Il n’est donc pas exagéré de considérer le rapport entre la classe politique qui constitue l’opposition d’une part, et la presse, la société civile d’autre part, comme étant une sorte de dépendance vitale. En effet, la société civile et la presse sénégalaise sont à la limite une sorte de ‘sage-femme’ de l’histoire politique : elles font accoucher les hommes politiques. Mais tandis que Socrate prétendait faire accoucher les esprits des ‘vérités ou connaissances innées’, les ‘sages-femmes’ de l’histoire politique de notre pays font accoucher les hommes politiques de toutes sortes de stupidités.
Aussi, l’impression d’être un musée d’absurdités et de mauvaise foi que dégage la scène politique sénégalaise est-elle naturellement liée à ce que, sous la pression des sages-femmes de la politique, les politiciens sont obligés de parler. C’est donc normal que la politique au Sénégal soit devenue un art des amalgames ou plus exactement l’art de combiner des choses sérieuses à des stupidités. Le déplacement de la problématique auquel a procédé l’opposition sénégalaise sur la question du maintien de Babacar Diagne à la direction de la Rts relève effectivement de ce genre de machination. Une affaire, qui est purement régie par le droit du travail, est en train d’être transposée sur le terrain politique ou tout bonnement travestie en question de bonne ou mauvaise gouvernance.
Les leaders de l’opposition, qui se bousculent dans la prise en charge médiatique de cette affaire, savent mieux que quiconque qu’il s’agit d’une affaire, à la limite, de droit privé : combien de personnes retraitées ont été maintenues à leur poste sous forme de contrats spéciaux ? Ce qui devrait rester une affaire syndicale (encore que les agents de la boîte concernée soutiennent majoritairement la décision) a été vidé de son contenu et savamment monnayé politiquement.
De toute façon, l’âge de Babacar Diagne ne doit être évoqué que pour des raisons de principe et de droit : dès qu’il déborde cette sphère il devient une sorte de surenchère. C’est bien parce que l’âge n’est pas toujours déterminant dans la productivité que la fonction publique et même le privé ont inventé des contrats de ce genre. Max Weber le souligne très bien en affirmant que ‘ce n’est pas l’âge qui compte, mais d’abord la souveraine compétence du regard qui sait voir les réalités de la vie sans fard et ensuite la force d’âme qui est capable de les supporter et de se sauver avec elle’. Seule la compétence est donc souveraine dans la gestion des entreprises.
Le malheur dans cette affaire, c’est que les hommes politiques, qui ont l’habitude de se targuer d’être des républicains, n’ont fait preuve d’aucune démarche républicaine dans cette affaire. C’est le président de la République qui, conformément à la Constitution, nomme légitiment aux emplois civils et militaires. Et, ne serait-ce que sous cet angle, les leaders de Bennoo devraient s’empêcher de faire valoir des arguments politiques. Seuls les arguments juridiques sont ici opposables à cet acte du président. Or, l’opposition a strictement boudé le terrain de l’argument du droit pour investir celui des arguties politiques.
Depuis la nuit des temps, l’administration et le gouvernement pratiquent la trouvaille des contrats spéciaux : le cas de Babacar Diagne n’a rien de bizarre. C’est curieux d’ailleurs d’entendre des élucubrations cherchant à mettre en relation ce maintien de Babacar Diagne à la tête de la Rts et les élections de 2012. Depuis quand des élections se gagnent ou se perdent-elles par la nomination d’un directeur général d’une radiotélévision nationale ? Pourquoi dans cette furie médiatique personne, parmi les détracteurs, n’a eu le courage de reconnaître la qualité du travail abattu par l’actuel directeur aussi bien sur le plan purement professionnel que sur celui humain ? Il n’y a aucun doute pourtant que la Rts s’est beaucoup bonifiée depuis l’avènement de Babacar Diagne à la direction.
