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Macky Sall ou la Diplomatie du Sud pour un système international tripolaire (Par Malick NDIAYE, maire de Gagnick)

On parlera encore longtemps de cette rencontre entre le Président Macky Sall et son homologue russe, Vladimir Poutine, en raison de sa dimension hautement historique. Pour en juger, il est important d'analyser en profondeur le contexte dans lequel cet événement historique est en train de se dérouler sous nos yeux.


Rédigé par leral.net le Lundi 20 Juin 2022 à 22:01 | | 0 commentaire(s)|

Macky Sall ou la Diplomatie du Sud pour un système international tripolaire (Par Malick NDIAYE, maire de Gagnick)
En effet, le monde est aujourd'hui résolument très loin des théories essentialistes des XIXème et XXème siècles, fondements du colonialisme et de ses avatars, l'impérialisme, le néocolonialisme post-indépendances. Aidées en cela par un de leur ressort idéologique les plus abjects, le racisme, ces théories ont longtemps confiné la culture européenne dans une posture hiérarchisant le monde entre peuples civilisés avec une conscience historique et peuplades primitives sans histoire. Le combat des défenseurs des droits de l'homme et de la démocratie est passé par là.

Les nations se veulent désormais absolument souveraines et maîtresses de leur destinée. Les continents devraient suivre le même mouvement. N'en déplaise aux tenants des théories fluctuantes de cette autre notion méga-identitaire d'Occident, après celles surannées aujourd'hui universellement et unanimement flétries fondées sur la race. L'Europe elle-même peine à se construire une identité politique ferme, gage d'un espace économique viable en raison du fort sentiment nationaliste de chacun de ses membres.
Le bras armé de l'Occident, l'OTAN, avec comme tête de file, les États-Unis, se dresse dès lors comme une structure supranationale de gouvernance du monde.

Après les deux grandes guerres, le système international qui régente les relations entre nations, ne veut plus s'accepter comme une arène internationale faite de gladiateurs en conflits mais, depuis la création de l'ONU, essaie tant bien que mal de polir chaque jour un peu plus, le multilatéralisme. Il reste que les regroupements de connivence s'offrent toujours comme la seule règle et le principe directeur demeure l'équilibre des forces.
Or, les relations internationales subissent un grand tournant depuis le début des années 2000.
L'effondrement de l'URSS et la fin d'un certain combat idéologique ont plongé l'humanité dans un environnement marqué par la globalisation, la mondialisation. La conséquence immédiate en est un décloisonnement de l'humanité entière et l'émergence de nations encore plus concurrentes pour ne pas dire conquérantes. Le paradoxe, c'est que l'individu tout comme la nation cristallisent nos tensions et les replis identitaires sont légion.

Le contexte mondial c'est également la dynamique permanente d'agir en synergie à l'intérieur de groupes ad hoc (tels que le G8, le G15, le G20 etc.), de se regrouper en alliances, en blocs, en axes, qui sont, pour l'essentiel, autant de structures de gouvernance qui promeuvent, toutes, l'inclusion/exclusion, la volonté de délibérer pour le reste du monde, la volonté de puissance et de domination, des tentatives de polarisation et d'attraction des éléments périphériques que nous sommes. La diplomatie de club est encore aujourd'hui florissante.

Mais il faut reconnaître que tout cela a fait naître une formidable illusion de puissance. Parce que pendant longtemps, l'Europe et plus globalement l'Occident s'est laissée griser par les conséquences de la dislocation de l'URSS, se gargarisant de regarder une Russie esseulée donnant l'impression d'être définitivement affaiblie. On pourrait en juger par la tournure du conflit en cours entre l'Ukraine et la Russie.

L'Occident, malgré un contexte qui lui a été longtemps favorable avec la disparition du Pacte de Varsovie, apparaît comme désarçonné par les événements de ces derniers mois. Il s'y ajoute qu'entre temps, un certain Poutine, personnage insaisissable, nationaliste tenace et opiniâtre, a fini de redonner à la Russie la posture économique et historique de l'ex-URSS au point de ramener le monde à un contexte presque bipolaire.

Qu'est-ce qui peut expliquer, en effet, que les pays européens apparaissent comme surpris par un conflit armé dans leur territoire, conflit qu'ils ont pourtant minutieusement et progressivement contribué à préfabriquer même s'ils s'efforcent vainement de le circonscrire à une simple crise à l'intérieur de l'Ukraine ? Vladimir Poutine est présenté comme l'agresseur. Mais n'a-t-il pas subi depuis longtemps en silence, les coups de boutoirs d'une Amérique conquérante venue s'installer à ses portes avec armes et missiles ? Ses partisans dans le monde le présentent, à contrario, comme l'agressé qui se bat contre le Nazisme. Toute position ou jugement reste tributaire de la perspective du regard.

