L’entreprise, un autre milieu trop complexe. Un milieu où tous les coups semblent permis. Des gens voulant accéder au sommet d’une entreprise sont obligés de faire recours au maraboutage. De nos jours, nombreux sont ceux qui ne se fient guère à leur capacités personnelles. A en croire des témoignages, à cause de ces pratiques mystiques, des personnes ont perdu leur poste, d’autres ont fini par errer dans les rues parce qu’un de leurs collègues leur a jeté un sortilège. Le travail, pour beaucoup de gens, ne suffit plus pour gravir les échelons au sein de l’entreprise. Pour eux, le succès se force par le biais des objets mystiques qu’offrent les marabouts. Vrai ou faux ? En tout cas, une chose est sûre : une frange de la société sénégalaise y croit. Daouda Bâ nous conte l’histoire de son papa devenu fou, après avoir été marabouté.
« Mon père est devenu fou parce que son plus proche collaborateur l’avait marabouté »
Jeune homme âgé de 26 ans, teint un peu clair, habitant la Sodida, D. Bâ détaille comment son père de patron de garage automobile, a été marabouté. « L’année dernière, mon père était devenu fou. Il était le gérant d’un garage automobile dont je ne vais pas dire le nom. Il dirigeait plusieurs personnes. C’était un matin, on devait déjeuner ensemble. Quand mon père est sorti dans sa chambre, il a commencé à parler tout seul. Il disait des bêtises. Quand on l’a entendu, on croyait qu’il voulait juste nous faire rire. Mais ce n’était pas le cas. C’est de là que tout est parti. Il avait perdu l’esprit. On l’a amené presque dans tous les hôpitaux mais rien. Un jour, ma mère s’est rendue chez un marabout. Ce dernier lui a dit que mon père avait été marabouté et que celui qui l’avait fait était l’un de ses proches collaborateurs. Il a expliqué à ma mère que « le truc » avait été mis dans son garage et qu’il fallait tout réaménager», explique Daouda Bâ, d’une voix pleine d’émotion.
Et d’ajouter : « Quand ma mère a fait cela, elle a vu un morceau rouge où étaient gribouillées toutes sortes d’écritures et de choses. C’est là qu’elle est repartie voir le marabout qui a utilisé le même morceau pour sauver mon père . Le plus surprenant dans tout cela, c’est depuis qu’on a découvert le sortilège, son collaborateur qui était son bras droit, a fui. Depuis là, on ne le voit plus ». Cette situation vécue par le père de Daouda Bâ est loin d’être une histoire isolée. D’autres personnes en ont aussi souffert.
C’est l’exemple de Fatou Ly qui travaillait comme comptable dans une banque de la place très connue.
« J’ai été licenciée la semaine où j’ai surpris ma collègue répandre un liquide dans mon bureau»
Fatou Ly, la trentaine, teint clair, yeux de biche, visage tout radieux, trouvée chez elle, à Grand Dakar, dans son salon, l’air décontracté, détaille comment elle a été licenciée de la banque où elle travaillait depuis 4 ans. «C’était l’année passée. Un jour, plutôt que d’habitude, je suis partie au bureau. C’est comme si c’était Dieu qui voulait que je vois de mes propres yeux. Quand je suis arrivée, j’ai surpris ma collègue, celle que j’estimais le plus, en train de verser des gouttes d’eau un peu partout, là où je m’asseyais. Quand elle m’a vu, elle a pris peur et a commencé à trembler. C’est là que je lui ai demandé ce qu’elle faisait. Et elle m’a dit qu’elle était en train de dépoussiérer les lieux. Mais je lui ai demandé de me montrer ce qu’elle cachait derrière elle. Je savais qu’elle mentait. J’ai attrapé sa main et j’ai vu nettement que c’était du ‘’safara’’», confesse Fatou Ly.
D’après elle, c’est à partir de là, qu’elle a commencé avoir des problèmes au bureau avant qu’elle ne soit licenciée. « Mes collègues m’ont par la suite informé que c’est elle qui occupe mon poste actuellement. Je ne croyais pas carrément à ces genres de pratique dans les entreprises, je sais maintenant que cela existe. Mais Dieu est juge», tonne-t-elle, avant de poursuivre d’une voix feutrée : « J’ai un autre job. Personne ne peut lutter contre le destin d’autrui».
Le maraboutage dans le milieu professionnel ne se fait pas seulement entre employés. D’autres vont jusqu’à marabouter leur patron, afin d’obtenir une position stratégique leur permettant de soutirer de l’argent à leur boss.