Cette interview d’Ousmane Ngary Faye, journaliste à la Rts est largement édifiante sur la compétence de M. Babacar Diagne : ‘Aujourd’hui, ce que l’on agite comme problème, c’est le cas du directeur général, Babacar Diagne dont il est dit qu’il est frappé par la limite d’âge. Un cas qui a été relevé le 1er mai, lors de la fête internationale du travail. Une surprise, puisque les employés de la Rts ne s’en rendaient même pas compte. Car, voilà quelqu’un, même s’il était resté dix ans après sa retraite, les gens ne s’en rendraient même pas compte. Avec lui, le travail se poursuit et nous gérons comme il le faut le service public, conformément aux cahiers des charges. Donc, il n’y a aucun problème. Les employés sont payés à temps. Aussi, je me dis que certains veulent entrer à la Rts et des postes aiguisent certainement des appétits. Alors, il faut bien que de l’extérieur, qu’il y ait un tel acharnement, de la conspiration, et j’en passe. Il est vrai qu’il est à la retraite, mais le président de la République et le Premier ministre ont cru devoir lui proroger son mandat. Nous n’y voyons aucun inconvénient. Notre seul souci est que la Rts marche. Et, depuis que Babacar Diagne est là, tout marche comme sur des roulettes. Alors, pourquoi sa retraite devrait poser problème ? ’.
Il n’y a aucun doute que ce témoignage du journaliste de la Rts nous édifie sur la politisation outrancière et maladroite d’une affaire qui, logiquement ne devrait être abordée que sur le plan juridique. Le fait même qu’on veuille voir dans ce contrat spécial un calcul politique relève d’un défaut de hauteur de vue : la démocratie sénégalaise, le pluralisme médiatique et le système de régulation de l’audiovisuel ne tolèrent pas une telle digression. Le problème avec l’opposition, c’est qu’elle cherche à congédier ses propres difficultés en faisant une sorte de transfert sur le gouvernement. Incapable de résoudre ses contradictions internes et ses errements politiques, elle focalise l’attention sur la moindre action du pouvoir pour occulter ses faiblesses.
Le doute qui l’habite sur l’issue des élections ainsi que son incapacité à répondre aux exigences des citoyens sur la nécessité de son unité perturbent la quiétude de l’opposition. Cette extrême frilosité politique prouve nettement un manque de sérénité dont l’origine doit être cherchée dans une sorte de malformation congénitale de l’opposition : les membres de cette opposition sont tous comptables de la situation difficiles de notre pays. Ce qui est frappant dans la scène politique sénégalaise, c’est que la pire fripouille est exonérée de ses crimes et turpitudes dès qu’elle s’oppose au régime de Wade, elle se permet même de jouer les premiers rôles dans ‘sa nouvelle demeure’. Des acteurs politiques, qui ont assumé neuf ou huit des dix ans de l’Alternance, font comme si le fait de quitter le régime était suffisant pour les absoudre définitivement. Aussi être dans l’opposition ou la rejoindre est-il devenu synonyme de virginité politique et de transparence.
On pourrait à ce titre résumer cette comédie par l’adage qui dit : ‘Plus le passé est sombre, plus la rédemption est claire.’ Contrairement à ce que l’on veut faire croire, ce ne sont pas les principes moraux évoqués ni même l’intérêt national qui motivent les prises de position des uns et des autres : le sentiment vindicatif est astucieusement derrière tout ce bavardage. Mais nous retiendrons que l’aiguillon de la haine et de la vengeance n’a jamais été rien d’autre qu’une source créatrice de monstres et de confusion dramatique. Et comme dit Louis XIV : ‘C'est toujours l'impatience de gagner qui fait perdre’, il n’est pas insensé de penser que le débat précipité sur la recevabilité de la candidature de Me Wade risque d’être plus préjudiciable à ses instigateurs que le principal concerné.