La surprise d'une Europe apathique est évidente, elle qui n'est pas du tout prête à intervenir directement sur le terrain des opérations. On sait qu'elle en est empêchée essentiellement parce que l'Ukraine n'est membre ni de l'UE encore moins de l'OTAN et s'offre comme une zone grise convoitée par les deux parties. L'Union européenne, selon ses membres, est un espace de lois et de valeurs que ne peut encore respecter l'Ukraine.
L'Europe en est dissuadée parce que ce serait prendre le risque de re dimensionner le conflit que de l'élargir géographiquement et militairement de manière inopportune.
Elle en est également empêchée parce que la défense de certains grands pays européens, à l'instar de l'Allemagne pour ne citer que celui-là, n'est pas ce qu'elle aurait dû être aujourd'hui. L'Europe se surprend à devoir, maintenant seulement, se renforcer alors qu'une nation comme le Danemark accourt rapidement se couvrir sous l'aile protectrice de cette défense défaillante. Malgré l'aide qu'elle reçoit et la solidarité affichée du côté de l'Occident, l'Ukraine n'a toujours pas les armes et munitions dont elle a besoin.
Il faut en outre ménager cette Russie qui offre une bonne partie du gaz et du pétrole européens en attendant de trouver les moyens de s'en passer à plus ou moins long terme. Inutile de rappeler, ici, que la Russie est l'une des grandes puissances nucléaires, ce qui garantit encore à l’humanité l'équilibre stratégique indispensable à une paix durable.
Les États Unis, tête de file d'un Occident hésitant, se contentent d'envoyer des armes tout en prenant soin d'interdire à l'Ukraine d'en utiliser certaines (missiles de longue portée) contre le Kremlin ou à l'intérieur du territoire russe.

Tout cela est assez symptomatique de "l'impuissance" des puissances mondiales. On serait fondé d'avancer l'hypothèse d'une crise de puissance qui peut, par ailleurs, se mesurer à l'incapacité des grands de ce monde à saisir à bras le corps les enjeux nouveaux et de réagir rapidement en vue d'étouffer cette guerre géopolitique partie, vraisemblablement, pour être une guerre d'usure si on n'y prend garde. Il peut être vrai, en effet, que les États-Unis veulent laisser pourrir et durer le conflit pour affaiblir davantage Poutine et l'Europe et consolider ainsi leur leadership. Dans cette dernière hypothèse, le Kremlin serait bien en train de s'enliser dans un piège qui lui serait tendu depuis belle lurette. Qui sait ?

Tout compte fait, aujourd'hui, les nations dites puissantes se rendent compte que puissance n'est pas domination ni forcément attraction encore moins polarisation, du moins dans la durée.

Dans un tel contexte, le geste du Président Macky Sall, au nom de l'Union africaine prend tout son sens. L'initiative du Président relève pourtant d'une démarche en cohérence avec la posture identifiée chez ce leader depuis déjà quelques temps.

Il y a lieu, cependant, de relever que l'objet et les enjeux de cette rencontre et de celles qui vont suivre ( le Président Sall devra, en principe, se rendre en Ukraine) dépassent largement les difficultés alimentaires d'un continent liées à la rareté du blé et des fertilisants agricoles, loin s'en faut . L'Afrique n'est pas allée quémander du blé et des engrais qu'elle se dit prête à acheter dès que ces produits sont disponibles sur le marché et que les contraintes sur les transactions seront levées, ce que la guerre ne permet plus. Mais un entretien de plus de trois tours d'horloge porte forcément sur d'autres questions liées à des impératifs géopolitiques ou géostratégiques. Le Président Sarkozy ne s'y est pas trompé en exprimant les souhaits, au nom de toute une Europe, que "Macky Sall mette toute son expérience au service de la paix." Le retour d'une paix durable est la grande cause stratégique et suffisamment structurante pour le reste. Mais le Président Sall, l'Afrique et les pays du Sud y gagnent plus que cela.

Au demeurant, rappelons si cela peut être utile, que le non-alignement ne date pas d'aujourd'hui. Il est né dans les années 50, précisément lors de la Conférence de Bandung, à une période bi-polaire dominée par le face à face entre les Etats Unis et l'URSS. Soekarno accueillait, entre autres pays non alignés afro-asiatiques, Nasser, Nkrumah etc. Le Sénégal n'était pas encore indépendant mais Senghor, déjà acteur politique majeur et futur Président, avait suivi de très près ce qui apparaissait comme une attitude courageuse historique.