« Il a marabouté son patron chinois et a réussi à lui soutirer 10 millions »
Modou Diouf, barbe touffue, trouvé à la zone Sodida, en tenue de travail, explique comment son patron chinois a été marabouté par un de ses employés. « Notre patron chinois a été marabouté par un collègue. Une semaine avant, le gars était parti dans son village. On pensait même qu’il avait quitté l’entreprise. Mais quand il est revenu, la semaine d’après, il a été promu et, est devenu le chauffeur du patron et son homme de main. En à peine un mois, il a réussi à soutirer au Chinois une somme de 10 millions grâce à ses gris-gris. Sa vie avait tout d’un coup changé en une semaine presque. On savait tous qu’il y avait un truc qui clochait», confie Modou, d’un air tout sauf choqué.
Poursuivant son témoignage, il renseigne que malheureusement pour le gars, les proches du patron chinois ont dû faire en sorte qu’il soit libéré de l’emprise du gars. Quand la potion a cessé de faire son effet, je ne sais pas comment ils ont fait, mais le patron n’arrivait pas à croire qu’il ait fait de ce gars son chauffeur, au point de lui donner tout cet argent. Ainsi, il l’a poursuivi en justice, mais je pense que le gars s’en est sorti indemne sous prétexte que le boss lui a offert gratuitement cet argent, argue Modou avant de filer tout droit à son lieu de travail.
Ces témoignages se confirment davantage par ceux des marabouts qui disent recevoir beaucoup de clients qui demandent ce genre de services. C’est l’exemple d’Abdou Diallo Dabo, un marabout très réputé dans ce domaine.
« La dame voulait que je rende malade sa collègue afin qu’elle puisse démissionner »
Le marabout du nom d’Abdou Diallo, habitant à Mbao, joint par téléphone, narre une affaire de maraboutage que lui a proposé une dame. « Une femme est venu me voir. C’est une employée dans une grande entreprise de la place. Elle ne supportait pas sa collègue. Ainsi la dame voulait que je la fasse virer ou soit la rendre malade afin qu’elle démissionne. Elle est même allée jusqu’à me proposer un terrain à Diass et à Sebikotane », confie le vieux marabout.
« Certains clients me demandent de faire limoger leur collègue de leur poste »
Assane Dabo, marabout basé à Dakar, trouvé dans sa maison où déjà quelques personnes l’attendaient à la véranda, déclare que beaucoup de gens sollicitent ses services, soit pour avoir un boulot ou une promotion dans leur entreprise. « Je leur viens souvent en aide et ça marche. La plupart viennent pour la promotion ou pour se faire affecter. Il y en a aussi ceux, après avoir déposé leur Cv dans une entreprise, viennent me voir pour que je les aide à décrocher un entretien d’embauche », informe Dabo. Avant de révéler : « certains clients me demandent aussi de renverser la situation, c’est-à-dire chasser un collègue de son poste».
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MOR TINE, DOCTEUR EN SOCIOLOGIE
« Pourquoi ils ont recours aux marabouts »
Mor Tine, docteur en sociologie du développement, jeune chercheur et actuellement consultant en emploi des jeunes à la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation), explique les raisons qui poussent les personnes à se livrer à des pratiques maraboutiques dans les entreprises.
Qu’elles sont les causes des pratiques maraboutiques au sein des entreprises ?
Au Sénégal, dans les entreprises, il y a toujours ce genre de stratégies, de pratiques maraboutiques. Le positionnement peut-être considéré comme l’un des principaux facteurs qui poussent certaines personnes à s’adonner à de telles pratiques dirigées vers leurs collègues. Mais considérer le positionnement comme la simple cause de ce phénomène, serait assez réductionniste. Les logiques qui sous-tendent de telles pratiques ne peuvent être qu’à divers niveaux tant sur le plan économique, social, culturel et politique.
Par exemple sur le plan économique, on sait nettement que si ces pratiques sont proférées dans le milieu entrepreneurial, c’est parce qu’il y a déjà une certaine promiscuité de ce milieu où les gens ne sont pas issus d’un milieu aisé et ne se contentent pas de ce qu’ils ont, ou bien du poste qu’ils trouvent. Alors, le désir d’avoir une situation économique plus prometteuse fait que certaines personnes, quels que soient leurs moyens, se livrent à ces pratiques.
On pourrait mettre le doigt sur nos politiques en matière d’emploi qui depuis les indépendances ,sont caractérisés par des échecs. Jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à relever le défi de l’emploi, surtout en ce qui concerne les jeunes. Et de ce point de vue, quand on acquiert un poste au sein d’une entreprise, ce qui n’est pas une chose facile, on voudrait le garder jalousement. Et justement, ce conflit de positionnement va les entraîner vers le maraboutage.
Sur le plan culturel, le simple fait d’en parler montre que nous sommes dans une société où il y a une forte croyance en de telles pratiques maraboutiques. Ce sont des pratiques qui relèvent donc d’une autre rationalité, particulière à notre société.