La confiance populaire se mérite par la proposition de projets alternatifs crédibles parce qu’en adéquation avec les attentes du peuple. L’occupation quantitative de l’espace public par les supports médiatiques ne peut pas rendre caduque l’exigence d’un véritable leadership fondé sur des qualités autres que l’invective, la critique et la surenchère verbale. Cette façon de procéder est, en réalité, une sorte de pari pascalien politique : Pascal disait : ‘Pariez que Dieu existe, si vous gagnez, vous gagnez tout, si vous perdez, vous ne perdez rien’. Ce pari pascalien devient alors pour l’opposition, regroupée autour de Bennoo, ‘Parlez toujours : si ce que vous dites est sensé, vous gagnez…’
Tout le problème de la politique au Sénégal, c’est la mauvaise foi des différents acteurs : la politique doit, dans leur entendement, être à l’antipode de la loyauté, car ils ne conçoivent pas la possibilité d’une loyauté dans l’adversité. Cette disposition quasi pathologique à nier toute vertu à ses adversaires est en réalité motivée par une recherche de compensation psychologique que ne procure que la vengeance. La satisfaction psychologique que procure le sentiment de vengeance et d’assouvissement de la haine est presque humainement difficile à résister. C’est de cela que provient cette tendance irrésistible à toujours frapper du sceau du négatif ce que son adversaire fait ou dit. C’est la nature même de la politique qui se révèle dans cette sorte de surenchère entretenue par des hommes politiques sur une banale affaire de droit privé : l’intérêt personnel est toujours derrière les grands principes moraux que l’on évoque ici et là. On chante sur tous les toits n’être motivé que par l’intérêt général alors que la réalité montre de la façon la plus nette qu’il ne s’agit que d’intérêts privés.
Max Weber faisait remarquer d’ailleurs que l’abondance des avocats en politique n’est pas due au hasard : c’est bien parce que la politique est une affaire d’intérêts privés qu’on y fait recours au savoir-faire des avocats. Lorsque les hommes politiques parlent de l’intérêt général ou d’intérêt public, il faut toujours comprendre qu’ils veulent dire qu’il n’y a pas d’intérêt général sans le leur ; ou bien, ce qui revient au même, il n’y a que des intérêts particuliers, privés. La seule chose qui change dans leur entendement, c’est la dimension des intérêts : plus il y a d’intérêts convergents, davantage ils donnent l’illusion de généralité et de publicité.
C’est sur cette indétermination de l’intérêt général que jouent les hommes politiques de mauvaise foi. Ainsi, s’inspirant de la remarque de Max Weber sur le besoin des partis politiques à recruter dans leurs rangs beaucoup d’avocats, on peut dire qu’en dernière instance, l’homme politique n’est qu’un avocat de mauvaise foi. Si les hommes politiques et leur formation sont si friands d’avocats, c’est bien parce qu’ils voient dans l’avocat la réalisation achevée de ce qu’ils sont médiocrement. L’avocat de métier défend ouvertement des intérêts privés et est rémunéré pour cela. L’homme politique quant à lui est un avocat de mauvaise foi : il défend des intérêts privés sous le manteau de l’intérêt général, public.
Les syndicalistes et la société civile de ce pays l’ont tellement bien compris qu’ils n’hésitent jamais à réquisitionner les hommes politiques pour la plaidoirie publique de leurs intérêts. En assurant la défense politique des syndicats et des différentes corporations, les hommes politiques récoltent la rançon de la présence et, si possible de la notoriété. C’est effectivement une espèce de partenariat win-win qui se noue tacitement entre des forces sociales aux intérêts différents, mais convergents, sous une certaine forme.
C’est évident que M. Mame Less Camara, pour qui nous avons beaucoup de respect pour son érudition, en soulevant cette affaire est strictement resté dans le cadre des principes et de la légalité et n’était nullement motivé par des préoccupations politiques. Toutefois, la récupération que les politiques ont faite de cette affaire a également donné plus d’ampleur et d’écho à la complainte ou observation du journaliste. De la même manière que les joueurs de football professionnel qui, en fin de saison se surpassent pour être remarqués et sollicités par de nouveaux clubs, l’approche des consultations électorales de 2012 excite les opposants de façon exagérée. La sérénité des populations est, on dirait, la cible des hommes politiques : il faut qu’ils troublent leur quiétude pour se faire remarquer comme si la scène politique était une foire.
Le propre même de la démarche propagandiste apparaît dans le traitement de cette affaire du directeur général de la Rts : d’une ridicule affaire sans enjeu réel, la propagande réussit la prouesse de faire une affaire d’intérêt national qui suscite les passions et focalise l’attention. Au même moment, des choses sérieuses passent à l’arrière-plan de la scène politique et, par ricochet, de la conscience populaire.
