Un soldat à l'entrée du centre commercial Westgate à Nairobi, Kenya.
REUTERS/Goran Tomasevic
Pourquoi cette attaque aujourd'hui au Kenya ? Ce n'est pas la première fois que les shebabs de Somalie frappent à Nairobi. Toutes les mesures de sécurité n'avaient peut-être pas non plus été prises au centre commercial de Westgate, avant l'attaque terroriste de ce samedi 21 septembre 2013. Quels sont les risques de représailles sur la communauté somalienne de Nairobi ? Eléments de réponse avec l'anthropologue française Marie-Aude Fouéré, qui vit à Nairobi où elle est directrice adjointe de l'Institut français de recherche en Afrique (IFRA).
RFI : Pourquoi ce centre commercial a-t-il été ciblé par les islamistes ?
Marie-Aude Fouéré : Le centre commercial de Westgate est un lieu de rencontre de la classe moyenne kényane, de la communauté expatriée de Nairobi, c’est un centre de loisirs. Les familles emmènent leurs enfants, les gens vont y faire leur shopping. Il y a des restaurants, il y a des cafés, il y a un cinéma au dernier étage, il y a des fast-foods.
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Il y a deux centres huppés à Nairobi. Le Westgate et un autre centre qui s’appelle Village Market, mais qui est situé dans un quartier qui touche plus la communauté expatriée. Tandis que le centre de Westgate est vraiment fréquenté par la classe aisée kényane et aussi par des Kényans d’origine indienne, des Européens, des Américains... Le samedi, c’est vraiment bondé dans ce centre commercial. Donc, attaquer le centre ce jour-là est tactiquement le plus efficace.
Parmi les actionnaires de ce centre, il y aurait des hommes d’affaires israéliens. Est-ce aussi l’une des raisons pour lesquelles ce site aurait été choisi ?
C’est sûr, il y a des capitaux israéliens et des partenariats avec des Kényans d’origine indienne. A priori, dans les déclarations des shebabs sur Twitter, il n’y a pas du tout de référence au fait que le centre est justement détenu par les Israéliens. Je crois que la cible est vraiment à la fois la communauté expatriée et les Kényans. Symboliquement c’est important pour les shebabs de toucher les Kényans. Et ils l’avaient déjà fait. Cela fait depuis un an, deux ans, qu’il y a des attaques qui ont lieu dans les quartiers populaires : attaques de boîtes de nuit, attaques de transports en commun. Donc là, ils s’en prennent aux groupes plus aisés, mais c’est dans la liste de nombreuses attaques qui ont lieu depuis quelque temps.
Donc on peut penser que c’est une réponse directe à l’intervention militaire du Kenya dans le sud de la Somalie depuis deux ans ?
On peut le dire. Et de toutes les façons les shebabs avaient menacé d’attaquer des centres névralgiques de la ville de Nairobi et notamment des centres commerciaux. Donc il n’y a rien de surprenant, pour les gens qui suivent les actualités kényanes, que ce centre ait été attaqué.
Est-ce que pendant la dernière élection présidentielle de cette année au Kenya, cette intervention en Somalie a fait l’objet d’une polémique entre le pouvoir et l’opposition ou pas ?
Non, je crois qu’il y a consensus sur la nécessité de défendre le territoire kényan des attaques terroristes des shebabs.
Alors d’où peut venir ce commando terroriste ? De Somalie ou bien de la communauté somalienne qui habite au Kenya ?
Il est plus probable que, pour des questions de logistique, ça peut être très bien des membres des shebabs basés en Somalie, mais qui sont passés par le quartier de Eastleigh à Nairobi, y ont séjourné quelque temps pour préparer leur attaque du centre commercial. A Nairobi, le réseau shebab est implanté. Donc, ils ont aussi pu recruter des gens qui sont localement présents à Nairobi pour organiser et planifier l’attaque de Westgate.
Des Somaliens ou des nationaux kényans ?
Actuellement, il y a évidemment une majorité de Somaliens. Mais al-Shabab recrute de plus en plus des non Somaliens. Il me semble qu’il y a à peu près 10% des membres d’al-Shabab qui soient Kényans, particulièrement venus de la jeunesse kényane désœuvrée.
En 2002, on se souvient des deux attentats anti-Israéliens à Mombasa sur la côte kényane. Mais des commandos terroristes à Nairobi, est-ce que ce n’est pas un phénomène nouveau ?
Des terroristes à Nairobi, je pense qu’il y en a, puisqu’il y a des attentats qui ont déjà eu lieu contre des boîtes de nuit, contre des transports en commun, des vans qui circulent dans la ville, et qui sont vraiment le moyen de transport populaire de Nairobi.
Est-ce qu’on peut faire un rapprochement avec l’attentat meurtrier de Kampala ? C’était pendant la Coupe du monde en juillet 2010 dans un restaurant où les gens regardaient la télévision ?
Je pense qu’on peut tout à fait faire des rapprochements puisque l’Ouganda participe à la mission de l’Union africaine de maintien de l’ordre et de la sécurité en Somalie. Donc dans les deux cas, ce sont des formes d’action basées sur la vengeance.
A la suite de l’attentat de Kampala, des Somaliens avaient été identifiés. Est-ce que la communauté somalienne va être extrêmement surveillée à présent au Kenya ?
Non seulement la communauté somalienne va être extrêmement surveillée, mais ce qui s’est passé quand il y a eu des attaques dans les transports en commun à Nairobi contre des Kényans, c’est qu’en retour il y a eu à la fois des formes de justice populaire. Des Kényans s’en sont pris aux Somaliens et ont fait des descentes dans le quartier de Eastleight, où sont regroupés la plupart des Somaliens de Nairobi. Mais l’armée aussi, et les forces de l’ordre, ont été envoyées dans ce quartier et ont aussi causé des dégâts. On parle de gens molestés, on parle de femmes violées, on parle de magasins pillés. Donc je crois qu’une des grandes questions qui va se poser est : comment le Kenya va réagir aux attaques de ce centre commercial de Westgate ?
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Est-ce que cette attaque terroriste peut changer la politique du Kenya en Somalie ?
A priori on peut penser qu’il va y avoir des actions beaucoup plus agressives de la part du gouvernement kényan et de l’armée kényane, dans sa lutte contre le réseau shebab, au nord-est du Kenya et de l’autre côté de la frontière, du côté somalien.
Vous n’imaginez pas, au contraire, un retrait des troupes kényanes de Somalie ?
A priori, ce n’est pas envisageable. On est plutôt dans «œil pour œil, dent pour dent», à la fois contre les communautés somaliennes du pays et à la fois contre al-Shabab dans ces bases somaliennes.
SOURCE:Rfi