 ou aux conséquences de la guerre en Ukraine.
Le vrai sujet, ce sont les conditions dans lesquelles les pays africains sont contraints de s’endetter, avec des taux élevés. Surtout, contrairement aux autres, nous sommes dans l’impossibilité d’obtenir des crédits supérieurs à dix ou douze ans, y compris lorsque nous souhaitons construire une centrale hydro-électrique pour lutter contre le réchauffement climatique… C’est cela, le vrai combat des Africains.
Quel rôle jouerez-vous après l’élection de votre successeur ?
Je serai un ancien président de la République. Et un jeune retraité [rires] !
Il faut savoir tourner la page : je ferai comme Abdou Diouf, je me retirerai complètement. Je verrai ensuite comment me reconvertir parce que j’ai encore un peu d’énergie, par la grâce de Dieu.
Je vais d’abord m’occuper de parfaire mon anglais. Ensuite, il y a des sujets très importants dans lesquels j’aimerais m’investir, comme le leadership, la voix et le poids de l’Afrique dans le concert des Nations – nous venons d’obtenir un siège au G20 pour l’Union africaine, il faut qu’il soit bien occupé.
Autres sujets dans lesquels je souhaite m’impliquer : tous les débats sur la gouvernance mondiale, qu’il s’agisse de la gouvernance financière, avec la nécessaire réforme des institutions de Bretton Woods, ou le climat. La part de l’Afrique dans la pollution mondiale est de moins de 4%, et on lui dit : « Tu n’as pas le droit d’utiliser des énergies fossiles, et en tout cas, on ne les finance pas. » C’est profondément injuste. Sur tous ces thèmes, je pense humblement pouvoir apporter une contribution, à la fois pour l’Afrique, pour le monde, et naturellement pour le Sénégal.
La première fois que vous vous êtes assis dans le fauteuil présidentiel, en avril 2012, que vous êtes-vous dit ?
Que je disposais d’un mandat de sept ans et qu’il fallait impérativement qu’à son terme on puisse mesurer l’évolution du pays, qu’il y ait des résultats tangibles. Qu’il fallait abandonner les politiques de lutte contre la pauvreté peu ambitieuses pour mener des politiques d’émergence beaucoup plus audacieuses, avec le PSE.
Nous sommes sur la bonne voie, malgré la crise liée à la pandémie de Covid-19 et les effets de la guerre en Ukraine. Après une dernière décennie consacrée à combler les lacunes en matière d’infrastructures, d’électricité ou d’eau, nous devons inciter le secteur privé à investir davantage dans notre pays afin que, demain, l’État se concentre plutôt sur les sujets sociaux, l’agriculture et la souveraineté alimentaire.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ou surpris dans l’exercice du pouvoir ?
D’abord, la solitude à chaque fois que les situations sont difficiles. Quand tout va bien ou que la victoire est là, tout le monde participe, tout le monde est content, tout le monde réclame. Dans le cas inverse, vous êtes seul. Il faut s’y préparer, ne pas se décourager.
Ensuite, c’est que la politique rime trop souvent avec trahisons, querelles, petits meurtres entre amis, comme on dit. C’est lié à la nature du pouvoir. Malheureusement, il faut aussi composer avec.
Quelle est votre plus grande fierté et, a contrario, votre plus grande frustration ?
Ma plus grande fierté, ce sont les politiques de soutien au monde rural et les filets sociaux mis en place pour les populations les plus démunies. Sur un tout autre plan, j’ajouterai le train express régional (TER), parce que c’est un projet transformateur, qui nous permet de changer d’échelle et qui est digne d’un véritable pays émergent. Un game changer, comme disent les Anglo-Saxons.
Ma plus grande frustration ? Le mémorial de Gorée, un projet déjà évoqué du temps du président Abdou Diouf, que j’ai fait reprendre. Nous devions lancer les travaux au début de 2023, mais la conjoncture nous a imposé d’autres choix budgétaires. Je ne désespère pas, au moins, de poser la première pierre avant de quitter mes fonctions, pour que ce grand projet culturel puisse voir le jour.
Vous avez parlé de game changer. L’exploitation du gaz à venir en est un. Qu’est-ce que cela apportera concrètement au Sénégal ?
J’évoquerais plutôt les hydrocarbures, parce qu’il n’y a pas que le gaz, il y a aussi le pétrole. Cela va créer une nouvelle perspective pour le pays, permettre que l’on pose un nouveau regard sur nous, et nous offrir d’évidentes facilités.
Il ne faut pas rêver non plus : entre les ressources qui sont tirées de l’exploitation et la part qui revient à l’État, il y a quand même une grande différence. En revanche, au-delà, tous les secteurs connexes (parapétrolier, logistique…) vont évoluer et se développer. Nous avons voté une loi qui mettra en avant les entreprises nationales dans toutes les activités qui graviteront autour du pétrole et du gaz. Cela aura un impact sur le tourisme, le transport aérien, la restauration, l’hôtellerie, bref, sur toute l’économie nationale. Sans parler du fait qu’on achètera moins de pétrole à l’étranger, et que le coût de l’énergie baissera, ce qui permettra d’accélérer notre industrialisation.