Pape Sadio THIAM thiampapesadio@yahoo.fr 77 242 50 18/ 76 587 01 63
Aussi, l’impression d’être un musée d’absurdités et de mauvaise foi que dégage la scène politique sénégalaise est-elle naturellement liée à ce que, sous la pression des sages-femmes de la politique, les politiciens sont obligés de parler. C’est donc normal que la politique au Sénégal soit devenue un art des amalgames ou plus exactement l’art de combiner des choses sérieuses à des stupidités. Le déplacement de la problématique auquel a procédé l’opposition sénégalaise sur la question du maintien de Babacar Diagne à la direction de la Rts relève effectivement de ce genre de machination. Une affaire, qui est purement régie par le droit du travail, est en train d’être transposée sur le terrain politique ou tout bonnement travestie en question de bonne ou mauvaise gouvernance.
Les leaders de l’opposition, qui se bousculent dans la prise en charge médiatique de cette affaire, savent mieux que quiconque qu’il s’agit d’une affaire, à la limite, de droit privé : combien de personnes retraitées ont été maintenues à leur poste sous forme de contrats spéciaux ? Ce qui devrait rester une affaire syndicale (encore que les agents de la boîte concernée soutiennent majoritairement la décision) a été vidé de son contenu et savamment monnayé politiquement.
De toute façon, l’âge de Babacar Diagne ne doit être évoqué que pour des raisons de principe et de droit : dès qu’il déborde cette sphère il devient une sorte de surenchère. C’est bien parce que l’âge n’est pas toujours déterminant dans la productivité que la fonction publique et même le privé ont inventé des contrats de ce genre. Max Weber le souligne très bien en affirmant que ‘ce n’est pas l’âge qui compte, mais d’abord la souveraine compétence du regard qui sait voir les réalités de la vie sans fard et ensuite la force d’âme qui est capable de les supporter et de se sauver avec elle’. Seule la compétence est donc souveraine dans la gestion des entreprises.
Le malheur dans cette affaire, c’est que les hommes politiques, qui ont l’habitude de se targuer d’être des républicains, n’ont fait preuve d’aucune démarche républicaine dans cette affaire. C’est le président de la République qui, conformément à la Constitution, nomme légitiment aux emplois civils et militaires. Et, ne serait-ce que sous cet angle, les leaders de Bennoo devraient s’empêcher de faire valoir des arguments politiques. Seuls les arguments juridiques sont ici opposables à cet acte du président. Or, l’opposition a strictement boudé le terrain de l’argument du droit pour investir celui des arguties politiques.
Depuis la nuit des temps, l’administration et le gouvernement pratiquent la trouvaille des contrats spéciaux : le cas de Babacar Diagne n’a rien de bizarre. C’est curieux d’ailleurs d’entendre des élucubrations cherchant à mettre en relation ce maintien de Babacar Diagne à la tête de la Rts et les élections de 2012. Depuis quand des élections se gagnent ou se perdent-elles par la nomination d’un directeur général d’une radiotélévision nationale ? Pourquoi dans cette furie médiatique personne, parmi les détracteurs, n’a eu le courage de reconnaître la qualité du travail abattu par l’actuel directeur aussi bien sur le plan purement professionnel que sur celui humain ? Il n’y a aucun doute pourtant que la Rts s’est beaucoup bonifiée depuis l’avènement de Babacar Diagne à la direction.