Aujourd'hui encore le contexte a changé, beaucoup d'eau ayant coulé sous les ponts de l'histoire géopolitique comme nous l'avons vu. Mais comme par hasard, au terme de plusieurs phases et vicissitudes, deux blocs veulent toujours et encore polariser les relations internationales: l'Occident et l'OTAN d'un côté, la Russie et ses amis de l'autre. L'incursion des pays dits émergents n'y a rien changé pour l'essentiel. Parce que cette obstination à régir le monde en clubs ne s'estompe jamais.
Cela donne naturellement plus de valeur diplomatique à la cohérente position africaine d'aujourd'hui. Tout ne peut pas continuer à se dérouler sans entraves, sans contestation et sans anicroche. Il nait forcément un couloir diplomatique qu'il est possible aux pays du Sud d'emprunter en s'appuyant sur la loi de la majorité. L'identité diplomatique et géopolitique ne saurait avoir plus de poids et de crédibilité que celle qui consiste à ne s'aligner sur aucun camp mais à défendre farouchement les intérêts exclusifs de l'Afrique et des pays du Sud.

Dans ce chapitre de la cohérence diplomatique, rappelons les combats engagés par le Président Macky Sall, porte voix de tous les pays Africains avant même son accession à la présidence de l'UA et depuis longtemps déjà.

N'avait-il pas pointé du doigt en 2016 à la tribune des Nations Unies, la nécessaire réforme du système des nations unies pour accorder à l'Afrique un siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU ? L'Afrique est le seul continent à n'avoir aucun siège permanent au Conseil de Sécurité avec près d'un tiers des membres de l'organisation. Il est facile de réaliser qu'aucun des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité(P5) ne trouve rien à gagner d'un élargissement au reste des nations. Il est pourtant clair que le statuquo est d'une injustice évidente car, à l'expérience, les intérêts de l'Afrique sont presque toujours négligés ou analysés à l'aune de ceux des puissances occidentales.

N'a-t-il pas fermement flétri toutes formes de dérive islamophobe et toutes catégories d'extrémisme violant des droits humains fondamentaux ?

N'a-t-il pas exprimé sa forte volonté de lutter, de concert avec le reste du monde, contre le terrorisme comme menace de la paix et de la sécurité internationales ?

La lancinante question du changement climatique ainsi que la question énergétique constituent également pour le Président Sall un des combats majeurs depuis les accords de Paris. Il ne rate aucune tribune opportune pour rappeler les obligations des pays grands pollueurs pendant que l'Afrique a le taux d'émissions de CO2 liées à l'énergie le plus faible tout en restant le continent le plus négativement impacté par les changements climatiques. Adaptation et atténuation doivent faire l’objet d’efforts concertés. Le mix énergétique est une option dans laquelle il s’investit avec conviction, engagement et réalisme.

Sa détermination est encore plus farouche et constante contre l'agenda LGBT, question aux relents à la fois culturels et religieux sur laquelle sa position vient d' être à nouveau récemment réaffirmée au siège de l’ONU à Genève où le Sénégal et la Libye ont voté contre la résolution mentionnant les personnes du même sexe.

Les problématiques contemporaines de fond sur lesquelles le Président de la République s'est fermement démarqué des positions autres que celles exclusivement favorables à l'Afrique et aux pays du Sud ne se comptent plus.
Mais il a toujours été question pour lui de ne plus s’aligner mais de se dresser comme élément de ce que doit être pour toujours le trépied diplomatique mondial.

En effet, le multilatéralisme proclamé, croisé au contexte de la mondialisation aurait dû mener à une large inclusion de nations qui acceptent leurs différences mais qui s'investissent de concert dans la recherche d'une gouvernance commune. C'est pourquoi refuser de s’aligner aux décisions d’une entité à laquelle on n'appartient pas est un acte fort, libre et souverain qui est loin d’être surréaliste pour une nation indépendante de ce siècle.

Or, Macky Sall a affirmé haut et fort que l'Afrique ne voudrait plus être vue comme "une terre d'urgence humanitaire et un réceptacle d'aide publique au développement mais comme un continent en construction, un Pôle d'émergence et de progrès". Tout est dit.

C’est également lui qui clamait haut et fort à la 71ème session de l’assemblée générale de l’ONU: « Il n’y a pas de grandes et de petites Nations. Il y a des Nations Unies. Et si nous sommes des Nations Unies, toutes les voix doivent compter quand nous délibérons sur nos affaires communes». Il n’est pas de crise aux conséquences plus mondialement partagées que ce conflit entre l’Ukraine et la Russie.

Aussi, ces rendez-vous diplomatiques de Macky Sall avec Poutine, Zelinsky et les puissances d'Occident, au nom de l'Union africaine, du Sénégal et des pays du Sud, au-delà des solutions ponctuelles recherchées, sont-ils à mettre sur le compte d'une large contribution à la revendication de la diplomatie du Sud pour un système international où sa voix compte dans un système tripolaire.

Malick Ndiaye, maire de Gagnick.

La Rédaction