Enfin sur le plan social, il y a aussi ce que l’on peut appeler les pesanteurs sociaux, c’est-à-dire le besoin d’estime, de se faire un nom, d’être respecté, d’avoir un capital social. Ces choses-là font que certaines individus trouvent ce raccourcie pour avoir le poste enviait.
Cheikh Dione/Anna Thiaw (stagiaires) rewmi
« Mon père est devenu fou parce que son plus proche collaborateur l’avait marabouté »
Jeune homme âgé de 26 ans, teint un peu clair, habitant la Sodida, D. Bâ détaille comment son père de patron de garage automobile, a été marabouté. « L’année dernière, mon père était devenu fou. Il était le gérant d’un garage automobile dont je ne vais pas dire le nom. Il dirigeait plusieurs personnes. C’était un matin, on devait déjeuner ensemble. Quand mon père est sorti dans sa chambre, il a commencé à parler tout seul. Il disait des bêtises. Quand on l’a entendu, on croyait qu’il voulait juste nous faire rire. Mais ce n’était pas le cas. C’est de là que tout est parti. Il avait perdu l’esprit. On l’a amené presque dans tous les hôpitaux mais rien. Un jour, ma mère s’est rendue chez un marabout. Ce dernier lui a dit que mon père avait été marabouté et que celui qui l’avait fait était l’un de ses proches collaborateurs. Il a expliqué à ma mère que « le truc » avait été mis dans son garage et qu’il fallait tout réaménager», explique Daouda Bâ, d’une voix pleine d’émotion.
Et d’ajouter : « Quand ma mère a fait cela, elle a vu un morceau rouge où étaient gribouillées toutes sortes d’écritures et de choses. C’est là qu’elle est repartie voir le marabout qui a utilisé le même morceau pour sauver mon père . Le plus surprenant dans tout cela, c’est depuis qu’on a découvert le sortilège, son collaborateur qui était son bras droit, a fui. Depuis là, on ne le voit plus ». Cette situation vécue par le père de Daouda Bâ est loin d’être une histoire isolée. D’autres personnes en ont aussi souffert.
C’est l’exemple de Fatou Ly qui travaillait comme comptable dans une banque de la place très connue.
« J’ai été licenciée la semaine où j’ai surpris ma collègue répandre un liquide dans mon bureau»
Fatou Ly, la trentaine, teint clair, yeux de biche, visage tout radieux, trouvée chez elle, à Grand Dakar, dans son salon, l’air décontracté, détaille comment elle a été licenciée de la banque où elle travaillait depuis 4 ans. «C’était l’année passée. Un jour, plutôt que d’habitude, je suis partie au bureau. C’est comme si c’était Dieu qui voulait que je vois de mes propres yeux. Quand je suis arrivée, j’ai surpris ma collègue, celle que j’estimais le plus, en train de verser des gouttes d’eau un peu partout, là où je m’asseyais. Quand elle m’a vu, elle a pris peur et a commencé à trembler. C’est là que je lui ai demandé ce qu’elle faisait. Et elle m’a dit qu’elle était en train de dépoussiérer les lieux. Mais je lui ai demandé de me montrer ce qu’elle cachait derrière elle. Je savais qu’elle mentait. J’ai attrapé sa main et j’ai vu nettement que c’était du ‘’safara’’», confesse Fatou Ly.
D’après elle, c’est à partir de là, qu’elle a commencé avoir des problèmes au bureau avant qu’elle ne soit licenciée. « Mes collègues m’ont par la suite informé que c’est elle qui occupe mon poste actuellement. Je ne croyais pas carrément à ces genres de pratique dans les entreprises, je sais maintenant que cela existe. Mais Dieu est juge», tonne-t-elle, avant de poursuivre d’une voix feutrée : « J’ai un autre job. Personne ne peut lutter contre le destin d’autrui».
Le maraboutage dans le milieu professionnel ne se fait pas seulement entre employés. D’autres vont jusqu’à marabouter leur patron, afin d’obtenir une position stratégique leur permettant de soutirer de l’argent à leur boss.
« Il a marabouté son patron chinois et a réussi à lui soutirer 10 millions »
Modou Diouf, barbe touffue, trouvé à la zone Sodida, en tenue de travail, explique comment son patron chinois a été marabouté par un de ses employés. « Notre patron chinois a été marabouté par un collègue. Une semaine avant, le gars était parti dans son village. On pensait même qu’il avait quitté l’entreprise. Mais quand il est revenu, la semaine d’après, il a été promu et, est devenu le chauffeur du patron et son homme de main. En à peine un mois, il a réussi à soutirer au Chinois une somme de 10 millions grâce à ses gris-gris. Sa vie avait tout d’un coup changé en une semaine presque. On savait tous qu’il y avait un truc qui clochait», confie Modou, d’un air tout sauf choqué.