Cette interview d’Ousmane Ngary Faye, journaliste à la Rts est largement édifiante sur la compétence de M. Babacar Diagne : ‘Aujourd’hui, ce que l’on agite comme problème, c’est le cas du directeur général, Babacar Diagne dont il est dit qu’il est frappé par la limite d’âge. Un cas qui a été relevé le 1er mai, lors de la fête internationale du travail. Une surprise, puisque les employés de la Rts ne s’en rendaient même pas compte. Car, voilà quelqu’un, même s’il était resté dix ans après sa retraite, les gens ne s’en rendraient même pas compte. Avec lui, le travail se poursuit et nous gérons comme il le faut le service public, conformément aux cahiers des charges. Donc, il n’y a aucun problème. Les employés sont payés à temps. Aussi, je me dis que certains veulent entrer à la Rts et des postes aiguisent certainement des appétits. Alors, il faut bien que de l’extérieur, qu’il y ait un tel acharnement, de la conspiration, et j’en passe. Il est vrai qu’il est à la retraite, mais le président de la République et le Premier ministre ont cru devoir lui proroger son mandat. Nous n’y voyons aucun inconvénient. Notre seul souci est que la Rts marche. Et, depuis que Babacar Diagne est là, tout marche comme sur des roulettes. Alors, pourquoi sa retraite devrait poser problème ? ’.
Il n’y a aucun doute que ce témoignage du journaliste de la Rts nous édifie sur la politisation outrancière et maladroite d’une affaire qui, logiquement ne devrait être abordée que sur le plan juridique. Le fait même qu’on veuille voir dans ce contrat spécial un calcul politique relève d’un défaut de hauteur de vue : la démocratie sénégalaise, le pluralisme médiatique et le système de régulation de l’audiovisuel ne tolèrent pas une telle digression. Le problème avec l’opposition, c’est qu’elle cherche à congédier ses propres difficultés en faisant une sorte de transfert sur le gouvernement. Incapable de résoudre ses contradictions internes et ses errements politiques, elle focalise l’attention sur la moindre action du pouvoir pour occulter ses faiblesses.
Le doute qui l’habite sur l’issue des élections ainsi que son incapacité à répondre aux exigences des citoyens sur la nécessité de son unité perturbent la quiétude de l’opposition. Cette extrême frilosité politique prouve nettement un manque de sérénité dont l’origine doit être cherchée dans une sorte de malformation congénitale de l’opposition : les membres de cette opposition sont tous comptables de la situation difficiles de notre pays. Ce qui est frappant dans la scène politique sénégalaise, c’est que la pire fripouille est exonérée de ses crimes et turpitudes dès qu’elle s’oppose au régime de Wade, elle se permet même de jouer les premiers rôles dans ‘sa nouvelle demeure’. Des acteurs politiques, qui ont assumé neuf ou huit des dix ans de l’Alternance, font comme si le fait de quitter le régime était suffisant pour les absoudre définitivement. Aussi être dans l’opposition ou la rejoindre est-il devenu synonyme de virginité politique et de transparence.
On pourrait à ce titre résumer cette comédie par l’adage qui dit : ‘Plus le passé est sombre, plus la rédemption est claire.’ Contrairement à ce que l’on veut faire croire, ce ne sont pas les principes moraux évoqués ni même l’intérêt national qui motivent les prises de position des uns et des autres : le sentiment vindicatif est astucieusement derrière tout ce bavardage. Mais nous retiendrons que l’aiguillon de la haine et de la vengeance n’a jamais été rien d’autre qu’une source créatrice de monstres et de confusion dramatique. Et comme dit Louis XIV : ‘C'est toujours l'impatience de gagner qui fait perdre’, il n’est pas insensé de penser que le débat précipité sur la recevabilité de la candidature de Me Wade risque d’être plus préjudiciable à ses instigateurs que le principal concerné.
