Le Témoin : Au Sénégal, certaines célébrités traquées par la Justice ont fui le pays. Elles semblent attendre la fin du délai de prescription pour rentrer au bercail… Justement, Maître, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la prescription ?
Me Pape Jean Sèye : En droit pénal, la prescription est un mode d'extinction de l'action publique. Cela signifie qu'au-delà d'une certaine période à compter de la découverte ou la commission des faits, des poursuites ne peuvent plus être engagées sur le plan pénal. Au Sénégal, la base légale a pour fondement les dispositions de l'article 6 du Code de Procédure Pénale qui édicte que « l'action publique pour l'application des peines s'éteint par la prescription » qui constitue avec la mort du prévenu, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée les conditions de l’extinction de l’action publique.
Quelles sont les durées en matière de prescription ?
Tout dépend des infractions. Parce que les articles 7, 8 et 9 du Code de Procédure fixent la durée de la prescription selon les différentes infractions comme le crime, le délit et la contravention.
En matière criminelle, la prescription est de 10 ans à compter du jour ou le crime a été commis et si, dans l'intervalle, il n'a pas été fait un acte d'instruction ou de poursuite. En matière délictuelle, la prescription est de 03 années révolues sauf en matière de détournement de deniers publics ou elle est de 07 années révolues à compter du jour ou le fait délictueux a été commis. Et l’article 08 du Code de Procédure Pénale ne me dément pas ! En matière contraventionnelle, la prescription est d'une année révolue c’est-à-dire 12 mois. Donc, comme on le voit, le délai est fonction de la qualification de l'infraction en crime, délit ou contravention. Sauf en matière de détournement de deniers publics, elle est de 03 années pour les délits, je le répète !
Il s'agit là d'un principe général applicable à la procédure pénale en général et quelle que soit la juridiction devant laquelle les poursuites sont intentées qu'il s'agisse d'une juridiction ordinaire ou d'exception. C'est dire que c'est une exception qui peut et qui doit être soulevée devant toute juridiction de jugement et elle doit être soulevée « in limine litis », un mot latin qui signifie avant tout débat au fond sous peine d'irrecevabilité. C'est ce qui explique d'ailleurs le fait que dans les actes de poursuites (réquisitoire introductif, ordonnance de renvoi, arrêt de renvoi devant la Cour d'Assises) figure la clause de style « en tout cas depuis un temps non prescrit... »
Est-ce que le juge peut trouver une prouesse pour suspendre la prescription afin d’éviter certains abus ?
Ah oui ! D’ailleurs, permettez-moi de vous rappeler que la prescription peut être suspendue par tout obstacle de droit ou de fait empêchant l'exercice de l'action publique (article 7 alinéa 3 du Code de Procédure Pénale) et, en cas de suspension, un nouveau délai de prescription court à compter de l'événement suspensif.
Pouvez-vous nous donner un exemple compte tenu de votre belle et riche expérience puisqu’on nous dit que vous avez réussi à plaider plusieurs cas de prescription pour sauver la tête de vos clients ?
Des cas de prescription, j’en avais ! Seulement, pour généraliser, il faut retenir cet exemple : Samba Ndar a commis un vol dans la matinée du 1er janvier 1990. Après les faits, il prend la route pour aller se cacher en Gambie. Le plaignant ou la victime, qui était entre-temps en voyage, attend le 1er janvier 1992 pour aller déposer une plainte à la Dic. Cette plainte suspend la prescription. Donc, il y a un nouveau délai de prescription à partir de la date du dépôt de la plainte. Voilà un acte de poursuite qui déclenche le décompte à partir du 1er janvier 1992. Et si le juge chargé du dossier ne fait aucun acte de poursuite, l’affaire est prescrite en 1995 c’est-à-dire au bout de trois ans. Dans ce cas, on ne peut plus poursuivre le voleur et il peut retourner tranquillement au Sénégal. Juste pour vous expliquer que chaque acte de poursuite que le juge pose suspend le délai de prescription. Et rares sont les juges qui contrôlent le délai de prescription compte tenu des nombreuses affectations et autres chamboulements au sein des juridictions. Encore un autre exemple, c’est l’affaire Vieux Sandiery Diop dont j’étais l’un des avocats. Au courant 2006, à Saint-Louis, le garde du corps de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck avait été arrêté par la police. Vieux Sandiéry Diop était accusé de délit de menace de mort avec une arme de poing par un journaliste du nom de Siaka Ndong et un certain Pape Diop, proche d’Ousmane Ngom. Depuis la liberté provisoire dont avait bénéficié Vieux Sandiéry Diop le 26 janvier 2007, le juge d’instruction n’a posé aucun acte de poursuite c’est-à-dire qu’il n’a jamais été entendu, ni convoqué. Cette action est prescrite depuis 2010. Et cela se comprend puisque c’était une affaire purement politique.
Maître, pensez-vous que les Alioune Mbaye dit Petit et autres Ousmane Kéwé Ndao peuvent rentrer au Sénégal sans être inquiétés ?