Depuis trois ans, les coups d’État se multiplient : Mali, Burkina Faso, Guinée et Niger, ainsi que, plus récemment, au Gabon. Comment analysez-vous ce phénomène ?
De multiples facteurs peuvent expliquer cette résurgence des coups d’État en Afrique de l’Ouest. Mais, dans tous les pays que vous citez, il y a eu régulièrement des interruptions de l’ordre constitutionnel depuis les indépendances. À chaque fois, on dit : « Il faut aller immédiatement aux élections », mais ce n’est visiblement pas la solution.
On l’a vu au Mali, avec Ibrahim Boubacar Keïta, ou au Burkina, avec Roch Marc Christian Kaboré, tous deux élus après des processus de transition post-putsch. Aucun n’a pu terminer son mandat. Au Niger, le président Mohamed Bazoum aussi a été élu après Mahamadou Issoufou, qui a quand même pu, lui, aller au terme de ses deux mandats. Je me souviens d’ailleurs d’une discussion avec ce dernier, qui craignait en permanence un coup de force.
Il faut repenser les armées. La crise du terrorisme, qui frappe durement les pays du Sahel, est pour beaucoup dans cette instabilité. Quand des militaires meurent au front, on a tôt fait d’accuser le pouvoir en place d’être faible ou de ne pas donner assez de moyens aux soldats. Les gens pensent parfois que la voie militaire est la mieux indiquée parce que, quand règne une impression de chaos, la force la mieux organisée, c’est encore l’armée.
Ces coups d’État donnent parfois l’impression de recueillir l’assentiment de la population…
Ce n’est pas parce que des foules vous acclament dans les rues de la capitale que vous êtes réellement populaire. Les présidents déchus aussi avaient des partisans qui les applaudissaient dans leurs meetings. Ce n’est pas un critère objectif.
Comment faire pour éviter que cela ne se répète ?
D’abord, il ne faut pas que les acteurs politiques eux-mêmes poussent les militaires à prendre le pouvoir en imaginant tirer les marrons du feu – cela arrive, hélas. Ensuite, dans les armées, il devrait y avoir une doctrine intangible : quand on s’engage, on doit accepter de servir sa patrie et refuser d’exercer le pouvoir politique. Si on veut l’exercer, on démissionne, on change de costume, et on tente de convaincre les électeurs. Le pouvoir ne peut pas être conquis par les armes.
L’UA et la Cedeao ont été très critiquées, ces derniers mois. Des « machins » qui ne servent pas à grand-chose pour les uns, des institutions à la solde des Occidentaux pour les autres… Comprenez-vous ces reproches ?
C’est trop facile ! Ce qui nous caractérise souvent, c’est que nous nous complaisons dans l’autoflagellation. L’UA ou la Cedeao ne sont que la résultante des États qui composent l’Afrique, et elles ne disposent que de peu de moyens.
Prenez le cas du Niger : un président élu est retenu en otage par sa propre garde, sans aucune raison valable. Doit-on rester les bras croisés ? Si la Cedeao agit, elle est à la solde de puissances extérieures ; si elle se retient, elle ne sert à rien.
Aujourd’hui, les grandes puissances sont très présentes sur le continent, les mesures qui doivent être prises au Conseil de sécurité de l’ONU sont souvent bloquées par les États qui exercent leur droit de veto. Résultat, nos organisations n’ont plus la capacité dont elles disposaient auparavant pour résoudre les crises en Afrique.
Deuxième contrainte : la faiblesse des moyens. La lutte contre le terrorisme en est l’exemple le plus criant : depuis plus de dix ans, nous nous battons, aux Nations unies, pour qu’au Sahel, par exemple, il y ait une coalition internationale, que le Conseil de sécurité décide de la financer sous le chapitre VII [de la Charte de l’ONU, qui porte sur les actions à mener en cas de menace contre la paix et d’acte d’agression]. On ne peut laisser les Maliens ou les Burkinabè seuls face à ce fléau, ce n’est pas raisonnable.
Parallèlement, se développe un sentiment antifrançais, souvent utilisé, d’ailleurs, par les juntes. Qu’en pensez-vous ?
Les réseaux sociaux et les politiques de propagande menées par certains régimes ont effectivement un impact. Ce mouvement s’est amplifié, c’est incontestable, quasi exclusivement dans les pays francophones.
La France a commis des erreurs dans le passé, il y a des maladresses ou des incompréhensions de part et d’autre, mais elle ne peut être tenue pour responsable de tous les maux de l’Afrique… Le président Emmanuel Macron a hérité d’une situation qui se dégrade depuis les indépendances, et qui arrive à un point de rupture.
Source: jeuneafrique.com
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