La confiance populaire se mérite par la proposition de projets alternatifs crédibles parce qu’en adéquation avec les attentes du peuple. L’occupation quantitative de l’espace public par les supports médiatiques ne peut pas rendre caduque l’exigence d’un véritable leadership fondé sur des qualités autres que l’invective, la critique et la surenchère verbale. Cette façon de procéder est, en réalité, une sorte de pari pascalien politique : Pascal disait : ‘Pariez que Dieu existe, si vous gagnez, vous gagnez tout, si vous perdez, vous ne perdez rien’. Ce pari pascalien devient alors pour l’opposition, regroupée autour de Bennoo, ‘Parlez toujours : si ce que vous dites est sensé, vous gagnez…’
Tout le problème de la politique au Sénégal, c’est la mauvaise foi des différents acteurs : la politique doit, dans leur entendement, être à l’antipode de la loyauté, car ils ne conçoivent pas la possibilité d’une loyauté dans l’adversité. Cette disposition quasi pathologique à nier toute vertu à ses adversaires est en réalité motivée par une recherche de compensation psychologique que ne procure que la vengeance. La satisfaction psychologique que procure le sentiment de vengeance et d’assouvissement de la haine est presque humainement difficile à résister. C’est de cela que provient cette tendance irrésistible à toujours frapper du sceau du négatif ce que son adversaire fait ou dit. C’est la nature même de la politique qui se révèle dans cette sorte de surenchère entretenue par des hommes politiques sur une banale affaire de droit privé : l’intérêt personnel est toujours derrière les grands principes moraux que l’on évoque ici et là. On chante sur tous les toits n’être motivé que par l’intérêt général alors que la réalité montre de la façon la plus nette qu’il ne s’agit que d’intérêts privés.
Max Weber faisait remarquer d’ailleurs que l’abondance des avocats en politique n’est pas due au hasard : c’est bien parce que la politique est une affaire d’intérêts privés qu’on y fait recours au savoir-faire des avocats. Lorsque les hommes politiques parlent de l’intérêt général ou d’intérêt public, il faut toujours comprendre qu’ils veulent dire qu’il n’y a pas d’intérêt général sans le leur ; ou bien, ce qui revient au même, il n’y a que des intérêts particuliers, privés. La seule chose qui change dans leur entendement, c’est la dimension des intérêts : plus il y a d’intérêts convergents, davantage ils donnent l’illusion de généralité et de publicité.
C’est sur cette indétermination de l’intérêt général que jouent les hommes politiques de mauvaise foi. Ainsi, s’inspirant de la remarque de Max Weber sur le besoin des partis politiques à recruter dans leurs rangs beaucoup d’avocats, on peut dire qu’en dernière instance, l’homme politique n’est qu’un avocat de mauvaise foi. Si les hommes politiques et leur formation sont si friands d’avocats, c’est bien parce qu’ils voient dans l’avocat la réalisation achevée de ce qu’ils sont médiocrement. L’avocat de métier défend ouvertement des intérêts privés et est rémunéré pour cela. L’homme politique quant à lui est un avocat de mauvaise foi : il défend des intérêts privés sous le manteau de l’intérêt général, public.
Les syndicalistes et la société civile de ce pays l’ont tellement bien compris qu’ils n’hésitent jamais à réquisitionner les hommes politiques pour la plaidoirie publique de leurs intérêts. En assurant la défense politique des syndicats et des différentes corporations, les hommes politiques récoltent la rançon de la présence et, si possible de la notoriété. C’est effectivement une espèce de partenariat win-win qui se noue tacitement entre des forces sociales aux intérêts différents, mais convergents, sous une certaine forme.
C’est évident que M. Mame Less Camara, pour qui nous avons beaucoup de respect pour son érudition, en soulevant cette affaire est strictement resté dans le cadre des principes et de la légalité et n’était nullement motivé par des préoccupations politiques. Toutefois, la récupération que les politiques ont faite de cette affaire a également donné plus d’ampleur et d’écho à la complainte ou observation du journaliste. De la même manière que les joueurs de football professionnel qui, en fin de saison se surpassent pour être remarqués et sollicités par de nouveaux clubs, l’approche des consultations électorales de 2012 excite les opposants de façon exagérée. La sérénité des populations est, on dirait, la cible des hommes politiques : il faut qu’ils troublent leur quiétude pour se faire remarquer comme si la scène politique était une foire.
Le propre même de la démarche propagandiste apparaît dans le traitement de cette affaire du directeur général de la Rts : d’une ridicule affaire sans enjeu réel, la propagande réussit la prouesse de faire une affaire d’intérêt national qui suscite les passions et focalise l’attention. Au même moment, des choses sérieuses passent à l’arrière-plan de la scène politique et, par ricochet, de la conscience populaire.
Pape Sadio THIAM thiampapesadio@yahoo.fr 77 242 50 18/ 76 587 01 63