Là, je ne saurais vous le dire puisque je ne maîtrise pas leur dossier. Mais est une chose est sûre, si les Petit Mbaye et autres n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque condamnation et si aucun acte de poursuite n’a été posé, entre-temps, ils peuvent rentrer au Sénégal sans être inquiétés. Mais attention, les juges peuvent poser des actes de poursuite qu’ignorent les intéressés. Et dans ce cas, ils peuvent être poursuivis ou arrêtés dès leur arrivée à l’aéroport de Dakar…
Propos recueillis par :
Pape NDIAYE
Le Témoin N° 1105 –Hebdomadaire Sénégalais (NOVEMBRE 2012)
Me Pape Jean Sèye : En droit pénal, la prescription est un mode d'extinction de l'action publique. Cela signifie qu'au-delà d'une certaine période à compter de la découverte ou la commission des faits, des poursuites ne peuvent plus être engagées sur le plan pénal. Au Sénégal, la base légale a pour fondement les dispositions de l'article 6 du Code de Procédure Pénale qui édicte que « l'action publique pour l'application des peines s'éteint par la prescription » qui constitue avec la mort du prévenu, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée les conditions de l’extinction de l’action publique.
Quelles sont les durées en matière de prescription ?
Tout dépend des infractions. Parce que les articles 7, 8 et 9 du Code de Procédure fixent la durée de la prescription selon les différentes infractions comme le crime, le délit et la contravention.
En matière criminelle, la prescription est de 10 ans à compter du jour ou le crime a été commis et si, dans l'intervalle, il n'a pas été fait un acte d'instruction ou de poursuite. En matière délictuelle, la prescription est de 03 années révolues sauf en matière de détournement de deniers publics ou elle est de 07 années révolues à compter du jour ou le fait délictueux a été commis. Et l’article 08 du Code de Procédure Pénale ne me dément pas ! En matière contraventionnelle, la prescription est d'une année révolue c’est-à-dire 12 mois. Donc, comme on le voit, le délai est fonction de la qualification de l'infraction en crime, délit ou contravention. Sauf en matière de détournement de deniers publics, elle est de 03 années pour les délits, je le répète !
Il s'agit là d'un principe général applicable à la procédure pénale en général et quelle que soit la juridiction devant laquelle les poursuites sont intentées qu'il s'agisse d'une juridiction ordinaire ou d'exception. C'est dire que c'est une exception qui peut et qui doit être soulevée devant toute juridiction de jugement et elle doit être soulevée « in limine litis », un mot latin qui signifie avant tout débat au fond sous peine d'irrecevabilité. C'est ce qui explique d'ailleurs le fait que dans les actes de poursuites (réquisitoire introductif, ordonnance de renvoi, arrêt de renvoi devant la Cour d'Assises) figure la clause de style « en tout cas depuis un temps non prescrit... »
Est-ce que le juge peut trouver une prouesse pour suspendre la prescription afin d’éviter certains abus ?
Ah oui ! D’ailleurs, permettez-moi de vous rappeler que la prescription peut être suspendue par tout obstacle de droit ou de fait empêchant l'exercice de l'action publique (article 7 alinéa 3 du Code de Procédure Pénale) et, en cas de suspension, un nouveau délai de prescription court à compter de l'événement suspensif.
Pouvez-vous nous donner un exemple compte tenu de votre belle et riche expérience puisqu’on nous dit que vous avez réussi à plaider plusieurs cas de prescription pour sauver la tête de vos clients ?
Des cas de prescription, j’en avais ! Seulement, pour généraliser, il faut retenir cet exemple : Samba Ndar a commis un vol dans la matinée du 1er janvier 1990. Après les faits, il prend la route pour aller se cacher en Gambie. Le plaignant ou la victime, qui était entre-temps en voyage, attend le 1er janvier 1992 pour aller déposer une plainte à la Dic. Cette plainte suspend la prescription. Donc, il y a un nouveau délai de prescription à partir de la date du dépôt de la plainte. Voilà un acte de poursuite qui déclenche le décompte à partir du 1er janvier 1992. Et si le juge chargé du dossier ne fait aucun acte de poursuite, l’affaire est prescrite en 1995 c’est-à-dire au bout de trois ans. Dans ce cas, on ne peut plus poursuivre le voleur et il peut retourner tranquillement au Sénégal. Juste pour vous expliquer que chaque acte de poursuite que le juge pose suspend le délai de prescription. Et rares sont les juges qui contrôlent le délai de prescription compte tenu des nombreuses affectations et autres chamboulements au sein des juridictions. Encore un autre exemple, c’est l’affaire Vieux Sandiery Diop dont j’étais l’un des avocats. Au courant 2006, à Saint-Louis, le garde du corps de l’ancien Premier ministre Idrissa Seck avait été arrêté par la police. Vieux Sandiéry Diop était accusé de délit de menace de mort avec une arme de poing par un journaliste du nom de Siaka Ndong et un certain Pape Diop, proche d’Ousmane Ngom. Depuis la liberté provisoire dont avait bénéficié Vieux Sandiéry Diop le 26 janvier 2007, le juge d’instruction n’a posé aucun acte de poursuite c’est-à-dire qu’il n’a jamais été entendu, ni convoqué. Cette action est prescrite depuis 2010. Et cela se comprend puisque c’était une affaire purement politique.
Maître, pensez-vous que les Alioune Mbaye dit Petit et autres Ousmane Kéwé Ndao peuvent rentrer au Sénégal sans être inquiétés ?
Là, je ne saurais vous le dire puisque je ne maîtrise pas leur dossier. Mais est une chose est sûre, si les Petit Mbaye et autres n’ont jamais fait l’objet d’une quelconque condamnation et si aucun acte de poursuite n’a été posé, entre-temps, ils peuvent rentrer au Sénégal sans être inquiétés. Mais attention, les juges peuvent poser des actes de poursuite qu’ignorent les intéressés. Et dans ce cas, ils peuvent être poursuivis ou arrêtés dès leur arrivée à l’aéroport de Dakar…
Propos recueillis par :
Pape NDIAYE
Le Témoin N° 1105 –Hebdomadaire Sénégalais (NOVEMBRE 2012)