Poursuivant son témoignage, il renseigne que malheureusement pour le gars, les proches du patron chinois ont dû faire en sorte qu’il soit libéré de l’emprise du gars. Quand la potion a cessé de faire son effet, je ne sais pas comment ils ont fait, mais le patron n’arrivait pas à croire qu’il ait fait de ce gars son chauffeur, au point de lui donner tout cet argent. Ainsi, il l’a poursuivi en justice, mais je pense que le gars s’en est sorti indemne sous prétexte que le boss lui a offert gratuitement cet argent, argue Modou avant de filer tout droit à son lieu de travail.
Ces témoignages se confirment davantage par ceux des marabouts qui disent recevoir beaucoup de clients qui demandent ce genre de services. C’est l’exemple d’Abdou Diallo Dabo, un marabout très réputé dans ce domaine.
« La dame voulait que je rende malade sa collègue afin qu’elle puisse démissionner »
Le marabout du nom d’Abdou Diallo, habitant à Mbao, joint par téléphone, narre une affaire de maraboutage que lui a proposé une dame. « Une femme est venu me voir. C’est une employée dans une grande entreprise de la place. Elle ne supportait pas sa collègue. Ainsi la dame voulait que je la fasse virer ou soit la rendre malade afin qu’elle démissionne. Elle est même allée jusqu’à me proposer un terrain à Diass et à Sebikotane », confie le vieux marabout.
« Certains clients me demandent de faire limoger leur collègue de leur poste »
Assane Dabo, marabout basé à Dakar, trouvé dans sa maison où déjà quelques personnes l’attendaient à la véranda, déclare que beaucoup de gens sollicitent ses services, soit pour avoir un boulot ou une promotion dans leur entreprise. « Je leur viens souvent en aide et ça marche. La plupart viennent pour la promotion ou pour se faire affecter. Il y en a aussi ceux, après avoir déposé leur Cv dans une entreprise, viennent me voir pour que je les aide à décrocher un entretien d’embauche », informe Dabo. Avant de révéler : « certains clients me demandent aussi de renverser la situation, c’est-à-dire chasser un collègue de son poste».
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MOR TINE, DOCTEUR EN SOCIOLOGIE
« Pourquoi ils ont recours aux marabouts »
Mor Tine, docteur en sociologie du développement, jeune chercheur et actuellement consultant en emploi des jeunes à la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation), explique les raisons qui poussent les personnes à se livrer à des pratiques maraboutiques dans les entreprises.
Qu’elles sont les causes des pratiques maraboutiques au sein des entreprises ?
Au Sénégal, dans les entreprises, il y a toujours ce genre de stratégies, de pratiques maraboutiques. Le positionnement peut-être considéré comme l’un des principaux facteurs qui poussent certaines personnes à s’adonner à de telles pratiques dirigées vers leurs collègues. Mais considérer le positionnement comme la simple cause de ce phénomène, serait assez réductionniste. Les logiques qui sous-tendent de telles pratiques ne peuvent être qu’à divers niveaux tant sur le plan économique, social, culturel et politique.
Par exemple sur le plan économique, on sait nettement que si ces pratiques sont proférées dans le milieu entrepreneurial, c’est parce qu’il y a déjà une certaine promiscuité de ce milieu où les gens ne sont pas issus d’un milieu aisé et ne se contentent pas de ce qu’ils ont, ou bien du poste qu’ils trouvent. Alors, le désir d’avoir une situation économique plus prometteuse fait que certaines personnes, quels que soient leurs moyens, se livrent à ces pratiques.
On pourrait mettre le doigt sur nos politiques en matière d’emploi qui depuis les indépendances ,sont caractérisés par des échecs. Jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à relever le défi de l’emploi, surtout en ce qui concerne les jeunes. Et de ce point de vue, quand on acquiert un poste au sein d’une entreprise, ce qui n’est pas une chose facile, on voudrait le garder jalousement. Et justement, ce conflit de positionnement va les entraîner vers le maraboutage.
Sur le plan culturel, le simple fait d’en parler montre que nous sommes dans une société où il y a une forte croyance en de telles pratiques maraboutiques. Ce sont des pratiques qui relèvent donc d’une autre rationalité, particulière à notre société.
Enfin sur le plan social, il y a aussi ce que l’on peut appeler les pesanteurs sociaux, c’est-à-dire le besoin d’estime, de se faire un nom, d’être respecté, d’avoir un capital social. Ces choses-là font que certaines individus trouvent ce raccourcie pour avoir le poste enviait.
Cheikh Dione/Anna Thiaw (stagiaires) rewmi